dimanche 27 janvier 2008

Les grands-parents

Vanessa a eu une merveilleuse idée: les passeurs d'imaginaire. Chaque mois est proposé un thème à décliner selon ses humeurs et ses envies. Il y eut les cabanes, l'hiver et ce mois-ci les grands-parents. Pour la première fois, je me lance dans l'aventure des passeurs....


Que représentent les Grands-Parents? Une image du passé de nos parents? Un reflet de ce que nous deviendrons quand nous deviendrons, à notre tour, Grands-Parents? Des passeurs d'histoire, notre propre histoire individuelle et familiale? Un flambeau aussi lumineux que sombre parfois....il y a des histoires familiales qui ne sont que cruels fardeaux.
Pour moi, mes Grands-Parents furent un lien essentiel entre mes parents et moi, entre mon enfance et ma vie d'adulte. A eux, et seulement à eux, j'ai pu avouer certains chagrins, certaines difficultés. A chaque fois, ils se sont tenus solides comme des rocs et m'ont aidée à remonter la pente. Bien sûr, ils eurent leurs côtés pénibles mais les souvenirs qu'il me reste sont lumineux, beaux et gais.
Je ne peux que sourire tendrement au souvenir des étés passés à la plage en compagnie de mes grands-parents maternels: la place, presque toujours la même, sur la grève, les pliants de Grand-Père et Mamie, le pantalon retroussé de Grand-Père quand il nous accompagnait au bord de l'eau, le cabas où était entreposé le goûter, les chapeaux de paille, les discussions avec les voisins de serviette qui étaient aussi les voisins du quartier. Il y avait, en fin d'après-midi, la remontée de la grève, longue, interminable même, encombrés que nous étions de seaux, pelles, râteaux, bigorneaux cueillis et d'épuisettes.
Ce furent les repas traditionnels du Nouvel An où les ris de veau de ma Mamie faisaient merveille et où les chamailleries entre cousins finissaient dans les larmes et les chansons que nous avions apprises à l'école! Ce furent les repas de Noël chez mes grands-parents paternels, Pépé et Petite Mémé, où trônaient les immenses plateaux de fruits de mer (avec le crabe jamais assez cuit à mon goût) et les chansons de Tino Rossi au dessert!

Comment ne pas me souvenir des balades à bicyclette, ma Mamie marchant à nos côtés, au cours desquelles nous glanions les mûres pour en faire, une fois rentrés, des gelées! Comment ne pas revoir les parties de dominos, réentendre les multiples narrations du Petit Chaperon Rouge (Mamie racontait de manière extraordinaire ce conte....conte que j'adore lire en classe!
Comment ne pas revoir les samedis soirs où avec les cousins nous restions dormir chez les grands-parents pendant que nos parents sortaient: le menu était merveilleusement identique et immuable....steak haché-nouilles de chez Lustucru passées, après cuisson, dans la sauce de la viande puis en dessert de la semoule au lait!
Comment ne pas oublier les traditionnelles sorties aux courses hippiques de Loudéac à Pâques: Petite Mémé nous payait une galette saucisse puis une crèpe et Pépé nous donnait de quoi miser sur deux courses!


Je ferme les yeux et je vois se dérouler tous ces beaux moments, mes grands-mères m'apprenant à tricoter, les pulls pour les poupées, les chaussons pour les doudous....instants d'autant plus précieux qu'ils ne sont plus.
Serais-je celle que je suis maintenant si je n'avais pas eu mes grands-parents,ces passeurs d'imaginaire, mes racines et mes devenirs? Je ne le pense pas: avec eux, petit à petit, je me suis aussi construite.

samedi 26 janvier 2008

Blé noir, beurre salé et marée!

Karine Fougeray est malouine, bretonne donc et diantre....cela scande délicieusement les nouvelles de son recueil "Elle fait les galettes, c'est toute sa vie"!
Comment en parler sans en déflorer la saveur et en faire un inventaire à la Prévert (avec ou sans raton laveur)?
Tout d'abord, le Breton ne pourra que reconnaître des proches ou lui-même en lisant ces nouvelles: les mauvaises blagues teintées d'ironie féroce faites aux "étrangers" (vous savez, ce sont tous d'affreux Parisiens!) au sujet des horaires de marée ou des coins de pêche à pieds, le parfum particulier de la cérémonie de la bilig sur laquelle des mains expertes étalent la pâte à krampouz (quand j'étais petite, le vendredi était le jour des galettes et des crèpes), les vacances en bord de mer qui peuvent tourner au cauchemar lorsque l'on perd de vue, le temps d'une sieste sur la plage, les enfants et que l'on constate que la marée commence à être bien haute, les doigts sauvagement pincés par les plus abominables des crustacés...les étrilles!
Karine Fougeray sait évoquer les émotions les plus cachées, les plus fortes: le sentiment de culpabilité d'être parti ailleurs, l'attachement à ses racines, à son "pays", la fascination exercée par la mer qui fait que parfois on quitte terre pour la rejoindre ou on s'en détourne, le ventre noué pour vivre une vie de famille.
Elle offre, aussi, au lecteur des nouvelles touchant à l'universalité de l'être humain: l'amour avec "Comment ne pas perdre la tête", nouvelle qui m'a émue au plus haut point. Une très belle histoire d'amour naissant autour d'un feu de la St-Jean et sombrant, en raison d'une chute sur le sentier des douaniers, dans la solitude de deux coeurs qui ne peuvent oublier. Madeleine, dite "Madelon", et Jean dont l'amour reste gravé sur du granit "Jean attend Madelon", exhumé de l'oubli par des jeunes en goguette sur la falaise. Puis la dureté de la vie qui ferme les coeurs avec "Les bonnes": trois soeurs, trois destins parallèles qui ne se rencontreront jamais. Les petites paysannes pauvres bretonnes se retrouvant dans les maisons bourgeoises, parfois elles réussissent, parfois elles sombrent, en silence et en serrant les dents.
Enfin, qui dit Bretagne dit pâtés sur la plage et stage de voile! On se régale avec "A la vase de chocolat" à la saveur étonnante de l'enfance, un été en bord de mer: on entend le ressac en bruit de fond et les petits bruits des pelles sur un monticule détrempé de sable iodé. Image éternellement magique malgré sa terrible banalité...mais chaque enfance est particulière même si les monticules de sable gorgé d'eau de mer se suivent et se ressemblent! On rit jaune en lisant "Stage de voile" ou comment un séjour vivifiant peut se transformer en douloureux désastre! La mer se montre parfois d'une cruauté sans nom avec ceux qui la déteste.
"Elle fait les galettes, c'est toute sa vie" est une bien jolie balade mêlant les senteurs iodées aux parfums particuliers des galettes de blé noir agrémentées de belles noisettes de beurre...salé bien sûr! Le sentier des douaniers recèle autant de chausse-trappes que de superbes vues et fait partie intégrante du cheminement de conteuse de Karine de Fougeray. Une très belle découverte....Merci Sylire de me l'avoir prêté!

vendredi 25 janvier 2008

L'arme fatale


quatrième de couverture


"Londres. A l'arrière d'un bus qui traverse la ville, le jeune Joel, sa sœur et son frère roulent vers leur destin. Dans un quartier chic, Helen Lynley rentre chez elle. Elle est belle, heureuse, la vie lui sourit. Tout est en place pour une rencontre. Inexorablement fatale. Car, même s'il l'ignore, Joel est une arme vivante. Le détonateur, c'est son histoire, le chaos qu'on lui a donné pour tout bagage. L'explosif ? C'est son quartier, écrasé par la misère et la violence qu'elle génère. Jusqu'au dernier moment, Joel pense qu'il pourra choisir. Mais d'autres ont peut-être déjà choisi pour lui..."



