mercredi 21 février 2007

Voyage en Inde


Le prochain salon du livre de Paris ayant en invités d'honneur l'Inde et ses écrivains, je me suis laissée tentée par quelques titres, notamment celui-ci. C'est un premier roman, l'auteur Tarun J Tejpal est journaliste, critique littéraire et essayiste.

« L'Inde du Nord à la fin des années 1990.Depuis quinze ans, un journaliste et son envoûtante femme Fizz vivent une intense passion amoureuse entre Chandigarh et Delhi. Mais une étrange découverte dans leur vieille maison, accrochée aux contreforts de l'Himalaya, fait basculer leur couple. Au cœur de cette demeure délabrée, soixante-quatre épais carnets reliés de cuir livrent les secrets de Catherine, une intrépide aventurière américaine et précédente propriétaire de la maison. Subjugué par la lecture de ces carnets très intimes, le narrateur s'éloigne peu à peu de Fizz. Le journal de Catherine l'entraîne à Chicago, Londres et Paris au tournant du XXe siècle, puis dans le tourbillon de l'histoire de l'Inde à la veille de son indépendance. Il lui apporte aussi les clefs des énigmes de l'alchimie du désir et de l'amour. »

L'argument littéraire est intéressant, alléchant mais parfois difficile à suivre car plusieurs histoires sont imbriquées dans le roman...mais une fois les récits situés dans leur déroulement, les flash backs ne sont plus gênants.
Ce roman est un foisonnement hallucinant, déroutant et jubilatoire pour celui qui aime se perdre dans les dédales du conteur. Le lecteur suit les déboires du narrateur face à ses romans détruits( par le feu puis l'eau), ses souvenirs d'enfance qui éclairent sur l'adulte qu'il est devenu: un homme amoureux des mots, des images, des sensations, des odeurs, des femmes ce qui en fait un homme pas comme les autres. Les récits croisés de l'Histoire de l'Inde sont une peinture de ce pays qui se construit une identité nouvelle, sans atermoiement pour les nostalgies d'un orientalisme occidental. Certes, la scène, empreinte d'un regret, des deux déménageurs sikhs jamais sortis du périmètre de leur petite ville de montagne, effarés par l'immensité grouillante et bruyante de Dehli avec ses règles du jeu inconnues d'eux, pourrait faire penser à un orientalisme nostalgique mais montre plutôt l'agacement de l'auteur devant l'économie libérale triomphante et la guerre menée par les ambitieux dérisoires pour accéder au sommet. La tristesse de constater que les préceptes de Gandhi n'ont pas résisté face à ce déferlement sauvage de la modernité, chantre de l' individualisme et de la médiocrité des âmes.
Les mots du roman chantent un amour des couleurs, des paysages sublimes et contrastés de cet immense pays, des odeurs, des bruits, tous ces ingrédients qui font l'Inde et qui enchantent l'Occidental (en la personne de Catherine) qui y pose le pied pour la première fois. Et ce point de vue extérieur rejoint celui du narrateur (et aussi de l'auteur) sans aucune trace de condescendance.
Ces sensations épicées et musquées sont tout entières dans l'érotisme fabuleux du roman. Le narrateur aime les femmes, aime sa femme plus que de raison. Catherine, cette femme du passé, aime aussi l'amour plus que de raison et les descriptions des moments intimes des amants sont d'une poésie extraordinaire car peints sans vulgarité. On est époustouflé par les termes innombrables décrivant les plaisirs de la chair, par les multiples expressions imagées à la gloire du livre des passions: le Kama Sutra. Le narrateur use de termes salaces uniquement pour marquer sa répugnance devant l'avidité des hommes pour le pouvoir, quel qu'il soit.
J'ai aimé les phrases récurrentes du roman, mantras éparpillés au fil des pages, petits rappels tintinabulants de l'hindouisme, culture religieuse millénaire: « Il fallait mener sa vie entre le dieu de la raison et le dieu de la déraison/Vénérer l'un et l'autre, n'en offenser aucun », « La désintégration inhérente à tout acte de création/Il n'est rien de si grand qui ne périra un jour. ». mais aussi la phrase qui décrit le thé brûlant et sucré que l'on ne peut boire qu'en faisant du bruit: surrrcccchh.
Puis arrive la rencontre, finement et magistralement préparée par l'auteur, du narrateur avec le coffret de Catherine. Ce coffret, rempli de carnets intimes, est l'élément pertubateur du conte, l'élément qui lance la quête du héros. Peu à peu la personnalité de celui-ci change, il s'éloigne de l'être aimé, Fizz son épouse qui le quitte, il a des hallucinations sensuelles et cauchemardesques. La plongée dans la lecture maudite de ces carnets, retrace un passé que l'on veut oublier (le temps de rajahs richissimes et de leurs folies sous la houlette complaisante de l'Empire Britannique). Des morts qui ne peuvent trouver le repos: les vies antérieures qui se recoupent, le narrateur est l'amant de la memsahib (Catherine) qui part à la recherche de leur fille abandonnée. La paix de l'âme ne peut revenir qu'au bout de cette quête.
La force du roman s'épanouit à la fin par une grande beauté de style : le lecteur comprend que la boucle est bouclée, que le roman s'ouvre et se ferme sur deux phrases symétriques qui s'opposent. « L'amour n'est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C'est le sexe » qui devient « Le sexe n'est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C'est l'amour. ».
Le narrateur concrétise ainsi sa renaissance. La naissance de son roman est proche. Mais que de souffrances entre les deux avant de comprendre que l'amour est un élément indispensable au bonheur des hommes.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Katell pour cette critique. Le livre est dans ma LAL. Il est quand même trèèèès épais ! :o Et il est abondamment cité dans "Le gout du thé", notamment le "surrr tea" (ne sais plus comment il écrit ça).

Katell a dit…

Certes, le roman est trèèèèès épais, mais il se lit très vite: la lecture est fluide et agréable. Donc, pas de souci pour se lancer dans l'aventure...normalement, tu ne regretteras pas le voyage :-)