Un roman japonais... français.
D'emblée, le lecteur est charmé par
la scansion du texte, par les silences d'entre les mots, par la
lenteur de la narration accentuée par la brièveté des phrases...
ou quand le haïku devient roman... ou le roman succession de haïkus.
Une non rencontre entre un jeune homme
japonais et une beauté brune italienne, d'un fantasme naît une
quête, d'une quête naît un départ, d'un départ naît la
perpétuation d'un art millénaire.
« Au terme d'un périple long de
quinze jours, sans un sou Maître Kurogiku arrive en Italie, en
Toscane. Il trouve une ruine pour la nuit.
Il plante trois pousses d'arbre et
s'endort. » (p 21)
Maître Kurogiku a tout quitté pour
une chimère car comment retrouver une brune italienne en Italie
quand on ne connaît ni son nom ni son lieu de vie ? La passion
vécue à la japonaise, un grain de folie dans l'ordonnancement des
choses, un chaos dans l'harmonie de l'univers.
Maître Kurogiku réalise des origamis,
dans la ruine d'où aucun propriétaire n'est venu l'expulser. Il a
une chatte, Ima, « Maintenant » en japonais, les trois
pousses d'arbres ont grandi et se sont étendues pour devenir des
buissons précieux.
En Toscane, dans une ruine, un Maître
japonais amoureux d'une chimère, s'installe et fabrique du papier.
Pas n'importe quel papier : du washi. Sous le ciel toscan, au
fil des saisons, Maître Kurogiku s'adonne à ses passions :
fabriquer du washi et plier les feuilles en origamis. Il choisit la
plus belle feuille de chaque production qu'il réserve à l'art de
l'origami.
L'arrivée, impromptue, d'un jeune
horloger, Casparo, ride le lac de tranquillité que semble être la
vie paisible de Monsieur Origami. Casparo cherche à fabriquer la
montre complexe et parfaite, celle qui saura engranger toute les
mesures du temps disponibles.
Maître Kurogiku explique à Casparo,
comme s'il était son disciple, l'art du washi et celui de l'origami,
intimement liés par la dimension temporelle, spirituelle et
philosophique du zen. « Assis en zazen » Monsieur Origami
médite, réfléchit à ce qu'il fera de la feuille de washi.
Chaque jour, le dialogue, souvent
silencieux, s'établit entre les deux hommes. La Toscane devient
temple où le disciple reçoit l'enseignement d'un maître, où
l'invisible devient palpable, où le silence dévoile sa voix à
celui qui sait entendre ce qui n'est pas prononcé.
Le temps est au cœur de ce roman qui
tient autant du documentaire, on apprend ce qu'est le washi, le
papier japonais qui signifie « papier de la paix et de
l'harmonie », que du conte dont il a l'intensité : « A
quoi sert-il d'avoir si être nous manque ? ». (p 140)
Le temps doit-il se mesurer à chaque
seconde ? Le temps est-il mesurable ? Le temps rythme notre
vie, rythme l'univers, rythme notre perception de ce dernier ;
or ne peut-on pas tout simplement contempler le temps qui passe ?
Ce qui rendrait l'harmonie entre l'homme, les êtres et les choses.
« Monsieur Origami » est
une lecture-méditation, fait le lien entre le temps pour fabriquer
le washi et celui pour réaliser l'origami. L'origami métaphore du
temps que l'on veut plier, diviser en minutes, secondes ou le
multiplier en jours, mois, année, saison.
Une pépite que l'on se doit de
conserver à portée de main pour en lire quelques passages à tout
moment.
« Maître Kurogiku est assis.
Depuis un peu plus d'une heure maintenant.
En position de zazen.
Devant lui, une feuille de papier
carréé.
Un peu chiffonnée.
Posée sur une table basse en bois.
A ses pieds, la chatte Ima ronronne. »
(p 15)