mercredi 30 juin 2021

Le pouvoir des mots et de l'imagination

 


Salman Rushdie et ses romans sont en lecture commune en juin avec les volontaires des Etapes indiennes.

Je n'ai jamais lu cet auteur bien que j'en ai beaucoup entendu parler lors de la sortie des « Versets sataniques » qui lui valut une fatwa encore d'actualité aujourd'hui.

Je n'ai pas choisi « Les versets sataniques » mais un roman plus léger quoique... « Haroun et la mer des histoires ». Rien que le titre vous emporte dans un voyage plein de promesses. Le voyage promis par cette fable, car plus qu'un roman le récit appartient à l'ordre de la fable et du merveilleux.


Haroun vit dans une ville tellement remplie de tristesse qu'elle en a oublié son nom. Tout est gris, morose et déprimant, sauf lorsque la pluie de la mousson revitalise le monde.

Il appartient à une famille où on chante, rit et raconte des histoires merveilleuses. La joie et l'imaginaire enchantent la maison jusqu'au jour où cesse le chant de sa mère qui disparaît sans crier gare à 11h du matin. Son père, accablé par la tristesse, perd son inspiration et devient un conteur muet qui ne sait plus distraire les gens avec ses histoires joyeuses et extraordinaires permettant d'oublier le temps du conte les arias du quotidien : « on » lui a coupé son abonnement à la mer des histoires.

Un jour, son père est appelé à se produire dans des réunions politiques afin de faire engranger les voix de l'électorat des notables en lice. Il ne peut rien raconter et c'est le scandale, la colère des organisateurs et le départ précipité vers le dernier lieu où il doit se produire.

Commence alors un voyage incroyable à bord d'un bus conduit par un chauffeur aussi étrange qu'excentrique, roulant à tombeau ouvert sur les routes de montagne afin que Rashid, le père d'Haroun, puisse admirer le coucher du soleil sur la vallée d'or et d'argent.

Lorsqu'ils arrivent à destination, le notable de la ville les accueille, il ne sait pas que l'inspiration de Rashid est tarie, et les emmène à bord d'un bateau cygne. Au cours de la nuit, Haroun est réveillé par une étrange créature Ssi, chargé de couper l'abonnement de Rashid. Haroun refuse et part, en compagnie de son père, à dos d'oiseau mécanique, Mmais, jusqu'à la Planète des Histoires. Il découvre qu'elle est en danger car le pouvoir mortifère de l'abominable Khattam-Chut grandit et le silence gagne peu à peu le monde où vivent deux peuples : celui du pays des Gups, joyeux et bavards, celui de Chut, dans l'ombre, dont les habitants, les Chutwalas ont fait vœu de silence pour marquer leur dévotion au terrible Khattam-Chut. Ce dernier a décidé de détruire la source des histoires et pollue l'Océan des courants d'histoires. Il a même mis en place une bonde pour tarir, définitivement, la fabuleuse Source des histoires.

Haroun se lance dans une course contre la montre pour sauver ce qui peut l'être, aidé par des créatures merveilleuses et fantastiques. Les actions sont foisonnantes, les rencontres improbables et le dénouement digne d'une très belle fable.


Derrière la légèreté du conte, il y a une seconde lecture, comme dans tout conte d'ailleurs, celle de la place de l'imagination et de l'imaginaire dans notre monde moderne voué à la tristesse de la rentabilité à tout prix : pas de temps à perdre avec des histoires qui ne servent à rien hormis à embrouiller l'esprit ou pire à le rendre lucide.

L'imaginaire nourrit l'imagination qui à son tour nourrit l'esprit et lui ouvre d'innombrables fenêtres et portes vers l'altérité et ses richesses tant intellectuelles que culturelles. Un esprit riche d'histoires ancestrales revisitées à l'envi au fil des siècles et des générations, est un esprit libre et certainement dangereux aux yeux de certains. L'esprit libre et riches d'ailleurs est un esprit critique, est un esprit qui pense et réfléchit.

Boucher cette bonde merveilleuse pour vouer au silence et à son diktat le monde, c'est s'assurer de l'obéissance aveugle de tout un chacun, d'obliger à courber l'échine sous la tristesse fabriquée dans les usines mornes et insipides. Le silence arme absolue quand on procède à la captation du langage, à la captation des mots nourriciers de l'imagination et portiers de l'imaginaire. Le silence qui tue l'humanité en rendant les hommes insensibles, ignares, incultes …. et violents.


« Haroun et la mer des histoires » est une apologie de la liberté donnée par les mots, l'imagination et une déclaration d'amour au creuset formé par les histoires, récits et contes primordiaux qui ont fait que l'homme a acquis son humanité.

Un conte pour enfants puisqu'écrit par l'auteur pour son fils, après avoir été déclaré hors-la-loi par le fanatisme religieux. Un conte qui lui permit de renouer avec l'écriture après l'opprobre inique à laquelle Salman Rushdie a été soumis dans certains pays.

« Haroun et la mer des histoires » est un acte de résilience et de résistance d'une grande beauté.

