lundi 30 avril 2007

Un héros gaulois


"En l'an 74 de notre ère, Marcus Aper, fameux avocat de la Rome de Vespasien, part en villégiature pour sa Gaule natale. A peine arrivé dans la demeure de son ami Quintus Solem, il se trouve confronté à un premier meurtre, puis à un second. Ce lointain cousin d'Astérix, devant le laxisme de l'édile, décide de mener l'enquête... Cette première aventure du plus original (depuis le Juge Ti) de nos " Grands Détectives " est racontée par une historienne de qualité, Anne de Leseleuc, qui sait allier la patte romanesque des meilleures reines du crime à la reproduction vivante de la vie quotidienne de nos ancêtres les Gaulois."


Ce Marcus Aper a tout pour plaire : une faconde, un talent de limier et d'aventurier, une passion pour la droiture et la justice, le verbe haut et des moustaches gauloises du plus bel effet.C'est un gaulois romanisé qui garde ses racines : il aime porter les braies dès qu'il peut tomber la toge, il aime la cervoise (sauf avec le foie de canard... qu'il faut accompagner de vin). C'est un brillant avocat qui ne veut défendre que les innocents, et combattre l'injustice criante. Un idéaliste et un humaniste qui n'est pas friand des spectacles sanglants des amphithéâtres romains.Il est le héros récurrent d'une agréable série policière dans la collection Grands Détectives de 10/18. L'écriture est agréable, claire à lire.Il y a des tas de renseignements sur le quotidien de cette époque vespasienne... et il y a une très intéressante postface à chaque fois éclairant les aspects juridiques, politiques ou sociaux abordés dans les romans. De plus un glossaire est mis à disposition quand on a un problème de compréhension de vocabulaire.Comme tous les romans de cette collection, l'auteur est très bien renseigné sur la période dans laquelle évolue son héros.C'est une très belle promenade dans le temps... que les latinistes nostalgiques (si, si il y en a !!!) apprécieront.

dimanche 29 avril 2007

ce midi, dans mon jardin

Il y avait un ballet de libellules: j'ai réussi à en surprendre une qui se reposait sur le millepertuis.






Il y a les grappes de lilas qui embaument la terrasse.

5ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 8


"Lorraine connection"


1999, Daewo, entreprise coréenne installée en Lorraine sinistrée, fait une faillite retentissante alors qu'en 1996 Thomson Multimédia, en bonne santé, lui avait été vendue pour un franc symbolique. Pourquoi, comment? Telles sont les questions qui émergent de ce fiasco économique, financier et social.
Une scène de chaîne de montage ouvre le roman. Dominique Manotti met tout de suite le lecteur dans l'ambiance de cette usine particulière où les plupart des cadres et des techniciens sont coréens, ne parlant pas un mot de français. D'ailleurs, un accident s'est produit: un ingénieur coréen a la tête tranchée par une machine remise en marche par un de ses collègues. Les ouvrières, témoins de ce drame, sont encore sous le choc quand survient un autre accident: une ouvrière victime d'un court-circuit est électrocutée. Elle est enceinte de 6 mois et perd son bébé. Devant l'incurie de la direction, les ouvriers se mettent en grève. Les bureaux sont occupés, les ouvriers déambulent dans l'univers inconnu et intimidant de l'administration, certains pianotent sur les ordinateurs et trouvent d'étranges fichiers comptables où défilent les noms de certains ouvriers de l'usine. Plus tard, l'usine est incendiée.
La tragédie peut alors commencer.
Acte I:
La mise en place du drame, car dès le début l'atmosphère est celle du drame, et des personnages. Les femmes de la chaîne, Rolande, Aïcha, exclues de ce monde d'hommes.
Les hommes de l'usine, Etienne, le coureur de jupons, Norredine, Maréchal, le contre-maître aux troubles relents de l'OAS, Quignard le fondé de pouvoir, ancien ouvrier sidérurgiste devenu notable incontournable.
L'accident provoquant la grève et l'occupation de l'usine. Le grain de sable qui perturbe les magouilles politiques et financières. Puis, montant en puissance, la rage des ouvriers fatigués d'être pressurés et exploités.
Acte II:
Le lecteur quitte pour un temps le bassin lorrain pour rejoindre le monde des grands pontes et la politique. La macro économie et les magouilles de haut vol sont la cour de récréation des dirigeants économiques.
Le meurtre d'Etienne escamoté en accident donne des sueurs froides aux notables et l'enquête est orientée: la nausée approche devant ces influences calculatrices et inhumaines. A salaud salaud et demi, tel est l'adage de ce monde trouble des grandes entreprises: rien n'arrête celui qui veut remporter la victoire, pas même les manipulations, les chantages envers les hauts fonctionnaires aux travers sexuels inavouables. La politique, économique ou autre, est un bas de soie nauséabond, un dangereux aquarium où s'entre-déchirent les requins. Dans cette partie-là, que pèse le sort d'ouvriers en chômage technique?
Acte III:
Une actualité ancienne rattrape le lecteur: la bataille sanglante entre Alcatel et le groupe Lagardère. Sous la plume de D.Manotti, elle se déroule à coups de preuves fabriquées, à coups d'espionnage et de chantage, à coups de contre-enquête musclée et de manipulation d'arrière-plan (l'affrontement entre vendeurs de drogue et proxénète gourmand est amusante).
Acte IV:
Le dérapage sanguinaire (meurtres déguisés en suicide et en fait divers banal) des accolytes de Quignard discrédite encore plus l'enquête policière et délie bien des langues.
Le personnage de Rolande prend toute sa stature: une ouvrière pas si banale que cela, qui réussit à s'arranger avec la réalité trouble. Quelque part, la morale est sauve en ce qui concerne le menu peuple.
La tragédie s'achève sur un amer constat: l'usine est détruite, les responsables ont disparu, les ouvriers restent avec leurs incertitudes quotidiennes. Une tragédie des temps modernes où les héros sombrent tandis que rebondissent les anti-héros.
D.Manotti dénonce, avec une écriture qui se calque sur le rythme du travail à la chaîne, un aspect inhumain de l'économie d'aujourd'hui: le terrain de jeux est le monde, les joueurs n'ont plus d'arbitre, tous les coups sont permis, les règles sont caduques. Les sans grades voient leurs primes s'envoler tandis que les cadres coréens touchent leur prime d'éloignement....Une actualité récente fait écho à celle du roman. La cour de récré est toujours aussi sanglante et guerrière.
D.Manotti est l'observatrice d'une société violente envers les hommes, elle décrit une génération égarée dans la complexité du monde moderne, monde qui ne connait plus de limites ni de frontières. Un monde où chacun procède à des arrangements avec la morale. Elle peint des personnages forts et représentatifs des multiples facettes de la réalité vécue au quotidien.
On pourrait mettre en lien l'atmosphère des romans de D.Manotti avec celle des romans de Jonquet ou d'Ellroy: des photos sans concessions de la société contemporaine.

Aujourd'hui, à Longwy, la vallée est verdoyante, il n'y a plus d'installations sidérurgiques. Le paysage en devient tragique: comment a-t-on pu, en si peu de temps, faire disparaître totalement cette activité et les hommes? L'avertissement, lapidaire, du roman est un manifeste: "Ceci est un roman. Tout est vérité, tout est mensonge". Comme cette verte vallée, silencieuse sur son passé industriel?
Lorraine l'a lu. L'avis de Pascal.

samedi 28 avril 2007

Une heure en enfer


"Sous les bombes"

Roman de guerre très étonnant, construit comme une pièce de théâtre classique : unité de temps, de lieu et d'action. L'auteur,Gert Legig, nous emmène sous le feu des bombes américaines et nous fait découvrir toutes leshorreurs subies par les civils. Il nous entraîne dans les caves suantes de la terreur des civils, dans le ventre des blockhaus avec les soldats désorientés et désabusés, dans les airs avec un aviateur descendu en flamme. Dans les caves, une panoplie de réactions extrêmes... la scène du viol d'une jeune fille est saisissante d'horreur et de survie (la chute de cette scène est morale). Chaque acte de cette pièce tragique est scandé par les lettres, voix d'outre tombe : celles des morts du bombardement. Elles apprennent au lecteur l'avant de cet instant brûlant et bruyant. Et c'est l'Allemagne vaincue qui saigne, qui geint et supplie. Cette fin de guerre fut atroce pour tout le monde et la présence fugace des prisonniers russes affamés, squelettiques, annonce la découverte des camps de concentration.Un point de vue allemand très intéressant et très poignant.
Roman traduit de l'allemand par Cécile Wajsbrot

