Un petit village perdue au fin fond de la Turquie, une échoppe de barbier au coeur d'une ville lointaine et proche à la fois. Les bruits des ciseaux, le crissement de la lame du rasoir, la circulation, les palabres sous le vieil arbre du village où veille aussi un barbier dans son échoppe; ces bruits furtifs et tellement présents entraînent l'imagination d'un lecteur qui se laisse dériver le long d'un rivage de blé, d'herbes folles et de rue d'alsphate, l'entraînent vers un ailleurs pas vraiment étranger....seulement étrange.
Une atmosphère d'attente, dans laquelle s'étire le silence des secondes qui s'égrennent, s'installe entre les mots, entre les phrases, sous le rythme d'une lenteur étudiée d'une histoire qui pourrait ne pas en être une. Un client évoque l'écriture de son roman, un roman qui ne parvient pas à s'achever, il laisse dériver son regard dans le vague, dans un lointain intemporel puis ses mots renaissent, ailleurs, dans une autre échoppe de barbier, celle de Cingil Nuri, au coeur d'un village d'Anatolie qui cherche ses disparus.
Nuri a disparu, il y a trop longtemps, si longtemps qu'on ne fait plus le compte des années qui ont passé et lorsqu'il réapparaît, sans aucune explication, c'est Colombe, la plus belle fille du village qui disparaît sans laisser de traces. Il faut la retrouver et mettre la main sur le coupable car cette disparition est de trop. L'angoisse s'insinue dans le moindre interstice du village et le maire, flanqué de son garde doté d'une vieille pétoire, se lance à la recherche du coupable. L'accusation jette son dévolu sur un jeune homme rêveur, un amoureux des clairs de lune illuminant les plaines ondoyant dans la nuit....la différence est tellement facile à pointer. Le village ressent la terreur de la suspicion, l'angoisse de l'incertitude, la chappe du pouvoir d'un homme qui décide de tout...hélas, Colombe est toujours introuvable malgré la capture du jeune homme: des recherches vaines naît, peu à peu, une folie chez les villageois qui s'engoncent dans leurs secrets et leurs silences. Sous le feuillage impavide de l'arbre de la place et sous les regards immuables des anciens qui y palabrent sans fin, la lente folie s'insinue pour emporter la raison qui voit les disparus emporter jusqu'à leur propre ombre!
Le narrateur, comme le lecteur, oscillent entre la réalité et le monde imaginaire dans cette échoppe de barbier d'où on peut disparaître sans aucune autre cérémonie et réapparaître autrement, échoppe-seuil d'un passage vers l'ailleurs. L'Anatolie s'échappe de l'échoppe du brabier comme la ville entre dans ce village perdu, sans heure et sans âge: l'auteur dessine les tremblements de l'air immobile de ses mots et de ses images dignes d'un "Rivage des Syrtes" ou d'un roman de Kafka....on attend sans cesse une réponse qui ne vient que par bribes, ou pas du tout et on vit aux frontières de l'absurde. "Les ombres disparues" est aussi un roman de l'attente, une attente dans un village qui semble être loin de tout, comme perdu aux portes d'un désert, perdu dans le temps et l'espace. Quant au côté absurde, les allusions aux démarches administratives sortent quasiment de l'univers kafkaïen, tout comme les recherches et les divers arguments des villageois. La mise en abyme des deux échoppes de barbier, les miroirs de ces dernières, les apparences cachées, tues, comme étouffées par des masques, sont autant d'hommages subtils à l'oeuvre de Borgès: derrière la glace, derrière les regards, derrière les apparences, la réalité est autre, a une autre dimension, a une autre réalité et un autre imaginaire que l'on tente décrypter.
"Les ombres disparues" est le premier roman que je lis d'un auteur que je ne connaissais pas du tout. J'aime les aventures littéraires et me lancer dans l'inconnu au risque de déchanter: la découverte de cet auteur turc et de son écriture m'a d'abord surprise au plus haut point, me perdant dans le dédale des mots et des images qu'ils suscitaient, puis j'ai apprivoisé le rythme de l'écriture et mis de côté la "raison" pour me laisser emporter par la force onirique du récit...un peu comme devant un tableau d'art moderne à Beaubourg! C'est alors que la magie a opéré et m'a embarquée dans le sillage irréel d'une histoire entre réalisme et absurde, entre réel et imaginaire qui cependant montre combien l'homme a peur de la différence et cherche à la juguler dans un coin sombre pour ne plus avoir à composer avec elle.