L'alpha et l'omega de ce thriller atypique d'Elizabeth George: Joel, Ness et Toby, abandonnés, sur le pas de la porte d'une tante qu'ils ne connaissent guère, par leur grand-mère. Cette dernière part en Jamaïque rejoindre son compagnon, expulsé du Royaume Uni. Elle part sans un regard pour les trois enfants, elle part sans se soucier de l'après.
Commence alors pour Joel, Ness et Toby, mais aussi pour leur tante Kendra, une spirale infernale d'incompréhension, de non-dits, de maladresses et de désespoir. La rue, en banlieue, n'est pas très sûre pour le nouveau qui débarque dans un territoire inconnu: les bandes sont constituées et acceptent difficilement celui qui vient d'arriver. Les caïds roulent des mécaniques et exigent le respect au nouvel arrivant quitte à lui en faire voir de toutes les couleurs si le courant ne passe pas. La différence est signe de faiblesse....c'est ce que Toby, bambin de 7 ans, va subir malgré les soins attentifs de son frère Joel. Joel qui se tait, Joel qui fait le gros dos, Joel qui tente de passer inaperçu, Joel qui souffre de voir la déchéance de sa soeur et son impuissance face à elle, Joel qui, parce qu'il n'a que 12 ans, devient une bombe à retardement, une arme du chaos.
La force romanesque du récit est d'une efficacité redoutable par l'originalité du point de vue de l'auteure: Elizabeth George explore, scrute l'amont d'un drame. Elle se focalise sur l'avant d'un acte violent et passe au scanner les multiples faits qui amèneront Joel à se transformer en arme fatale. Elle démonte le système des bandes organisées qui vont du simple regroupement de petits voyous à l'association de malfaiteurs dirigée par un caïd (caïd qui est utile à la police et qui peut aider un suspect comme le sortir d'un mauvais pas).


Elizabeth George construit son roman en une accumulation de ressentis, de désespoirs, de sordides atmosphères, de souffrances tant physiques que psychologiques et en même temps augmente, en un parfait crescendo, l'angoisse du lecteur qui sent la noirceur finale arriver. Lentement, sûrement, elle montre combien il est difficile pour un enfant de sortir du contexte de violence dans lequel il a grandi et cela malgré la volonté farouche de sortir du cercle infernal de la fatalité.


Sa brillante trouvaille romanesque: le crime n'est pas le sujet principal du récit, il est presque anecdotique, mais les méandres politiques, sociologiques, culturels et psychlogiques qui construisent une individualité. Le dénouement est le summum de la noirceur: le lecteur en est retourné au plus haut point, il en frissonne et y pense longtemps après avoir fermer le roman. Le plus épouvantable dans le ressenti de lecture est de se demander jusqu'à quel point le jeune héros a-t-il été manipulé par La Lame, lui-même sous-fiffre de quelqu'un ou d'une organisation criminelle!
"Anatomie d'un crime" est un roman d'une grande noirceur écrit avec une virtuosité rarement égalée! Une lecture qui ne laisse ni indifférent ni indemne, au suspense intense....à lire sans modération.



Roman traduit de l'anglais (USA) par Dominique Wattwiller




L'avis de marie



Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés

jeudi 24 janvier 2008

Le PIF

Kezako le PIF? Pif de PIF gadget? Le PIF de Cyrano? Non rien de tout cela mais une nouvelle chaîne qui circule sur la blogosphère: le Pay It Forward.
Si vous possédez un talent manuel, vous pouvez vous lancer dans cette nouvelle aventure, dont voici les règles:


1) Avoir un blog.

2) Les trois premières personnes à laisser un commentaire sur ce billet auront l'insigne honneur de recevoir un cadeau fait par mes petites mimines!

3) Vous le recevrez dans un délai de 365 jours.

4) En échange vous devez faire la même promesse (payer à l'avance) sur votre blog. On ne peut s'inscrire que sur 3 blogs!

Pour ma part, je participe chez Carine....que j'ai swappée en SFFF et chez So !


Il n'y en aura pas pour tout le monde alors inscrivez-vous viiiiiite!!!!


Fashion explique très bien le PIF!
Lamia, Vanessa et majanissa auront la joie de recevoir dans un délai de 365 jours un petit "quechose" réalisé par moi-même personnellement toute seule!

mercredi 23 janvier 2008

La chasse à l'ours

"La chasse à l'ours" est un album dit de randonnée: les héros (ici une famille, le père et ses enfants) rencontrent successivement des obstacles, une prairie, une rivière, une mare de boue, une forêt, une grotte que l'on ne peut pas passer ni par-dessous ni par-dessus mais que l'on est contraint de traverser. Ce qui donne l'occasion de sonoriser par une onomatopée.


La famille est pleine d'entrain: elle va à la chasse à l'ours et elle compte bien en attraper un très gros: "La vie est belle! Nous n'avons peur de rien!" Chaque obstacle éludé la rapproche un peu plus de la grotte où bien évidemment se trouve un très gros ours à l'air peu amical...c'est la débandade. Toute le monde fait le parcours inverse à toute vitesse, l'ours se faisant de plus en plus pressant. La famille se retrouve, blottie sous les couvertures, à l'abri, bien décidée à ne plus jamais partir à la chasse à l'ours. Et l'ours? La dernière image offre un début de réponse.


L'intérêt de cet album est, comme dans tout conte ou album de randonnée, la structure répétitive du récit, structure qui plaît toujours aux enfants: ils ont le temps de se l'approprier au cours de la narration car la répétition devient une ritournelle. Par ailleurs, dire les onomatopées est amusant et drôle, aussi bien pour les enfants que pour les adultes!


Des notions spatiales sont abordées: par-dessus, par-dessous, traverser; on enrichit le vocabulaire du paysage: la prairie, la mare, la rivière, la forêt, la grotte.


Lorsque j'ai terminé la lecture de cet album en classe, mes élèves ont réagi aussitôt en me disant "Ils disent qu'ils n'ont pas peur mais en fait ils ont vraiment peur de l'ours.Ils disent un peu n'importe quoi!" "La chasse à l'ours" est une histoire qui permet à chaque enfant de constater une chose: on croit pouvoir dominer tous les éléments, les plus forts comme les plus ambigus, par insouciance ou vantardise, mais lorsque l'on se trouve confronté à la réalité, les illusions s'effondrent!


Les illustrations sont très agréables, douces, alternant le Noir et Blanc et la couleur. Un album ( à partir de 4 ans) à lire et à relire à haute voix sans se lasser.
Il existe une version "livre animé" de cette histoire!

mardi 22 janvier 2008

Une Egypte ancienne vue par Mahfouz

"La malédiction de Râ" ou l'histoire d'une prédiction sous le règne du pharaon Khéops. Un mage lui révèle qu'il n'aura de descendant à accéder au trône après sa mort, que son successeur sera un nouveau-né, le fils du prêtre du temple de Râ d'Awn. Aussitôt une expédition est montée afin de faire disparaître le bébé, ombre dans le firmament de Khéops. Ce que le pharaon, au faîte de sa puissance, ignore c'est que le même jour, une servante de Radde Didit, l'épouse du grand prêtre, a, auss,i mis au monde un enfant. Le prêtre parvient à faire fuir, sous la houlette de Zaïa, une servante fidèle, sa femme et son fils au moment où la troupe royale arrive aux portes d'Awn. La méprise du pharaon sauve ces derniers. Au cours de leur fuite, Zaïa s'endort et la charrette de blé s'égare en bordure du désert, territoire incertain où rôdent les Bédouins. Zaïa, au réveil, prend peur, s'enfuit avec le bébé, abandonnant Radde Didit à un triste sort. Zaïa, femme en mal d'enfant, adopte, élève et éduque Djédef comme son propre fils, à Memphis, résidence royale. Djédef y sera élevé comme un noble et intègrera l'armée du pharaon où il récoltera honneur et confiance du souverain.
Bien entendu la prédiction du mage se réalisera à la suite de multiples péripéties plus haletantes les unes que les autres.
Ce qui est intéressant dans ce roman, c'est l'histoire millénaire égyptienne évoquée par la plume sagace et poétique de Naguib Mahfouz. Le roman publié en 1939 contient tout ce qui imprègnera l'écriture de ce dernier: les racines égyptiennes, l'identité, la filiation, la trahison, la fidélité et, surtout, le sens de la destinée...même s'il est loin d'être son meilleur roman (Mahfouz fait ses débuts d'écrivain en 1939). En effet, Khéops comme Djédef ne peuvent échapper à la prédiction des dieux, relayée par le mage. Leur vie respective, leurs actes les mèneront au point final sans qu'ils contrôlent quoi que ce soit.
"La malédiction de Râ" est un roman historique bien enlevé, à l'intrigue certes claire mais à la chute étonnante. Par ailleurs, comment résister au talent de conteur de Mahfouz? La réponse est simple: on ne peut pas lui résister et on se laisse embarquer, joyeux, dans le dédale de ses mots.