Traduit de l'anglais par Jean-Michel Desbuis


Quelques avis :

Babelio Sens critique  France inter

Bande annonce 



Lu dans le cadre







lundi 28 juin 2021

Les cinq cents millions de la Bégum

 


Les classiques, c'est fantastique et c'est chaque dernier lundi du mois. Juin est consacré à Jules Verne, une fois encore je n'ai pas choisi un titre phare de l'auteur. J'ai préféré me perdre dans un roman, connu mais sans plus, « Les cinq cents millions de la Bégum ». Il met en scène une utopie et une dystopie, arguments qui m'ont attirée car Jules Verne est un « touche-à-tout » souvent précurseur quant aux sujets qu'il traite.

 

L'argument littéraire est le suivant : deux cités bâties, aux Etats-Unis dans l'état de l'Oregon, sur des principes très différents, l'une par un Français, l'autre par un Allemand, qui héritent de la fortune colossale d'une Bégum. Un brin de roman d'anticipation avec une pincée de roman d'espionnage, ajoutant le sel à création de deux utopies.

C'est un peu la suite de la guerre de 1870, qui vit l'annexion de l'Alsace et la Lorraine par l'Empire allemand, jouée par des visionnaires aux objectifs très différents : la bienveillance de France-ville du Dr François Sarrasin, son système d’échelons décisionnels bien réparti, et la ville caserne de Stahlstadt du professeur Schultze qui a choisi le système de chef unique qui donne les ordres et prend les décisions seul.

A France-ville, le bien-être et la santé des habitants sont primordiaux tandis qu’à Stahlstadt il n’y a que l’industrie qui compte, toute l’économie est tournée vers ce seul secteur d’activité. Le professeur Schultze compartimente tout : chaque pièce d’un engin de guerre est préparée dans un atelier spécifique situé dans une zone spécifique à laquelle n’ont accès que les ouvriers et contremaîtres dudit atelier : personne ne sait ce que l’atelier d’à côté fabrique.

Marcel Bruckmann, ami d’Octave Sarrasin, se fera espion pour tenter de comprendre la logique organisationnelle de Stahlstadt : il se fera embaucher sous le pseudonyme de Johann Schwartz. Il découvrira qu’un complot visant à anéantir France-ville est ourdi par Schultze.

 

Jules Verne écrit non seulement une utopie et une dystopie mais également un roman politique dans lequel il montre que la course aux armements est mortifère pour une société. Il y a des descriptions du monde des mines de charbon absolument édifiantes : la misère, le risque perpétuel d’y perdre la vie, le peu de considération envers les hommes et les chevaux passant toute leur vie sans voir la lumière du jour.

Il inscrit le roman dans une réflexion sur l’urbanisme, utopique, du Dr Sarrasin avec ses quartiers aérés, aux maisons individuelles n’excédant pas deux étages, de la verdure partout et des jardins, vision allant de pair avec ses théories hygiénistes. A contrario, le monde urbain vu par Schultze est celui de l’habitat de masse où chaque mètre carré compte car c’est le règne du productivisme.

Deux utopies, deux urbanisations, deux politiques sociales et également deux systèmes éducatifs qui s’affrontent.

Le début du roman fait la part belle aux grandes écoles françaises, notamment Centrale qui forme les futurs grands ingénieurs, et confronte l’excellence des grandes écoles au système de formation par l’apprentissage professionnel au cœur même de l’usine Schultze.

Le premier prône une ouverture sur le monde et ses nombreuses richesses intellectuelles, le second préfère un nationalisme exsudant de racisme car la race germanique est supérieure aux autres.

 

Une fois encore, j’ai été charmée par l’écriture de Jules Verne et son habilité à emporter son lecteur dans des univers foisonnants et passionnants. On se rend compte qu’il avait pressenti l’infernale course aux armements de l’Allemagne d’Hitler dans le but de conquérir le monde pour y asseoir la suprématie germanique.

 

Et la Bégum dans tout cela ? N’en déplaise au professeur Schultze, elle aura fait de lui un parent éloigné de docteur Sarrasin… ironie du destin quand tu nous tiens !

 

Quelques avis :

 Babelio  Sens critique

Lu dans le cadre:



     
  





 


samedi 26 juin 2021

Un cimetière, des rencontres, des anges ... un récital

 


Janvier 1901, Londres, le siècle nouveau a un an et le Royaume d'Angleterre se retrouve orphelin de sa reine, la reine Victoria.

La coutume impose que les gens se rendent dans les cimetières pour rendre hommage au souverain disparu. Deux familles, les Waterhouse et les Coleman, que tout éloigne, se retrouvent près de leurs tombes mitoyennes. Leurs deux fillettes, Maude et Lavinia, se lient aussitôt d'amitié malgré leurs différences : la première est attachée aux valeurs traditionnelles tandis que la seconde affiche une certaine modernité.


Le roman se construit autour des deux petite héroïnes et de leurs familles en un chant polyphonique dans lequel se lovent les changements sociétaux d'une Angleterre à un tournant de son histoire.

