vendredi 7 mars 2008

Gothique austenien


Catherine Morland est une jeune fille, un peu mal dégrossie, qui découvre, sous la houlette d'un couple d'amis de ses parents, les Allen, la saison des eaux à Bath! Elle rencontre la famille Thorpe et Tilney et découvre peu à peu le monde retors d'une société anglaise à l'affût du moindre mariage avantageux.Le premier chapitre est une mise en bouche très savoureuse, posant la personnalité de l'héroïne, Catherine: elle n'a rien qui pourrait la prédestiner à devenir une héroïne romaesque. En effet, Catherine est un peu garçonne, peu encline à l'étude, ne présentant aucune disposition aux activités artistiques que sont la musique ou le dessin, et ne s'intéresse en aucun cas au jardinage! Catherine est bien loin de la jeune fille comme il faut de la bonne société anglaise. Le ton est donné, celui d'une douce ironie qui fait mouche à chaque fois. Certes, Catherine peut sembler naïve au plus haut point et faire confiance à la première personne qui l'ébouit de ses connaissances du monde, mais elle possède un minimum de sens commun: dès qu'elle rencontre John Thorpe, un ami proche de son frère James, elle n'éprouve qu'antipathie voire dégoût à son endroit. Il faut dire que ce John Thorpe est la quintessence de la fatuité, de la vanité et de la frivolité: seules les apparences, les signes extérieurs d'aisance lui importent. Pour couronner le tout, il se croit irrésistible et se comporte comme un vulgaire Dom Juan de pacotille! Bref, un personnage particulièrement exécrable.Jane Austen a l'oeil pour croquer ses personnages avec juste ce qu'il faut de caricature. La galerie de portraits dans "Northanger Abbey" est une grande réussite: entre Mrs Allen, sans saveur et très agaçante par sa bêtise, et Miss Tilney il y a tout une gamme de caractères à décortiquer. Isabelle Thorpe est l'archétype de la chasseuse de mari à la bourse bien garnie et a une fâcheuse habitude de dire tout et son contraire avec le plus grand naturel du monde. En vérité, Isabelle est une fieffée chipie, vulgaire sous des apparences policées et malgré ses bonnes manières. Ce personnage m'a beaucoup agacée et révoltée. Parfois, j'avais envie d'ouvrir les yeux de Catherine sur cette amitié de façade et intéressée. Les Tilney sont remarqués par leur grâce naturelle, leur élégance et leur culture générale accomplie: Catherine s'épanouit en leur compagnie et apprend avec enchantement que Henry Tilney est un lecteur de romans et notamment des romans de Mrs Radcliffe! En effet, Catherine a découvert les joies de la lecture de roman et se plonge avec délice dans la littérature gothique ce qui permet à Jane Austen de parodier les ambiances de ces oeuvres. L'imagination de Catherine au sujet de Northanger Abbey, résidence des Tilney est fabuleuse: tout y est, l'atmosphère mystérieuse, les portes dérobées, les armoires enfermant les plus noirs secrets, les escaliers dérobés, le décor sinistre par une nuit d'orage. A chaque fois, l'imaginaire de Catherine se trouve démenti par une réalité beaucoup plus prosaïque....ce qui fait tout le sel des allusions au roman gothique! Austen place Catherine dans des situations ressemblant à celles rencontrées chez Radcliffe ou Matthew G Lewis ("Le moine"): un personnage masculin autoritaire et inquiétant (le général Tilney), des chambres dont on remarque après coup certains meubles, une météo sombre, des soupçons de séquestrations. "Elle se moqua des folles craintes d'une imagination déréglée, et, commença, dans une heureuse indifférence, à faire sa toilette de nuit (....) jetant un dernier regard à la chambre, elle s'étonna de voir un cabinet noir très haut et très ancien, qu'elle n'avait pas encore remarqué bien qu'il fût en évidence. Elle se remémora sur-le-champ toutes les histoires d'Henry et sa description d'un cabinet d'ébène qui échapperait d'abord à ses regards..." (p 149 et 150) Bien entendu, elle tente d'ouvrir le cabinet et d'explorer les tiroirs qui lui révèleront la véracité de la prédiction d'Henry! "Sa bougie était tout à fait éteinte, plus la moindre lueur sur la mèche pour qu'on pût espérer la rallumer...la pièce était livrée à une impénétrable et immuable obscurité...un violent coup de vent d'une fureur inattendue vint encore ajouter à l'horreur de cette minute. Catherine se mit à trembler de la tête aux pieds(...) La tempête se déchaînait toujours, et divers bruits, plus terrifiants encore que celui du vent, venaient frapper par intermittence son oreille aux aguets. Il lui sembla même, à un moment, voir bouger les rideaux de son lit. Une autre fois, la serrure de sa porte fut secouée comme si quelqu'un tentait de s'introduire dans sa chambre. De sourds murmures paraissaient ramper le long de la galerie et le sang de Catherine se glaça plus d'une fois dans ses veines à l'écho de gémissements lointains..." (p 151 et 152)Le propos de Jane Austen n'est pas uniquement orienté vers une parodie du roman gothique (ou noir) aussi retrouve-t-on les thèmes de prédilection de l'auteur: les mariages avantageux, les courses aux dots, les mesquineries d'une société étriquée, la généalogie dont peut dépendre une union intéressante et l'importance des bals! En effet, on peut rapprocher "Northanger Abbey" de "Orgueil et préjugés" puisque les bals tiennent une place importante dans l'intrigue: Catherine rencontre le jeune homme dont elle tombera amoureuse, Elizabeth l'homme dont elle conquerra l'estime et auquel elle accordera ses doux sentiments. Les bals, avec le théâtre, la lecture et l'écriture, sont les seules sources de distractions pour les jeunes filles qui entrent dans la vie sociale de leur comté. Elles ont aussi en commun le fait qu'elles n'accordent pas aux biens matériels d'autrui une importance vitale: la personnalité, le regard sur le monde est plus essentiel à leurs yeux.De temps à autre, Austen glisse dans son récit l'éventualité d'une fin malheureuse, comme pour augmenter l'intensité de ce dernier et le lecteur tremble parfois pour Catherine. Isabelle et John Thorpe sont des personnages négatifs, cupides, intéressés et inconséquents que le lecteur souhaite voir évincés et remis à leur juste place: celle des méchants! Quant au général Tilney, il m'a donné l'impression d'être le personnage "gothique" de "Northanger Abbey": il possède un côté terrifiant par ses sautes d'humeur et une attitude désarçonnante et ses ambiguïtés forcent les interprétations sombres de ses actes.

C'est avec un plaisir certain que j'ai plongé dans cette intrigue romanesque, délicieusement ironique, dans laquelle l'héroïque, malgré son côté naïf, est amusante et prend de la personnalité au fil du récit. Mais suis-je vraiment objective lorsque je parle des romans de Mlle Jane Austen?


Roman traduit de l'anglais (GB) par Josette Salesse-Lavergne


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ton article me replonge dans l'atmosphère de ce roman que j'ai beaucoup apprécié. Comme toi, je suis une inconditionnelle !

Anonyme a dit…

J'ai absolument adoré ce livre, mon tout premier Jane Austen. Je l'ai dévoré d'une traite. C'est drôle, ironique et cette anti-héroïne est vraiment unique... il faudra que je le relise pour en parler sur mon blog à l'occasion !

Katell a dit…

@claire-jane: c'est fou comme on plonge vite dans l'univers de Jane Austen!! En un roman j'ai été conquise!
@lou: mon tout premier était "Lady Susan" ;-) J'ai emprunté à la bibliothèque "Emma" et "Raison et sentiment"!!