Voici un roman d'aventure comme je les
aime : du rythme, des interdits que l'on brave, des secrets, des
quêtes, un passé riche et mystérieux, des trahisons, des crimes, des hommes au grand coeur et
des trésors incroyables.
« Alma, le vent se lève »,
raconte les aventures d'une adolescente arrachée à sa terre natale,
l'Afrique, en partant à la recherche de son petit frère, Lam,
disparu.
Mais commençons par le commencement.
La vallée dans laquelle vit Alma et sa
famille est à l'image du jardin d'Eden : tout est en harmonie,
la terre cultivée donne de quoi vivre, les animaux chassés
raisonnablement offre la viande nécessaire. Le paysage est d'une
beauté majestueuse. Cependant il y a un interdit édicté par le
père, Mosi et la mère Nao, dernière représentante du peuple Oko:
il est défendu d'aller au-delà du goulet rempli d'épineux,
barrière naturelle entre le petit paradis et le reste du monde.
Un événement viendra bouleverser
l'équilibre d'une vie familiale en harmonie avec la nature : un
zèbre sans rayure fait un jour son apparition dans la vallée. Alma
l'apprivoise et le prénomme Brouillard.
Un an se passe, le mystère de
l'arrivée de Brouillard titille la curiosité, toujours en éveil,
d'Alma, elle qui aime raconter à son petit frère la vie dans le
vaste monde, mélange d'imaginaire et de supposition logique. La
saison des pluies bat son plein : lors d'une accalmie, Alma
s'aperçoit que Lam a disparu, Brouillard aussi. Où sont-ils
passés ? Alma avait découvert qu'une fois l'an la vallée
s'ouvre vers l'extérieure grâce aux inondations submergeant le
goulet d'épineux, elle avait déniché une pirogue camouflée depuis
des années, par qui ? N'écoutant que son courage et sa
culpabilité, Alma part sur les traces de Brouillard et Lam., armée
de son arc, de son intelligence et de ses dons d'observatrice et de
camouflage.
Au même moment, en Europe, à
Lisbonne, un adolescent, Joseph Mars, réussit à s'embarquer sur la
« Douce Amélie », propriété d'un riche armateur de La
Rochelle, Monsieur Bassac. Il a en poche un sésame avec lequel il
espère bien amener le capitaine du navire, l'inflexible Gardel, là
où on l'attend dans les Caraïbes.
Plus tard, à La Rochelle, le comptable
de Ferdinand Bassac pense avoir toutes les cartes en main pour
réaliser son plan. La jeune et jolie Amélie Bassac ne sait pas
encore qu'elle aura l'occasion de montrer la fermeté de son
caractère et son intelligence.
Dans un tourbillon d'événements, le
lecteur suit le destin d'Alma et de sa famille, de Joseph Mars,
d'Amélie Bassac, des côtes africaines et françaises atlantiques
jusqu'aux Caraïbes peuplées de pirates sans foi ni loi, avides des
trésors enchaînés dans les cales des navires marchands.
Timothée de Fombelle plonge son
lecteur dans l'histoire tragique de l'esclavage, du commerce
triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Il peint un
tableau de la noirceur des âmes avides de profits : les tribus
africaines vendent leurs ennemis aux marchands européens, une
« moisson tragique » se met en place, bouleversant pour
longtemps l'avenir des captifs. Mosi, le père d'Alma, a fait partie
des africains vendant leur peuple.
Il nous conte aussi la beauté des
paysages de cette Afrique que l'on vide de ses âmes, de son énergie,
de son fluide vital. Il évoque les pouvoirs mystérieux d'une ethnie
enviée par tous, dont les membres étaient prisés bien avant
l'esclavagisme qui transplantera une partie de l'Afrique en terre
américaine : les Okos, un peuple unique qui fut nombreux et
florissant, ne vivant que de liberté. On l'encage et il s'étiole,
se meurt. Ce peuple porte le nom des oiseaux mouches qui vivent avec
eux, les okos. Comme ces délicats oiseaux-mouches vert émeraude au
bec d'argent, dès que le froid s'abat sur le monde, ils
s'engourdissent. Les Okos, pour ne pas être pris, décide de se
rendre invisible et de se fondre dans les forêts. Ils portent en eux
la mémoire de leur peuple : la chasse, le jardin, la guérison,
le chant et la guerre. Nao possède le chant, Soum, son fils aîné,
le jardin, Alma la chasse, l'enfant qu'elle porte la guérison... et
Lam ?
