mercredi 29 décembre 2021

Lumikko

 

Je ne savais pas trop dans quoi je m'engageais en ouvrant le roman d'un auteur finlandais, Pasi Ilmari Jääskeläinen, que je ne connaissais pas du tout bien qu'ayant vu passer sur les blogs et autres réseaux sociaux la sublime couverture de son roman « Lumikko ».

Décembre étant le mois consacré à la lecture de romans dits nordiques, ni une ni deux je me suis lancée dans la découverte d'une histoire des plus étranges. Elle se déroule dans une petite ville finlandaise prospère, Jäniksenselkä, siège d'une célèbre société littéraire regroupant neuf sociétaires, tous devenus de célèbres écrivains, autour de leur figure tutélaire, Laura Lumikko, auteure jeunesse vénérée des romans du Bourg aux monstres.

Ella, jeune professeure de finnois aux ovaires déficients, à Jäniksenselkä, s'aperçoit, en relisant « Crime et châtiment » de Dostoïeski qu'il y a des scènes étranges, des scènes légèrement modifiées comme si un typographe en mal de mauvaises blagues avait changé des mots.

Elle se rend à la bibliothèque, tenue par un des membres de la Société littéraire de Jäniksenselkä, pour en avoir le cœur net. Le comportement étrange de cette dernière intrigue Ella qui se met en quête de découvrir le mal dont souffre certains livres.


L'auteur entraîne son lecteur dans une histoire oscillant sans cesse entre enquête policière et récit fantastique. Ella découvre, peu à peu, que la Société littéraire est toujours à la recherche d'un dixième membre, que Laura Lumikko reste encore une femme mystérieuse, que huit des neuf membres vivent à Jäniksenselkä, que Laura Lumikko est à l'affût de tout talent caché au point que l'école de la ville lui envoie les rédactions des élèves.

Quelques temps plus tard, Ella saute le pas en envoyant au journal local une de ses nouvelles, elle n'a pas le loisir de regretter son geste et d'informer la rédaction de ne pas publier son texte qu'il paraît et attire l'attention de la grande Laura Lumikko. Une telle attention que Ella devient le dixième membre tant attendu.

Le soir de son intronisation au sein de la Société littéraire, une réception est donnée chez Laura. Alors que la célèbre écrivaine est attendue pour officialiser l'entrée d'Ella, Laura apparaît enfin pour disparaître soudain dans une bourrasque de neige envahissant le hall.

Ella a juste eu le temps de recevoir un petit livre expliquant les règles du Jeu et de s'interroger sur les circonstances de la disparition inexpliquée et inexplicable de Laura Lumikko.


En s'appuyant sur ses qualités de chercheuse, Ella se lance dans une aventure aussi loufoque que déroutante : on croise des statues inspirées par les personnages du Bourg aux monstres, des chiens errants ou fugueurs se regroupant sans relâche au portail de la maison de Martti Talvimaa, membre de la fameuse Société littéraire, une étrange peste affectant les livres de la bibliothèque, des fantômes et le souvenir enfoui du premier dixième membre décédé dans un accident de voiture alors qu'il n'avait qu'une dizaine d'années. Une omerta plane lourdement autour de lui.

En effet, les neuf membres appartiennent à la Société littéraire depuis leur plus jeune âge, ils avaient entre 8 et 9 ans et vivaient tous à Jäniksenselkä. Laura Lumikko avait repéré leur talent d'écriture et pris sous son aile.

Ella découvre les arcanes du Jeu : des défis que se lancent les membres, défis auxquels aucun d'eux ne peut se dérober. Ella utilisera le Jeu pour enquêter et connaître les dessous mystérieux de la Société. Chacun déversera, Ella en fera de même.

Le Jeu est une source d'inspiration pour les membres, une source douloureuse et fascinante.

Laura Lumikko fut-elle le Pygmalion des neufs jeunes membres ? Le Jeu met-il en place un processus de création littérataire ? « Déverser » ce qu'on tait au fond de soi est-ce une sorte de catharsis ? Ella approche-t-elle ainsi l'essence même de la création d'une œuvre d'art ? Toujours est-il qu'il y a toujours une part de violence dans le procédé et le processus. Il y a également une réflexion sur la place de l'écrivain dans la société et la nature de l'inspiration.


« Lumikko » promène le lecteur comme dans un polar, le perd sur des sentiers fleurant bon le fantastique des contes traditionnels, le réoriente par l'art de l'illusion, comme dans le roman de Donna Tart « Le maître des illusions », en moins sordide tout de même. Chaque éclaircissement provoque un autre questionnement, tels les mystères de Twin Peaks au point que l'on se demande comment tout cela prendra fin : drame, horreur ou pirouette amusante ?


« Lumikko » est une pépite surprenante, la fantaisie n'est jamais bien loin, l'humour très présent et la lecture jubilatoire.

A découvrir sans hésitation.

Traduit du finnois par Martin Carayol


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lundi 27 décembre 2021

Ör ou le kintsugi islandais

 


Un homme d'une cinquantaine d'année s'interroge sur le sens de la vie, sur le sens de sa vie. Depuis huit ans il n'a pas touché une femme, depuis son divorce. Trois femmes comptent dans sa vie, trois Gudrun, sa mère, son ex-femme et sa fille.

