Après avoir découvert l'univers de Dominique Manotti grâce au Prix des Lecteurs du Télégramme, je continue mon périple avec un deuxième roman « A nos chevaux! ».
Dominique Manotti explore encore et toujours l'univers glauquissime de l'argent roi, de l'argent facile et illégal. Et elle le fait sans concession, avec en arrière-plan des recherches très pointues sur le sujet.
Quoi de plus propice à une telle « étude » que le monde peu connu, malgré tout, des courses et des chevaux! Le tout saupoudré de trafic de drogue, d'escroquerie à l'assurance et de délit d'initié: un vrai bonheur pour tout amateur de roman noir.
Agathe Rouard, Nicolas Berger et Christian Deluc, montés à Paris après leurs études rennaises et leur militantisme politique de 1968, se retrouvent: Agathe et Nicolas dirigent la communication d'un grand groupe d'assurances (ah! Les années fric sous Mitterand...) tandis que Christian est devenu conseiller à l'Elysée. Une de leurs amies, Amélie, élève des chevaux de course en Normandie. Les ennuis commencent lorsque, jouant avec le feu, ils sombrent dans l'ivresse donnée par le pouvoir: des chevaux meurent mystérieusement, des écuries flambent un peu trop souvent, des indics disparaissent, des camions font d'étranges livraisons...le dérapage ne sera pas freiné à coups de lignes de cocaïne!
L'ivresse du pouvoir donne des ailes et ceux qui les possèdent ne sont que de fragiles icares: à vouloir aller trop haut, trop près des sommets brûlants, les ailes fondent et les dures sont les chutes. Surtout si ces personnes se frottent, en méconnaissance de cause, avec un commissaire de la Brigade des stupéfiants ( 36 Quai des Orfèvres) peu conventionnel, en la personne de l'imperturbable Daquin! Daquin et ses inspecteurs, Romero et Lavorel (flanqués pour l'occasion d'un Le Dem, policier à cheval) aussi peu conventionnels que lui forment une équipe de fins limiers que rien ne désarçonne, surtout pas les intimidations du pouvoir, des détenteurs de richesses souvent inavouables.
J'avoue que le personnage, récurrent, du commissaire Daquin est une formidable trouvaille: il est cultivé, a beaucoup voyagé et vécu à l'étranger, a un humour pince sans rire délicieux et un sublime goût vestimentaire et culinaire. Mais le détail qui le rend extraordinaire est son orientation sexuelle, bien éloignée des portraits traditionnels de « flics »: Daquin est gay. Son meilleur ami, aussi policier mais dans les Renseignements, se meurt du sida, son amant est un est-allemand qui pressent la chute du Mur. En quelques images, Manotti évoque les peurs et les joies des années 80. Pour en revenir à Daquin, il fallait oser en faire un homosexuel et ce détail donne une autre dimension au roman en lui offrant un point de vue différent. Daquin est imperméable aux flatteries, aux cajoleries et aux chantages ou menaces ce qui fait sa force. Daquin assume sa préférence sexuelle contrairement à bien des hommes dits de pouvoir. Ces derniers n'en sortent que plus pitoyables et nauséabonds au fil de l'intrigue.
Comme dans « Lorraine connection », Dominique Manotti peint les travers vils et immoraux des gens de pouvoir (bien entendu, il ne faut pas en faire une généralité) qui n'ont plus de limites en se croyant intouchables et au-dessus des lois de la société. Elle décrit à merveille cette violence acquise par la sensation de toute puissance: il est facile de perdre la boule lorsque l'on est amené à tenir des rênes essentiels du pouvoir politico-économique, lorsque le monde est à ses pieds. Les marionnettes deviennent de plus en plus tristes et le moindre petit grain de sable fait s'écrouler l'édifice fragile d'un pouvoir illusoire: les vrais requins, les grands prédateurs réussissent à sauver les meubles au contraire des fusibles!
Ce qui rend plus respirable l'atmosphère sombre du roman est la lueur apportée par ce Daquin, pistolero des temps modernes sans arme, qui n'a de cesse de remonter le courant afin de piéger les plus coupables: les grands ne sont pas à l'abri de la détermination d'un homme d'honneur.
Une auteure à découvrir et à suivre.
Quelques passages:
« Vous pouvez me dire en quoi consiste votre contrôle sanitaire? - Vous voulez vraiment savoir? Je me mets près de la porte arrière, au moment de l'ouverture, mais pas trop près, affaire d'habitude, pour bien saisir la première vague d'odeurs. Je sens si c'est frais et propre ou si la viande est chaude. Voilà. Pour le reste, j'ai très peu de crédits pour faire des prélèvements, de toute façon, quand les résultats des analyses arrivent, la viande est consommée depuis longtemps. Ici, il y a deux vétérinaires, pour plus de mille tonnes de viandes. Est-ce que j'ai répondu à votre question?....On ne peut pas compter sur un contrôle sanitaire pour détecter la présence éventuelle de drogue, d'accord. » (p 137-138)
« Deluc laisse négligemment traîner le texte sur la table, à côté de l'assiette de Daquin, tandis qu'il joint le secrétaire général de l'Elysée. Il revient s'asseoir, gonflé, heureux. Tout ce dîner, ici, à l'Elysée, une mise en scène un peu pitoyable. Ce type, on lui enlève son bureau, sa voiture de fonction, et il ne sait plus qui il est. » (p 204-205)
9 commentaires:
J'avais lu ce livre à sa sortie, et aussi son premier, "Sombre sentier" (sur les clandestins dans le quartier du Sentier), je les avais trouvés assez percutants à l'époque. En revanche les suivants "Kop" et "Nos fantastiques années fric" m'ont déçue, d'ailleurs j'ai même oublié de quoi ils parlent...Et du coup je n'ai pas continué à suivre cet auteur...
Jamais lu mais cela doit donner des cauchemars ...
@cathe: j'espère trouver d'autres titres d'elle à la médiathèque. Je te tiendrai au courant de mes impressions de lecture au fil de mes billets ;-)
@cathulu: oui, il y a de quoi cauchemarder surtout lorsqu'il apparaît évident qu'elle ne nous décrit que la partie émergée de l'iceberg! Bienvenue dans le monde merveilleux du sordide aux allures clean ;-) âmes sensibles, s'abstenir!
Je pense que les cauchemards sont à venir si tu lis bientôt Birdman... Peut être as tu lu Tokyo du même auteur ??
pour moi c'est entre accro et rejet !!
J'ai prie bonne note de son nom et dès que je pourrais j'irai voir à la biblio !
Je le chercherai en biblio aussi!
@rennette: oups, c'est vraiment horrible "Birdman"? Est-ce pire que "Mordoch" de Patricia Cornwel? Je n'ai pas lu Tokyo: je le cherchais à la bibli mais il n'y était pas.
@florinette et maijo: je trouve que c'est un très bon polar plaisant à lire malgré les frissons qu'il donne!
Bonjour.
Il y a plusieurs années que j'ai ce livre dans ma bibliothèque et je suis toujours passé à autre chose! Mystère.
Yvon
@eireann yvon: sont-ce les chevaux qui provoquent l'évitement du roman? ;-) Il viendra à toi le moment venu!
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