Roman traduit de l'arabe (Egypte) par José M. Ruiz-Funes et Ahmed Mosrefaï

dimanche 20 janvier 2008

Bienvenue au Club!

C'est grâce à la blogosphère littéraire que je me suis lancée dans la lecture des romans de Jane Austen! Je n'avais vu que le film "Raison et sentiments" dont j'avais adoré l'atmosphère et le sujet traité. Remettant toujours à plus tard la découverte du roman éponyme, je suis tombée un jour sur des blogs de lectrices confirmées de Jane Austen, j'ai commencé avec "Lady Susan" et Austen a fait ma conquête! Aussi, lorsque j'ai lu un billet consacré à "Le club Jane Austen", j'ai acheté le roman de Karen Joy Fowler!
Comme je ne suis pas encore une lectrice accomplie de l'oeuvre austenienne, je nourrissais quelques craintes en ouvrant les pages du roman. En effet, je n'ai pas lu tous les romans d'Austen et ne connais pas encore à fond les titres phares "Emma" "Raison et sentiments", "Mansfield Park", "Northanger Abbey" et "Persuasion" (mais j'avais lu "Orgueil et préjugés"!). Je me disais que je ne parviendrais pas à surmonter ce handicap du à mon inculture austenienne. Mais c'était sans compter sur le guide du lecteur concocté par l'auteur qui m'a permis de saisir l'atmosphère de chacun des romans abordé dans "Le club Jane Austen".
"En ce début de XXIè siècle, un club singulier voit le jour en Californie. Comme d'autres jouent au bridge, cinq femmes et un homme se rencontrent régulièrement autour de l'oeuvre de Jane Austen...."
Le prologue est astucieux: il met en place les multiples perceptions de l'auteur selon le lecteur qu'est chaque personnage du roman (mais aussi chaque lecteur du roman). En effet, chaque lecteur d'Austen se fabrique sa Jane Austen. Le lecteur fait connaissance avec Jocelyne, Bernadette, Sylvia et sa fille Allegra, Prudie et Grigg.
Le rythme du roman épouse celui des mois: à chaque mois son roman austenien et son personnage. Au fil des chapitres, le lecteur apprend les menus faits de la vie intime des personnages, petits échos des personnages austeniens. L'écriture est tout en finesse, en subtilité à l'image des romans de Jane Austen. On y retrouve l'atmosphère particulière d'une société feutrée où l'ironie sagace d'une Jane Austen n'aurait pas dépareillé. Le fin connaisseur de l'univers d'Austen retrouve, dans une agréable polyphonie, les voix de ses héroïnes mêlées aux thèmes chers de l'auteur. La vie personnelle des membres du club résonne au fil des rencontres, des échanges sur les lectures communes.
Jocelyne est une cinquantenaire dynamique aimant s'occuper des autres et farouchement attachée à sa liberté, Sylvia, sa meilleure amie, est en pleine séparation et s'interroge sur son devenir de femme, Allegra porte son mal de vivre et ne souhaite qu'une chose, être aimée pour elle-même, Prudie, professeur de français, aux airs de précieuse parfois ridicule, semble timide et effacée, Bernadette, aux nombreux mariages, a jeté aux orties le miroir des apparences et promène sa personnalité fantasque sans complexe, aime être écoutée et aime s'entendre parler, Grigg, seul homme du club, apparaît comme un ovni lorsqu'il sort son exemplaire, neuf!, des oeuvres complète de Jane Austen (est-il vraiment fiable? Connaît-il vraiment Austen et son écriture? A-t-il sa place dans le cercle?). En les côtoyant au fil des chapitres et des romans d'Austen, le lecteur se prend à penser que chaque personnage est en quête d'amour, est en quête d'une place de choix dans le coeur d'un autre: chacun serait-il à la recherche de son Darcy et le trouvera-t-il après bien des tours et détours dans méandres des soirées ou le contournement tant de l'orgueil que des préjugés?
Karen Joy Fowler, autour des ressentis de lecture des romans de Jane Austen de chacun de ses personnages, explore leurs relations nouées ou dénouées: la rencontre, au lycée, de Sylvia et Jocelyne, leur "échange" de petit ami, le comment de la séparation de Sylvia et son mari, la vie maritale riche et diverse de Bernadette, les soucis de Prudie, l'enfance particulière de Grigg, seul et unique garçon dans une tribu de filles au caractère bien trempé (mais qui volent au secours de leur frère comme un seul homme!), et son amour pour la Science-Fiction, la rage et les impulsions d'Allegra au coeur de sa relation amoureuse avec Corinne.
Et ce curieux mélange donne un roman dans lequel on plonge agréablement (l'atmosphère du roman est reposante et calme) et dont on sort en ayant une furieuse envie de se plonger, ou se replonger, dans les romans de Jane Austen qui accompagnent les personnage du "Club Jane Austen".


Roman traduit de l'anglais (USA) par Sylvie Doizelet


Les avis, parfois contrastés, de rennette jessica virgule clarabel estampille Laurence (de Biblioblog) sybilline clochette allie antigone

vendredi 18 janvier 2008

L'espion qui aimait

Août 1991, Moscou est en ébullition: des chars et des soldats patrouillent dans les rues, menaçants et de sombres augures. Gorbatchev est prisonnier dans sa datcha d'été en Géorgie. Le coup d'état qui se profile peut à nouveau faire basculer le monde dans le chaos.
Stephen Metcalfe, ex ambassadeur en URSS, ex espion pendant la guerre , part pour rencontrer le Dirizhor, homme de l'ombre milliardaire, qui peut retirer son soutien à la rébellion ou la soutenir, qui peut faire basculer son pays et le monde dans l'horreur ou au contraire sauver les équilibres en place. Metcalfe, avec son vieil ami russe Kundrov, se souvient de sa mission audacieusement folle pendant la Seconde Guerre mondiale, sous la houlette de Corki, le maître espion de Roosevelt.
...1940, Paris est occupé par l'armée du IIIè Reich, l'Angleterre subit les assauts aériens allemands, un pacte de non-agression a été signé entre Hitler et Staline tandis que les Etats-Unis de Roosevelt attendent, observent tout en envoyant, tant à Moscou, Berlin ou Paris, des espions.
Metcalfe, alias Daniel Eigen play-boy argentin insouciant, glane au fil de ses conquêtes féminines de précieux renseignements. Les Anglais ont mis au point une radio performante, Corki un système de code inextricable pour le non initié. Tout semble fonctionner parfaitement jusqu'au jour où une fuite élimine, l'u après l'autre, les membres du réseau parisien. Metcalfe retrouve ses compagnons étranglés, l'horrible signateure de l'impitoyable assassin. Une course poursuite commence à travers un Paris occupé puis à travers l'Europe jusqu'à Moscou.
Stephen se voit confier une mission étrange: retourner à Moscou, sous couvert d'activités économiques, et renouer avec son ancien amour, Lana, danseuse étoile au Bolchoï. Lana est devenue la maîtresse d'un diplomate nazi, Von Schüssler, susceptible d'être retourné: il appartient à la noblesse allemande guère connue pour son admiration envers Hitler.. Au fil de sa mission, Metcalfe s'aperçoit que le diplomate en question est tout sauf susceptible de trahir, que le GPU et le NKVD russes exercent une surveillance de chaque instant sur sa personne et que le contre-espionnage nazi a retrouvé sa trace. Il y a un traître qui le grille, mais qui?
"La trahison Tristan" est un roman noir et d'espionnage qui se lit d'une traite et qui ne laisse pas le lecteur reprendre son souffle. Le récit est ponctué de courtes respirations lorsque l'auteur revient en 1991 et éclaire le lecteur sur la possible identité du Dirizhor. Le parallèle entre l'hier et l'aujourd'hui montre combien les équilibres politiques sont fragiles et qu'une envie de réforme peut provoquer un effroyable retour en arrière. D'ailleurs, n'est-ce pas ce que vit, à l'heure actuelle, la Russie?
Ludlum expose avec maestria les divergescences de vues poltiques entre Roosevelt et le FBI d'Edgar Hoover: le premier sait que Hitler est plus dangereux que Staline dans le contexte de 1940 alors que le second, omnibulé par le péril rouge, fait jouer un étrange jeu à certains de ses agents. Il est de notoriété publique que Hoover était plus enclin à soutenir le IIIè Reich plutôt que la Russie stalinienne! Russie exangue à la suite des purges ordonnées par Staline, qui ont ravagé les rangs de l'Armée Rouge décapitée de ses officiers. Les survivants attendent chaque jour le coup de sonnette qui les enverra devant le peleton d'exécution ou au goulag. Et si ces purges n'étaient que le résultat d'une stratégie mûrement élaborée par l'espionnage nazi? Un complot monté de toutes pièces afin d'affaiblir la puissante et inquiétante Armée Rouge des Soviets et conclure, ainsi, un pacte de non-agression avec le Petit Père des peuples? Lorsqu'un dictateur est paranoïaque, c'est du pain béni pour ses adversaires! Un cruel jeu de pocker-menteur se joue en Europe, pouvant faire basculer l'issue du conflit: et si Hitler, parvenant à être convaincu non seulement de la faiblesse militaire russe mais aussi de l'intention de Staline d'attaquer le IIIè Reich? Voilà qui affaiblirait les forces nazies et donnerait de l'air à l'Angleterre, quasiment à genoux en cette fin 1940! Cela augurerait d'une victoire de la démocratie en Europe! Mais le prix peut être diablement élevé pour Stephen Metcalfe, Lana et les autres: les grandes victoires, les grandes libertés s'établissent sur le sacrifice d'individus qui vont, sans fléchir, au devant de la mort. Le monde libre tient toujours à peu de choses et "à beaucoup de larmes, de chair et de sang".
Et l'être humain dans tout cela? L'individu n'est rien face à certains enjeux sur le grand échiquier du monde. Un jeu du chat et de la souris broyant beaucoup sur son passage. Le lecteur d'aujourd'hui ne peut s'empêcher de frissonner d'horreur et de se demander s'il ne vit pas, chaque jour, sans le savoir, des coups de pocker.
Un roman très agréable à lire et prenant....pour les amateurs du genre.


