mercredi 19 mars 2008

La Voie de l'insignifiance


Ils sont partout et on ne les remarque pas. Ils nous frôlent, nous évitent, se faufilent dans la foule citadine sans que nous les remarquions. Qui sont-ils ces discrets? Les membres d'une société secrète? Les adeptes d'une discipline morale et sportive inconnue?
Toujours est-il que Les Discrets se voient contraints de se faire remarquer: quelqu'un les a repéré et semble vouloir les éliminer en les épinglant sauvagement, tels des papillons capturés. La peur s'installe dans leurs rangs et Louis Pinson fait appel à un détective, Johnny Spinoza. Commence alors une course poursuite contre le temps et le tueur. Pour approcher le tueur et éclaircir le mystère, Spinoza reçoit l'initiation vers la Voie afin de devenir, lui aussi, un discret.
Quelle est cette Voie? Celle de l'effacement de soi, celle de la disparition dans la légèreté de l'invisibilité au regard des autres. Un rêve de SF où la cape d'invisibilité, de la normalité absolue, revêtue grâce à l'entrée en méditation, permet de survoler le monde, les êtres et les choses, d'être partout et nulle part.
J'ai aimé cette idée du Discret, de cet être invisible car terriblement normal, malgré certaines longueurs lorsque Arnaud le Gouëfflec explique la Voie, ce nouveau Tao citadin. L'enquête policière est bien menée, haletante: le tueur est-il un des Discrets? Ou alors, quelqu'un qui les a surpassés, surclassés? La chute est surprenante et bien trouvée: les Discrets, malgré tout leur art de l'effacement, sont parfois négligents et laissent des traces, infimes mais suffisantes, de leur ancienne vie!
"Les discrets" est un roman policier aux accents de science-fiction et au rythme délirant des fluidités du flou au milieu des foules (ah! ces couloirs infinitésimaux, dans la foule, qui s'ouvrent sur un autre espace-temps où les Autres semblent s'être arrêtés!). L'écriture d'Arnaud Le Gouëfflec est agréable, plaisante, vive et originale, parfois grinçante et rappelle celle de Serge Joncourt. Du coup, le roman a un goût de trop peu: j'aurais aimé qu'il soit plus long et aille plus loin dans le délire décalé.


Quelques passages:



"Je commençais à entrevoir la manière dont les discrets s'y prenaient pour disparaître: on peut se cacher derrière un symbole, s'enfouir dans un costume, pour peu qu'il représente quelque chose de connu. Le déjà-vu est un puissant anesthésiant. Le pardessus rend invisible." (p 55)


"Le discret ne se lance dans la Voie qu'après mûre réflexion. On ne se dissout pas à la légère, voyez-vous: c'est un chemin sans retour. Le plus souvent, les candidats ont déjà développé d'appréciables capacités d'insignifiance. On a vu de snovices capables de se rendre au restaurant, de commander, de manger, de régler l'addition et de quitter les lieux sans que personne, pas même le garçon, fasse attention à eux. Pour nous, c'est un talent en friche, qu'il nous faut cultiver." (p 62 et 63)


"La clef première de la discrétion volontaire, monsieur Spinoza, est de cultiver cet état dans lequel les gens s'anesthésient eux-mêmes, mais de s'y promener l'esprit aux aguets, et de maîtriser l'art de s'abrutir. Ecartelés entre l'humain et la machine, nous ne valons guère mieux que des automates: plus nos gestes sont trempés dans l'habitude, plus notre comportement devient mécanique.
Il esquiva une dame qui fonçait sur lui.
Nous autres discrets, sommes devenus de spécialistes de cette étrange mécanique humaine des fluides. Nous en avons dégagé des lois pour mieux nous y mouvoir et, au lieu de lutter contre le courant, nous nous baignons dans le liquide amniotique de la ville!"
(p 67)

L'avis de Joelle pascal



5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me souviens avoir lu le billet de Joelle et m'être dis que l'idée de départ semblait vraiment bonne... mais que comme elle avait été déçue, je passerais sans doute mon tour... je ne sais pas si je vais changer d'idée pour un bon moment mais sans plus... je suis la reine de l'indécision, aujourd'hui!!!

Anonyme a dit…

j'aime bien quan ça frise la Sf, je note

Anonyme a dit…

comme Karine, j'avais lu le billet de Joëlle et trouvé l'idée de départ très intéressante !
et comme Karine, j'hésite :-)

Anonyme a dit…

Ce Tao urbain est intrigant malgré vos avis partagés; attendons voir ce qu'en dira Monsieur le Bibliomane...

Katell a dit…

@karine: c'est terrible l'indécision ;-) Si jamais ta bibli le possède, tu n'hésiteras plus.
@pom': c'est un sujet original et agréable à lire!
@emeraude: c'est un concours ma parole ;-D
Pourvu que ta bibli l'ait!
@moustafette: ce bibliomane est incontournable pour ses avis éclairés ;-) A priori il a aimé....mon petit doit me l'a dit ;-p