Maude est discrète, presque mutique tandis que Lavinia est une incorrigible bavarde ayant un avis sur tout et de longues listes de bienséance. Maude est studieuse et avide de savoirs, Lavinia ne voit qu'une partie du chemin, celui qui mène au mariage.

Rapidement, le cimetière devient leur point de ralliement, le lieu de toutes leurs rencontres. Elles font la connaissance du fils d'un des fossoyeurs, Simon avec lequel elles formeront un trio surprenant.


Au gré des rendez-vous près des tombes familiales, un récital se met en place : celui de leur vie quotidienne à l'aube du bouleversement mondial issu de la Grande Guerre. Le mouvement des suffragettes met en lumière la liberté restreinte des femmes et fait campagne pour l'octroi du droit de vote féminin.

La condition féminine n'est pas la même selon l'échelon social : être servante et fille-mère équivaut un renvoi sans référence et donc à mourir à petit fu d'indigence, travailler comme une bête de somme pour tenter de survivre. Défiler pour le droit de vote des femmes alors que les cohortes de petites bonnes et autres petites mains des familles nobles et bourgeoises, n'ont aucun horizon ? Jenny Whitby ne peut que ricaner d'autant plus que l'épouvantable matriarche Edith Coleman ne sait mener le monde qu'à la baguette de la coutume et des traditions.

Chez les Coleman, l'amour maternel ne s'exprime que très peu, Maud est dorlotée par la servante Jenny. Les parents sont des entités un peu lointaines, encourageant les envies d'études de leur fille unique. Chez les Waterhouse, la maison vit au rythme des courses d'enfants, des goûters joyeux et d'une vie familiale bourgeoise de bon aloi.

Le récital aurait pu être un long allegro, or le bourdon du malheur vient frapper les deux familles : Kitty Coleman, qui a tout pour être heureuse, se languit au point de s'abandonner au regard du directeur du cimetière. Après les regards, les bras et un jour, la vie se niche chez Kitty qui refuse cette grossesse. Le rythme de la musique se brise quand l'art d'une faiseuse d'anges, la mère de Simon, ôte la vie du ventre de Kitty dont la langueur devient dépression.

Au cours de l'inauguration de la bibliothèque du quartier, Kitty rencontre une jeune femme pétulante et battante appartenant au mouvement des suffragettes. La mère de Maude le rejoint pour donner un sens à sa vie. Choix qui n'enchante guère la belle-mère et l'époux.

Lors d'une grande manifestation, Kitty, blessée par la ruade d'un cheval, n'en sortira pas indemne tandis que la sœur cadette de Lavinia, perdue dans la foule, sera à la merci d'un sadique.


Le choix des voix multiples des protagonistes de l'histoire apporte la polyphonie au récit et une richesse de points de vue : chacun vit les événements selon son propre prisme et prend l'action en court sans savoir ce que pense l'autre. On peut être surpris au début, se demandant si on n'a pas tourné deux pages en même temps, puis on trouve le rythme du récital de ces voix parfois discordantes. Chaque voix a son champ lexical et son niveau de langage apportant à la vue d'ensemble des morceaux chamarrés.

Tracy Chevalier aborde le thème de condition de la femme au tournant d'une époque s'ouvrant à la modernité avec finesse malgré la pointe de pathos de la manifestation des suffragettes.

Je n'oublie pas un des « personnages » importants : le cimetière. Un lieu vivant parmi les ultimes demeures de ceux qui ne le sont plus. Un lieu où la connaissance du terrain est vitale, les diverses problématiques sont bien expliquées par le jeune Simon : la terre sablonneuse ne se travaille pas comme la terre argileuse, les techniques sont spécifiques et les fossoyeurs ne doivent rien omettre de chaque protocole.

Le cimetière point d'orgue du « comment dormir pour l'éternité », dans une fosse commune pour les indigents, dans un cercueil ou opter pour la crémation ! Kitty Coleman est moderne jusque dans le domaine mortuaire : elle souhaitait la crémation ce que son époux refusera et que son amant lui accordera.

Tracy Chevalier, subtilement, rappelle combien le cimetière pouvait être peuplé dans une époque pas si lointaine : lieu de promenade, de rendez-vous galants, d'échanges en tout genre, bureau à ciel ouvert.

Une pointe humoristique pas si déplacée que cela : les têtes de mort peintes au pochoir, sur un coin discret des pierres tombales, par Simon, jeune chantre des vanités.

« Le récital des anges » a été une très agréable lecture grâce à laquelle j'ai pris plaisir à renouer avec l'écriture et l'univers de Tracy Chevalier.

Traduit de l'anglais par Marie-Odile Masek


Quelques avis :

Babelio  Sens critique  Hélène  Des livres des livres  Bazar de la littérature  Critiques libres

Lu dans le cadre


 





mercredi 16 juin 2021

Le journal de Nisha

 


Août 1947, un drame enfle lentement mais sûrement après l'Indépendance de l'Inde : la Partition se profile pour devenir effective le 15 août.

Nisha, une fillette de douze ans, commence son journal intime un mois avant la proclamation de la Partition entre l'Inde et le Pakistan, pour y consigner tout ce qu'elle ressent et a sur le cœur.