Roman traduit de l'anglais (USA) par Florianne Vidal

jeudi 17 janvier 2008

Au nom de la loi

Depuis plusieurs semaines, voire quelques mois, sévit un étrange phénomène parmi les LCA: Stéphanie Plum, une chasseuse de prime très très étonnante! A force de lire des billets élogieux à son sujet, je n'ai pu que craquer lorsque j'ai découvert que ma médiathèque possédait "La prime", je me suis jetée dessus telle la vérole sur le bas clergé breton et.....je l'ai dévoré!
On peut le dire, Janet Evanovich a créé un personnage de roman policier très amusant: le héros est une femme, Stéphanie Plum, moderne, trentenaire, vivant avec son temps, très proche de ses parents, dotée d'une famille qui se révèle parfois un peu envahissante.
"La prime", premier opus de la série, plante le décor et le personnage: Stéphanie est au chômage depuis quelques temps, ne possède plus un radis en poche bien qu'elle ait vendu une partie de ses meubles, et surtout n'a plus rien dans son frigo! Sans compter que sa voiture vient d'être saisie par la banque et qu'elle ne peut plus faire face à l'indigence qui se profile.
Une solution s'impose, après bien des atermoiements: postuler chez le cousin Vinnie pour remplacer un de ses chasseurs de prime hospitalisé! Stéphanie peut décrocher le jack pot (10 000 dollars) si elle réussit à mettre la main sur Joe Morelli, flic accusé de meurtre et en cavale. Joe Morelli et Stéphanie sont de vieilles connaissances: au lycée, le beau Joe l'a séduite et s'en est suivi une série de plaisanteries qui la mettent toujours en rage!
Dès que Stéphanie décide de partir aux trousses de Joe, une ribambelle d'aventures, de poursuites, de coups, de suées, de peurs, de cavalcades et autres péripéties se déroule sous les yeux du lecteur....lecture jubilatoire au plus haut point! En effet, non seulement notre héroïne a un humour dévastateur et une rare virtuosité à vivre des situations incroyables mais encore elle possède un animal domestique pour le moins original....Rex, un hamster!!!
Ce roman trépidant, enlevé, amusant et hilarant est difficile à résumer sans en déflorer la quintessence joyeuse...une seule chose reste à faire: entrer se divertir dans le monde jubilatoire de Stéphanie Plum!


Roman traduit de l'anglais (USA) par Philippe Loubat-Delranc


mercredi 16 janvier 2008

Histoire de culottes

Cet après-midi était consacré à une visite à la médiathèque suivie d'une descente dans l'enfer de perdition qu'est la librairie "Mots et Images"! Je n'ai pas pu rester de glace devant cet album jeunesse: "3 petites culottes" de Sylvie Chausse (texte) et Anne Letuffe (illustrations).
C'est un vrai bonheur à lire et à regarder! Le texte est rimé en "ote" ou "otte": la danse des mots est d'une gourmandise sans cesse renouvelée "Dans une amusante paillotte elles aperçoivent une vieille un peu boulotte, qui prépare de la compote. Sur la tête, elle a une calotte assez vieillotte: deux trous laissent sortit ses oreilles pointues comme des carottes!" Quant aux illustrations, elles sont réalisées à partir de collages utilisant diverses matières, des montages de dessins et de photos. Par exemple, la citation de ci-dessus est dans une maison faite de brins de paille!

Robert et Marcelle, ont trois filles: Jacquotte, Charlotte et La Grabote. Elles ont chacune une belle culotte. Seulement, une nuit, survient une chose qui donne "les chocotes": les culottes ont disparu! Ni une ni deux, les trois soeurs partent à la recherche, en simple cotte, de leurs culottes! Elles rencontre, dans une paillotte une "vieille un peu boulotte", puis dans une cabane de planches, une roulotte, une "chochotte" et enfin dans "une maison de briques plutôt fiérote" la précédente chochotte qui remplit son bas de laine, sa cagnotte! Cela ne vous rappelle rien, ces maisons?

Bien entendu, à chaque rencontre, une des petites cochonnes reconnaît sa culotte et la récupère! Mais qui est cette chochotte? C'est Eliott, le loup, qui leur lance "vos culottes, mes cocottes, vraiment elles me bottent!"

Le texte est jubilatoire, les illustrations humoristiques et belles à la fois! Une histoire à raconter sans se lasser.

mardi 15 janvier 2008

Le Caire, son univers impitoyable!