Jonas Ebeneser a pourtant une passion : celle de restaurer, réparer et retaper les meubles, les pièces ou les objets qui ne se portent pas bien. Bientôt, il ne trouve plus de réconfort à réparer les choses, la crise existentielle de la cinquantaine frappe à la porte de son âme.

Il décide d'en finir puisque les trois femmes de sa vie ne semblent faire que peu de cas de lui et de ses questionnements. Il liquide son entreprise, prend un minimum d'affaires, ses outils les plus utiles, dont sa perceuse, et un billet d'avion pour un pays en guerre pour mettre fin à ses jours, disparaître sans laisser de trace.

Sauf que...


Le pays ravagé par la guerre connaît une trêve, l'hôtel « Silence » où il a réservé une chambre pour quelques jours, renaît doucement de ses cendres grâce à l'opiniâtreté des neveu et nièce, Fifi et May, de la propriétaire.

La ville balnéaire panse ses plaies comme elle peut, tente de vivre normalement depuis que les démineurs ont rendu sûrs quelques quartiers, Jonas est un des trois touristes accueillis par l'Hôtel Silence, annonceur d'une possible embellie sur un pays en ruines.


Jonas prend peu à peu conscience que tout est à réparer, retaper ou restaurer dans la ville et surtout dans l'hôtel.

Il commence par rendre fonctionnelle la douche de sa chambre ce qui n'échappe pas à May. Un lien s'instaure entre Jonas et les jeunes gens au point qu'il cède à leur demande d'aide pour remettre en état les chambres de l'hôtel.

Puis ce sera le pont, fragile, jeté entre lui et Adam, le jeune fils de May, orphelin de père et muet. Un jour, Jonas, dans la réserve de l'hôtel, trouve un cahier de coloriage et ses crayons de couleur. Adam couvre des pages entières de rouge et de noir jusqu'à ce que les crayons s'amenuisent. Ses dessins deviennent plus organisés et colorés, comme s'il reprenait goût à la vie et à ses couleurs. L'embellie après avoir exorcisé ses peurs par ses gribouillages violents.


Ainsi Jonas parti loin de chez lui pour disparaître à jamais, se remet à exercer sa passion, qui là devient nécessité, de restaurateur, de réparateur d'objets brisés. A chaque fois qu'il remet en fonctionnement quelque chose, qu'il répare un meuble, qu'il réhabilite les pièces d'une maison qui accueillera des femmes qui ont tout perdu, c'est un être humain qu'il reconstruit, c'est une vie brisée qu'il remet debout … et c'est un peu des morceaux de lui-même qu'il recolle.


« Ör » est un roman, non pas initiatique, de la réparation, du retour sur soi et de la reconstruction de soi. On se perd pour mieux se retrouver dans un endroit perdu, laminé et brisé par les horreurs d'une guerre civile qui rendit ennemis les voisins, les amis.

Audur Ava Olafsdottir relate, avec une délicatesse empreinte de poésie, le cheminement d'un homme à la recherche d'un sens à sa vie. Il pense l'avoir perdu et en pratiquant, à sa manière, l'art du kintsugi, art ancestral japonais de réparation des « blessures » des objets avec de la poudre d'or, les mettant en valeur pour les magnifier, approche au plus près la quintessence de la vie en soulignant les blessures reçues. Ör en islandais est un terme neutre qui veut dire cicatrice, toute sorte de cicatrices, ce qui renforce encore plus l'histoire du personnage principal.

Le nymphea tatoué sur la poitrine de Jonas en sublime la blessure, les réparations discrètes, mais ô combien vitales, des objets du quotidien, soulignent que ce qui a été détruit peut reprendre « vie » et que mourir n'est jamais urgent.


J'ai beaucoup aimé l'écriture de l'auteure dont je n'avais encore rien lu. La poésie est toujours présente, dans la plus banale description, dans le détail infime, ce qui apporte une intensité sublime au roman.

« Ör » est un roman très beau et envoûtant.

Traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson


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dimanche 26 décembre 2021

Le mystère de Noël

 


Je pensais avoir emprunté un roman policier anglais et …. erreur, « Le mystère de Noël » est un roman américain de Mary Higgings Clark dont j'avais lu, il y a bien longtemps quelques romans policiers qui ne m'ont guère laissé de souvenir.


« 160 millions de dollars! Un cadeau de Noël inespéré pour les employés du supermarché de Branscombe qui ont décroché le billet gagnant. De quoi bouleverser la vie de la petite ville et exciter la convoitise d'escrocs prêts à tout pour détrousser les gens trop crédules...
Heureusement, en vacances dans ce coin pittoresque du New Hampshire, Alvirah Meehan et le détective Regan Reilly, les héroïnes préférées de Mary et Carol Higgins Clark, vont prendre l'affaire en main.
Disparitions mystérieuses, suspense, humour... une délicieuse fantaisie pour passer les Fêtes avec le sourire. »


Que dire ?