Son interlocutrice ? Sa mère disparue depuis douze ans, en mettant au monde ses jumeaux, Amil et Nisha.

Elle vit à Mirpur Khas, dans le nord de l'Inde, avec son frère, père, médecin hindou, et sa grand-mère paternelle, Dadi. Elle observe le monde et les adultes, écoute et tente de comprendre ce qu'il y a derrière l'Indépendance et la Partition : il se murmure que les musulmans et les hindous ne pourront plus coexister... pour quelle raison ? Nisha ne peut le concevoir : l'Inde est aussi la province où elle vit et a grandi, celle de sa mère musulmane qu'elle n'a pas connue. Pourquoi, du jour au lendemain, ceux qui s'accordaient ne pourraient plus se supporter ?

D'ailleurs, Nisha écrit : « Tout le monde sait qui est hindou, musulman ou sikh par les vêtements qu'il porte ou par son nom. Mais nous avons tous vécu ensemble dans cette ville depuis si longtemps. Je n'ai jamais vraiment fait attention à la religion des gens. Est-ce que tout ça, c'est parce que l'Inde est en train de devenir indépendante des Britanniques ? Je ne vois pas très bien le rapport. » (p 29)


Au fil des jours, le lecteur en apprend un peu plus sur le quotidien de Nisha et de sa famille, ses espoirs et ses craintes.

Un jour, Amil et Nisha se font poursuivre, sur le chemin de l'école, par des garçons musulmans, dès lors les jumeaux décident d'emprunter leur chemin secret, moins direct mais plus sécurisant.

Cependant, l'inconcevable a lieu : Amil se fait agresser. Les jumeaux n'iront plus à l'école, le temps que tout se calme. Las, le calme ne revient pas, bien au contraire et envisager le départ de Mirpur Khas devient nécessaire.

L'exode doit s'effectuer discrètement, la famille renonce au dernier moment à prendre le train pour éviter les massacres. Elle quitte Kazi, le cuisinier musulman et lui confie la clef d'une maison qu'elle ne reverra plus.

On suit les tribulations de Nisha et sa famille sur la route de l'exil, chacun avec un baluchon enveloppant le strict nécessaire et les gourdes d'eau, route encombrée, dans un sens comme dans l'autre, de familles fuyant ce qui avait été leur foyer, fuyant une Inde, leur Inde, disparue.

Nisha apprend la dureté des jours et des hommes que la peur, la faim et la soif rendent fous et violents. Oubliés les jeux dans le jardin ou le verger de manguiers, oubliée la cuisine savoureuse de Kazi, oublié le confort d'une maison et d'un lit, oubliée la toilette quotidienne, il faut avancer pour gagner la nouvelle frontière et rejoindre une nouvelle Inde.

« Alors à partir d'aujourd'hui (15 août 1947), la terre sous nos pieds n'est plus l'Inde. Kazi doit vivre de son côté et nous devons nous en aller et trouver une autre maison. En ce moment même, est-ce qu'il y a quelque part une fille musulmane assise dans sa maison et qui doit la quitter pour partir vers un pays nouveau qui ne s'appelle même pas Inde ? Est-ce qu'elle aussi se sent perdue et effrayée ? » (p 111)

Nisha écrit son journal régulièrement, le lecteur peut ainsi être traversé par les émotions de l'adolescente ainsi que les épreuves subies au cours de son périple.

Faire la connaissance du frère de sa mère, Rashid est un moment presque irréel pour Nisha : dans la maison s'exposent les toiles peintes par sa mère, elle pose les pieds là où Faria, sa mère, a marché, couru dans son enfance et adolescence. Elle ressent le passé maternelle et voit d'un œil nouveau sa mère, cet inconnue qui l'accompagne chaque jour de sa vie.

L'exode a de bons côtés comme celui de vivre quelques semaines sous le toit du frère préféré de sa mère et l'entendre dire qu'elle lui ressemble. Cadeau inestimable pour la jeune Nisha.


« Le journal de Nisha » est un roman jeunesse relatant un épisode historique peu traité, voire pas du tout, pour un public adolescent. L'auteure, Veera Hiranandani, écrit en adaptant son écriture et en évitant le piège de l'exposé : les faits historiques sont présents, bien expliqués et servis par les ressentis d'une adolescente qui ne comprend pas la portée indélébile d'une décision politique. Pour elle, issue d'une union mixte hindoue-musulmane, se déchirer entre soi après avoir arraché au Royaume d'Angleterre l'indépendance de l'Inde, est un non-sens absolu.

Le regard de l'enfance pointe la brutalité du monde des adultes, les rêves s'effacent pour se tapir au plus profond de soi. Nisha fait ses adieux à son Inde millénaire pour une nouvelle vie à Jodhpur.


« Le journal de Nisha » est un roman à découvrir et une belle aventure romanesque à vivre. Merci aux « Etapes indiennes » pour cette lecture commune « jeunesse » très intéressante.