La traçabilité du lecteur sur Internet






Essel a publié les résultats de son enquête sur les blogs. Son travail est impressionnant et remarquable. A lire très vite en cliquant ICI.

vendredi 27 avril 2007

Rencontre avec Dominique Manotti


Dans le cadre du Prix des Lecteurs du Télégramme, des rencontres avec les auteurs sélectionnés sont programmées. Jeudi 19 Avril dernier, je me suis rendue à la Bibliothèque Municipale de St-Brieuc (Côtes d'Armor) pour écouter, et voir, l'écrivaine de romans noirs Dominique Manotti dont le dernier roman « Lorraine connection » fait partie de la sélection 2007. A noter: je n'avais pas encore lu son livre et j'espérais que la rencontre n'en dévoilerait pas trop .
Un libraire de St-Brieuc accueille les participants avec un étal de titres de l'auteure, fort alléchant ma foi (comme je m'en doutais, je n'avais pas pris mon porte-monnaie afin de ne pas craquer.). Deux journalistes sont également présents, interviewant les auditeurs-lecteurs participant au prix (une dame vient spécialement de Pontivy, dans le Morbihan: elle a lu le roman!) et l'auteure. L'ambiance est chaleureuse et conviviale: les gens échangent leurs impressions de lectures et parlent de leurs préférences. Nous ne sommes, hélas, pas nombreux dans la salle mais nous sommes tous motivés par le goût de lire et l'envie de mieux connaître la romancière.
La rencontre commence et mes craintes s'envolent: l'animatrice a le tact de ne pas déflorer le sujet de « Lorraine connection » que beaucoup d'entre nous n'ont pas encore lu!
Dominique Manotti, ancienne prof d'histoire à l'université, entre en littérature « noire » en 1993: elle vient d'avoir 50 ans et a eu l'envie irrépressible d'écrire des romans noirs après la lecture de « L.A Confidentials » de James Ellroy. « Si on arrive à exprimer des choses aussi fortes en écrivant des romans noirs, pourquoi pas? Ça vaut le coup d'essayer. »
En 1995 est publié son premier roman « Sombre sentier ». Le quartier du sentier est le personnage principal du roman et est à lui tout seul un roman noir: c'est un lieu hors la loi, avec ses propres règles.
Dominique Manotti est d'une génération très politisée, marquée par la guerre d'Algérie. Ce fut un choc que d'apprendre les horreurs de cette guerre: un abime s'ouvre entre l'identité de la grande nation des droits de l'homme et les réalités sordides de la guerre. Son engagement syndical et politique en est issu. L'écriture l'aide à vivre les années difficiles des années 1980 (élection de F.Mitterand et les affaires qui ont suivi), à avoir de nouveau le goût d'entreprendre, d'avancer: « un essai historique se démode très vite. Il n'y a rien de plus fugace que la pensée historique » alors que « le roman touche beaucoup plus profondément, il touche la sensibilité, les sensations, il va au coeur, à l'ensemble de la personnalité du lecteur », « le roman est plus près de la vérité historique que l'essai historique ».
Plusieurs romans, noirs toujours, suivent: « Le corps noir » (le plus personnel) « Kop » (milieu footballistique), « A nos chevaux! » (monde des courses), « Nos fantastiques années fric » (l'immobilier). Ces trois derniers romans explorent les grandes et scandaleuses affaires financières des années Mitterand pour en donner une réalité la plus proche possible d'une réalité complexe, certes vision très noire mais jamais schématique, sans manichéisme. D'où la multiplication des personnages afin de rendre compte d'une réalité multiple et diverse.
Pour Dominique Manotti, le rythme est la première chose dans l'écriture et elle utilise souvent la rupture d'énonciation, influence cinématographique qui amène à écrire avec des images. Elle essaie de casser la convention d'écriture de la pensée intérieure, homogène et continue....le cinéma a cassé une certaine forme du roman balzacien.
Par ailleurs, elle essaie d'être sobre dans la description des scènes de meurtres: elle ne veut pas s'apesantir sur le sordide, le « gore » du crime.
Un auditeur lui a alors demandé ce qui la faisait courir, du point de vue littéraire. Dominique Manotti aimerait dresser le portrait de sa génération, celle de la guerre d'Algérie, celle qui traverse les années Mitterand....une envie très balzacienne!
J'ai aimé cette rencontre, très intéressante et très enrichissante, car l'auteure non seulement a parlé d'elle, de ce qui a fait d'elle une écrivaine de polar, mais aussi de son travail d'écrivain (la documentation importante, le souvenir, les souvenirs, les accumulations de faits d'actualité et comment s'en servir à bon escient...): elle tient des listes de ce qui doit être gardé et s'oblige à les insérer dans l'histoire.
J'ai été attendrie quand j'ai appris qu'elle avait un mal fou à trouver les noms de ses personnages, qu'il n'était pas facile de quitter un roman, quand on le lâche, quand il est édité, il n'appartient plus à l'auteur mais au lecteur. Aussi ce passage est-il difficile pour un auteur. Un petit « secret »: pour passer ce cap difficile de la dépossession, Dominique Manotti a un truc, elle change les noms des personnages à la dernière minute!
Autre petit secret: elle n'arrive pas à écrire sans dater....en raison de sa formation d'historienne?

Triste nouvelle







Rostropovich nous a quitté. La voix sublime de son violoncelle et ses engagements vont manquer à notre planète. Au revoir Mr Rostropovich et mille et un mercis pour la poésie de vos interprétations. Nous ne vous oublierons pas.
Pour écouter une de ses interprétations somptueuses, cliquez ICI

jeudi 26 avril 2007

Enquête à Athènes


La vague des polars historiques s'enrichit d'un autre protagoniste, connu des hellénistes (vive les vieux souvenirs de trada en classe !!) mais pas sous cet aspect : Aristote vient sur scène dans un rôle de détective. Remarquez, y a-t-il beaucoup de différence entre un philosophe grec (classique) et un détective ? Les interrogations sur l'âme humaine sont du même tonneau, non ?? Toujours est-il que M. Doody nous entraîne agréablement dans l'Athènes antique, dans le quartier de l'Agora, parmi les temples de l'Acropole et dans les miasmes du Pirée !!! Le lecteur apprend les coutumes des grecs : le plus proche parent mâle (bien entendu) d'un accusé doit le défendre devant l'Aréopage. On découvre que les luttes de pouvoirs sont motivées par l'appât du gain, les concussions les plus viles, qu'Aristote est un délicieux excentrique qui aime la bonne chère. Grâce à son sens de l'observation, à ces questions "maïeutiques", le criminel sera démasqué... après un suspense intense et une lecture jubilatoire (pour les amateurs du genre).Un polar pour la détente sous un pin parasol, avec de l'ouzo (ou un pastis si on n'est pas en Grèce) ou un bon verre de rézina bien frappé !!!

mercredi 25 avril 2007

Encore une histoire de crotte!


Ce matin, je suis allée à la librairie, haut lieu de perdition s'il en est, et je suis tombée sur un des derniers titres des éditions Thierry Magnier "Léon, l'étron". C'est un petit livre cartonné, carré, dont le sous titre est "un livre très marron en cacamaïeu". L'auteur, qui m'est inconnu, Killoffer, a osé cette histoire, très bien écrite, pleine d'humour (parfois grinçant) et très scato (mais les loupiots adorent ce type d'histoire, non?!!). Un aperçu du texte: "Il s'appelait Léon. C'est un très joli prénom. Léon n'était pas laid. Il avait du succès. Surtout auprès des mouches. C'est ça qui était louche." La suite est du même tonneau: amusant et drôle. Le sujet est osé, la fin frise avec le tabou mais l'histoire est intéressante et instructive. Même les plus grands apprécieront cette histoire peu banale, un peu "trash" parfois.

C'est mon coup de coeur de la semaine pour les "P'tits Chats"!

