vendredi 13 avril 2007

Prix Goncourt 1990


Il est des découvertes tardives qui sont de véritables enchantements....ce livre de Jean Rouaud en fait partie.


Premier volet d'une « saga » familiale, « Les champs d'honneur » oscillent entre récit proustien et mémoires dignes d'un François René de Châteaubriand.
Trois décès, trois histoires, une vie de famille au fil du temps, au fil de l'Histoire.
Le père, disparu trop vite, laissant une jeune veuve et trois enfants, une vie bancale et triste...absence de la mère perdue dans sa douleur.
La tante, ancienne institutrice, dans une institution religieuse, personnage discret et savoureux, porteuse d'une souffrance et d'un secret. Elle virevolte dans la vie au gré des images pieuses, des bulletins paroissiaux, des saints sauveurs, solitaire et fragile.
Le grand-père maternel, ancien tailleur, au volant de sa 2CV cachochyme, sa cigarette au coin de la bouche, ses bonbons dissimulés, son caractère particulier, ses paroles rares. Personnage étrange qui rencontre, pour philosopher, le portier d'une abbaye, deux fois par semaine...
Le narrateur en dresse des portraits truculents, grandioses et superbes. Le lecteur est au coeur de cette famille bretonne, de Loire-Inférieure (actuelle Loire Atlantique).
Il sait, aussi, décrire cette atmosphère si particulière apportée par le fameux crachin breton. Il écrit d'admirables passages sur les grisailles pluvieuses: « La pluie est une compagne en Loire-Inférieure, la moitié fidèle d'une vie. La région y gagne d'avoir un style particulier(...)Les nuages chargés des vapeurs de l'Océan s'engouffrent à hauteur de Saint-Nazaire dans l'estuaire de la Loire, remontent le fleuve et, dans une noria incessante, déversent sur le pays nantais leur trop-plein d'humidité. Dans l'ensemble, des quantités qui n'ont rien de considérable si l'on se réfère à la mousson, mais savamment distillées sur toute l'année, si bien que pour les gens de passage qui ne profitent pas toujours d'une éclaircie la réputation du pays est vite établie: nuages et pluies. » p 15 puis plus loin « Les premières gouttes sont imperceptibles. On regarde là-haut, on doute qu'on ait reçu quoi que ce soit de ce ciel gris perle, lumineux, où jouent à distance les miroitements de l'Océan. Les pluies fines se contentent souvent d'accompagner la marée montante, les petites marées au coefficient de 50, 60, dans leur train-train bi-quotidien (...) Le ciel et la mer indifférenciés s'arrangent d'un camaïeu cendré, de longues veines anthracite soulignent les vagues et les nuages, l'horizon n'est plus cette ligne de partage entre les éléments, mais une sorte de fondu enchaîné. Le pays tout entier est à la pluie: elle peut sourdre des arbres et de l'herbe, du bitume gris à l'unisson du ciel ou de la tristesse des gens. » p 17 et 18
Par bribes d'indices (un dentier en or traînant dans un compotier, des photos, une image pieuse...), le narrateur atteint l'horizon de la grande Histoire: les fantômes erratiques de la Grande Guerre, mystères familiaux et clefs des arcanes du souvenir. Les portraits, sous la joliesse du style de l'auteur, mènent à la vie qui s'arrête bien avant la mort pour certains membres de la famille. Une narration délicate, écrite à la perfection...une dégustation stylistique et sémantique. Une peinture écrite, un voyage intérieur qui ne donnent qu'une seule envie: lire les opus suivants afin de faire plus ample connaissance avec les différents membres de cette famille de l'entre deux guerres.
un avis sur le blog culturel et celui de Pascal. Pitou l'a lu également.
En prime le site de l'auteur pour les curieux ICI

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah oui, quel bon souvenir (pour une fois !) que ce Prix Goncourt ! On avait beaucoup parlé ce cet écrivain qui tenait son kiosque de journaux à Paris.

J'aime beaucoup son écriture et, de plus, je sais que l'auteur est sympathique : il habite un petit village près de Nantes (près d'amis à moi) et il participe beaucoup à la vie culturelle du coin, il fait des ateliers d'écriture, il a incité un de ses amis à ouvrir une librairie d'occasion vraiment excellente, il donne ses services de presse à la bibliothèque. C'est vraiment quelqu'un qu'on aime lire et qu'on aimerait connaître :-)

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec toi et avec Cathe, c'est un très bon titre.
Voilà pourquoi j'aime aussi lire et parler d'autre chose que des nouveautés, il est tellement facile de rater de très bons livres dans l'immensité de la production... C'est bien de faire un article sur ce livre !

Katell a dit…

@cathe et gachucha: merci pour vos commentaires et vos infos.

Anonyme a dit…

Je n'ai jamais ce livre, et apparemment je devrais...
J'apprends par Cathe qu'il habite par chez moi, je ne le savais même pas!

Anonyme a dit…

Oui, pour une fois un prix mérité !