Dans la trilogie cairote, Naguib Mahfouz faisait souvent allusion aux pratiques courantes du clientélisme dans l'administration égyptienne pour l'obtention aussi bien de postes que de promotions. "La belle du Caire" démontre combien ce genre de pratique peut se révéler dévastatrice pour ceux qui ne savent pas se mouvoir dans la jungle des bureaux et cabinets ministériels.
Quatre étudiants, quelques mois avant de passer leur examen final, quatre vies, quatre visions de la société. L'un d'entre eux, Mahgoub Abd-el-Dayim, pauvre et avide de tout, sous une apparente indifférence, est taraudé par l'envie et la jalousie. Il est prêt à tout pour obtenir un bout de ciel bleu, un rayon de soleil et autre chose qu'un plat de fèves. Après avoir connu les affres de la faim, de l'indigence, il met non seulement de côté le peu de scrupules qu'il possède pour avancer dans la société, mais aussi son devoir filial, devoir qui lui pèse et qu'il oublie en trouvant toujours une bonne raison à son égoïsme.
Mahgoub, au fond de l'indigence et du désespoir, sollicite l'aide d'un ancien voisin du village, Al-Ikhshidi, bien établi dans un poste de secrétaire particulier. Ce dernier comprend que Mahgoub est de la même trempe que lui, qu'il saura fouler principes et scrupules pour se tailler une misérable part de gloire. Il le pistonne (contre rien en retour ce qui aurait du éveiller la vigilance de Mahgoub!) pour un poste de secrétaire particulier (au 6ème échelon) puis le sollicite, quelques temps plus tard, pour une étrange affaire: un mariage en catimini afin de rendre service au Bey Qasim Fahmi, riche aristocrate épris d'une roturière avec laquelle il entretient une relation amoureuse. Mahgoub accepte la proposition et quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il reconnaît en la belle maîtresse du Bey, la sublime et jeune Ihsane, ancienne fiancée de son ami Ali Taha! La joie, malsaine, de s'approprier une beauté autrefois inabordable, se mêle à sa maladive jalousie (tout aussi malsaine). Les tortures ne font que commencer pour Mahgoub qui endosse le rôle désagréable de cocu consentant à tendance proxénète! En effet, à chaque fois que le Bey rend visite à Ihsane, il doit quitter l'appartement!
Mahgoub, avec son ironie et son audace, pense avoir cerné la marche du monde. Seulement, à trop envier et jalouser, à vouloir trop avoir sans rien donner, le retour de bâton est souvent cruel et cuisant. Ainsi, lorsque les charmes de son épouse offrent une promotion (directeur de cabinet du Bey lui-même!) à Mahgoub, celui-ci ne sait pas prendre la bonne décision: Al-Ikhshidi, dont il est l'obligé, lui demande un retour d'ascenseur en lui cédant le poste proposé et en le succédant dans son poste, Mahgoub ne peut s'empêcher de lui exprimer son mépris et sa haine en refusant le marché! La suite ne tarde pas à provoquer de nombreuses turbulences dans la vie de Mahgoub et Ihsane et douloureuse est la chute....surtout lorsque l'on s'est coupé de ses amis les plus sûrs!
"La belle du Caire" est un roman édifiant et incisif sur une société cairote gangrénée par la corruption et l'appât du gain facile. Les personnages sont hauts en couleurs et finement ciselés: Al-Ikhshidi est admirablement croqué en fauve sachant manoeuvrer plus affamé que lui et sachant se rendre utile à plus puissant que lui. Un virtuose de l'hypocrisie et du louvoiement en eaux troubles. Quant à Mahgoub, torturés par ses apirations aussi diverses que contradictoires, le lecteur éprouve parfois pour lui de la compassion mais bien souvent colère et mépris à son encontre! On a envie de le secouer pour lui ouvrir les yeux: à vouloir nager au milieu des crocodiles il faut savoir montrer les dents, claquer des mâchoires et surtout ne jamais oublier de renvoyer l'ascenseur même si cela gâche le plaisir d'une promotion!
Et Ihsane? Figure féminine qui subit la loi masculine. Au final, son mariage avec Mahgoub est loin d'être une réussite et bien loin de la mettre à l'abri du besoin. Sa réputation n'est plus qu'une lointaine chimère: on a envie de la soutenir, elle émeut et en même temps agace. A ce jeu de dupe, une naïveté mal placée est perdante et désastreuse. Mais elle a été abusée par les roucoulades d'un Bey prédateur, sans foi ni loi hormis celle de son plaisir, abusée par les jérémiades paternelles qui la feront se jeter dans la fosse aux lions. Le pari sur la beauté est aléatoire surtout lorsque la famille de la jeune beauté est pauvre, roturière et sans appui!
Enfin, Qasim Fahmi: un loup usant et abusant de son pouvoir, de sa richesse pour s'offrir des virginités à bon compte! La lectrice, que je suis, ne peut s'empêcher de lui en vouloir pour son attitude inconséquente et profondément égoïste: il s'en sortira toujours et il le sait, même si le scandale éclabousse le bas de son costume! Ce qui est loin d'être le cas pour les "dégâts collatéraux"!
La moralité de cette histoire? Pourquoi désirer toujours plus? Pourquoi être toujours insatisfait? Cela n'amène souvent que déceptions et malheurs! "Si tu n'as pas ce que tu aimes, aime ce que tu as." (proverbe marocain)....penser une telle chose n'empêche en rien l'ambition raisonnable et raisonnée! Mahgoub est un Icare qui se brûle les ailes à désirer, trop vite, aller près du soleil.
Un beau roman sur la jalousie, l'amour et le désir, servi par la plume magnifique et sobre de Naguib Mahfouz.


Roman traduit de l'arabe (Egypte) par Philippe Vigreux

dimanche 13 janvier 2008

Le clan Rhett Butler


Donald McCaig explore les non-dits d'"Autant en emporte le vent", oeuvre romanesque inoubliable s'il en est!
Le lecteur retrouve avec un plaisir sans cesse renouvelé les personnages phares du roman de Margaret Mitchell ainsi que l'ambiance ineffable du Sud, ce Sud si inébranlable dans ses certitudes, si aristocratique, si raffiné et si confiné dans sa conscience de classe à part!
On découvre Rhett Butler enfant, adolescent puis adulte. On déambule dans l'immense plantation familiale des Butler, maîtres de rizières. On fait connaissance avec le patriarche, peu sympathique, et le fils aîné, rebelle et indomptable....le renégat: il apprécie autant les hommes, les femmes de couleur que ceux de sa caste. En effet, un homme de Bien, noir ou blanc, est un homme de Bien comme reste méprisable, noir ou blanc, celui qui n'est que mesquinerie, violence et haine.
Dès l'enfance, Rhett est un être extraordinaire: il est chevaleresque, romantique autant que tête brûlée et batailleur; un homme qui ne demande qu'à être pris dans les rets de l'amour, encore faut-il rencontrer l'âme à la hauteur des exigences du personnage! Une âme qui n'hésiterait pas une seconde à fouler au pied la respectabilité de la bonne société sudiste.
L'auteur s'amuse à parsemer le récit de répliques inspirées d'"Autant en emporte le vent", permettant aux souvenirs de lecture de rejaillir et d'instaurer une sympathique complicité entre le lecteur et l'auteur. Le terrain familier guide l'exploration des allées nouvelles d'une histoire qui n'avait été qu'effleurée.
Le personnage de Scarlett O'Hara est aussi attachant que dans le roman de Margaret Mitchell: tempêtueuse, amoureuse romantique d'un homme qui n'est absolument pas fait pour elle et qui refuse de regarder en face l'Amour jusqu'à ce que ce dernier lui décille, tardivement, les yeux. Le lecteur n'espère qu'une chose: que Rhett réponde à l'appel, maladroit certes mais sincère, du coeur de Scarlett!
Les personnages de Mélanie et d'Ashley Wikes sont à la hauteur: Ashley est exaspérant à souhait (il m'a toujours exaspérée....même après 5 lectures d'"Autant en emporte le vent"!!) tout en ayant un côté attendrissant d'homme du passé, inadapté au monde moderne qui se profile (d'ailleurs, souhaite-t-il vraiment s'adapter à la modernité en route?) et qui change les données de la vie socio-économique du Sud. Mélanie est la sainte qui m'avait autant subjuguée qu'agacée: la grande dame par excellence, celle qui possède une profonde générosité, une tolérance immense, une grande ouverture d'esprit et une acuité intellectuelle qu'elle sait dissimuler pour ne pas froisser les convenances de la bonne société sudiste. Elle a la classe des héroïnes discrètes, fragiles d'apparence mais à la volonté et la pugnacité d'airain que les alea de la vie ne font pas chuter. "Le clan Rhett Butler" la grandit et lui offre un espace moins confiné, bien que plus en retrait dans le récit, que dans le roman de Mitchell. McCaig explore d'"autres côtés du miroir" suscités par l'envie de connaître l'envers du décor de certaines scènes d'"Autant en emporte le vent": Mélanie prend une autre dimension et n'est plus la naïve que la bonté d'âme perdra!
Dans "Le clan Rhett Butler" apparaît un personnage aperçu, fugacement, au cours du roman de Margaret Mitchell: la soeur de Rhett. Elle est le lien qui retient Rhett au Sud qu'il déteste souvent mais auquel il reste fidèle. Elle sait qu'il aime à jamais Scarlett, sa douleur et son immense bonheur, et le lui rappelle sans cesse. Malgré son caractère trempé, elle est attaché au passé...comme Ashley: la violence de la guerre et son cortège de souffrances ne peuvent être oubliées qu'en cultivant un jardin intérieur aux douces senteurs d'un temps révolu.
Scarlett et Rhett apparaissent comme les éléments de la modernité en marche: ils regimbent contre la société ruinée du vieux Sud Confédéré tout en souhaitant y être intégrés. Rhett Butler, chez Margaret Mitchell, était déjà un personnage que le lecteur ne pouvait détester et encore moins mépriser. Il prend toute sa dimension romanesque et sa puissance narrative dans le roman de McCaig!
J'ai aimé ce bout de la lorgnette qui complète la fresque romanesque de Margaret Mitchell. Tout y est, tout sonne comme dans "Autant en emporte le vent" avec un petit quelque chose en plus: l'espoir que "Demain sera un autre jour" et que tout peut s'arranger malgré le chaos des coeurs et des sentiments. Les inconditionnels (dont je fais partie) de Rhett Butler et Scarlett O'Hara, enfants terribles d'un Sud qui n'a pas su évoluer, seront comblés et ne bouderont pas leur plaisir: Rhett est encore plus séduisant que chez Margaret Mitchell....même si l'imaginaire est phagocyté par la prestation de Clark Gable (qui peut imaginer Rhett Butler sous d'autres traits que ceux du beau Clark? Si quelq'un a une bonne idée de casting...).
Aussi serai-je tentée de conclure avec cette boutade: vous avez aimé et dévoré "Autant en emporte le vent"? Vous craquerez pour "Le clan Rhett Butler"!
Il fallait oser tenter reprendre le flambeau de Margaret Mitchell et McCaig l'a fait de manière agréable et surprenante! La question de savoir si Margaret Mitchell aurait souhaité voir une suite ou une prolongation de son "Autant en emporte le vent" est ouverte et alimentera sans cesse les controverses entre les pro et les anti. Il apparaît évident que l'histoire d'amour entre Rhett et Scarlett est indémodable, donc éternelle et suscitant nombreuses interprétations romanesques. Est-ce ce que l'on appelle parfois "la rançon de la gloire"?