Je ne peux pas dire que l'histoire m'a déplu.

Je ne peux pas dire qu'elle est enthousiasmante.

Je ne peux pas dire que je me suis mise à suivre les personnages.

Je ne peux pas dire que l'enquête m'a fait frémir.


Par contre...

Je peux dire que j'ai passé un moment amusant, en regrettant Hercule Poirot et les Noël anglais.

Je peux dire que tout est tellement téléphoné que cela en devient comique.

Je peux dire que ce roman n'est pas pire que les comédies romantiques de Noël et que l'auteur n'a pas la prétention d'avoir écrit un chef d'oeuvre (j'espère).

Je peux dire que la fantaisie est malgré tout réussie.


Après tout, après les comédies nunuches de Noël, les pulls moches de Noël (qui deviennent tendance) pourquoi pas les « cosy mystéries » nunuches de Noël à la mode américaine !

Quand on lit « Le mystère de Noël » au deuxième ou troisième degré, on s'amuse beaucoup en listant les poncifs afférents à la « nunucherie ».

Traduit de l'américain par Anne Damour

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mercredi 22 décembre 2021

Le Noël d'Hercule Poirot

 




Simon Lee décide de réunir ses enfants pour fêter Noël dans la demeure familiale. Il vit reclus dans sa chambre, servi par un valet, aussi silencieux qu'un chat, mettant mal à l'aise Alfred et sa femme Lydia, seuls à vivre sous le même toit que le patriarche autoritaire.

Le vieil homme souhaite-t-il apaiser les tensions familiales à la fin de sa vie ? Souhaite-t-il renouer les fils des liens familiaux distendus par ses aventures extra-conjugales qui ont consumé, à petit feu, son épouse morte de chagrin et de désespoir ?

Sous l'esprit de Noël se cache, à coup sûr, des intentions moins affables.

Comment réconcilier ce qui ne peut l'être ? Comment Alfred Lee, qui supporte le vieil homme sans oser se libérer de sa coupe, accueillera-t-il le fils prodigue, Harry disparu depuis des années, son frère politicien, son autre frère David, toujours pas remis de la mort de leur mère, une nièce tombée du ciel et un jeune inconnu d'Afrique du Sud ?

 

Agatha Christie déroule le portrait de chaque protagoniste, mettant en avant leur caractère, ce qui les rapproche ou les éloigne de Simon Lee, leurs ressentiments envers lui ou d’autres membres de la famille, leurs préférences, leur choix de vie.

C’est dans les menus détails que se cacheront les éventuels mobiles du crime qui sera perpétré à la veille de Noël. Bien entendu, chacun d’entre eux a au moins une raison d’avoir tué le vieil homme sarcastique, horripilant et acariâtre.

Notre Hercule Poirot a bien de la chance de vivre un Noël de cette ampleur ! Et quelle ironie dans le titre : rien dans le récit montre une ambiance festive, joyeuse et chaleureuse, nous sommes loin du traditionnel Noël anglais.

Rien n’arrête le célèbre détective belge qui prend grand plaisir à faire fonctionner ses cellules grises tant la manière dont le crime a été organisé et réalisé lui semble être un écheveau complexe.

Franchement, la galerie de personnages qu’est la famille Lee n’est absolument pas enthousiasmante, elle est même déprimante et agaçante. On a envie d’en enfermer plus d’un.

 

Au fil de l’enquête qui mène par le bout du nez la lectrice que je suis, Hercule Poirot glane des indices improbables et des confidences qui mettront en lumière la piste à suivre.

Il joue serré et en finesse, tressant un faisceau d’indices convergents autour du coupable.

La scène dans laquelle tout le monde, enquêteurs et membres de la famille, est rassemblé pour assister à la résolution de l’affaire est à l’apogée du sens de déduction de Poirot : un vrai régal qui fait toujours dire « Ah … mais… bien sûr ! »

 

« Le Noël d’Hercule Poirot » fut une agréable manière de renouer avec les classiques du roman policier. Et puis, je suis une fan de ce personnage de fiction irrésistible tant il sait allier un certain humour « british » à la facétie belge.

Sans compter que je ne me lasse pas de l’écriture, très moderne, d’Agatha Christie.

Traduit de l’anglais par Françoise Bouillot


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lundi 13 décembre 2021

Christmas pudding

 


Hercule Poirot
reçoit chez lui, à Londres, un jeune prince d'un état du Commonwealth qui entretient de nombreuses maîtresses là où il voyage. Il doit se marier bientôt et le rubis qu'il devait faire sertir pour sa fiancée lui a été dérobé par sa maîtresse londonienne. La situation est plus qu'embarrassante ce qui amène le jeune homme et son conseiller, Mr Jesmond, à solliciter l'aide de notre célébrissime détective belge.

Après quelques tergiversations, il se décide à accepter l'enquête car il lui a été assuré que le château dans lequel il passera un vrai Noël traditionnel anglais a été pourvu en installations modernes assurant une température acceptable.