Traduit de l'anglais par Jean Pouvelle


Quelques avis :

Babelio  Ricochet  Histoire d'en lire  Livraddict  Sériales blogueuses Blandine  Hilde  Agatho Croustie  Nini Jolivre  Mini Lilloise


Lu dans le cadre:



Les embûches d'un envol

 


« Vole, Albert vole ! » est un album comme je les aime : beau texte, belle histoire, le tout servi par de magnifiques illustrations.


Albert est un jeune albatros, semble ne plus avoir de parents pour s'occuper de lui. C'est une mouette scopuline, autrement dit à bec rouge, Simon, qui l'a pris en charge et le nourrit.

Etre seul n'est pas l'unique problème d'Albert, non, Albert ne sait pas du tout voler et ne peut donc trouver sa nourriture.

Simon est minuscule à côté de l'immense Albert dont l'envergure atteindra plus de deux mètres à l'âge adulte, minuscule mais attentionné, attentif et solidaire.

Il n'y a que Simon qui ne se moque pas d'Albert, l'oiseau incapable de voler. Albert ne sait pas, parce qu'on ne le lui a pas appris, qu'il lui faut prendre de l'élan, en raison de sa taille et de son envergure, pour s'assurer l'envol.

Simon relate à Albert les endroits qu'il a visités ce qui fait rêvé l'albatros lors de ces voyages « immobiles ». Il y a surtout l'histoire qui se passe à l'autre bout de l'île, elle captive Albert au point qu'il se met en tête d'apprendre à voler seule. Chaque matin il s'entraîne du haut d'un promontoire sans succès. De quoi désespérer, surtout quand il entend les commentaires désobligeants des oiseaux de l'île. Albert est désespéré et ressent une telle tristesse qu'il en pleure.

Un jour Simon lui fait part de la découverte d'une grotte mystérieuse et l'invite à venir l'explorer avec lui.

Ni une ni deux, les deux compères prennent la route, cahin caha pour Albert, avec plus d'aisance pour Simon. Mais ils ne peuvent la rejoindre car Albert malgré ses tentatives ne parvient toujours pas à voler.

En cours de journée, les oiseaux les alertent : une tempête de profile, il faut trouver un refuge avant que ne s'abatte le déluge. Tout le monde quitte les lieux, dans la panique Albert suit Simon et une puissante rafale le jette dans le vide. L'effroi est général : Albert s'en sortira-t-il ?

Dans le vent hurlant, Albert bat des ailes sans relâche pour sa vie jusqu'au moment où, instinctivement, il utilise les courants ascendants pour s'équilibrer et prendre son envol... ô joie ! Le monde s'ouvre à lui.

Albert, vole, vole, avec la grâce de son espèce, jusqu'au bout du monde. Les découvertes l'enivrent, le réjouissent sauf que son île et Simon lui manquent.

Quand il arrive chez lui, il découvre la grotte mystérieuse où virevoltent nombre de mouettes à bec rouge... Simon, me voilà de retour et tant d'histoires à te raconter !


L'album écrit par Yih-Fen Chou est un le récit d'un apprentissage, celui d'une vie. La vie qui apprend l'entraide, la solidarité, la ténacité, les petits encouragements qui permettent d'aller plus loin et de croire en soi. L'amitié , comme l'amour, est un socle pour grandir et se réaliser : chaque défi relevé est une marche supplémentaire gravie, petite pierre apportant confiance et estime de soi.

Les aquarelles de Chin-Lung Huang sont de pures merveilles de douceur et de force. Elles nous emportent au cœur de l'histoire, nous portent à dos de mouette ou d'albatros.

Quant à l'histoire, elle est tout simplement réconfortante car promesse de surmonter les difficultés de la vie tant qu'il y a de l'amitié autour de soi.

Je remercie Babelio et les éditions Tutti Stori pour cette très belle lecture.

Traduit et adapté du chinois (Taïwan) par Olivier Lebleu


Quelques avis :

Babelio


samedi 12 juin 2021

The Crown: une série addictive

 


« The Crown » est une série que nombreux sont ceux à l'avoir vue. J'avoue avoir été dubitative puis le Mois Anglais arrivant à grands pas, j'ai franchi le cap et me suis lancée dans le visionnage de la série.

Et …. ce fut …. une excellente surprise. Je me suis laissée prendre au rythme particulier des épisodes, je me suis laissée charmée par l'ambiance et la narration d'une vie particulièrement étonnante : celle du règne de la Reine d'Angleterre Elizabeth II. J'en suis à la troisième saison et je ne me lasse pas du sujet.

J'ai choisi d'écrire mon billet sur la première saison, saison qui pose doucement la stature d'une jeune reine qui aura, elle ne le sait pas encore, le plus long règne de l'histoire anglaise, plus long que celui de la Reine Victoria (soixante-trois années).

La saison 1 couvre la période du mariage, en 1947, de la jeune Elizabeth d'York de la Maison Royale de Windsor avec le jeune Philip de Grèce, Prince de Grèce et de Danemark, qui adopte le nom de famille de ses grands-parents maternels, Mountbatten ainsi que la nationalité britannique, à la rupture de sa sœur Margareth avec le Capitaine Peter Townsend,en 1955.


