vendredi 14 mars 2008

De l'autre côté du miroir

Nous sommes en Cisjordanie, Cham, un jeune officier de Tsahal, part en permission et se fait dérober ses papiers d'identité. Au check-point, il reste discuter avec un adjudant. C'est là que tout bascule, l'espace de quelques coups de feu. L'adjudant tombe, Cham, blessé, est fait prisonnier. Commence alors un voyage étonnant et peu ordinaire, entraînant le jeune soldat israëlien et le lecteur dans un monde où les repères n'ont plus cours. Cham, sous le choc, est amnésique, perd son identité pour en recouvrer une autre, pour devenir l'Autre,prenant le nom d'un disparu palestinien. La mémoire perdue lui fait traverser le miroir, regarder au-delà et voir autrement le déroulement du monde. Cham devient Nessim, fils d'une veuve aveugle Asmahane, frère d'une jeune fille anorexique Falastin, Cham devient palestinien, Cham vit le couvre-feu, les vexations, la peur, la haine, le désarroi et l'envie que ces absurdités s'achèvent. L'autre côté du miroir est fait de mirador, de filtrages, de champs désertés par leurs paysans, d'olives récoltées dans la peur, de fouilles humiliantes et d'irrespect de l'autre.
Le voyage de Cham/Nessim est celui de l'altérité et du double avec tout ce que cela comporte d'interrogations, d'étonnements, de douleurs, d'amour et d'étrangeté. Ce jeune officier ira jusqu'au bout de lui-même, ira jusqu'au bout de sa découverte: celle d'un cousinage tellement proche qu'il en devient absurde de se battre et s'entretuer. La guerre israëlo-palestinienne engendre d'improbables rencontres et d'incroyables rapprochements devant l'outrance des violences commises de part et d'autre: les pacifistes existent dans les deux camps, au péril de leur vie, et tentent de faire entendre la voix de la tolérance et de la compréhension.
Haddad emmène son lecteur, au gré de son écriture d'une intense poésie, dans les méandres des sentiers et des ruelles, dans les labyrinthes des quartiers assiégés et des sentiments contradictoires, dans le ventre sombre de pleurs, de peur et de sang d'une tragédie vécue par deux peuples qui ne sont pas encore en mesure de se comprendre. "Palestine" est un roman qui est un plaidoyer à l'arrêt de l'occupation et de la constructions de colonies israëliennes. Comme Nessim/Cham, le lecteur ne peut comprendre qu'un peuple puisse en faire souffrir un autre au nom d'une idéologie qui en d'autres temps (pas si lointains) a fait frémir l'Europe entière!
Un roman empreint d'humanité qui s'interroge sur le regard que pourrait porter un officier israëlien devenu un fugitif palestinien sur la réalité de ce monde coupé en deux. Une lecture sublime qui ne peut laisser indifférent!



Quelques passages:



"Dans le poudroiement ocre du petit matin, le paysage s'épanouit en éventail, avec ses terrassements méandreux où s'alignent les oliviers. La corne d'une lune pâlie désigne, très loin, les faubourgs indéfinis d'Hébron. Au pied de la colline, autour d'éminences moindres, les vestiges d'un bourg et le tracé calcaire d'anciennes closeries se perdent en vis à vis d'escarpements ça et là excavés de grottes aux contours géométriques. Un champ de pierres dressées qu'un muret entoure s'étend à main gauche, entre deux routes crevassées où s'amasse la poussière. - C'était un village heureux, dit pour lui-même le fedayin rendu nerveux par de mouvantes réverbérations sur la ligne d'horizon." (p 22)


"Dans la lumière verticale, les champs d'oliviers ont un tremblement argenté évoquant une source répandue à l'infini. L'ombre manque à midi, sauf sous les arbres séculaires aux petites feuilles d'émeraude et d'argent, innombrables clochettes de lumière au vent soudain et qui tamisent le soleil mieux qu'une ombrelle de lin. A l'est d'Hébron, du côté des colonies et au sommet des collines, ils ont presque tous été arrachés, par milliers, mis en pièces ou confisqués, sous prétexte d'expropriation, de travaux, de châtiment." (p 47)

7 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime ces livres qui savent parler avec intelligence et humanité d'un problème aussi épineux que le conflit en Israël. Cela me met d'autant plus en colère quand je vois le boycott qui est pratiqué actuellement à l'encontre des auteurs israeliens...

Anonyme a dit…

Impossible d'être indifférente à ton billet du jour ! Je suis charmée par ton billet, ton enthousiasme face à cette lecture et je note ce titre avec empressement ... Au fait, je t'ai "Tagé" via mon blog, enfin si ça t'interresse d'y répondre ... Bon WE, ma belle ... Bises

Katell a dit…

@choupynette: je suis triste aussi de voir cet appel au boycott du salon. D'autant qu'en Israël, nombreux sont les écrivains à fustiger l'installation des colonies et l'édification du mur de la honte.
Comme quoi la méconnaissance peut engendrer des prises de positions un peu outrancières!
@nath: merci nath ;-) Je crois que je vais être obligée de m'y coller ce WE: tu es la deuxième à me tagger!

Anonyme a dit…

Heureux que vous sembliez l'avoir aimé autant que moi ! Très bon billet en tout cas.
Bonne continuation
Très cordialement

Anonyme a dit…

Bon, là aussi, je survole ton billet si je ne veux pas être influencée pour le prix du Télégramme ;)

Katell a dit…

@shyankar: merci, je suis touchée par votre compliment.
@joelle: je te comprends parfaitement ;-) Bonne lecture en compagnie de Cham/Nessim!

Malice a dit…

Je viens de le lire ce magnifique roman Palestine. Oui;-) nous sommes bien de l'autre côté du miroir très justement mon billet est en ligne.