C'est ainsi que Poirot se retrouve chez les Lacey sous le prétexte de vivre un Noël anglais. Les Lacey accueillent leurs petits-enfants Sarah et Colin ainsi que leurs amis dont un soupirant de la jeune fille, sous leur tutelle depuis la disparition tragique de ses parents, Desmond Lee-Wortley. Ce dernier, peu apprécié du couple, est venu accompagné de sa sœur souffrante qui ne quitte guère sa chambre.

La neige est au rendez-vous ce qui ne peut que sublimer Noël. Le repas est chaleureux et délicieux bien qu'un étrange billet ait été déposé sur l'oreiller de Poirot lui recommandant de ne point manger de Christmas pudding. Cependant, il passe outre et a la surprise de « tomber » sur une pierre d'un beau rouge : est-ce un rubis ? Est-ce celui qui a été volé ? Poirot se garde bien de montrer quoi que ce soit tout en observant avec finesse l'assemblée.

Plus tard, Colin et ses amis décident de jouer un tour au célèbre détective en simulant un meurtre le lendemain de Noël, effet sublime garanti grâce à la neige tombée. Le complot avance jusqu'au jour J.

Bridget est étendue dans la neige, vêtue de son pyjama rouge, comme morte. Colin et ses amis courent alerter Poirot qui découvre la scène et explique que la jeune fille est vraiment morte. Qui a pu commettre un tel crime ?

Des traces de pas mettent la puce à l'oreille de Poirot qui confie à Desmond le fameux rubis ainsi que la mission d'informer la police de Sa Majesté.

Reverra-t-on Desmond ? La sœur alitée a-t-elle été abandonnée par son frère ? Bridget est-elle vraiment morte ?


Bien entendu il y aura un coup de théâtre magistral même si.... mais chut, je n'en dévoile pas plus.


« Christmas pudding » est une nouvelle délicieuse et savoureuse. Tous les ingrédients du suspense sont présents ainsi que le déroulé habituel de l'enquête.

Les personnages sont anglais jusqu'au bout des ongles, Mrs Lacey est adorablement finaude et a compris depuis bien longtemps que pour anéantir un obstacle gênant point n'est besoin de s'y attaquer bille en tête, le louvoiement est autrement plus payant... notamment avec une jeune fille amoureuse d'un coureur de dot. Ah, la délectable remarque de la Granny à propos des pantalons masculins à la mode qui galbent les jambes de ces jeunes messieurs et font ressortir les genoux cagneux. Sarah l'entend et regarde d'un autre œil son galant.

Les adolescents sont à la hauteur de leur rôle : remuants, regorgeant d'idées et ne prenant pas garde aux fenêtres entrouvertes quand ils mettent au point leur facétieux meurtre.

Sans compter que j'ai appris que traditionnellement étaient dissimulés dans le Christmas pudding des objets : une pièce de monnaie, une ancre (symbolise le retour au port en sécurité), un dé à coudre en argent (pour la fortune) ou encore un os de bréchet de poulet en forme de V (en porte-bonheur).


Cette lecture, courte, ne fut que du bonheur.


Traduit de l’anglais par Jean-Michel Alamagny


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vendredi 10 décembre 2021

Les deux gredins

 


Les deux gredins forment un couple de vieux grincheux, bêtes, sales et surtout méchants. Ils ne cessent de se jouer de mauvais tours, de s'asticoter, de se moquer ou de se gruger.

Compère Gredin aime déposer son œil de verre dans la boisson de Commère Gredin qui compose en représailles un plat de spaghettis aux asticots.

La barbe de Compère Gredin est dans un état de crasse insoutenable : on y trouve l'amoncellement des reliefs de ses repas depuis Mathusalem.

Mais le plus épouvantable est qu'ils maintiennent en captivité quatre singes qu'ils maltraitent et obligent à vivre la tête en bas et que chaque mercredi Compère Gredin dépose de la glu sur l'arbre du jardin pour capturer des volatiles pour les cuisiner en tourte aux oiseaux. Cet affreux les « cueille » avant de les occire.

Franchement, voudriez-vous de tels voisins ?


Avec humour, Roald Dahl écrit un conte dans lequel l'ogre barbu est un Compère Gredin qui aura la monnaie de sa pièce lorsque les singes se révolteront. Un conte dans lequel Commère Gredin est une Dame Tartine qui n'aime pas grand monde.

Le style de l'auteur est toujours aussi dynamique et imagé au point que certaines scènes sont à hurler de rire lorsqu'on les lit avec un regard d'enfant.

La morale de l'histoire punit les méchants et on lit la punition avec d'autant plus de délectation qu'ils sont, également, très crétins.


Une lecture savoureuse et divertissante agréablement illustrée par Quentin Blake.


Traduit de l'anglais par Marie Saint-Dizier.


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mercredi 8 décembre 2021

Le testament caché

 


« Le docteur Grene doit décider si la centenaire Roseanne Clear McNulty est apte à réintégrer la société alors qu'elle a passé la moitié de son existence dans l'hôpital psychiatrique de Roscommon. A force d'entretiens avec sa patiente et d'investigations dans les archives de la ville de Sligo, il prend conscience avec horreur des intrications de son passé avec celui de l'Irlande. »


L'histoire de Roseanne Clear McNulty est à l'image de la place des femmes dans une société patriarcale assujettie à la domination des dogmes de l'église catholique. Une femme qui dérange est nécessairement folle et doit être enfermée loin de la vie civile.