Le jeune lieutenant, autorisé après cinq mois de cour assidue à épouser la princesse Elizabeth, héritière du trône d'Angleterre, reçoit, le jour de son mariage, par son beau-père, le Roi Georges VI, le prédicat d'Altesse Royale et le titre de Duc d'Edimbourg.

La scène est forte de symbole : le Roi Georges VI fait jurer au jeune Duc d'être toujours un conseiller et un époux fidèle pour Elizabeth. « Vous ne serez là que pour elle » lui dit-il en substance.

Tout est idyllique (naissances de Charles et d'Anne) jusqu'au jour où le roi meurt dans la nuit de Noël, en Ecosse, tandis qu'Elizabeth et Philip sont en « tournée » Commonwealth. Le jeune couple a passé quelques jours en pleine savane pour observer la faune sauvage.

Commence alors, l'apprentissage d'Elizabeth aux dures réalités de la fonction de souveraine.

Peu à peu, le poids du protocole et celui des responsabilités, symboliques, de sa fonction, forment une gangue autour de la jeune femme : elle devient cheffe de la famille Windsor et chef d'état.

Certes, elle a été éduquée pour succéder un jour à son père, certes elle connaît l'Etiquette sur le bout des doigts, elle sait qu'elle devra renoncer à être elle-même pour devenir Elizabeth Regina.

« Tu es la Couronne d'Angleterre » lui dit sa grand-mère. Elle devra cacher son être sensible, ses larmes, ses émotions car la Couronne doit rester debout, solide et au-dessus des contingences ordinaires. Malgré son attachement à certaines personnes de son entourage, elle doit privilégier, au nom des coutumes en vigueur, les serviteurs les plus anciens.

Les secrétaires particuliers de la jeune Reine, sont extraordinaires de componction et d'impassibilité bureaucratique, un vrai régal à voir.

Bien entendu tout ne se déroule pas de manière lisse : Margareth, la cadette, est amoureuse de l'écuyer, fidèle et loyal, du Roi Georges. Elle est aussi une jeune femme avide de liberté, aimant la fête, le champagne et être anticonformiste. Le Prince consort, Philip, a du mal à ne pas exister, à être toujours à trois pas derrière son épouse : il s'ennuie depuis qu'il n'est plus actif dans la Royal Navy.


« The Crown », ce sont aussi des intrigues de palais, des influences de l'ombre, des pressions sur la jeune Reine qui doit oublier ce que lui dicte son cœur.

On voit un Churchill vieillissant, épouvantable tyran auréolé de la résistance britannique face à Hitler, et fin politique : il réussit à rehausser sa cote de popularité mise à mal depuis son nouveau mandat de Premier Ministre, en utilisant sa visite au chevet d'une de ses secrétaires décédée après avoir été renversée par un bus lors du fameux smog, brouillard de pollution, qui immobilisa Londres pendant une semaine.

On constate que la Reine n'a guère de prise sur les événements qu'elle subit plus qu'elle ne vit : il y a un moment affreux, celui où elle se rend compte qu'elle ne connaît absolument rien hormis la Constitution. Elle s'aperçoit qu'elle a reçu une moins bonne éducation qu'une jeune fille de moindre condition, que ce manque de connaissances et de culture générale ne lui permettent pas d'exprimer un avis circonstancié. Elle a conscience que « le savoir c'est le pouvoir » et fera en sorte de combler quelques lacunes. Elle se laisse malmener par un Churchill qui se mêle de tout, même de sa vie privée : il lui fera comprendre qu'il est nécessaire de mettre fin à l'idylle entre Margareth et le Capitaine Townsend. Comme il lui fera comprendre qu'il faut donner une occupation officielle au Prince Philip... comme une visite de cinq mois autour du monde, avec une inauguration des Jeux Olympiques de Sydney.

Parfois, elle regimbe et on peut discerner la future grande Elizabeth qui, quand elle dit « No », est inflexible.


J'ai aimé la précision historique, les gestes repris dans leur moindre détail par les acteurs qui jouent juste et incarnent pleinement leur personnage.

La réussite de la saison, et de la série entière, tient au fait que tout est au plus proche de la réalité des faits sans pour autant occulter les atermoiements et souffrances des membres de la famille royale. Ils vivent dans des châteaux ou des palais, ils n'ont pas de souci pécuniers, ils possèdent la renommée, cependant ils ne peuvent vivre une vie ordinaire car ils ne sont pas des gens ordinaires et ne le seront jamais. Sinon... où serait la magie de la Royauté britannique ?

Elizabeth Regina aime ses enfants sans pouvoir leur montrer une affection débordante : Charles doit s'endurcir pour se confronter, plus tard, aux dures réalités qui l'attendent.

On ressent de l'empathie pour chacun d'eux, on ressent leurs peines, leurs espoirs, leurs déceptions, tout ce qui les rend humains.

La réalisation et la photographie de chaque épisode sont de très grande qualité et servent de manière magistrale le récit.

Une réussite, d'ailleurs la série est addictive en ce qui me concerne et j'en redemande !

Série américano-britannique créée par Peter Morgan.

