lundi 23 juillet 2007

Tokyo

quatrième de couverture:


"Quand Grey débarque à Tokyo sans attaches, argent ni bagages, elle a beaucoup à prouver et encore plus à cacher. Sa rencontre avec Jason, pour lequel elle éprouve une fascination immédiate, est déterminante : il lui trouve un toit, une maison délabrée vouée à la démolition, et un emploi dans un club à hôtesses très privé. Ses clients ? Des yakuzas et un étrange infirme accompagné d'une nurse à la silhouette monstrueuse... Mœurs inavouables, violence, écrasant secret... Ce nouvel univers est pourtant familier à Grey. Le but de son voyage ? Retrouver un mystérieux film à l'existence contestée datant de l'invasion de la Chine par les Japonais. Un seul homme pourrait l'aider. Un survivant du massacre qui refuse de répondre à ses questions..."


Mon avis:


Grey est une étudiante anglaise marginale dans sa mise, son univers personnel et ses centres d'intérêts. Sa quête est originale voire très dérangeante: un film témoignant des massacres et tortures plus odieuses les unes que les autres perpétrés par les soldats japonais lors de la prise puis l'occupation de Nankin (actuelle Pékin). Elle entre en contact avec un des rares survivants de Nankin, professeur de sociologie en poste à Tokyo, le professeur Shi Chongming. Malgré le refus de ce dernier à l'aider, Grey va s'obstiner et de fil en aiguille Shi Chongming va l'utiliser pour tenter de découvrir le secret de longévité (à défaut d'immortalité) d'un chef Yakusa.
Mo Hayder entraîne le lecteur dans un Tokyo sombre, inquiétant, rempli de fantômes des habitants de la fin de la guerre, désespérés et affamés, de maison délabrée craquant au moindre souffle et empreinte de mystères, d'appartement de Yakusa où plane un terrible soupçon au sujet de l'origine des viandes présentées aux convives...
Grey est une jeune fille au passé peu commun: une enfance à l'écart du monde, baignée dans une ignorance inouïe sensée la protéger des horreurs et affres de la vraie vie. L'ignorance est-elle culpabilté? L'ignorance est-elle condamnable? L'ignorance est-elle impardonnable? Ces questions lancinantes jalonnent l'enquête éprouvante de Grey tout au long du récit. Mo Hayder distille discrètement d'infimes détails au coeur de la narration et peu à peu des pans de voiles s'écartent pour laisser apparaître une blessure qui ne demande qu'à se refermer et enfin guérir.
L'intrigue est un va et vient continu entre les recherches de Grey, ses rencontres, ses interrogations et ses souvenirs et le journal intime de Shi Chongming que ce dernier a tenu à Nankin avant et après l'arrivée de l'armée japonaise. Les deux voix se font écho, se mêlent, dévoilent chaque fois plus les deux protagonistes que sont Grey et le professeur. Le lecteur, par touches successives, apprend tout ce qui relie implicitement Grey et Shi Chongming: l'imitation d'un geste due à l'ignorance des choses de la vie. Révélation offerte par Mo Hayder à la fin du roman, révélation qui laisse frissonnant, interloqué mais pas assommé le lecteur.
Ce dernier peut penser que Grey est en quelque sorte un double de Hayder par sa propension à être fascinée par les personnes troubles, sombres, au secret apparent mais bien gardé, par le morbide et l'horreur.
Un thriller mené d'une plume experte et bien renseignée sur le plan historique. Bien que trop fugace, l'interrogation sur le traitement de l'Histoire dans les manuels scolaires fait par des pays comme le Japon sur des épisodes épineux et peu glorieux d'un conflit est intéressante et pertinente: quand on gomme un aspect méconnu, on efface une partie du passé collectif de la conscience humaine, on biffe une partie de la conscience collective d'une nation, on ôte la possibilité de remords et de repentance des générations suivantes, on rend indicible la réconciliation avec ses prédecesseurs mais aussi avec soi-même. Cependant, un rai de lumière apparaît: l'ignorance du passé n'est pas coupable, l'ignorance du passé n'est pas la même chose que le mal.
On sort de ce thriller pas comme les autres, la gorge nouée par l'émotion et les larmes aux yeux: Grey et Shi Chongming sont des personnages qu'on ne peut détester ni oublier. Ils sont attachants car blessés dans leurs chairs et dans leur âme: leur quête les fait se rejoindre, se comprendre et leur apporte enfin la sérénité pour continuer à vivre pour l'une, pour quitter le monde la tête haute pour l'autre.

Des avis glanés ici ou , chez Tatiana ou Gachoucha ou Solenn.




Roman traduit de l'anglais (GB) par Hubert Tézenas

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Décidément tout le monde ne dit que du bien de ce livre ! Je lis moins de polar mais je crois que je me laisserai à l'occasion tenter par celui-là :-)

Anonyme a dit…

le roman donne envie de se pencher sur les livres d'histoire. le style fait qu'on le lit très aisément. cependant il faut être sacrément blindé pour ne pas être pris de nausée au fil des pages... intéressant et nécessaire mais dur, très dur... selon moi. il faut que je lise d'autres titres de Mo Hayder
a+

Katell a dit…

@cathe: c'est un roman atypique de Hayder qu'on lit presque d'une traite.
@freesia: j'ai lu "Birdman" que j'ai trouvé très difficile car beaucoup d'horreurs à digérer. J'attends maintenant que "Pig Island" soit à la bibliothèque.

Anonyme a dit…

Ta critique me donne encore plus envie de lire ce roman qui se trouve depuis un moment sur ma LAL.

Anonyme a dit…

Ouh, tu t'es fait des frayeurs. J'ai essayé de lire Birdman, il y a qq années, j'avais laissé tomber. Alors je crois que je ne me risquerai pas à celui-ci.
Bonne soirée

Anonyme a dit…

Pour avoir lu "Tokyo" et "Pig Island" je peux dire que pour moi en tout cas,il n'y a aucun rapport entre les deux. "Tokyo" est comme le dit katell bouali excellent!!prenant, très bien mené, on s'attache à tous les personnages enfin presque :)en bref j'ai adoré ...en revanche je n'ai pas du tout aimé "Pig Island" une énorme déception pour moi...à mon avis toujours ! ce n'est que du voyeurisme, sanglant, l'histoire n'a ni queue ni tête, une fin pfff...
Alors pour commencer avec Hayder il faut lire "Tokyo" sans hésitation.

Katell a dit…

@moustafette: il serait préférable de suivre le conseil de Boo pour te réconciler avec Mo Hayder...si l'envie t'en prend un jour :-)
@boo: du coup, je vais réfléchir à deux fois avant de me lancer dans "Pig Island"! Ce que tu en dis est effrayant!