Roman traduit de l'anglais (USA) par Camille Letillon


Ce roman m'a été envoyé dans le cadre de l'opération "Masse critique" organisée par le site babelio. Mon commentaire est édité aussi ICI.


vendredi 11 janvier 2008

Le Nom de la Rose....le défi!

Il suffit de s'absenter quelques jours de la blogosphère pour trouver au retour de quoi satisfaire ses envies de diminution de PAL grâce aux défis proposés par Fashion et Grominou! Sans compter celui de Flo le Celebrate the Author Challenge.
Comme j'ai tout lu (sauf Dickens) parmi les titres proposés par Fashion dans son Challenge Fashion's Klassik List, je me suis lancée à la suite de Grominou et le défi "Le Nom de la Rose".

Je reprends ci-dessous les termes du billet de Grominou.

Durée: du 1er janvier au 31 décembre 2008.

Règles:

Lisez un livre pour chacune des catégories ci-dessous. Pas de tricherie! Vous devez prendre des livres différents même si un livre pourrait se classer dans plusieurs catégories. Par exemple, "Chien blanc" de Romain Gary pourrait faire partie de la catégorie 1 ou 2, mais pas les deux à la fois.

Catégories:

*Un livre avec une couleur dans le titre (par ex. Le Calepin rouge, Le Rouge et le noir).
*Un livre avec un nom d'animal dans le titre (par ex. Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, Le Chien des Baskerville).
*Un livre avec un prénom dans le titre (par ex. Emma, Jane Eyre, Harry Potter et les reliques de la Mort).
*Un livre avec un nom de lieu géographique dans le titre (par ex. Une Année en Provence, Brooklyn Follies).
*Un livre avec un phénomène météorologique dans le titre,vent, nuage, ouragan, etc, (par ex. La Tempête de Shakespeare, Un Tourbillon de neige et de cendres).
*Un livre avec un nom de plante dans le titre (par ex. Le Nom de la Rose, L'Arbre de L'Été).
Pour participer, vous n'avez qu'à mettre en commentaire ici un lien vers le billet de votre blog où vous aurez établi votre liste. Bien sûr, cette liste pourra changer au cours de l'année, ce n'est pas coulé dans le béton!
Ma liste:
"Le canapé rouge" de Michèle Lesbre (lu)
"Je suis un chat" de Sôseki (lu)
"Le livre de Dina" de Herbjorg Wassmo (lu)
"Désert américain" de Percival Everett (lu)
"Orages d'acier" d'Ernst Jünger (lu)

"Les seigneurs du thé" de Hella S.Haasse (lu)

jeudi 10 janvier 2008

Ville qui roule n'amasse pas mousse

La Cité Terre est sans cesse en mouvement, le temps se calcule et se vit en kilomètres parcourus et non en années ou en siècles. La cité est dominée par un système de guildes (les Futurs, les Miliciens, les Bâtisseurs de Ponts, les Hommes des Echanges, les Navigateurs), les enfants sont confiés dès leur naissance à la crèche et n'en sortent qu'à l'âge de mille kilomètres.
Pour les habitants de la cité, l'enseignement dispensé est fondé sur les savoirs anciens, appartenant à la planète Terre, enseignements ennuyeux aux yeux des enfants et adloescents de la crèche....jusqu'au jour où ceux qui intègrent les guildes sont confrontés au monde extérieur et mettent ainsi en relation leurs savoirs et la réalité perçue. Ainsi, sur Terre le soleil est une sphère alors qu'ici c'est une hyperbole dotée de deux flèches et Helward Mann, le héros, se souvient d'un cours de mathématiques où on lui apprenait à réaliser des courbes de fonctions dont une en forme d'hyperbole dotée de deux flèches (l'infini négatif et l'infini positif)... comment à partir de savoirs réels ou faux, on peut influer sur la perception du monde!
Helward vivra un parcours initiatique extraordinaire, l'amenant à ressentir les effets extrêmes du passé, au Sud de la cité où tout s'estompe et se déforme, comme ceux du futur, vers le Nord de la cité, où le temps ralentit par rapport au présent de la cité et s'accélère par rapport à son corps (il vieillit plus vite que les autres à chaque expédition vers le Nord).
Helward vivra un choc culturel et spirituel lors de sa rencontre avec Elizabeth Khan, l'indigène pas comme les autres. Deux mondes vont se heurter sans se convaincre...seuls les Terminateurs, mouvement contestataire de la Cité Terre, prêteront une oreille attentive aux révélations d'Elizabeth tandis qu'Helward choisira de fermer son esprit.
L'éternel mouvement que doit accomplir la Cité Terre sera confronté à une réalité géophysique imprévue: la rencontre avec une immensité bleue dont on ne voit pas l'autre rive et que l'on ne peut pas contourner. La perception du monde de la Cité se trouve en contradiction avec cette réalité géophysique, topographique. Et si la perception de l'espace et du temps de la Cité était une distorsion du réel, parallèle à celle du sens commun? Et si la Cité Terre n'était pas située sur une planète hostile? Et si la Cité Terre n'avait jamais quitté la Terre?
Christopher Priest, malgré les concepts mathématiques complexes évoqués, réussit à mener de main de maître une intrigue haletante, prenante et mystérieuse. Les pistes sont données au compte-goutte au lecteur qui parfois peut se trouver bien désappointé devant la subtilité du raisonnement mathématique. Cependant, cela ne l'empêche d'apprécier le voyage proposé dans une autre dimension des sens!
"Le monde inverti" est une odyssée humaine, suite à une catastrophe de civilisation: la lente reconstruction des fondements sociaux confrontée à un ciment de civilisation conservé au prix d'une emprise du secret et d'un certain obscurantisme. Le jour où la lumière est faite, les failles du système sont révélées et bien des questionnements soulevés.
J'ai aimé le postulat sur la perception du monde selon la croyance que l'on en a, la distorsion du temps et de l'espace. Le point à atteindre fondamental, l'Optimum (un Graal en quelque sorte), semble être éternellement hors de portée et un concept des plus mystérieux.

Tous les ingrédients d'un excellent roman de SF sont réunis: questions philosophiques, scientifiques, sociologiques sans compter l'écriture fluide et happante de l'auteur...auteur qui tisse une fin très étonnante et très ouverte!