Quelques avis:

Avoir à lire Just a word  Marvell  

Visionné dans le cadre:






mercredi 9 juin 2021

Le long voyage de Joey

 


Eté 1914, Albert coule des jours heureux avec Joey, superbe demi-sang acquis, sur un coup de tête et d'orgueil, par son père quelques mois plus tôt.

Les deux compères, après les travaux agricoles du jour, profitent des longues soirées pour parcourir la campagne anglaise. L'amitié entre le jeune garçon et son cheval grandit chaque jour, les liant solidement.

Un jour, le père d'Albert profite de l'absence de ce dernier – il s'est rendu à l'église pour sonner les cloches – pour amener Joey au village où se déroule le recrutement des hommes et des chevaux pour la guerre. L'argent manque à la ferme, Mr Narracott ne peut se résoudre à perdre son bien s'il ne rembourse pas l'hypothèque engagée.

Quand Albert apprend la vente de Joey, il se précipite au village pour s'engager. Las, il n'a pas l'âge requis et doit se résoudre à laisser partir son cheval non sans avoir fait promettre au Capitaine Nicholls d'en prendre soin et de le protéger.

Joey subit un entraînement drastique après le déchirement de la séparation, la routine prend le pas sur les regrets puis l'embarquement le propulsera sur le front.

Lors d'un charge d'un autre âge, Joey perdra son cavalier, le Capitaine Nicholls, tombé au champ d'honneur. Avec Topthorn, son camarade d'écurie, il sera fait prisonnier par les Allemands.

Commence alors une guerre sans merci pour les hommes comme pour les animaux : Joey sera ambulancier, apprécié des soldats car synonyme de sauvetage et de soins, il apprendra la méchanceté des hommes comme leur générosité et leur gentillesse. Lorsque le front changera de ligne, il sera confié, avec Topthorn, à un grand-père et sa petite-fille, Emilie pour couler des jours sereins à labourer les champs puis à récolter le fruit du labeur des hommes. Jusqu'au jour où une compagnie d'artillerie lourde les réquisitionnera pour transporter les canons sur le front : l'horreur absolue sera leur lot quotidien dans le monde devenu fou et enragé, dans un monde où plus rien ne compte en dehors de la victoire et ce quel qu'en soit le prix.


Michael Morpurgo raconte avec poésie et émotion les absurdités, la folie des hommes et les horreurs de la guerre des tranchées. Le narrateur est Joey, le cheval de guerre, ce qui d'emblée indique au lecteur, jeune et moins jeune, qu'il a réussi à survivre au bourbier et à la folie guerrière.

L'histoire est vue par le prisme du cheval ce qui rend plus poignant le récit.

La Grande Guerre est celle des prouesses technologiques dans l'art de la guerre : les chars remplaceront les chevaux, les pilonnages les charges héroïques sur l'ennemi. L'ère de la cavalerie s'achève dans les ultimes charges équestres laminant bêtes et hommes face aux mitrailleuses. Rapidement les chevaux deviennent bêtes de somme pour les transports de troupes, de blessés ou d'artillerie.

Sans mettre en scène l'horreur sans nom du fauchage des soldats lors des assauts, l'auteur, grâce à son héros Joey, pointe, souligne, l'enfer vécu par les hommes et les animaux réquisitionnés.

Joey n'a pas de parti pris, il observe ces hommes soumis aux ordres les plus insanes, ces soldats et officiers qui continuent parce qu'il arrive un point où reculer et baisser les bras est impossible. Dans le chaos, la grâce peut apparaître, fugace et belle avant un déluge de feu et de sang.

Joey voit des compagnons de misère tomber sous les obus, les balles perdues ou les fondrières boueuses : ainsi Topthorn renoncera à lutter, le manque de soins et de nourriture auront raison de sa résistance.

Michael Morpurgo montre que les chevaux étaient importants pour l'armée et mieux considérés que les hommes car ils sont essentiels pour le transport d'armements et de ravitaillement au front. Il souligne également que les soldats ne connaissent pas vraiment le pourquoi de la guerre, que, quel que soit le camp, ils se valent et souffrent de manière identique.

« Cheval de guerre » est un très beau roman jeunesse historique, écrit avec un style qui n'infantilise pas le jeune lectorat, et servi magistralement par les illustrations de François Place. La réussite est remarquable car les dessins montrent, au fil du roman, combien le poids de la guerre est lourd et peut ôter toute humanité. J'ai beaucoup aimé les scènes du quotidien des soldats et des chevaux, le paisible séjour à l'arrière comme la noirceur de la ligne de front.

Une lecture pleine d'émotions et de belles rencontres avec des personnages attachants.

Traduit de l'anglais par André Dupuis

Quelques avis :

Babelio  Histoire d'en lire  Sens Critique  François Place  Ricochet  Délivrer des livres Sophie lit ça  Critiques libres

Lu dans le cadre









jeudi 3 juin 2021

Comme il vous plaira

 


Je ne lis pas souvent de pièces de théâtre car je préfère être spectatrice. Mais, me répondrez-vous, lire une pièce de théâtre est aussi en être spectatrice. Vous avez parfaitement raison, vous répondrai-je alors.