Le 5ème Prix des Lecteurs du télégramme # 7


"Le marchand de passés" de José Eduardo Agualusa


Félix Ventura vit à Luanda, en Angola. Il est bouquiniste et...albinos, un noir albinos. Nous sommes à la fin de la guerre révolutionnaire, l'Angola s'est émancipé du Portugal.
Félix vit seul dans sa grande maison, un jardin clos d'un mur où poussent des manguiers, il adore la soupe et boit une tisane à la menthe chaque soir après son repas. Il a une autre activité, presque ludique: généalogiste. Il réécrit le passé des gens qui le lui demandent, il leur trouve de glorieux ancêtres, de fabuleuses lignées, de hauts lignages. En effet, les hommes de pouvoir, des pays neufs, ont souvent besoin d'appartenir à de vieilles familles pour assurer leur crédibilité. Félix Ventura est un aventurier du passé, des passés.
Le roman s'ouvre sous le regard d'un tiers: « Je suis né dans cette maison et j'y ai grandi. Je n'en suis jamais sorti. Lorsque vient le soir j'appuie mon corps contre le cristal des fenêtres et je contemple le ciel. J'aime voir les flammes hautes, les nuages au galop et, au-dessus, les anges, des légions d'anges, quis ecouent les étincelles de leur chevelure, en agitant leurs grandes ailes en flammes. C'est toujours le même spectacle. Tous les soirs, pourtant, je viens jusqu'ici, et je m'amuse et je m'émeus comme si je le voyais pour la première fois. La semaine dernière Félix Ventura est arrivé plus tôt et m'a surpris à rire pendant que là dehors, dans l'azur agité, un énorme nuage courait en rond, comme un chien, tentant d'éteindre le feu qui lui embrasait la queue. » (p 9)
Qui est-il, ce tiers, ce personnage invisible? Est-il le lien invisible du passé, des passés? Ce personnage qui semble aussi casanier que Ventura est aventurier, observe ce dernier et ses clients. Les mémoires défilent, se délitent pour mieux se recréer.
Un jour, Ventura rencontre Angela Lucia, une photographe obsédée par la recherche de la lumière et sa photographie. Comme Félix, elle porte un nom sur mesure. Angela est la seule à ne pas avoir un geste de recul devant la particularité physique de Félix. Elle cherche la lumière, il crée des mémoires, des passés, ils sont complémentaires: l'ombre et la lumière, le clair-obscur de la vie.
Félix reçoit un étrange personnage, José Buchmann, désirant une identité angolaise, désirant un passé mais un passé ordinaire sans gloire ni hauts faits. Un passé pour se fondre dans la masse.
Peu à peu, Félix, le personnage tiers, Angela, José mêlent leurs diverses réalités. Le roman prend des allures de conte, de conte cruel parfois. Le passé devient présent jusqu'à l'envahir. Qui est qui? Qui vient d'où? Les rêves deviennent réalités, les vies antérieures refont surface: pourquoi sommes-nous à cet endroit, à ce moment? Avons-nous quelque chose à achever avant que notre âme connaisse le vrai repos? Nos identités diverses ne sont-elles qu'un moyen de se retrouver et de s'assembler? La folie ordinaire d'un pays secoué par les guerres meurtrit-elle les mémoires et les âmes? Celles-ci se sont-elles égarées dans les sombres méandres des non-dits, des tabous, des manquements? Pouvons-nous être un et multiple à la fois, connaître ce qui a été, ce qui est voire ce qui sera?
Félix Ventura, marchand de passés, est-il le pont entre rédemption et réincarnation? L'aventure intérieure de la mémoire réinventée produit l'impossible et fait tout basculer. Le personnage tiers, Eulalio, se découvre un peu, il a été humain dans une autre vie:
« J'étudie depuis des semaines José Buchmann. J'observe les changements qui se produisent en lui. Ce n'est plus l'homme qui est entré dans cette maison il y a six ou sept mois. Quelque chose, qui relève de la nature puissante des métamorphoses, opère dans son for intérieur. C'est peut-être, comme dans les chrysalides, la secrète précipitation des enzymes dissolvant les organes. On peut objecter que nous sommes tous en constante mutation. Certes, moi non plus je ne suis plus le même qu'hier. La seule chose qui ne change pas en moi, c'est mon passé: le souvenir de mon passé humain. Le passé est généralement stable, il est toujours là, beau ou terrible, et il sera toujours là.
(C'est ce que je croyais avant de connaître Félix Ventura.)»
(p 45)
Ce roman original, amusant et triste à la fois, où le nom des personnages sont empreints de signification symbolique, nous fait voyager dans nos mondes intérieurs, dans nos rapports ambigus avec la mémoire: les impressions de déjà vu ne sont-elles pas tout simplement des créations, des inventions de nos sens devenues vraies? Nos constructions intérieures peuvent être complexes et étonnantes....jusqu'à l'imagination, de la lumière aveuglante au clair-obscur mystérieux, gamme colorée du monde que l'on voit.
Pascal l'a lu aussi.
Roman traduit du portugais (Angola) par Cécile Lombart

mardi 24 avril 2007

Et si ça se passait comme ça...


"La planète des ouragans"


quatrième de couverture:


« Le vent se leva au moment même où l'astronef posait son train d'atterrissage sur la piste bétonnée de l'aéroport. À l'instant précis où les grosses ventouses métalliques montées sur vérin entraient en contact avec le sol - agrandissant le réseau de lézardes sillonnant l'aire de stationnement -, le souffle déferla sur les bâtiments, fouettant les lignes sans grâce d'une architecture presque uniquement composée de dômes joufflus percés de meurtrières. » Sur la planète Santäl souffle un ouragan permanent qui arrache les cheveux, scalpe les forêts et aspire les cercueils hors du sol. Un vent râpeux comme du papier de verre, qui fond sur les hommes pour les écorcher vifs. Souffle divin ou démoniaque? Nul ne le sait, pas même les sectes fanatiques et meurtrières qui prolifèrent sur ce monde infernal, tentant d'imposer leurs croyances barbares...
Planet Opera empreint d'une poésie ténébreuse et chaotique, pour la première fois publié en un seul volume, le cycle des Ouragans vous invite à un voyage sans retour dans l'imaginaire halluciné de Serge Brussolo.


Mon avis:


Un univers étrange, balayé par des vents infernaux.Trois zones où il ne fait pas bon vivre mais où la vie s'obstine : en devenant obèse pour rester cloué au sol, vivre comme des taupes dans des tunnels pour ne pas donner prise au vent, vivre dans des ghettos sous l'emprise des prêtres pour survivre aux vents.Des illuminés à la recherche de la rédemption, des parcours insolites, une maison qui avance inexorablement vers l'océan et l'anéantissement... Une petite fille venue chercher ses origines et qui sombrera dans la douleur de ne pas savoir et d'avoir perdu son livre de peau, une autre fillette qui s'affranchira de ses chaînes pour apprendre la liberté de mouvements et de pensée. Un chant mortifère sur l'inanité des trouvailles humaines qui ne font que mener les mondes à leur perte, un chant plein d'espoir sur la nécessité d'une vraie écologie des actes et des savoirs. Le tout... un "space opéra" déjanté qui nous mène aux frontières de l'imaginable, où les chevaux ont muté en aimants vivants, où la nature humaine a du mal à se défaire de ses pires penchants. Les religieux extrémistes et ambitieux trouvent toujours des arguments dans les fondements philosophiques pour asseoir leur domination... une fillette se dressera contre eux et les idées reçues pour laisser souffler un vent de liberté plus dévastateur que les vents tourbillonnants d'une nature en révolte.La fin laisse le lecteur sur sa faim, inassouvi mais libre de continuer cette aventure pour sublimer la frustration de ne pas savoir la fin !!! Un Brussolo qu'on dévore de la première à la dernière ligne, un Brussolo qui dépèce l'âme humaine sans complaisance et nous renvoie un reflet peu glorieux que l'on accepte ou pas. Ah, cette musique qui tue les auditeurs comme les musiciens : les premiers en tant que victimes sacrificielles, les seconds en tant que victimes expiatoires (le poids de la culpabilité est trop lourd pour ces artistes) du pouvoir en place qui se purifie à bon compte !!! Ce qui peut rassurer, un peu, c'est que l'action se déroule très loin de la Terre... mais est-ce si loin que cela finalement ?