Roman traduit de l'anglais par Bruno Martin


Les avis de Matoo samael gally

mercredi 9 janvier 2008

Garance et Bastien



Quatrième de couverture:


"Un naufrage sur les côtes de France, et une jeune rescapée, peut-être esclave ou bien fille de sultan. Mais dans ce royaume agité, emporté dans les guerres et soumis à la poigne des puissants, il est bien difficile de suivre un destin ordinaire. Garance affrontera tous les obstacles, pour elle et pour sa fille, et refusera jusqu'au bout de courber la tête... Affinant son art d'œuvre en œuvre, François Place nous offre avec La fille des batailles un récit intense, ponctué en " tableaux " illuminés de ses magnifiques illustrations."


François Place transporte son lecteur au temps du Roi Soleil. Un jour, un navire s'échoue sur les brisants et seule une fillette muette à la peau sombre survit. Qui est-elle? Escalve ou fille de roi? Elle sera achetée pour épurer une dette par un couple d'aubergistes aux antipodes des Ténardiers moyens: grâce à eux, elle aura un nom, Garance (en souvenir du turban rouge qu'elle portait) et un foyer aimant.
Garance grandit et aime Bastien, jeune musicien du village. Ils s'aiment d'amour tendre et sincère: une vraie histoire féérique pourrait commencer. Hélas, c'est sans compter avec le seigneur, âpre à s'approprier donzelles et belles choses rencontrées sur son chemin et la guerre menée par le roi en Flandres! Bastien part comme tambour dans le régiment du seigneur et la nuit du départ, sous la lune, Garance et lui s'aiment.
Sans nouvelles de Bastien, Garance part vers le Nord pour le rejoindre (elle attend un enfant). Elle le retrouvera, il s'enfuira avec elle, dégoûté par la violence de son seigneur et les atrocités de la guerre. Une petite fille naît, Séraphine. Tout pourrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais un conte ne serait plus un conte sans rencontres d'obstacles et coups de théâtre! Garance et Bastien seront à nouveau séparés par les aléas de la vie: le retour à l'auberge pour l'une, les galères pour l'autre.
La furie guerrière reprend mais, cette fois, elle endosse l'habit sombre des guerres de religions: c'est le temps des dragonnades et de la chasse aux Huguenots. L'obscurantisme contre le savoir, contre la liberté de penser, d'écrire.
François Place mène son histoire illustrée au rythme d'une pièce de théâtre. Dans toute pièce de théâtre classique, il y a le fameux "deus ex machina"....celui-ci réunira Garance et Bastien et montrera à Séraphine sa voie.
Les dessins de François Place sont subtils, beaux et sombres à la fois. La mise en image du naufrage est une vraie et belle réussite....douloureuse à souhait! Garance (on ne peut s'empêcher de penser aux pièces de Molière!) a une vie peu commune, aussi son histoire ne peut-elle être banale mais extraordinaire. Sa révolte muette s'exprimera par les vers clamés au théâtre par sa fille.
"La fille des batailles" est une histoire sur la lumière apportée par l'amour, la tolérance et le savoir où la couleur de peau comme la confession religieuse ne revêtent aucune importance et un beau conte sur l'ouverture d'esprit grâce au savoir! A lire à tout âge sans modération.


mardi 8 janvier 2008

Le colis Swap ouvert avant le 23 Décembre

Comme je m'envolais à Agadir le 22 décembre pour ne revenir que le 6 Janvier, j'avais demandé la permission de "tricher" à Flo.


Aussi, lorsque le monsieur des colis de La Poste a sonné à la porte, j'étais toute "fofolle" devant le gros colis qui arrivait! De qui venait-il? Est-ce que je connaissais la personne qui me swappait? Vite, vite, j'ai regardé le nom de l'expéditeur...en fait une gentille expéditrice, dont je lis avec délice les billets, venue du Sud-Ouest. Héhéhé, je vous entends vous demander quelle joyeuse toulousaine me gâtait...le gros colis venait de chez Yueyin et pour être gâtée j'ai été gâtée! Yueyin connaît mon goût immodéré du thé et a glissé un dé-li-cieux thé vert de Noël (agrémenté de petites meringues à tomber par terre surtout, comme le préconisait Yueyin, lorsqu'on les trempe dans le thé!) accompagné d'une très belle boîte à thé (joliment décorée d'un chat...étrange, n'est-ce pas?!). Continuons dans les douceurs...je découvre de quoi préparer un agréable vin chaud au coin du feu...Hummm, d'ici la fin de l'hiver, nous le dégusterons au coin du feu en compagnie de nos chats et d'un bon livre!

Il y a encore des paquets qui s'impatientent!!!! Une fois déballés, apparaissent de bien alléchantes lectures: "Le livre de Dina" -1- de Herbjorg Wassmo, "La saga des émigrants: 1- Au pays" de Vilhelm Moberg (que je lorgnais depuis que certaines bloggeuses s'étaient lancées dans l'aventure de la saga et qui en étaient ressorties enchantées!) et "La ferme africaine" de Karen Blixen en série limitée dans son coffret zébré (le toucher en est très agréable et on a vraiment l'impression de caresser l'encolure d'un zèbre!) doté d'un livret illustré très intéressant! Et pour ne pas perdre le fil de mes futures lectures....d'adorables marque-pages maison aux couleurs du Swap Scandinave et du blog de Yueyin!!! Le tout accompagné d'une carte et d'une très gentille lettre expliquant le bon déroulement de la dégustation du thé et du vin chaud!




Vraiment, Yueyin, tu as tapé dans le mille et tu m'as énormément gâtée....Mille et un mercis pour ces lectures et toutes les douceurs qui les accompagnent!

Un moment intense en émotions et suspense, vécu grâce aux organisatrices hors pair que sont Flo et Kalistina: félicitations les filles pour ce Swap Scandinave chaleureux et enthousiasmant!!!

Portrait d'un libraire



Voici un roman à déguster lentement afin de s'imprégner au mieux de son atmosphère délirante, parfois surréaliste et échevelée!
Le libraire ne se nourrit que de livres et de tisanes, tisanes qui varient selon l'humeur laissée par les clients ou l'état d'esprit du libraire. Les livres sont des êtres vivants, bichonnés, caressés, donnés à celui qui les mérite. Parfois, ils reviennent chez le libraire reprendre leur place dans les rayonnages.
La librairie semble immense et minuscule à la fois tel l'imaginaire de celui qui entre dans cet univers particulier.
Le libraire est issu d'une famille nombreuse, dispersée aux quatre coins du monde et souvent il envoie à ses frères et soeurs une page arrachée d'un livre de la librairie...pages éparses d'une histoire familiale unique, pages "cordons" reliant la fratrie.
La librairie ressemble parfois à un moulin: on entre, on sort comme on veut....Dieu, la Mort, les questions, les témoins de Jéhovah, les couples (le libraire ne les aime pas trop...trop occupés d'eux et pas assez des livres), les solitaires, les angoissés, les réjouis, les lecteurs acharnés, les lecteurs égarés qui cherchent le livre dont on parle ("c'est en face").
Le libraire a des réponses à toute question ou requête gênante et comme il déteste la grossièreté, il renvoie le gêneur avec d'autres armes: "...Ces armes étaient des phrases et ces phrases, le libraire les avait apprises dans des méthodes de langues étrangères. Quelles étaient ces langues et comment se disaient ces phrases en cs langues, le libraire n'en avait aucun souvenir parce que c'était justement uniquement pour leurs phrases d'exemple qu'il lisait les méthodes de langues étrangères.
Ces phrases, sans qu'il sache pourquoi, touchaient un pont sensible chez le libraire et résonnaient en lui comme peu d'autres. Chacune lui paraissait être une histoire à elle seule.
"Je reviens du marché où j'ai rencontré tes parents"
"S'il faisait chaud, nous nous baignerions."
"Vous n'êtes pas d'accord à propos des chats;"
"Cette maison est moins jolie que l'autre."
"Les oranges qu'ils ont mangées étaient très savoureuses"
Et sa préférée parmi toutes: "Il y a beaucoup de choses intéressantes à apprendre sur les icebergs."
(p 93 et 94)
"Il y avait quelque chose dans cette phrase. Un pouvoir magique qui marchait à tous les coups. Le libraire avait d'abord pensé qu'il était le seul à y être sensible, qu'elle réveillait peut-être en lui un rapport particulier qu'il entretenait avec les icebergs, mais il l'avait essayée dans plusieurs situations et il vait découvert que les clients aussi y réagissaient, même si leurs réactions étaient à chaque fois différentes, ainsi qu'étaient différents les clients. Un homme avait voulu le gifler, une femme l'avait embrassé dans la seconde où il avait fini de la dire.
Mais le libraire n'abusait pas de sa phrase sur les icebergs car il savait que toute magie s'usait. Il en utilisait d'autres et gardait sa préférée pour les occasions exceptionnelles ou lorsqu'il n'avait plus d'autre recours."
(p 94)
La librairie a une sonnette extraordinaire qui rythme l'entrée et la sortie des clients et visiteurs en fonction de leur particularité: "Poudoupoudoupoudou" et mille et une variantes plus amusantes les unes que les autres!
Le libraire ne ferme jamais sa librairie: on peut y venir à toute heure. Cependant, il y a une heure désagréable....la troisième de l'après-midi, d'ailleurs même les clients ne l'apprécient puisque rares sont ceux à franchir le seuil de la librairie! Cette fameuse troisième heure pendant laquelle tout le monde languit de quelque chose et pendant laquelle le temps s'étire et lambine.
Régis de Sa Moreira livre un recueil de pensées philosophiques et poétiques, d'une drôlerie émouvante et pleine de tendresse.
"Le libraire" et son auteur entraîne le lecteur dans un voyage magique au coeur d'une librairie idéale, guidé par un libraire idéal. Un moment de bonheur de lire, de rire et de rêver!