La guerre civile a accouché, après la Grande Guerre et un conflit de près de trois ans (1919-1921) d'une Irlande coupée en deux : celle du sud, l'Eire, et celle du Nord, Irlande du Nord, qui choisit de rester dans le giron anglais, dotée de son propre parlement.

Roseanne verra l'impact de l'Histoire de son pays, l'Irlande, bouleverser sa propre vie : un fait banal, la rencontre inopinée des années après l'événement du cimetière, dont son père est le gardien, alors qu'elle est encore une enfant, avec le frère du blessé qui arriva, avec ses compagnons d'armes, à bout de force, pour trouver asile.

La rencontre banale lors d'une promenade en solitaire de Roseanne devenue une belle jeune femme, mariée, provoque l'ire de son époux puis sa mise au ban de la société : elle est accusée de l'avoir trompé et comme un des « témoins » est un prêtre catholique, le Père Gaunt, la présomption d'innocence n'aura pas cours.

Roseanne ne comprend pas tout de suite la gravité de ce qui se trame autour d'elle, elle est innocente du crime qu'on lui incombe, elle la jeune femme protestante qui a épousé un musicien amteur catholique.

Elle sera installée loin de la ville, dans une cabane misérable, le temps que les démarches d'annulation du mariage aboutissent. L'isolement est supportable jusqu'au jour où elle croise le jeune frère de son mari, isolé également de sa famille. Ils se plaisent et s'abandonnent l'un à l'autre.

Roseanne se retrouve enceinte et de nouveau seule au monde. Elle vit la fin de sa grossesse dans l'angoisse et lorsque cette dernière n'est plus tenable, elle brave la distance entre sa cahute et la ville pour demander de l'aide à sa belle-mère, en tant que femme, et à son beau-père au nom de la charité chrétienne. Ce sera une fin de non recevoir et un retour douloureux chez elle. Le destin se joue, une fois de plus, d'elle quand elle perd les eaux et que le travail de l'enfantement l'oblige à s'arrêter près d'un môle en bord de mer. Quand elle revient à elle après avoir accouché, seule, son bébé a disparu.

Que s'est-il passé ? D'aucuns avanceront, notamment le prêtre catholique, que dans sa folie elle a tué son fils.

Roseanne est enfermée dans un asile psychiatrique de Roscommon : il n'est pas bon pour une femme irlandaise d'être enceinte hors mariage.

Plusieurs décennies ont passé, l'hôpital de Roscommon, dirigé par le docteur Grene, doit être détruit car insalubre. Grene doit décider qui de ses patients est apte à réintégré la vie hors les murs. Il enquête alors sur les circonstances qui ont amené à l'enfermement de Roseanne. Parallèlement, Roseanne écrit ses « mémoires » pour laisser une trace d'elle. Elle tente de reconstruire le déroulé de sa vie, de comprendre ce qu'elle a subi.


Sebastian Barry donne la parole aux deux personnages principaux, chacun portant un regard particulier sur l'autre.

Roseanne relie ses souvenirs plus ou moins fiables dans un cahier qu'elle cache sous une latte du plancher, Grene compulse les divers rapports concernant sa patiente. Ce dernier comprend, au fil de son enquête, combien sa propre vie est imbriquée dans l'histoire douloureuse irlandaise, qu'il y a des veilleurs autour de l'étrange et fascinante Roseanne.

« Le testament caché » est une plongée dans une Irlande déchirée capable d'être d'une monstruosité sans nom avec les destins individuels dont la marche de l'Histoire n'a cure.

Le pourquoi de l'internement de Roseanne est rapidement clair mais le qui, qui est à l'origine de cette ignominie, demeure mystérieux jusqu'au dénouement.

Un excellent roman qui m'a beaucoup touchée tant l'emprise de l'église catholique, par ses pratiques et son pouvoir, peut être dévastatrice et broyeuse de destin.


Traduit de l'anglais par Florence Levy-Paoloni


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mardi 30 novembre 2021

Le goût sucré des pommes sauvages

 


Je ne connaissais pas du tout l'oeuvre de Wallace Stegner et je ne peux que remercier les éditions Gallmeister d'avoir remis au goût du jour ce recueil de nouvelles : la couverture m'a fait de l'oeil il près d'un an et le livre attendait sagement dans ma PAL que je trouve le moment idéal pour l'ouvrir.


En glanant des informations sur l'auteur, je me suis aperçue que beaucoup d'écrivains américains d'envergure n'étaient que trop peu traduits.

Il est un des pionniers de l'école dite du Montana et chaque page du recueil en est un écho tant la nature tient le haut du pavé.