lundi 23 avril 2007

Le facteur sonne toujours deux fois


« Le postier » ou les tribulations d'un beatnick dans une Amérique où l'argent est roi. Le héros, qui ressemble comme un jumeau à Bukowski, Hank Chinaski, est un marginal vivant de multiples combines.
Lors de fêtes de Noël, une occasion se présente: un travail d'intérimaire dans les services postaux. Chinaski arpente les rues de Los Angeles par tous les temps, ployant sous le poids de sa sacoche de facteur. Il nous emmène dans les salons des femmes seules, lasses d'ennui, où , le temps d'une étreinte, elles oublient leur solitude. Bukoswki porte un regard ironique et violent sur la société américaine, sur la violence de certaines conditions de travail (être postier est tout sauf une sinécure) qui aliène par la répétition des gestes.
Son héros est asocial, alcoolique, véhément, grossier, souvent obscène et provocateur. Il est allergique à toute autorité hypocrite ou injuste et n'hésite pas à se frotter à sa hiérarchie. Hank Chinaski peut être royal lorsqu'il décroche le « jack pot » aux courses hippiques. Il erre d'aventure sentimentale en aventure sentimentale dont les fondements sont l'alcool et le sexe. On ne peut que constater le ton désenchanté de ces relations amoureuses, le regard amer sur la société empétrée dans une modernité médiocre. Le rêve américain est bien loin, une mince silhouette sur la route. Chinaski est le Kerouac des facteurs: la sacoche en badoulière, la cigarette à la bouche et la canette de bière à portée (quand il a le temps de prendre une pause déjeuner!). Il est un vagabond, non des étoiles, mais des boîtes à lettres, des rues désertes et des maisons aveugles.
La beat génération est sans attache matérielle, Chinaski pose son baluchon au gré des appartements minables et solitaires qu'il trouve, au gré des petits boulots et des liaisons éphémères qui jalonne son parcours. Même la paternité est un simple épisode dans sa vie de solitaire désabusé. Seul l'alcool l'accompagne sans faillir.
Bukowski a une écriture pleine de gouaille, de drôlerie (malgré la noirceur du récit), d'ironie et de provocation. Il apparaît comme étant un mauvais garçon, un mauvais sujet, un poète et écrivain maudit, errant les mains dans les poches trouées.




dimanche 22 avril 2007

J'ai un rêve


Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur


Les Etats-Unis, Alabama, dans les années 30. Le Sud profond, la Grande Dépression n'en finit pas de laminer les agriculteurs pauvres et les ouvriers.
Alabama, état sécessionniste, état esclavagiste, état ségrégationiste, état agricole, état languissant sous le soleil et le vent.
Atticus Finch, avocat, élève seul ses deux enfants, Jem et Scout (Jean Louise pour l'éta civil), secondé par la gouvernante noire Calpurnia. Le lecteur se laisse emporter par la douceur de la chronique familiale, par le regard de l'enfance, par la plume de la narratrice sous l'emprise de ses souvenirs. Le temps s'écoule lentement, tel un fleuve paressant sous le soleil de plomb: les vacances d'été sont attendues avec impatience, l'école, pour Scout, est un carcan ennuyeux.
Scout est un véritable garçon manqué: elle n'hésite pas à utiliser ses poings et ses pieds pour se tailler une place dans la fratrie mais aussi dans l'espace scolaire. Son frère et elle sont fascinés par le mystère de l'enfermement d'un de leur voisin: Arthur « Boo » Radley, invisible depuis son adolescence agitée. Au fil des étés, ils inventent mille stratagèmes pour tenter de le faire sortir de chez lui...à leurs risques et périls parfois! Un lien se créé, timide communication muette: un creux dans un arbre sert de lieu d'offrande (friandises, statuettes de savons, pièces anciennes), d'autel d'une possible amitié jusqu'au jour où ce creux est cimenté. La vie reprend son cours, les enfants grandissent, la vie coule paisiblement, la chronique pourrait rester douce chronique de l'enfance. Mais la réalité du Sud rattrappe le récit: Atticus est commis d'office pour défendre un Noir accusé de viol sur une femme blanche!
Le monde des adultes vu par les yeux des enfants prend des couleurs criardes et tristes à la fois: le carcan de la tradition, la société sudiste qui ne s'est toujours pas remise de l'abolition de l'esclavage, rendent aveugle à la raison et à la logique du coeur. Le fossé entre Noirs et Blancs est un abysse qui semble impossible à combler: pourtant un frémissement a lieu, un frémissement porteur d'espoir, un frémissement fragile mais existant qui est celui du doute semé dans l'esprit des hommes, le doute s'installe et la parole du Blanc n'est plus Evangile. D'ailleurs, comme le fait si bien remarquer Scout du haut de ses 8 ans, comment peut-on être choqué et horrifié par la politique d'Hitler et rester injuste et odieux envers les Noirs? L'adulte ne verrait-il que la paille dans l'oeil de son voisin et nullement la poutre qui lui obscurcit la vue (et le jugement)? Les enfants auraient-ils moins de préjugés que les adultes? Auraient-ils plus de capacité à ouvrir leur coeur à autrui, à l'étranger? Auraient-ils moins peur que les grands?
Le personnage du père est une réussite romanesque et un modèle de tolérance et d'amour. L'éducation libre, qu'il donne à ses enfants, ne produit pas, malgré les apparences, de « sauvageons » mais bien des citoyens pensants et dignes, de futurs adultes au raisonnement le plus juste possible. Il veut être la personne en qui ses enfants puissent toujours faire confiance, il veut être un homme debout, un véritable humain: il veut pouvoir toujours se regarder, sans honte, dans une glace mais surtout dans le regard de ses enfants. Il les aide à grandir, à se construire, à être de grandes personnes dignes de ce nom!
La métaphore de l'oiseau moqueur est le fil rouge du roman: le lien qui décille le regard porté sur les gens de couleur. « Tirez sur tous les geais bleus que vous voudrez, si vous arrivez à les toucher, mais souvenez-vous que c'est un péché de tuer un oiseau moqueur! (....) Ton père a raison. Les moqueurs ne font rien d'autre que de la musique pour notre plaisir. Ils ne viennent pas picorer dans le jardin des gens, ils ne font pas leur nid dans les séchoirs à maïs, ils ne font que chanter pour nous de tout leur coeur. Voilà pourquoi c'est un péché de tuer un oiseau moqueur » (p 144)
Un écho se fait entendre p 373 « (Mr Underwood) se contentait de dire que c'était un péché de tuer des infirmes, qu'ils soient debout, assis ou en train de s'évader. Il comparait la mort de Tom au massacre absurde des oiseaux chanteurs par les chasseurs et les enfants.... ».
L'oiseau moqueur, emblème du Sud, de la tradition et des bonnes manières que néglige voire refuse Scout, mais aussi il est une figure mythologique pour certains peuples: il aurait apporter le langage aux hommes et appris le chant aux oiseaux.
« Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur » est le récit d'une enfance qui prend conscience de la brutalité du monde des adultes, mais aussi description d'un Sud rural, reculé qui semble avoir été épargné par la brutalité d'un « Mississipi burning »: une onde légère mais persistante parcourt ce monde figé par les lourdes traditions coloniales, celle du doute, ténue mais insidieuse qui peu à peu fera triompher une égalité. L'égalité certes mais encore le regard, le point de vue....mais sans doute est-ce du ressort des prochaines générations étatsuniennes? Les grands pas de l'Humanité sont souvent une suite de minuscules avancées
.


Beaucoup de blogueurs l'ont lu et aimé: gachucha papillon tamara hervé sylire bouquiner/maxi clarinette cécile Kalistina et d'autres (ne pas hésiter à me laisser un message pour que je mette l'article en lien!)
Roman traduit de l'anglais (USA) par Isabelle Stoïanov


samedi 21 avril 2007

Diariste, vous avez dit diariste?


J'ai achevé la lecture de "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" et comme je n'ai pas fini mon commentaire, je n'ai pas voulu laisser une page blanche sur mon blog. Vanitas vanitatis? peut-être, peut-être pas: tout dépend du bout de la lorgnette.

En parcourant les blogs, en relisant le mien, je me suis dit qu'il était bien à propos de parler, un peu, du sujet d'étude de prédilection de l'universitaire Philippe Lejeune: le journal intime et plus précisément l'autobiographie, celle qui s'ignore, celle qui s'accumule au fil des carnets, cahiers, feuillets. En effet, que faisons-nous d'autres, blogueurs, sinon laisser une trace de nos lectures, de nos sorties cinéma, de nos émotions? Peut-être Mr Philippe Lejeune se penchera-t-il un jour sur les blogs? J'ai remis le nez dans d'anciennes notes (je suis une grande conservatrice) et j'ai tenté de rendre lisible celle qui concernait cet essai.

