La Riviera, en été, dans une pension d'un grand hôtel où les pensionnaires partagent les repas, les moments de détente en fin de soirée. Un jour, ils apprennent que l'épouse d'un résident, Mme Henriette, est partie avec un jeune homme rencontré de fraîche date. La discussion tourbillonne en moults jugements sur la conduite inconséquente, forcément, de l'épouse adultère et fugueuse. La passion, ce sentiment violent, brûlant les derniers vaisseaux du bon sens, passe à la moulinette des pensionnaires. Tous pensent que cette femme a perdu l'esprit, tous sauf le narrateur qui prend à chaque fois sa défense.
« Mais la discussion qui ensuite éclata à notre table avec tant de véhémence et qui faillit même dégénérer en voies de fait, bien qu'ayant pour point de départ cet incident surprenant, était en elle-même plutôt une question de principes qui s'affrontent et une opposition coléreuse de conceptions différentes de la vie. » (p 5). Le narrateur ne jette pas l'anathème sur Mme Henriette « Après tout, au premier coup d'oeil, on aurait parfaitement compris que cette petite Madame Bovary échangeât son époux rondelet et provincial pour un joli jeune homme distingué (...) Voici que je m'amusais à être d'un autre avis; et je soutint énergiquement la possibilité, et même la probabilité d'un événement de ce genre, de la part d'une femme qu'une union faite de longues années de déceptions et d'ennui avait intérieurement préparée à devenir la proie de tout homme audacieux. » (p 5) tandis que les deux couples de convives refusent le concept même de coup de foudre « où ils ne voyaient qu'une folie et une fade imagination romanesque. » (p 5).
Un soir, Mrs C..., une des pensionnaires, aborde le narrateur et lui fait part de son envie de lui relater un événement qu'elle vécut par le passé car elle lui sait gré d'avoir défendu Mme Henriette. La veille du départ du narrateur, Mrs C... le convie à partager son dîner dans sa chambre: il fait peu à peu sombre, le calme vespéral embrasse la chambre et rend feutrée l'atmosphère. Les confidences de Mrs C... peuvent commencer...
Monte Carlo, un soir d'été, Mrs C..., devenue veuve et se remettant difficilement à revivre, entre observer les joueurs au Casino. Elle reste hypnotisée par les mains d'un joueur, des mains qui jouent à leur insu tout une gamme d'émotions. Ces mains appartiennent à un jeune homme, qui pourrait être son fils, qui vient de perdre son dernier sou à la roulette. Ce dernier, titubant, sort, Mrs C... le suit, mue par un funeste pressentiment, mais aussi par une fascination indicible: c'est sûr, il va chercher à attenter à ses jours! Cette décision va lui faire vivre vingt-quatre heures d'une intensité incroyable, inoubliable dont cependant elle aura longtemps honte: de la nuit d'amour passée avec cet homme jusqu'à la douloureuse réalité qui viendra la heurter de plein fouet, ces heures seront les plus intenses et les plus déraisonnables de sa vie.
Dans ce court roman, Stefan Zweig met en scène deux passions: la passion amoureuse et celle du jeu, deux phénomènes pathogènes que les personnages, les sujets, ne maîtrisent pas et sous l'effet desquels ils se trouvent transformés dans leur âme. A cette occasion, Zweig offre au lecteur une description spendide des mains d'un homme possédé par la passion du jeu où il compare la fébrilité des chevaux au départ de la course à celle des mains des joueurs « ...c'est exactement de la même manière qu'elles frémissent, se soulèvent et se cabrent. Elles révèlent tout, par leur façon d'attendre, de saisir et de s'arrêter: griffues, elles dénoncent l'homme cupide; molles, le prodigue; calmes, le calculateur, et tremblantes, l'homme désespéré. Cent caractères se trahissent ainsi, avec la rapidité de l'éclair, dans le geste pour prendre l'argent, soit que l'un le froisse, soit que l'autre nerveusement l'éparpille, soit qu'épuisé on le laisse rouler librement sur le tapis, la main restant inerte. » (p 15)
Stephan Zweig enchâsse le souvenir de Mrs C... dans le récit d'une villégiature anodine et soulève cette notion de secret difficile à partager, d'expérience troublante et angoissante (Mrs C... ne se reconnaît plus et libère une femme inconnue qui sommeillait en elle), de confession qui n'apaise pas celui, celle, qui l'a fait. Cependant, la confession de Mrs C... jette un pont d'empathie, de compréhension, de sensation partagée, entre une vieille dame et un homme jeune.