lundi 7 janvier 2008

Racontars danois


"La vierge froide et autres racontars" est un recueil de nouvelles qui fleure bon le froid, la bise, les étendues glaciales blanches, la forêt perdue. C'est aussi le monde des hommes solitaires et frustes dans un environnement hostile: froid, été court, nuit polaire sombre à en rendre fou.
Jorn Riel explore la condition humaine perdue dans les conditions extrêmes de la Nature: la rusticité du quotidien, la chasse, la pêche, le bateau, le Vesle Mari, qui aborde le fjord deux fois par an...un rythme de vie que l'on ne peut imaginer si on ne l'a pas vécu.
Nous sommes au Groenland, "le pays vert" des Vickings devenu blanc et hostile, devenu une lointaine colonie danoise sur laquelle vivote une poignée d'hommes. "La femme devient en Arctique une entité lointaine et imaginaire, à laquelle on ne fait allusion qu'avec des tournures vagues et prudentes." c'est dire la solitude de ces hommes qui ont choisi la vie loin des leurs, de leurs semblables pour une vie de pionniers et de trappeurs. Riel nous conte les couples masculins au fil des saisons dans leurs cabanes, dans leurs secteurs de chasse. Certains viennent pour une saison, d'autres y restent toute leur vie.
Les histoires de Riel, ses racontars (parce que après tout, est-ce bien vrai tout cela?), s'imbriquent, se mêlent et s'éclairent pour dire le besoin d'amitié, de chaleur de l'âme humaine, pour dire combien est essentiel la moindre parcelle de civilisation pour l'équilibre général de ces hommes des bois, presque sauvages parfois. Ainsi "Une condition absolue" relate la guerre des lieux d'aisance entre deux compagnons qui en arrivent à échanger insultes et coups et à aller "au petit coin" armés...jusqu'au jour où la civilisation est rattrapée par la vindicte de Dame Nature et où les bonnes vieilles méthodes (on apprend ainsi l'existence d'une autre utilité des chiens de traîneau) s'avèrent être toujours les meilleures!
La présence d'un compagnon doit être harmonieuse et il arrive parfois qu'un homme venant du pays d'en-bas (vers le sud!) l'apprenne à ses dépends. C'est ce qui est narré dans "Le dressage d'un lieutenant", racontar où le Lieutenant Hansen vient vivre une campagne au Groenland et désire mettre en état d'alerte ces hommes des bois (qui, à ses yeux de lieutenant, auraient bien besoin d'une discipline de fer, non mais!) au cas où les Russes viendraient envahir les terres arctiques danoises! Et on voit Hansen mener ce petit monde à l'entraînement et à la baguette: il faut dire que c'est la belle saison et que c'est agréable d'être au grand air après la période sombre. Tout va bien jusqu'au jour où nos hommes des bois désirent reprendre leur liberté civile pour poser les pièges et vaquer à leurs occupations habituelles. Là les choses se compliquent et le pauvre Hansen va apprendre qu'il est dangereux de vouloir "mater" ces forces de la nature (car résister plusieurs années à la folie arctique de la période sombre est un gage d'opiniâtreté): se tortiller au bout d'une corde un jour et une nuit dans le froid remet certaines idées en place....ah! l'humour spécial des exilés du froid est grinçant.
Il arrive aussi que le compagnon est un homme bien étrange au talent d'artiste. Monsieur Joenson débarque à Kap Thompson et fait figure immédiatement d'original: un costume noir, une chemise noire et une cravate blanche avec aux pieds des chaussures tressées en pointe, accoutrement digne du carnaval sous ces latitudes peu clémentes! Malgré les multiples arguments dissuasifs de son futur compagnon Mads Madsen, Joenson décide de s'accrocher à son contrat et reste à la station pour un an. Le lecteur se dit qu'il ne tiendra pas jusqu'au plus fort de la période sombre et s'imagine les affres dans lesquels Joenson a toutes les chances de sombrer. C'est sans compter sur les ressources de ce dernier: l'art du tatouage ou comment repartir riche d'une campagne au nord du Cercle Polaire! Joenson passe sa saison à tatouer les hommes des bois et amasse ainsi nombre de très belles peaux. L'art, comme on peut le voir, est loin d'être mal accueilli dans ces régions hostiles.
Le nord du Cercle Polaire est tout sauf une tranquille villégiature: la période sombre, les conditions climatiques extrêmes, la solitude exacerbent le caractère des hommes et altèrent leur jugement. La folie est souvent plus proche des hommes qu'ils ne le pensent. L'histoire du "Roi Oscar" en est la preuve poignante. Vieux-Niels et son compagnon, Halvor, achètent un cochon afin d'en faire leur repas de Noël. Or, Vieux-Niels s'attache tellement au petit cochon qu'il en délaisse la conversation avec Halvor: chaque soir il dorlote le cochon, prénommé Oscar, lui raconte des histoires, bref le considère comme un être humain. A tel point que Halvor en devient littéralement malade de jalousie! Bien entendu arrive ce qui devait arriver: une querelle dantesque entre les deux hommes. Mais lorsque l'alcool, le schnaps en l'occurrence, s'en mêle (et Dieu sait que l'alcool, au même titre que le sommeil, est un élément important pour supporter la période sombre!), la surprise peut être hallucinante pour les hommes et le capitaine du Vesle Mari lorsqu'il reviennent à Kap Thompson à la fin du printemps: pourquoi Halvor appelle-t-il "Vieux-Niels" son cochon?
Jorn Riel est un conteur extraordinaire et embarque son lecteur dans une suite grinçante, parfois grimaçante, d'histoires tellement réalistes qu'elles en paraissent incroyables. Le lecteur, médusé, halluciné, déambule au fil d'une galerie extraordinaire de personnages hauts en couleurs qui attirent, malgré leurs défauts, leur rusticité, sa sympathie. Il découvre un univers blanc, froid à l'extérieur, un monde où l'élément féminin appartient au domaine du fantasme (la méthode est radicale pour calmer les ardeurs masculine: une petite sortie vivifiante, nu, dans la tempête...il s'avère que cela calme durablement) mais qui une fois poussée la porte des cabanes devient un univers chaleureux, rigolard, joyeusement en laisser-aller où la bouteille d'alcool, la viande et le thé assurent la ténacité face à la période sombre qui mine l'âme à chaque rafale, à chaque bourrasque glaciale.
On rit, c'est vrai qu'on rit beaucoup...mais le rire se fige très vite en un rictus: les situations décrites sont rarement amusantes jusqu'au bout. Riel sait écrire, sans sombrer dans le pathos, sur la solitude, la nuit polaire et ses hurlements, l'isolement des hommes, la confrontation à soi-même, avec une plume digne des plus grands auteurs satiriques! Le rire sauverait-il de tout, même du pire?


Nouvelles traduites du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet.
Les illustrations de l'édition Gaïa sont de Eiler Krag


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