Ayant été une diariste assidue pendant de longues années, j'ai toujours été intéressée par les travaux concernant les journaux intimes.
Je n'ai pas encore lu "Un journal à soi" mais j'ai dévoré "Le moi des demoiselles" édité chez Gallimard, toujours de Philippe Lejeune.
Cet essai m'avait touchée par le fait de constater que l'exercice de la tenue d'un journal intime était fortement conseillé aux jeunes filles de la bonne société. Il servait d'examen de conscience en fin de journée. Le plus incroyable était que ces journaux intimes ne l'étaient pas tant que cela puisque mère et confesseur pouvaient y avoir accès.
Ces journaux intimes sont une mine de renseignements pour les historiens, les sociologues. Ce sont aussi de forminables exercices de style auxquels se sont adonnés (et s'adonnent encore) les grands de ce monde (littéraire, politique...). Une manière de laisser une trace de soi après le passage sur terre ? Un bout d'éternité arraché grâce à l'encre et au papier... besoin qu'a tout un chacun !!!

Pour en savoir plus sur l'autobiographie, les journaux intimes.... cliquez ICI.

vendredi 20 avril 2007

Cadeau

Je n'ai pas pu voir le film au cinéma lorsqu'il est sorti. J'attends le DVD....Ces quelques instants d'éternité nous font voir la vie sous un autre angle.


Ave Caesar, morituri te saluant !


Pour les nostalgiques des versions latines et des cours de latin du lycée, ce livre est pour vous !! Un moment de pur bonheur qui rappelle le bon veiux temps des versions latines. Et puis... on comprend pourquoi certains passages étaient un peu censurés au lycée : pas très moraux les empereurs et très sanguinaires !!!Une belle galerie de portraits qui se disputent les pires atrocités. D'entrée, Suétone nous met en présence de Jules César, moment très fort. Autre moment important : Néron, le fou furieux incendiaire. Puis on remarque Domitien (qui est "gratiné" lui aussi), Tibère, Caligula (qui fait frémir). Auguste et Titus font quasiment figures d'anges auprès de ces grands malades qui ont gouverné le monde antique.La vie quotidienne des affaires politiques est très bien décrite et on imagine sans peine l'ambiance tumultueuse qui pouvait règner à la Curie (le Sénat) et sur le Forum. Remarquez, ce n'est pas trop différent de nos jours, les ambiances endiablées à l'Assemblée Nationale. Nos députés n'ont rien inventé !!! Ce qui fait frémir, c'est le prix de la vie humaine qui n'est pas le même qu'à notre époque : on tue pour un rien des gêneurs alors ne parlons pas de la vie des esclaves !!! La place de la femme est abordée en filigrane, lors des litanies de répudiations et divorces en chaîne des empereurs qui n'hésitent pas à épouser soeurs, nièces ou femmes de sénateurs. Suétone commence toujours ses portraits par le bon visage du règne puis au fil des paragraphes, révèle les véritables natures de ces derniers.De plus, une fois pris le rythme de l'écriture, la lecture est aisée, fluide. Les notes ne sont pas pesantes et permettent de situer événements et personnages.Un voyage dans le temps agréable et instructif.... encore plus parlant quand on a déambulé dans le Forum de Rome !!!

mercredi 18 avril 2007

A qui est cette crotte?


Il est des albums qu'on ne se lasse pas de raconter à son public de "petites têtes blondes", il est des histoires où les étrons sont magnifiés: ainsi en va-t-il pour celle "De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête".

Un jour, quelque chose de dégoûtant et de malodorant lui tombe sur la tête: d'où cela vient-il? A qui appartient-elle?

Une enquête diligente est aussitôt menée, tambour battant, par la petite taupe, un tantinet en colère. C'est vrai, quoi, a-t-on idée de se laisser aller sur la tête des gens? Non mais, quel peut être ce goujat pour lui montrer de quel bois elle se chauffe, la petite taupe!

Elle interroge les animaux (le pigeon, la vache, la chèvre, le lapin, le cheval...) qu'elle rencontre et à chacune d'entre elles, elle a droit à une superbe démonstration d'étron!

Scatologique cette histoire? Eh bien OUI! Et comme on s'amuse à la lecture du défilé des crottes et comme les onomatopées sont idoines: "ratatata, les petits haricots ronds du lapin". Le bonheur est à chaque illustration, à chaque phrase, à chaque mimique de la taupe.

De fil en aiguille, de crotte en crotte, le coupable sera démasqué et recevra un juste châtiment, en toute dignité, de la part de la petite taupe vengeresse!

A lire et relire à partir de 2 ans et jusqu'à (presque pas) d'âge: ces histoires-là font toujours rire, n'est-ce pas?!

Mon premier Asimov


Nous sommes en 2070, presque demain aujourd'hui, sur la Terre. Il n'y a plus de souci d'énergie ni de pollution grâce à la Pompe à Electrons: l'énergie est illimitée mais aussi gratuite! La population mondiale est de 2 milliards d'individus (il y a eu un conflit terrible et catastrophique), le gouvernement est mondial, la lune a été colonisée, on parle même d'univers parallèle. Pas de doute, c'est de la Science-Fiction, de la vraie et de la belle!
« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes »? La découverte scientifique extraordinaire du professeur Frederick Hallam s'avère peu à peu être une bombe à retardement, capable de pulvériser l'Univers. Bien entendu, personne ne prête l'oreille aux avertissements lancés par le jeune professeur Lamont: en effet, pourquoi affoler la population avec un risque non seulement lointain mais peut-être improbable? Mais Lamont ne se résigne pas et décide de poursuivre ses recherches afin de prouver la dangerosité de la Pompe. Il est d'autant plus déterminé qu'il sait que les auteurs des plans de la Pompe sont les para-hommes (vivant dans l'univers parallèle) et qu'il y a des messages de ces derniers exprimant la peur des effets de la Pompe. En effet, au fil du temps, les lois de la physique des deux univers s'interpenètrent et se déséquilibrent de manière alarmante. Le soleil risque d'exploser et de tout pulvériser, l'Humanité est au bord de la destruction, de l'anéantissement. Ainsi s'achève la première partie du roman « Contre la stupidité... ».
La seconde partie, « les dieux eux-mêmes... », nous entraîne dans l'univers parallèle avec lequel se font les échanges énergétiques. Là vivent les Solides et les Fluides. Ces derniers formes trois espèces essentielles les unes aux autres: les Rationnels, les Parentaux et les Emotionnelles. Les Fluides ont besoin de l'énergie solaire pour se nourrir et vivre. Leur soleil se refroidit et les Solides ont mis au point une Pompe à Positons leur permettant un échange d'énergie vitale avec la Terre. Au fil des pages, nous comprenons que l'Emotionnelle Dua saisit le péril encouru par la Terre: l'explosion de son soleil, la disparition de son système et donc de toute forme de vie. Ell comprend que c'est le but recherché par les Solides: ainsi, l'énergie dispensée par ce cataclysme garantirait pendant des millions de générations la survie des Solides et des Fluides. Elle ne peut se résoudre à laisser mourir des êtres vivants et envoie des messages d'alarme aux Terriens.
La dernière partie du roman, « luttent en vain », nous entraîne sur la Lune, colonie ruant dans les brancards, désirant s'affranchir de la tutelle terrienne. Entre en scène, un personnage évoqué dans la première partie du roman: le professeur Ben Denison, laminé par son rival F.Hallam, père de la Pompe.
La concurrence est féroce entre lunarites et les terriens: les premiers veulent posséder une Pompe à Electrons afin de ne plus avoir à sortir du ventre lunaire, utérus rassurant pour certains extrémistes. Aidé par une Lunarite intuitionniste, Denison travaille à mettre au point une anti-Pompe : il a entendu les alarmes de Lamont et sait que la Pompe est dangereuse.
Ce roman, publié en 1972, articulé en trois parties étroitement liées par la citation « Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes luttent en vain » de Johannes Friedrich von Schiller dans « La pucelle d'Orléans », est un roman d'une actualité étrange pour un lecteur d'aujourd'hui: doit-on accepter sans réfléchir aux conséquences possibles le progrès? Le culte de la science n'occulte-t-il pas la notion d'humanité? Le bien-être immédiat et sans contrainte est-il la panacée? Lorsque le danger se profile, doit-on persister dans une politique de l'autruche? Dans le roman, Asimov de son écriture enlevée et agréable, malgré les notions de physiques incompréhensibles pour une profane telle que moi, nous parle du plutonium 186 (élément fantaisiste) mais nous pourrions mettre à la place du plutonium 186 le réchauffement climatique ou la destruction de la couche d'ozone.
La magie de conteur d'Asimov comble le lecteur par ses références, non seulement scientifiques, mais aussi philosophiques (un passage important est consacré à la maïeutique socratique), littéraires (on ne peut s'empêcher de penser au roman « De la Terre à la Lune » de J.Verne) et aux échos de ses propres oeuvres (les Fluides sont-ils des robots?). Le foisonnement d'images, de récits complexes, rendent difficile l'écriture d'un commentaire digne de ce nom: comment donner envie de se plonger dans cette aventure sans trop en dire? La quadrature du cercle!
Toujours est-il que ce « premier Asimov » fut une très agréable surprise: je n'osais pas aborder cet auteur avec le cycle des « Robots ». M'étant affranchie de cette crainte, je compte me lancer dans une exploration plus approfondie de son univers et son imagination fascinants.