La première nouvelle éponyme du recueil, « Le goût sucré des pommes sauvages » m'a emmenée dans le Vermont au cœur d'une campagne au charme d'antan semblant abandonnée de tous, la mécanisation à grande échelle de l'agriculture a eu raison du monde rural. La porte de sortie est l'exode. Dans cette nature solitaire, Ross, un peintre de paysage, et Margaret roulent au gré de la route illuminée par la splendeur des couleurs de l'automne, et ont la surprise de rencontrer une femme et sa fille, rescapées de la fuite vers l'ailleurs. La jeune fille étrange les conduit dans un verger magnifique où les pommiers croulent sous les fruits. Une rencontre du troisième type au cours de laquelle la nature dispense toujours ses richesses à qui sait les trouver et apprécier.

Ce coin de campagne est un peu un « wild wild west » à deux encablures de New York city.


« Jeune fille en sa tour » est un deuxième voyage mémoriel, celui d'un homme qui découvre que l'immeuble dans lequel il passa une folle époque de sa jeunesse est devenu la propriété d'une entreprise de pompes funèbres : sa vieille tante repose en attendant les funérailles.

Soudain c'est l'Amérique d'avant le krach boursier, celle de l'insouciance et de toutes les extravagances. Salt Lake City, un rêve américain des grands espaces. Tout y fut grand les fêtes, les folies, les espoirs et les déconvenues. La nature laisse passer les caravanes humaines, goguenarde ou blasée : elle sait qu'elle demeure.


« Guide pratique des oiseaux de l'ouest » est une nouvelle savoureuse à souhait. Un critique littéraire à la retraite se retrouve coincé dans une soirée un brin snob, en Californie, l'état de toutes les excentricités et des tocades.

Joe observe les invités, les hôtes et l'artiste pour lequel la soirée est organisé avec l'oeil d'un ornithologue : la volière s'ébroue, jacasse, pépie, piaule ou caquète. On y fait le paon ou on se fond dans l'environnement. Le jeune pianiste est-il un passereau digne d'intérêt ou sans grand talent ? Les places au soleil de la célébrité sont rares et chères au point qu'un pieu mensonge sur ses origines pourrait paraître véniel. Or le ramage usurpé ne trompe pas l'ornithologue avisé.

Un regard doux amer sur un american dream souvent difficile à atteindre.


« Fausses perles pêchées dans la fosse de Mindanao ». Un attaché culturel d'ambassade américain se retrouve au cœur d'un duo amoureux mené de main de maître par la femme écrivain. L'exotisme des traditions de Manille est le prétexte de montrer combien les liens peuvent être complexes entre nature et culture, entre hommes et femmes, entre l'étranger et l'autochtone. La Conquête de l'ouest a franchi le Pacifique pour se perdre dans les îles aux allures paradisiaques. Le héros est un tantinet blasé, revenu de tout qui pourtant parvient à être surpris par la manière extraordinaire avec laquelle l'écrivaine a réussi à reconquérir l'amant inconstant.


« Génèse » dernière nouvelle du recueil qui aurait pu être un court roman. Un jeune Anglais part aux Etats Unis pour devenir cow-boy. Il est embauché pour redescendre un troupeau, pâturant dans les plaines du Montana, jusqu'au ranch du propriétaire.

Il découvre l'âpreté sauvage de la condition de cow-boy, la promiscuité entre les hommes, leur solidarité, leurs coups de gueule, leur philosophie et leur respect envers ceux qui résistent au labeur parfois inhumain.

Les grands espaces sont merveilleux sous un ciel d'été et deviennent l'antichambre de l'enfer lorsque les éléments se déchaînent.

« Génèse » est un court roman dit western aux accents du texte fondateur de l'Ecole du Montana qu'est la série de quatre romans « The Big Sky » d'A.B. Guthrie.

La description des paysages, dans la tourmente ou non, est somptueuse et d'une grande poésie. En quelques phrases, on se retrouve aux côtés de ces cow-boys, dans une nature d'une beauté à couper le souffle. La liberté sans limite où que se porte le regard de l'homme.

Une aventure initiatique pour le jeune héros surnommé Rusty en raison de sa chevelure rousse. Il part pour une quête de soi, pour connaître ses limites et vivre un peu de la vie de pionnier.


Cinq nouvelles choisies par l'auteur pour un voyage au cœur des mémoires d'une Amérique que l'on idéalise certainement et dont on rêve toujours. Les Etats-Unis ce pays continent où l'horizon est plus vaste qu'ailleurs, où l'infinitude en devient presque enivrante.

A découvrir en s'imaginant au coin d'un feu crépitant, dans un fauteuil à bascule, un soir d'hiver dans une ferme du Montana ou des Appalaches (je sais, c'est un grand écart géographique).

Traduit de l'américain par Eric Chédaille


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samedi 13 novembre 2021

Trilogie écossaise, le final.

 


Dernier opus de la trilogie écossaise, « Le braconnier du lac perdu » montre combien les liens entre les gens et les générations sont parfois inextricables … pour le meilleur et pour le pire.

 

Finlay Macleod vit chez Marsailie en attendant que la restauration de la maison de ses parents soit terminée.