Un très beau roman, atypique et magique....à découvrir comme un trésor enfoui et revenu à la surface.
Une atmosphère d'attente, dans laquelle s'étire le silence des secondes qui s'égrennent, s'installe entre les mots, entre les phrases, sous le rythme d'une lenteur étudiée d'une histoire qui pourrait ne pas en être une. Un client évoque l'écriture de son roman, un roman qui ne parvient pas à s'achever, il laisse dériver son regard dans le vague, dans un lointain intemporel puis ses mots renaissent, ailleurs, dans une autre échoppe de barbier, celle de Cingil Nuri, au coeur d'un village d'Anatolie qui cherche ses disparus.
Nuri a disparu, il y a trop longtemps, si longtemps qu'on ne fait plus le compte des années qui ont passé et lorsqu'il réapparaît, sans aucune explication, c'est Colombe, la plus belle fille du village qui disparaît sans laisser de traces. Il faut la retrouver et mettre la main sur le coupable car cette disparition est de trop. L'angoisse s'insinue dans le moindre interstice du village et le maire, flanqué de son garde doté d'une vieille pétoire, se lance à la recherche du coupable. L'accusation jette son dévolu sur un jeune homme rêveur, un amoureux des clairs de lune illuminant les plaines ondoyant dans la nuit....la différence est tellement facile à pointer. Le village ressent la terreur de la suspicion, l'angoisse de l'incertitude, la chappe du pouvoir d'un homme qui décide de tout...hélas, Colombe est toujours introuvable malgré la capture du jeune homme: des recherches vaines naît, peu à peu, une folie chez les villageois qui s'engoncent dans leurs secrets et leurs silences. Sous le feuillage impavide de l'arbre de la place et sous les regards immuables des anciens qui y palabrent sans fin, la lente folie s'insinue pour emporter la raison qui voit les disparus emporter jusqu'à leur propre ombre!
Le narrateur, comme le lecteur, oscillent entre la réalité et le monde imaginaire dans cette échoppe de barbier d'où on peut disparaître sans aucune autre cérémonie et réapparaître autrement, échoppe-seuil d'un passage vers l'ailleurs. L'Anatolie s'échappe de l'échoppe du brabier comme la ville entre dans ce village perdu, sans heure et sans âge: l'auteur dessine les tremblements de l'air immobile de ses mots et de ses images dignes d'un "Rivage des Syrtes" ou d'un roman de Kafka....on attend sans cesse une réponse qui ne vient que par bribes, ou pas du tout et on vit aux frontières de l'absurde. "Les ombres disparues" est aussi un roman de l'attente, une attente dans un village qui semble être loin de tout, comme perdu aux portes d'un désert, perdu dans le temps et l'espace. Quant au côté absurde, les allusions aux démarches administratives sortent quasiment de l'univers kafkaïen, tout comme les recherches et les divers arguments des villageois. La mise en abyme des deux échoppes de barbier, les miroirs de ces dernières, les apparences cachées, tues, comme étouffées par des masques, sont autant d'hommages subtils à l'oeuvre de Borgès: derrière la glace, derrière les regards, derrière les apparences, la réalité est autre, a une autre dimension, a une autre réalité et un autre imaginaire que l'on tente décrypter.
"Les ombres disparues" est le premier roman que je lis d'un auteur que je ne connaissais pas du tout. J'aime les aventures littéraires et me lancer dans l'inconnu au risque de déchanter: la découverte de cet auteur turc et de son écriture m'a d'abord surprise au plus haut point, me perdant dans le dédale des mots et des images qu'ils suscitaient, puis j'ai apprivoisé le rythme de l'écriture et mis de côté la "raison" pour me laisser emporter par la force onirique du récit...un peu comme devant un tableau d'art moderne à Beaubourg! C'est alors que la magie a opéré et m'a embarquée dans le sillage irréel d'une histoire entre réalisme et absurde, entre réel et imaginaire qui cependant montre combien l'homme a peur de la différence et cherche à la juguler dans un coin sombre pour ne plus avoir à composer avec elle.
Un très beau roman, atypique et magique....à découvrir comme un trésor enfoui et revenu à la surface.
Merci à Guillaume de Babelio pour cette découverte inattendue de très très belle facture....en souhaitant que ce roman se fasse une jolie place au coeur de la rentrée littéraire!
Roman traduit du turc par Noémie Cingöz
(2/7)