samedi 14 avril 2007

De la fragilité de l'enfance


L'enfance est un état fragile, en constant équilibre: un rien peut la faire basculer et périr.
Nous sommes en Angleterre, dans la banlieue londonienne. Les vacances s'achèvent, Ben et Olly, deux amis d'enfance, s'amusent et se chamaillent gaiement. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. L'équilibre est toujours précaire: un grain de sable vient enrayer la machine de l'enfance insouciante et heureuse. Ce grain de sable se présente sous la forme d'un jeune garçon prénommé Carl.
Carl, enfant solitaire, semble ne pas avoir de limites: rien ne lui fait peur, surtout pas les adultes, les pères, qu'il méprise. La scène de la tronçonneuse est le point d'orgue de l'escalade du mal être qui gagnera Ben: Carl ne lâchera celle-ci qu'après avoir contraint le père de Ben à lui dire « S'il te plaît , lâche la tronçonneuse. ». L'adulte obtempère: c'est sa défaite, son humiliation et le moment de gloire d'un jeune garçon paumé repoussant toujours plus loin les limites de l'acceptable.
Les relations deviennent de plus en plus malsaines entre Ben, Olly et Carl. Ce dernier met sous sa coupe Olly, enjeu d'une partie de pocker menteur de l'amitié. De défis en vexations, Ben se confronte à Carl tout en étant conscient de l'insanité de leurs jeux dangereux: la partie de cartes chez Olly en est l'apogée.
Nous nous retrouvons dans le monde de la camaraderie des garçons qui ne sont presque plus des enfants mais pas encore des adolescents: il faut relever les divers défis, ne jamais baisser la garde, aller au-delà de la peur enfantine d'enfreindre les règles. Sinon, pas question de faire partie de la bande. Ainsi, le rituel initiatique du vol, pour prouver sa valeur, dans le magasin de bonbons un matin d'école buissonnière. Mais cela ne suffit pas à Carl qui en veut toujours plus, sans doute parce qu'il désire dévoyer Ben et l'assujettir à son autorité. Mais Ben regimbe. Mais Ben a un entourage familial solide.
William Sutcliffe met en place progressivement le drame qui sourd dès le début du roman. La tension monte peu à peu d'un cran: la balle brûlée, la tronçonneuse démarrée, l'escapade à bicyclette, les coups, les jeux sadiques, l'école buissonnière, le vol de bonbons, la première cigarette, le vol du couteau suivi de ses lancers entre les pieds pour culminer avec l'expédition à Swindon (où vit le père de Carl avec sa nouvelle compagne enceinte).
Le grand frère de Ben est témoin des conséquences des jeux sadiques des jeunes garçons et sera le « deus ex machina » de la tragédie.
Cette main tendue au bon moment qui a sans doute fait défaut à Carl et qui l'a conduit dans l'enfer de la haine et du désespoir.
Nous ne pouvons nous empêcher de penser aux récents faits divers anglais et aux films de Ken Loach, narrations d'une société britannique qui se cherche, qui se perd et qui a du mal à se retrouver. Le monde est bancal, le monde oscille entre les ténèbres et un bonheur simple, le monde est un fragile équilibre entre les deux côtés de la ligne blanche. Un frère peut être là au bon moment comme un père absent au mauvais moment: la différence entre Carl et Ben, entre Ben et Olly. Le choix des chemins fait basculer les destins.
Carl nous fait peur car il est le reflet des échecs du monde des adultes: nous comprenons ses actes sans pour autant l'absoudre. Cependant, l'adulte reçoit une grande claque à la lecture de ce roman, écrit à la manière d'un journal intime d'un jeune garçon de 11 ans...l'âge de tous les possibles.
Ben nous émeut parce qu'il est un garçon d'aujourd'hui, ni ange ni démon, mais diablotin pouvant sombrer. Il possède assez de force, grâce à son équilibre familial, pour pouvoir, avec une aide appropriée, dire non au danger, dire non à l'inacceptable. Par contre, une blessure difficile à cicatriser apparaît: la culpabilité. D'où l'importance fondamentale d'un accompagnement du monde adulte afin que l'enfance de chacun ne disparaisse pas un matin sans crier gare. Aider à grandir en balisant, discrètement mais fermement, le chemin escarpé de la vie d'un enfant, de nos enfants, des enfants.


Merci Turquoise pour ton article qui permit à ce roman d'arriver entre mes mains!

Son avis ICI

Roman traduit de l'anglais par Philippe Rouard


9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je connaissais l'auteur car j'avais lu son premier roman qui était complètement différent, "vacances indiennes", une histoire drôle et légère, j'avais été plutôt séduite !
Par contre, j'hésitais avec son 2ème roman qui me semble à mille lieux de ma première rencontre. Hmmm... ça me semble difficile, mais je suis curieuse ! :)

Katell a dit…

Je tenterai bien "Vacances indiennes": une facette plus légère de cet auteur.
Certes la lecture de "Sous influence" est difficile car le sujet est grave mais l'écriture est intéressante et le point de vue moins manichéen qu'on ne le pense.

rachel a dit…

j'ai vu que tu vas lire du asimov...je vais attendre ta critique car j'aime pas tout chez lui...;o)

Anonyme a dit…

J'attendrais un moment pour le lire car en ce moment les gamins difficiles, je sature ! :)

Katell a dit…

@rachel: c'est le premier roman d'Asimov que je lis! Comme quoi, il n'est jamais trop tard pour bien faire ;-)
@cathulu: oui, à ne pas lire tout de suite car c'est un sujet parfois difficile à supporter quand on est confronté chaque jour à ces enfants déchirés et perdus.

Anonyme a dit…

Chatperlipopette ! tu es insomniaque, comment fais-tu pour lire tout ça, j'arrive plus à suivre. Les 4 derniers sont tous notés, je vais me mettre en arrêt maladie pour dépression grâve après les élections, pour pouvoir lire tout cela !

Katell a dit…

@moustafette: j'étais en vacances, donc beaucoup de temps libre pour lire, entre balades et repos.Par aillers, j'ai eu des petits soucis de sommeil ce qui peut expliquer le rythme de lecture! Je crois que je serai en dépression grave le 6 mai au soir, après les élections...j'ai rempli ma cave de bons vins au cas où...

Anonyme a dit…

J'ai lu Vacances indiennes qui, effectivement, est un roman léger par rapport à celui-ci.
Je le note dans un coin de ma tête, car ça pourrait me plaire.

Anonyme a dit…

Merci de m'avoir citée, Katell ! je suis contente que ce livre t'aie plu à toi aussi ! :-))

P.S. Je poste ce commentaire seulement maintenant parce que j'ai des montagnes de pbs quand je viens sur ton blog...J'espère qu'il va passer facilement cette fois...