Le lecteur, au fil de la narration, a l'impression d'assister à un entretien entre le thérapeuthe (le narrateur) et son patient (Mrs C...): la honte, la mauvaise conscience de Mrs C... a peu à peu céder la place à une sérénité, la vieille dame rougit telle une jeune vierge.
L'écriture de Stefan Zweig emporte le lecteur dans les spirales du temps: celui du vingtième siècle naissant où les ultimes effluves du dix-neuvième siècle romantique et bourgeois s'estompent. Un univers parfois désenchanté mais passionnant et prenant dans lequel les femmes peuvent prendre en main leur destin et assumer leur féminité.
« Mais la discussion qui ensuite éclata à notre table avec tant de véhémence et qui faillit même dégénérer en voies de fait, bien qu'ayant pour point de départ cet incident surprenant, était en elle-même plutôt une question de principes qui s'affrontent et une opposition coléreuse de conceptions différentes de la vie. » (p 5). Le narrateur ne jette pas l'anathème sur Mme Henriette « Après tout, au premier coup d'oeil, on aurait parfaitement compris que cette petite Madame Bovary échangeât son époux rondelet et provincial pour un joli jeune homme distingué (...) Voici que je m'amusais à être d'un autre avis; et je soutint énergiquement la possibilité, et même la probabilité d'un événement de ce genre, de la part d'une femme qu'une union faite de longues années de déceptions et d'ennui avait intérieurement préparée à devenir la proie de tout homme audacieux. » (p 5) tandis que les deux couples de convives refusent le concept même de coup de foudre « où ils ne voyaient qu'une folie et une fade imagination romanesque. » (p 5).
Un soir, Mrs C..., une des pensionnaires, aborde le narrateur et lui fait part de son envie de lui relater un événement qu'elle vécut par le passé car elle lui sait gré d'avoir défendu Mme Henriette. La veille du départ du narrateur, Mrs C... le convie à partager son dîner dans sa chambre: il fait peu à peu sombre, le calme vespéral embrasse la chambre et rend feutrée l'atmosphère. Les confidences de Mrs C... peuvent commencer...
Monte Carlo, un soir d'été, Mrs C..., devenue veuve et se remettant difficilement à revivre, entre observer les joueurs au Casino. Elle reste hypnotisée par les mains d'un joueur, des mains qui jouent à leur insu tout une gamme d'émotions. Ces mains appartiennent à un jeune homme, qui pourrait être son fils, qui vient de perdre son dernier sou à la roulette. Ce dernier, titubant, sort, Mrs C... le suit, mue par un funeste pressentiment, mais aussi par une fascination indicible: c'est sûr, il va chercher à attenter à ses jours! Cette décision va lui faire vivre vingt-quatre heures d'une intensité incroyable, inoubliable dont cependant elle aura longtemps honte: de la nuit d'amour passée avec cet homme jusqu'à la douloureuse réalité qui viendra la heurter de plein fouet, ces heures seront les plus intenses et les plus déraisonnables de sa vie.