mardi 17 avril 2007

Shakespeare en Inde


Il était une fois un jeune garçon, Devdas, et une fillette, Parvoti, qui s'aimaient d'amour tendre sans le savoir. Enfin, Parvoti, elle, sait qu'elle aime Devdas. Nous sommes au début du XXè siècle, dans une Inde sous la domination anglaise. D'ailleurs, cette Angleterre dominatrice n'est évoquée que par le fait que Devdas, une fois parti en ville, revient élégamment habillé et chaussé de belles chaussures! Hormis ces indices, aucune mention des maîtres de l'Inde.
Devdas est issu de la caste des brahmanes, Parvoti vient d'une famille de marchands. Ils sont voisins, ils ont grandi ensemble jusqu'au jour où Devdas, suite à une de ses facéties, se retrouve exclu de l'école. Il est envoyé chez un oncle, en ville, pour suivre ses études. Parvoti, sans Devdas, délaisse l'école pour une solitude de sauvageonne pour mieux y retourner (être seul peut devenir lassant pour une jeune enfant).
Les années passent, Parvoti grandit pour devenir une jolie jeune fille de 13 ans qu'il faut songer à marier. Devdas, au fil de ses retours, voit la beauté de Parvoti s'épanouir. Et si tous les deux s'unissaient? C'est sans compter avec les rigidités sociales dues au système des castes. L'union de Devdas et Parvoti ne peut se faire sous peine de déchoir. Le père de Parvoti lui trouve un époux, un veuf d'une quarantaine d'années, autant dire un vieillard!
Ainsi commence une tragique histoire d'amour qui fascine encore l'Inde d'aujourd'hui.
Devdas et Parvoti ne cesseront de se perdre et de souffrir. Devdas, sombre dans l'alcool et les excès divers qui le rongeront peu à peu.
Parvoti deviendra une maîtresse de maison hors pair mais il lui manquera toujours le petit quelque chose qui rend heureux: un amour vécu sans contrainte.
Certes, ils se retrouveront mais encore au bout d'un ultime rendez-vous manqué!
J'ai aimé l'ambiance dramatique montant au fur et à mesure de la déchéance de Devdas et de l'attitude, lointaine (?) de Parvoti: le lecteur est happé dans la spirale du malheur des amants maudits. A chaque fois qu'ils pourraient enfin se rejoindre et être enfin heureux, les bienséances, les règles sociales viennent entraver leur destin: Devdas et Parvoti sont un peu les Romeo et Juliette de l'Inde.
J'ai aimé le passage où Parvoti vient retrouver, à la nuit tombée, Devdas dans sa chambre: un acte d'une audace incroyable pour une jeune fille hindoue! L'atmosphère y est sensuelle, troublante et le lecteur sent que tout basculer: les jeunes gens peuvent succomber comme résister à leurs sentiments. Il y a une tension cruelle et douloureuse dans ce face à face amoureux.
J'ai aimé la rencontre entre Devdas et Chandramoukhi, la prostituée qui illuminera de son amour impossible leur relation amoureuse.
J'ai aimé ces amours, platoniques pour la bienséances, impossibles et torturés et les multiples rebondissements qui les rendent à chaque fois plus inaccessibles.
Une lecture chatoyante, colorées, avec des rires, des larmes, des peurs, des blessures, des regrets et des destins contrariés. C'est un florilège de situations plus dramatiques les unes que les autres ne laissant entrevoir aucune issue heureuse pour les héros: une vraie tragédie à déguster car écrite avec les épices sentimentales indiennes.
Cathe et Sylvie aussi l'ont lu.

lundi 16 avril 2007

Falaises


Les peurs et les angoisses peuvent atteindre des hauteurs vertigineuses. Ce roman pose des mots sur le vertige de la perte d'une mère pour un petit garçon de 11 ans.
L'enfance s'est arrêtée une nuit à Etretat: un corps qui s'envole vers le néant, pour ne plus avoir à souffrir.
Commence alors pour les survivants du drame, une érosion du désir de vivre. La douleur isole du monde, le fait détester. Il faut du courage et de la pugnacité pour se reconstruire et entrer à nouveau dans le monde des vivants. Certains n'y parviennent pas, tels le père et Antoine le frère aîné, d'autres accostent après bien des tempêtes sur les rivages calmes de la vie qui continue.
Olivier se retrouve seul lors des obsèques de sa mère, son père conduisant Antoine, évanoui, aux urgences. La tante à laquelle il est confié, le laissera seul chez lui: comment peut-on laisser seul un enfant après une telle cérémonie? On se rend compte que personne ne tendra la main à ces enfants perdus et que personne n'aidera le père à surmonter l'épreuve du brutal veuvage afin qu'il puisse rester un père pour ses fils. Un formidable gâchis prend forme devant le lecteur.
Une descente aux enfers est amorcée: se noyer dans les cigarettes, les joints, le sexe et les alcools pour les fils, se noyer dans les cris et la violence d'un despote pour le père. Une vie cahotique faite de rencontres plus bancales les unes que les autres: les membres de la bande sont tous des suppliciés de la vie, des fantômes d'enfant, des chimères d'adolescents qui ne deviendront pas adultes. Le suicide sanglant de Nicolas, l'anorexie mortifère de Lorette, balises désespérées d'un Olivier cramponné à la vie.
Antoine quitte la maison qui n'est plus familiale pour s'enfuir vers un ailleurs peut-être sans fantômes, ne revenant, sporadique image fraternelle, que pour mieux se perdre dans les méandres des routes maritimes.
Olivier abandonne aussi le domicile de son père pour un Paris de marginalité et de petits boulots. Il rencontre une jeune femme, Lea, qui un jour choisira d'en finir dans sa baignoire: encore une vie interrompue par un mal être indicible. Il fera connaissance, grâce à elle, avec Claire annonciatrice d'une autre vie.
Olivier écrit, écrit pour se libérer de ses angoisses, de ses souvenirs amputés, de ses pleurs inextinguibles, de cette fascination trouble pour les falaises vertigineuses. Le vent marin lui fouette le visage, les oiseaux virevoltent pour mieux cacher ses hallucinations: la mère disparue qui pourrait à tout moment revenir. Oui, qui pourrait...
« Falaises », un roman sur le vide laissé par la disparition inexpliquée d'une mère. Un roman sur la difficile reconstruction de soi, un roman sur l'éparpillement d'une famille.
J'ai encore du mal à trouver les mots justes pour en parler: sa lecture a été bouleversante au plus haut point, le coeur au bord des lèvres, une empathie provoquant un torrent de larmes. Le livre n'apporte aucun répit au cours de la lecture: l'humour absent ne permet la prise d'aucun recul, contrairement aux romans, dans la même veine, « Les langues paternelles » ou « L'Atlantique Sud »: l'auteur ne concède aucune respiration à son lecteur qu'il embarque dans un tourbillon sombre de terreurs et de souffrances. Mille fois, il s'est demandé, ce lecteur, comment le héros parvenait à ne pas sombrer. Mille fois, il s'est interrogé sur ce qui pouvait retenir le héros à la vie. La réponse est belle et lumineuse comme une éclaircie qu'il n'espérait plus.

