J'ai un peu déchanté: derrière l'humour apparaît une triste réalité d'un pays africain en voie de développement. Le roman a été publié pour la première fois en 1975 ( 1996 pour la version française chez Hatier) et lorsqu'on le lit en 2007, on a l'amère sensation que rien n'a vraiment changé en Afrique.
Onuma, fils d'Udemezue Okudo, premier Ozo, chef de tribu, du pays, gravit les échelons de la société nigériane des années 70: il est un élève puis un étudiant brillant à l'université toute neuve de Lagos, vitrine d'une jeune nation fraîchement indépendante. Les étudiants y sont chouchoutés car futures élites de la société et de la Nation. Il obtient un poste de responsable des relations publiques, grâce à sa faconde et à son aisance, dans une entreprise européenne pour faciliter les rapports entre les politiciens nigérians et hommes d'affaires. Il a plaqué l'université avant d'obtenir son diplôme car « A quoi rimait d'observer les bizarreries des phonèmes anglais? Quel sens pouvait avoir la luxuriance des vers de Spencer pour quelqu'un qui vait grandi dans les réalités d'une terre pauvre et aride? » (p 29). De plus « Il observait la vie sur le tas, et chaque jour il estimait en apprendre un peu plus sur les deux moteurs les plus puissants de la vie: l'argent et le sexe. Il avait pour principe que si l'on était maître de l'argent et du sexe, il était inutile d'apprendre autre chose. » (p 30).
Il mène grand train: appartement bien situé, même si une décharge sauvage se trouve à proximité, maîtresses, sorties dans les lieux de plaisir de Lagos. L'apogée de sa réussite, quinze ans plus tard, est l'achat, à crédit, d'une superbe Jaguar avec laquelle il retourne au village tel le fils prodigue. La Jaguar dorée l'auréole de gloire aux yeux de tous, Onuma complète ainsi son personnage romanesque et narcissique!
Nkem Nwankwo oppose peu à peu la richesse de la capitale Lagos à la pauvreté des campagnes qui se désertifient, qui se voient quitter par sa jeunesse et qui sombrent dans un marasme mortifère. Les routes nigérianes sont le décor surréaliste du retour d'Onuma au village: sa Jaguar roule sur des pistes à peine entretenues où rôdent les pires dangers. Les routes, les rues sont toujours commencées mais jamais achevées malgré les aides financières qui s'évanouissent dans les méandres de la corruption.
Le retour triomphale d'Onuma tourne au cauchemar lorsque après une fête nocturne, la voiture rate un virage et bascule dans le ravin. Les miracles existent, certes, seulement il ne faut pas attendre trop longtemps: la Jaguar n'est finalement pas tombée au fond du ravin, Onuma et son passager sont saufs....mais le temps de trouver pièces de rechange et dépanneuse, la belle Jaguar a été désossée!!! Adieu veau, vache, cochon...adieu fanfaronnades, adieu largesses, adieu gloire: le comble du malheur est atteint lorsqu'Onuma se rend compte qu'il a négligé de prolonger son assurance!!!
Et plus dure sera la chute....Onuma sombre dans une dépression alarmante: sa mère fait appel à un dibia, un sorcier, pour le ramener à la raison. De fil en aiguille, les ressources financières d'Onuma fondent à un point tel qu'il lui faut gagner de quoi repartir vers Lagos, ville de tous les possibles! C'est l'occasion pour Nkem Nwankwo de dénoncer, entre les lignes, les petites compromissions et grandes corruptions qui gangrènent la vie économique, sociale et politique de son pays. Sous les yeux médusés du lecteur occidental, se met en place une danse complexe entre les chefs de tribu, les candidats aux élections, les pots de vin, les intimidations et les affrontements. Entre banquets et palabres, on ment, on corrompt, on triche, on espionne et on espère posséder, un jour, une autre voiture! Ah! la voiture de l'Eze du district, « un gros homme qui portait des vêtements royaux et une couronne de pacotille », une Mercedes au klaxon musical! Le symbole de la réussite et de la virilité triomphante. Voilà notre Onuma se lançant dans la politique tel un aigrefin spécialiste des relations publiques! Onuma vit des moments intenses et violents mais a le plaisir de conduire une voiture: « Tout à coup le corps d'Onuma vibra dans un gigantesque orgasme; sa peau se hérissa de volupté. Il jouissait mentalement au contact des flancs de cette belle nouvelle maîtresse. » (p 185). La voiture est un instrument de pouvoir, une vitrine de l'aisance et de la réussite: « ...convainquit Onuma de l'étrange pouvoir magique de la voiture. Elle ne conférait pas seulement un statut social, elle rendait tout possible: l'amour, l'espoir, la joie, la charité. La voiture c'était l'homme. Sans elle il était un infirme (...) » (p 81).
« Ma Mercedes est plus grosse que la tienne » est un roman doux-amer sur les malheurs du héros moderne africain incarné par Onuma, personnage plastronant sans cesse tout en étant malgré lui bien naïf. La réussite est souvent talonnée par la chute douloureuse pour celui qui n'assure pas ses arrières: Onuma, cigale africaine ou dindon d'une farce difficile à digérer? L'auteur laisse seul juge son lecteur et la chute du récit ouvre d'étonnantes perspectives au héros.
Une découverte intéressante: le regard sans concession d'un écrivain nigérian sur son pays qui derrière le clinquant de ceux qui réussissent cache une pauvreté désolante. La réalité africaine des années 70 reste hélas actuelle aujourd'hui et on peut se demander si un jour elle fera partie du passé.
Roman traduit de l'anglais (Nigéria) par Josette Mane
4 commentaires:
Pour une lecture drôle, c'est sûr que ça m'a l'air raté! Mais le principal, c'est qu'au final ce roman t'ai plu! En tout cas, je le note.
@anne: le rire est plus souvent un sourire "jaune". Mais l'histoire est captivante!
Je crois que je l'ai vu dans la "grande" librairie mais laissé pour cause de PAL surdimensionnée ! je le note pour plus tard !
@valdebaz: vaut mieux ne pas trop alourdir la PAL sinon on n'en finit jamais ;-)
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