Dans ce court roman, Stefan Zweig met en scène deux passions: la passion amoureuse et celle du jeu, deux phénomènes pathogènes que les personnages, les sujets, ne maîtrisent pas et sous l'effet desquels ils se trouvent transformés dans leur âme. A cette occasion, Zweig offre au lecteur une description spendide des mains d'un homme possédé par la passion du jeu où il compare la fébrilité des chevaux au départ de la course à celle des mains des joueurs « ...c'est exactement de la même manière qu'elles frémissent, se soulèvent et se cabrent. Elles révèlent tout, par leur façon d'attendre, de saisir et de s'arrêter: griffues, elles dénoncent l'homme cupide; molles, le prodigue; calmes, le calculateur, et tremblantes, l'homme désespéré. Cent caractères se trahissent ainsi, avec la rapidité de l'éclair, dans le geste pour prendre l'argent, soit que l'un le froisse, soit que l'autre nerveusement l'éparpille, soit qu'épuisé on le laisse rouler librement sur le tapis, la main restant inerte. » (p 15)
Stephan Zweig enchâsse le souvenir de Mrs C... dans le récit d'une villégiature anodine et soulève cette notion de secret difficile à partager, d'expérience troublante et angoissante (Mrs C... ne se reconnaît plus et libère une femme inconnue qui sommeillait en elle), de confession qui n'apaise pas celui, celle, qui l'a fait. Cependant, la confession de Mrs C... jette un pont d'empathie, de compréhension, de sensation partagée, entre une vieille dame et un homme jeune.
Le lecteur, au fil de la narration, a l'impression d'assister à un entretien entre le thérapeuthe (le narrateur) et son patient (Mrs C...): la honte, la mauvaise conscience de Mrs C... a peu à peu céder la place à une sérénité, la vieille dame rougit telle une jeune vierge.
L'écriture de Stefan Zweig emporte le lecteur dans les spirales du temps: celui du vingtième siècle naissant où les ultimes effluves du dix-neuvième siècle romantique et bourgeois s'estompent. Un univers parfois désenchanté mais passionnant et prenant dans lequel les femmes peuvent prendre en main leur destin et assumer leur féminité.
Roman traduit de l'allemend (Autriche) par Olivier Bournac et Alzir Hella
10 commentaires:
Ah oui, quel livre magnifique au style époustouflant (comme tous les Zweig d'ailleurs !)
@cathe: un vrai moment de bonheur!
Il faut vraiment que je me le trouve celui-ci, j'avais tellement aimé "Le joueur d'échec" que j'ai envie de poursuivre avec cet auteur !
Très bon moment de lecture! J'ai encore 2 Zweig qui m'attendent dans ma PAL.
J'avais adoré ce livre, comme beaucoup de ZWEIG d'ailleurs, les seuls à me laisser froide restent ses historiques. J'ai adoré la confusion des sentiments, lettre d'une inconnue, Amok, le joueur d'échec et le monde d'hier (autobiographique).
Je n'ai pas été vraiment séduite par ce livre...Pour être honnête, le personne du jeune homme m'a fortement agacée :p.
Je préfère très largement "la confusion des sentiments" ;) et je relirai bien "le joueur d'échecs" car je n'en ai qu'un souvenir très vague...
En tout cas, bien d'accord avec toi : il a une écriture magnifique.
oups je ne connais pas du tout ....mais suite à ton com. je vais essayer ....
@florinette: je n'ai pas encore lu "Le jouer d'échec" et il faudra que je le lise prochainement.
@kalistina: j'en ai quelques uns aussi qui m'attendent dans ma PAL...en verrai-je un jour la fin? ;-)
@vanessa: je compte acheter "Les très riches heures de l'humanité" car j'ai "flashé" sur l'argument littéraire de ces récits.
J'ai (re)découvert avec bonheur son écriture grâce au Challenge lecture ;-)
@fantaisie héroïque: "La confusion des sentimenst" comme "Le joueur d'échec" sont dans ma PAL!
@beat: et tu ne seras pas déçue, loin de là!
Superbe article sur un super livre ;-).Si je ne l'avais pas déjà lu, j'en aurais été forcée à la lecture de ton post ;-)
@majanissa: merci pour le compliment qui me fait grand plaisir :-)
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