Ici, là chez Pitou puis un avis picoré chez lo et fibula....un florilège d'impressions de lecture!

dimanche 15 avril 2007

Nouvelles indiennes


Je continue mon voyage au pays de la littérature indienne. Après un polar et trois romans, j'ai opté pour un recueil de nouvelles d'un auteur que je ne connaissais pas du tout Khushwant Singh. Il est composé de 10 nouvelles dont un autoportrait de l'auteur.
« Une épouse pour le sahib », la première nouvelle du recueil éponyme, est saisissante: l'incompréhension de deux jeunes époux séparés par le gouffre culturel. L'homme est empreint de culture anglaise, la femme issue d'une famille traditionnelle. Lui mange avec couteau et fourchette des plats occidentaux, elle mange avec ses doigts des plats indiens traditionnel. Lui ne ressent que dégoût et répugnance vis à vis d'elle, elle n'est que silence et souffrance jusqu'au suicide. A cette lecture, on saisit le mur invisible qui s'est construit en silence en Inde sous l'autorité britannique. Cependant si la détresse de la jeune épouse est visible, palpable, celle du jeune homme est réelle sans appraître: son côté snob, imbu de lui-même, le mène à une tour d'ivoire et une impasse, un chemin qu'il regrette amèrement devant le dénouement fatal de sa lune de miel.
« Rebellion » est la plus ironique du recueil: elle met en scène les chiens des rues, notamment l'idylle annuelle d'une chienne Rani, nourrie par un hindou, et d'un chien Moti, appartenant à un musulman. Après une nuit d'émeute sanglante entre musulmans et hindous, suite à une bataille canine, la ville est à feu et à sang. La scène finale est le couple mixte formé par Rani et Moti heureux parents d'une portée de chiots métisses! Et si les hommes se conduisaient de façon plus absurde que les animaux?
« Karma », un récit qui montre combien l'éducation anglaise acquise n'est d'aucune utilité dans un monde qui n'est pas encore prêt à l'émancipation des colonies. Sir Mohan Lal, haut fonctionnaire, arrogant au plus haut point, méprisant son pays et sa culture, méprisant son épouse et ses feuilles de bethel, va être victime du racisme ordinaire de soldats anglais: il se retrouvera jeté sur le quai de la gare tel un paquet de linge sale, sans que son éducation anglaise lui ait été utile. On ne peut s'empêcher de penser qu'il a mérité un tel sort.
« Portrait d'une dame », la nouvelle qui m'a le plus touchée: un hymne d'amour pour sa grand-mère, vieille dame digne et empreinte de traditions d'une Inde qui disparaît lentement. L'image finale des oiseaux s'envolant pour accompagner l'âme de la grand-mère est d'une poésie sublime et d'une grande beauté.
« La voix de dieu » ou la peinture d'une campagne électorale dans une Inde qui marche vers l'indépendance: pots de vin, népotisme, pouvoir de l'argent et un candidat, solitaire qui sillonne la région à cheval, tel un don Quichotte de la politique honnête. Un pèlerin de l'utopie égaré dans l'étrange monde qu'est la politique.
« Kusum » où l'héroïne est une jeune fille bien sous tout rapport et qui est persuadée que seule l'intelligence peut suffire à séduire....jusqu'au jour où elle se rend compte qu'aucun homme ne la regarde car elle n'offre qu'une image revêche d'elle-même. Un marchand de fruit lui révèlera sa beauté ignorée: « une fille attirante aux yeux noirs, avec une masse de cheveux sombres en désordre ornés d'un bouton de rose... ». Etre femme de tête doit-il rimer avec sobriété et morosité? Etre femme cultivée est-il incompatible avec féminité et charme? Loin s'en faut, il me semble!
« Vint la mort pour Daulat Ram » ou comment une famille se retrouve réunie pour les ultimes instants du père, avec un personnage de mendiant des plus surprenants.
« L'homme à la conscience tranquille » ou le parcours d'un homme tolérant détestant violence gratuite et racisme.
« Fleur noire de jasmin » parle en filigrane de la peur du sexe éprouvée par l'auteur. Une rencontre sensuelle estudiantine ressurgit au crépuscule de sa vie. L'histoire peut-elle bégayer ou alors s'affranchir d'une ancienne peur?
« Sur moi-même », l'autoportrait objectif de l'auteur. Avec ses qualités et ses manques, avec ses errances et ses forces. Tout ce qui l'a construit en tant qu'homme de lettres.
J'avoue avoir été un peu déçue par ce recueil qui ne m'a pas vraiment transportée. Pourtant, l'écriture est agréable à lire et les personnages intéressants du fait de leurs tristes arrangements avec la vie, de leurs lâchetés et de leurs mensonges. Leur bonheur est gâché par les maladresses accumulées. Mais sans doute est-ce cela l'essence humaine: l'art de la maladresse, porte ouverte au grand gâchis?

L'avis plus enthousiaste de Cathe

samedi 14 avril 2007

De la fragilité de l'enfance


L'enfance est un état fragile, en constant équilibre: un rien peut la faire basculer et périr.
Nous sommes en Angleterre, dans la banlieue londonienne. Les vacances s'achèvent, Ben et Olly, deux amis d'enfance, s'amusent et se chamaillent gaiement. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. L'équilibre est toujours précaire: un grain de sable vient enrayer la machine de l'enfance insouciante et heureuse. Ce grain de sable se présente sous la forme d'un jeune garçon prénommé Carl.
Carl, enfant solitaire, semble ne pas avoir de limites: rien ne lui fait peur, surtout pas les adultes, les pères, qu'il méprise. La scène de la tronçonneuse est le point d'orgue de l'escalade du mal être qui gagnera Ben: Carl ne lâchera celle-ci qu'après avoir contraint le père de Ben à lui dire « S'il te plaît , lâche la tronçonneuse. ». L'adulte obtempère: c'est sa défaite, son humiliation et le moment de gloire d'un jeune garçon paumé repoussant toujours plus loin les limites de l'acceptable.
Les relations deviennent de plus en plus malsaines entre Ben, Olly et Carl. Ce dernier met sous sa coupe Olly, enjeu d'une partie de pocker menteur de l'amitié. De défis en vexations, Ben se confronte à Carl tout en étant conscient de l'insanité de leurs jeux dangereux: la partie de cartes chez Olly en est l'apogée.
Nous nous retrouvons dans le monde de la camaraderie des garçons qui ne sont presque plus des enfants mais pas encore des adolescents: il faut relever les divers défis, ne jamais baisser la garde, aller au-delà de la peur enfantine d'enfreindre les règles. Sinon, pas question de faire partie de la bande. Ainsi, le rituel initiatique du vol, pour prouver sa valeur, dans le magasin de bonbons un matin d'école buissonnière. Mais cela ne suffit pas à Carl qui en veut toujours plus, sans doute parce qu'il désire dévoyer Ben et l'assujettir à son autorité. Mais Ben regimbe. Mais Ben a un entourage familial solide.
William Sutcliffe met en place progressivement le drame qui sourd dès le début du roman. La tension monte peu à peu d'un cran: la balle brûlée, la tronçonneuse démarrée, l'escapade à bicyclette, les coups, les jeux sadiques, l'école buissonnière, le vol de bonbons, la première cigarette, le vol du couteau suivi de ses lancers entre les pieds pour culminer avec l'expédition à Swindon (où vit le père de Carl avec sa nouvelle compagne enceinte).
Le grand frère de Ben est témoin des conséquences des jeux sadiques des jeunes garçons et sera le « deus ex machina » de la tragédie.
Cette main tendue au bon moment qui a sans doute fait défaut à Carl et qui l'a conduit dans l'enfer de la haine et du désespoir.
Nous ne pouvons nous empêcher de penser aux récents faits divers anglais et aux films de Ken Loach, narrations d'une société britannique qui se cherche, qui se perd et qui a du mal à se retrouver. Le monde est bancal, le monde oscille entre les ténèbres et un bonheur simple, le monde est un fragile équilibre entre les deux côtés de la ligne blanche. Un frère peut être là au bon moment comme un père absent au mauvais moment: la différence entre Carl et Ben, entre Ben et Olly. Le choix des chemins fait basculer les destins.
Carl nous fait peur car il est le reflet des échecs du monde des adultes: nous comprenons ses actes sans pour autant l'absoudre. Cependant, l'adulte reçoit une grande claque à la lecture de ce roman, écrit à la manière d'un journal intime d'un jeune garçon de 11 ans...l'âge de tous les possibles.
Ben nous émeut parce qu'il est un garçon d'aujourd'hui, ni ange ni démon, mais diablotin pouvant sombrer. Il possède assez de force, grâce à son équilibre familial, pour pouvoir, avec une aide appropriée, dire non au danger, dire non à l'inacceptable. Par contre, une blessure difficile à cicatriser apparaît: la culpabilité. D'où l'importance fondamentale d'un accompagnement du monde adulte afin que l'enfance de chacun ne disparaisse pas un matin sans crier gare. Aider à grandir en balisant, discrètement mais fermement, le chemin escarpé de la vie d'un enfant, de nos enfants, des enfants.