Juin 2021 est un mois anniversaire pour « Le Mois Anglais » qui fête ses dix années d'existence, les organisatrices ont élaboré un programme permettant un voyage dans le temps au gré des lectures.

Le voyage temporel commence avant 1837 et pour illustrer la littérature anglaise d'avant cette date, j'ai choisi d'alléger ma PAL en sortant de ma bibliothèque « Comme il vous plaira » de Shakespeare.

La pièce est une tragi-comédie romantique dotée d'éléments de comédie pastorale.

En ces temps de pandémie, la légèreté en lecture est toujours bienvenue.


A la disparition de Sir Roland de Boys, leur père, Olivier est chargé de l'éducation de son jeune frère Orlando. Olivier déteste Orlando et fait en sorte que ce dernier ne soit pas mieux traité qu'un paysan ou serviteur.

Sir Olivier pense avoir, enfin !, l'occasion de se débarrasser de son encombrant frère, lorsque Orlando décide de défier Charles un lutteur expérimenté. Las, pour Olivier qui ne sera pas un nouveau Caïn, Orlando triomphe et tombe amoureux de la belle Rosalinde, nièce du Duc Frédéric, usurpateur des biens de son père.

La foudre de la haine tombe sur eux, pour des raisons différentes, ne leur laissant que la fuite en forêt d'Ardenne, où s'est réfugié le Duc déchu.

Alors que Rosalinde, déguisée en garçon, fuit en compagnie de sa cousine Coelia, fille de l'usurpateur, et de Touchstone, le bouffon ducal  – jusque-là tout le monde suit ? - Orlando prend la poudre d'escampette en compagnie d'Adam, un vieux et fidèle serviteur.

Bien entendu tout ce petit monde se croisera et recroisera, qui sous un masque qui sans fard. De ce ballet joyeux, l'amour vaincra.

 

Rosalinde, la belle et piquante Rosalinde, aime mener son monde : c'est elle qui décide des déguisements pour la fuite, c'est elle qui orchestre les amours des autres, sous les traits de Ganymède, jeune propriétaire d'une bergerie. « Aimez qui vous adore ! » clame-t-elle  Phébé, bergère qui repousse les avances de son soupirant Sylvius. Car c'est ce qui devrait être en amour : aimer celui ou celle qui nous aime et non s'entêter à aimer celle ou celui qui ne nous aime pas. Si tout était aussi simple, y aurait-il matière à écrire roman ou pièce de théâtre ? Y aurait-il matière au tragique ?Sans doute pas.

 

« Comme il vous plaira » ouvre une fenêtre sur un monde dans lequel le tragique ne serait plus. Dans une farandole de d'actions espiègles et de confusions sur les corps – Shakespeare s'appuie sur le travestissement femme/homme pour que Rosalinde s'assure de la véracité de l'amour qu'Orlando éprouve pour elle, et pour que Phébé comprenne que le véritable amour se trouve sous ses yeux et non dans un miroir aux alouettes – le dénouement apporte la joies dans les cœurs... tous les cœurs.

Les méchants deviennent gentils, les mesquineries sont oubliées, les torts réparés, les ronchons retournent dans leur grotte de leur plein gré ronchonner sur le monde et ses joies factices à leurs yeux.

La tragédie du frère jaloux de son benjamin plus aimé que lui, qui ouvre le bal laisse place à la liesse des libertés retrouvées.

Entre les deux extrêmes, on chante, on tient banquet, on rime, on philosophe ou on médite dans un monde magique. Magique, oui ! Magique car qui a déjà croisé une lionne affamée dans la forêt d'Ardenne permettant ainsi à Orlando de sauver son frère Olivier et de retrouver l'équilibre familial ? La forêt devient enchanteresse et lieu de tous les possibles et de la perfection. Au nom de la perfection dans un monde idéal, les sexes ne devraient pas être en guerre et ne pas se tromper ou se mentir. Tout devrait tendre vers l'ordre absolu, ce qui est intangible et devrait être perpétuel.

Ainsi Rosalinde évoque-t-elle les quatre vitesses du temps. Ainsi Touchestone évoque-t-il les sept degrés de querelle (j'ai relu plusieurs fois ce passage tant il est d'une grande intelligence). Ainsi Monsieur Jacques, le bougon de service, évoque-t-il les sept âges de la vie. Le nombre, les nombres paradigmes du Paradis ? Disons qu'ils expliquent les étapes essentielles des sentiments et de la vie.

Le mirth*, c'est la vie !

Il est absolu à la fin de la pièce : les frères ennemis se réconcilient, les hommes et les femmes fusionnent dans l'amour et l'hymen, Rosalinde redevient femme et Junon, l'hymen, triomphe !

 

Deux heures de bonheur absolu en compagnie de la verve shakespearienne.

*la gaieté, l'amusement, l'hilarité 

Pièce traduite de l'anglais par Jean Anouilh

Quelques avis:

Babelio  Maremurex  Actes Sud  Les trois coups  L'oeil d'Olivier

Lu dans le cadre