Il n'est plus policier et doit trouver de quoi subvenir à ses besoins et à l'achat de matériaux pour la maison. Il est engagé par un gros propriétaire pour pourchasser les braconniers qui vident les lochs de leurs poissons. Dans le cadre de ses fonctions, il renoue avec un vieil ami de collège, John Angus Macaskill dit Whistler, ancien joueur de flûte celtique, promis à un avenir brillant qui préféra rester sur l'île. Aujourd'hui, il braconne, occasionnellement, pour se nourrir et sculpte des copies des célèbres figurines de Lewis pour gagner sa vie.

La tourbe jouera de nouveau un rôle important dans le roman, non seulement elle embaume et conserve les corps qui y sont enfouis, mais aussi elle peut provoquer la disparition d'un lac.

L'été a été anormalement sec et chaud à Lewis, île des Nouvelles Hébrides, la tourbe devenue trop sèche s'est fissurée au fond d'un lac de l'île, siphonnant l'eau emportée dans les abîmes de roches et de terre. Le lac asséché expose un avion qui reposait sur son fond depuis dix-sept ans. Fin et Whistler sont les premiers à le découvrir et à ouvrir la porte du cockpit pour se trouver en présence des restes d'un corps difficilement identifiable. Finlay remarque la réaction fugace de son vieil ami puis oublie, sur le moment, ce mouvement d'humeur.

Commence alors une étrange enquête véritable retour sur son passé de jeune adulte. Il y a un air de cercle bouclé dans ce roman qui dévoile une période de la vie de Finlay.

Que s’est-il passé, il y a dix-sept ans, alors que tout le monde pensait que Roddy , vieil ami de Finlay, à bord de son avion s’était abîmé en mer ? Les restes du cadavre retrouvé au fond du lac montrent qu’il y a eu mort violente et certainement meurtre.

Peter May orchestre le final de sa trilogie d’admirable manière au gré des descriptions magnifiques et majestueuses des paysages tourmentés de l’île de Lewis. Je sentais l’iode et le parfum miellé de la lande, j’entendais le vent siffler ou hurler selon son humeur, je voyais les nuages filer ou paresser dans le ciel septentrional, j’entendais les marées ronfler, les vagues se fracasser sur les falaises ou encore rouler en soupirant sur le sable en été.

Les liens entre les personnages, au charisme envoûtant, ne cessent d’être dévoilés, de se distendre puis se resserrer. L’amour n’est jamais loin de la haine, l’amitié souvent en duo avec la rancœur, la nostalgie danse à jamais dans les bras des souvenirs heureux ou douloureux. Finlay est la somme de tout cela, de ces sentiments dont un homme est fait et de l’environnement natal dont il est issu.

Les drames côtoient les fugaces instants de grâce, les aveux de l’attachement ressenti difficiles à exprimer.

Quand l’impensable se déroule sous le soleil espagnol de Malaga, l’espoir que tout se termine bien s’accroche, ténu, pour être balayé par une bourrasque écossaise.

Malgré tout, l’espoir vacille tel le flambeau passé par Whistler à Finlay …. Prendre soin de l’orpheline comme l’arrière-grand-père Macaskill avait pris soin du grand-père de Fin. La boucle est bouclée, les héros rejoignent leur quotidien au cœur d’une Ecosse insulaire aux âpres et durs accents dissimulant une chaleur que l’on diffuse auprès de ceux auxquels on tient.

Finlay pourra-t-il se reconstruire une vie heureuse ? La lectrice que je suis, l’espère de tout son cœur et continuera à faire vivre ce personnage si attachant au gré des souvenirs de cette lecture.

Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue

Quelques avis :


Babelio  Eva  Livraddict  Sens critique  Critiques libres  Charlotte

Lu dans le cadre



samedi 6 novembre 2021

Qui va à la chasse rencontre bien des ennuis

 


Deuxième opus des enquêtes de Hamish Macbeth, le flegmatique agent de police campagnard écossais, « Qui va à la chasse » explore un autre passe-temps de la gentry britannique : la chasse à la grouse.

Nous retrouvons non seulement Hamish mais aussi l'incroyable Priscilla Halburton-Smythe affublée d'un fiancé pour la plus grande joie de ses parents. Le fiancé est un auteur de théâtre londonien célèbre, Henry Whithering, un tantinet imbu de sa personne.

Pour célébrer les fiançailles, Mr et Mrs Halburton-Smythe, organisent des festivités dont une chasse à la grouse, gibier à plumes très prisé dans les Highlands.

Dans le parterre d'invités locaux nous retrouvons le détestable Capitaine Barlett, séducteur et buveur notoire ainsi qu'une brochette de personnes qui ne le portent pas dans leur cœur.

Au matin de la partie de chasse, Barlett est retrouvé sans vie, la poitrine déchirée par un tir à bout portant. Accident ou assassinat ?


Hamish inspecte les lieux, observe, doute avant de se faire évincer par Blair, l'inspecteur venu de la ville, qui campe sur la version de l'accident malheureux.

Sauf que... notre grand échalas d'Hamish Macbeth trouve rapidement les preuves qu'il n'en est rien au grand dam des hôtes et de leurs invités.


De fil en aiguille, Hamish rassemble les pièces du puzzle, sans en avoir l'air, en activant sa logique implacable et son réseau familial dispersé aux quatre coins du monde.