Timothée de Fombelle pose les mots justes, son style est ciselé sans être abscons : le lecteur
s'identifie tout de suite aux personnages, éprouve les mêmes
sentiments qu'eux. Il orchestre la valse des liens entre ses
personnages avec virtuosité : on savoure la manière dont tout
est fait pour que le sel de l'aventure soit plus piquant. Alma
croise, sans le savoir son père, sa mère puis ses frères. Elle est
même à quelques mètres de Nao et de Soum. On se dit « cette
fois, Alma va se rendre compte que sa mère et son frère sont là. »
Sauf que pour Alma, ses parents et Soum sont toujours à l'abri dans
leur vallée.
« Alma, le vent se lève »
est un roman très bien construit et un roman choral : chaque
personnage emblématique est une partition d'un chant digne d'un
« Dit ». Quand les harmonies sont au diapason, la force
musicale des mots montre combien ce roman aurait toute sa place dans
le rayon littérature générale.
Quand on commence le récit, seuls le
sommeil ou le devoir d'aller travailler vous font fermer le livre. On
le lit avec enthousiasme car Timothée de Fombelle sait faire surgir
au détour d'une phrase ou d'une description, les souvenirs de
lecture de « L'île au trésor », « Le trésor de
Rakham le Rouge », ou le fantôme de Barbe rouge. Le capitaine
Garbel peut être aussi effrayant que Long John Silver et aussi
omnubilé que le Capitaine Achab de « Moby Dick ». Il y a
des scènes grandioses, notamment lorsque la « Douce Amélie »
s'engage dans la crique de l'île du taureau. Ou lorsque Nao, la mère
d'Alma, entonne, tout bas, un chant qui galvanisera les captifs.
« Alma, le vent se lève »
est un grand voyage au cœur d'un monde sans pitié doté de quelques
havres de bonté et de beauté.
Un roman à mettre entre toutes les
mains.
J'oubliais un détail d'importance :
les illustrations sont de François Place et animent magnifiquement
le récit.
Citation:
Poussin le charpentier, personnage secondaire qui aura son importance explique à Joseph Mars et Abel Bonhomme le principe de la traite négrière.
«Ils paient le matériel et l'équipage. Ils paient tes trente livres de salaire par mois, Bonhomme. Ils paient le seigneur Bassac qui est le propriétaire de ce bateau, ses chevaux, son tabac, les fontaines de son jardin. Ils paient sa serre remplie d'orangers d'Espagne, les bottines à lacets de sa fille. Ils paient la pierre de toutes les grandes maisons qu'on voit dans les ports. Ils paient les dîners aux chandelles des planteurs dans les îles, leurs orchestres, le cuir de leurs fouets. Ils paient leur générosité quand ces planteurs donnent une pièce à la sortie de l'église. Ils paient la nourriture d'Hercule, le bon chat du cuisinier. Ils paient les impôts qui remontent à Versailles, ils paient donc les plumes plantées dans le chapeau du roi, ses carrosses, ses maîtresses, quelques unes de ses guerres contre l'Angleterre. Ils paient aussi la petite ferme que la reine Marie-Antoinette est en train de se faire construire et le toit de chaume de son pigeonnier. Oui, ces gens-là, les seuls qui ne gagnent rien, ils paient pour tout . » (p117 et 118)
Quelques avis
A lire pour comprendre la désolante
polémique autour du roman, premier tome d'une trilogie qui veut
montrer le crime contre l'humanité que fut ce commerce triangulaire. La Croix
Babelio Lucky Sophie Eva Mes petites madeleines Jeune Afrique