Merci Turquoise pour ton article qui permit à ce roman d'arriver entre mes mains!

Son avis ICI

Roman traduit de l'anglais par Philippe Rouard


5ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 6


"L'Atlantique Sud"


C'est l'histoire d'un voyageur immobile, c'est le roman d'un voyage intérieur tissé au fil des lectures, des catalogues de voyage, des emplettes inutiles dans les magasins spécialisés.
C'est le roman des rêves d'ailleurs qui avortent au franchissement du seuil de chez soi. C'est l'histoire de Jerôme Tonnerre qui ne voyage jamais aussi bien que chez lui, feuilletant les pages noircies des aventures d'autrui.
Jérôme a un étrange et pesant syndrôme: le syndrôme de l'échec balisé et orchestré de main de maître. Il pourrait être brillant, dynamique, ancré dans la société mais ne semble se réaliser que dans la spirale des occasions manquées. Il végète dans les jupes de sa mère, puis dans sa chambre de bonne, enfin dans l'agence immobilière qui l'emploie. Pourtant, il possède tout ce qu'il faut pour partir en expédition lointaine: cartes, bons plans, tenues, accessoires, matériel. Mais rien n'y fait, à peine franchi le seuil de chez lui, l'angoisse l'étreint et lui fait rebrousser chemin....sous l'oeil sarcastique et goguenard de la pétulante concierge.
Jérôme a une fratrie: une soeur et un frère, elle est dans le « showbiz » et globe trotter, il est un grand et brillant avocat toujours parti par monts et par vaux. Ils ont su se choisir une voie tandis que Jérôme en est incapable: l'idée de choisir est une torture sans fin.
Jérôme est un tintinophile et a une prédilection pour « Le trésor de Rackham Le Rouge » aventure au cours de laquelle, Tintin, Haddock et Tournesol parcourent le monde entier à la recherche du trésor de Rackham. Tout ce voyage pour finalement s'apercevoir que le trésor était à portée de main, à Moulinsart....aussi pourquoi s'embêter à voyager lorsque le voyage peut s'effectuer tranquillement installé chez soi? Oui, pourquoi?
Cette question semble n'appeler aucune réponse jusqu'au jour où sa mère s'éteint à l'hôpital, victime d'un cancer. Son ultime volonté: que ses cendres soient dispersées dans l'Atlantique Sud. Mais, où commence l'Atlantique Sud?
C'est alors la préparation de l'expédition vers l'Atlantique Sud. Jérôme se retrouve confronté à ses angoisses, à ses inhibitions, à son enfermement, à ses ancêtres, à l'inconnue que fut sa mère. Il se transforme peu à peu en détective et de départ avorté en retour piteux, Jérôme réalisera le souhait de sa mère.
L'auteur, Jérôme Tonnerre, emmène le lecteur dans les méandres des relations, parfois mortifères, mère/fils, dans les douleurs intérieures que l'on tait au fil des générations, dans les histoires de partance vers un ailleurs de liberté. Le lecteur savoure les séances de Jérôme avec son psychanalyste adepte du jeu de mot décapant: « Larmes et nie » « L'immobile hier » (Jérôme travaille dans l'immobilier). Il capture les allusions aux théories du développement personnel qui explorent, il est vrai, le rôle des ancêtres dans certaines pathologies: c'est ainsi que l'on apprend que Jérôme est celui qui porte sur les épaules le départ de son grand-père d'Arménie, survivant dans un placard au génocide de son peuple. L'enfermement de la mémoire familiale est celui de Jérôme et de ses TOC étouffantes. Au fil des pages, la porte du placard s'entrouve pour laisser un papillon prendre son essor vers ce point aussi mythique qu'inattendu qu'est l'Atlantique Sud.
J'ai apprécié l'écriture légère et empreinte de références aux auteurs voyageurs de la littérature, aux chansons des années 80 ferments d'une lecture jubilatoire. J'ai apprécié également le jeu subtil de l'auteur sur l'incertitude de son lecteur: roman d'auto fiction ou fiction? En effet, le personnage principal et l'auteur portent le même patronyme. Le dénouement est plein d'émotion et de surprise et échappe au convenu.

Ils l'ont lu aussi: Cathe jojo Tatiana des libraires (il y a une interwiew de l'auteur à écouter) Pascal

vendredi 13 avril 2007

Prix Goncourt 1990


Il est des découvertes tardives qui sont de véritables enchantements....ce livre de Jean Rouaud en fait partie.


Premier volet d'une « saga » familiale, « Les champs d'honneur » oscillent entre récit proustien et mémoires dignes d'un François René de Châteaubriand.
Trois décès, trois histoires, une vie de famille au fil du temps, au fil de l'Histoire.
Le père, disparu trop vite, laissant une jeune veuve et trois enfants, une vie bancale et triste...absence de la mère perdue dans sa douleur.
La tante, ancienne institutrice, dans une institution religieuse, personnage discret et savoureux, porteuse d'une souffrance et d'un secret. Elle virevolte dans la vie au gré des images pieuses, des bulletins paroissiaux, des saints sauveurs, solitaire et fragile.
Le grand-père maternel, ancien tailleur, au volant de sa 2CV cachochyme, sa cigarette au coin de la bouche, ses bonbons dissimulés, son caractère particulier, ses paroles rares. Personnage étrange qui rencontre, pour philosopher, le portier d'une abbaye, deux fois par semaine...
Le narrateur en dresse des portraits truculents, grandioses et superbes. Le lecteur est au coeur de cette famille bretonne, de Loire-Inférieure (actuelle Loire Atlantique).
Il sait, aussi, décrire cette atmosphère si particulière apportée par le fameux crachin breton. Il écrit d'admirables passages sur les grisailles pluvieuses: « La pluie est une compagne en Loire-Inférieure, la moitié fidèle d'une vie. La région y gagne d'avoir un style particulier(...)Les nuages chargés des vapeurs de l'Océan s'engouffrent à hauteur de Saint-Nazaire dans l'estuaire de la Loire, remontent le fleuve et, dans une noria incessante, déversent sur le pays nantais leur trop-plein d'humidité. Dans l'ensemble, des quantités qui n'ont rien de considérable si l'on se réfère à la mousson, mais savamment distillées sur toute l'année, si bien que pour les gens de passage qui ne profitent pas toujours d'une éclaircie la réputation du pays est vite établie: nuages et pluies. » p 15 puis plus loin « Les premières gouttes sont imperceptibles. On regarde là-haut, on doute qu'on ait reçu quoi que ce soit de ce ciel gris perle, lumineux, où jouent à distance les miroitements de l'Océan. Les pluies fines se contentent souvent d'accompagner la marée montante, les petites marées au coefficient de 50, 60, dans leur train-train bi-quotidien (...) Le ciel et la mer indifférenciés s'arrangent d'un camaïeu cendré, de longues veines anthracite soulignent les vagues et les nuages, l'horizon n'est plus cette ligne de partage entre les éléments, mais une sorte de fondu enchaîné. Le pays tout entier est à la pluie: elle peut sourdre des arbres et de l'herbe, du bitume gris à l'unisson du ciel ou de la tristesse des gens. » p 17 et 18
Par bribes d'indices (un dentier en or traînant dans un compotier, des photos, une image pieuse...), le narrateur atteint l'horizon de la grande Histoire: les fantômes erratiques de la Grande Guerre, mystères familiaux et clefs des arcanes du souvenir. Les portraits, sous la joliesse du style de l'auteur, mènent à la vie qui s'arrête bien avant la mort pour certains membres de la famille. Une narration délicate, écrite à la perfection...une dégustation stylistique et sémantique. Une peinture écrite, un voyage intérieur qui ne donnent qu'une seule envie: lire les opus suivants afin de faire plus ample connaissance avec les différents membres de cette famille de l'entre deux guerres.
un avis sur le blog culturel et celui de Pascal. Pitou l'a lu également.
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