Quand les masques tombent, on relie une bonne partie des indices semés par l'auteure.


« Qui va à la chasse » apporte de l'épaisseur au personnage d'Hamish dont le côté benêt est loin d'être son vrai visage. Hamish est un jeune homme intelligent, empreint d'humour et d'autodérision, éternel amoureux transi de la jolie Priscilla, à l'éthique gentiment arrangeante, les scènes au restaurant « The laughing Trout » et l'aveu de la vente de deux grouses sont d'anthologie.

M.C Beaton sait faire vivre le village de Lochdubh et ses alentours, elle décrit si bien les paysages et les gens que j'avais l'impression d'y être. Elle sait également gentiment étriller la condescendance londonienne envers le milieu rural. La scène au cours de laquelle Henry Whithering provoque une gêne en exagérant son enthousiasme lors d'une visite dans une ferme est délicieusement acidulée.


« Qui va à la chasse » est un cosy mystery agréable à lire et a la saveur envoûtante des landes perdues, des laisses de mer et des ciels changeants.


Traduit de l'anglais par Marina Boraso


Quelques avis:

Babelio  Sens critique  L'heure de lire  Isabelle

Lu dans le cadre

 



jeudi 4 novembre 2021

Le Mois Celte 2021

  L'année dernière je rejoignais pour la première fois le Challenge du Mois Celte organisé par Cryssilda Collins. Cette année, je récidive de manière plus modeste.




Mon programme très allégé:

"Qui va à la chasse" 2ème enquête du drolatique Hamish Macbeth (M.C Beaton)

"Le braconnier du lac perdu" de Peter May

"Le testament caché" de Sebastian Barry

"Les deux gredins" de Roald Dahl

"One of us" mini série de la BBC se déroulant en Ecosse


Crédit photo: internet

jeudi 28 octobre 2021

Mes sacrées tantes

 


J'ai de nouveau voyagé en Inde parmi des femmes voyageant seules ou en groupe pour se marier, visiter un fils ou fuir.

Huit nouvelles, huit portraits de femmes émouvants et drôles à la fois. La tragédie pétille pour ne pas sombrer dans la laideur.

Le voyage est le début d'une nouvelle vie, est le moment où tout bascule dans un lieu emblème de l'ailleurs : la gare et ses trains.

Chaque nouvelle est une fenêtre ouverte sur un aspect de la condition féminine en Inde. Les mariages arrangés dès le plus jeune âge, tant du côté du promis et celui de la promise, unions dérangeantes pouvant donner naissance à des unions heureuses et joyeuses comme celle de Mini arrachée à sa famille et escortées par des tantes jusqu'à la demeure de sa belle-famille.


Le pouvoir des mères peut être tyrannique et nombreux sont les fils et brus terrifiés par la maîtresse de maison. Le recueil s'ouvre sur l'histoire du pèlerinage à Londres d'une mère faisant régner la terreur dans son foyer. Mayadevi décide, avant de mourir, de rendre visite à son fils resté à Londres. Comme tout ce qui n'est pas de la caste des brahmanes est impur, la vieille dame passe son temps à prier, à se purifier et à rouspéter après tout et n'importe quoi. La catastrophe est imminente dès que l'avion atterrit en Angleterre. C'est sans compter sur le sang-froid de la bru, anglaise, qui saura avec un tact incroyable dompter la matriarche.


Après le portrait d'une matriarche peu amène, Bubul Sharma, nous embarque à la suite d'une famille traditionnelle partant pour la première fois en vacances. « Les premières vacances de RC » est une nouvelle délicieuse à lire. L'humour est toujours présent et on assiste, peu à peu, à la prise de conscience des femmes (mère, épouse et fille) d'un monde des plus intéressants à découvrir. Régies à chaque instant de leur vie par un Rathin Chandra pétri d'habitudes et de certitudes plus sclérosantes les unes que les autres, elles découvrent, grâce à l'étrange lubie du chef de famille, les prémices de la rébellion dans les rencontres faites lors de leur séjour dans un ashram. Un vent de liberté se lève, le regard sur le monde change et RC ôte ses chaussures et décide d'acheter un cerf-volant... ou comment derrière le masque du patriarche se cache un homme qui aurait aimé ne pas endosser tant de responsabilités.


Certaines nouvelles sont proches du conte philosophique comme celle « La vie dans un palais » . J'ai oscillé entre l'onirisme et l'étrange. Une épouse quittée par son mari parti chercher l'illumination sur les chemins, s'enfuit de chez elle pour ne pas subir le triste sort réservé aux veuves. Elle fera une rencontre qui bouleversera sa vie et lui montrera son Chemin de Damas dans un palais où le temps semble s'être arrêté.


« Mes sacrées tantes » fait rire, grincer des dents et humidifie le coin de l'oeil. L'auteure m'a entraînée, une fois de plus, dans une lecture jubilatoire remplie d'odeurs, de couleurs et du bruit des trains.

Traduit de l'anglais (Inde) par Mélanie Basnel


Quelques avis :

Babelio   Le livre provençal  Délivrer des livres  La culture se partage

Lu dans le cadre d'une lecture commune "Editions Picquier"