lundi 31 mai 2021

Voyage à dos d'oie

 


« Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède » roman écrit par l’auteure suédoise Selma Lagerlöf a pour origine une commande de l’Association nationale des enseignants afin qu’en lisant les aventures du jeune Nils, les petits Suédois,  l’école publique, apprennent à mieux connaître leur géographie ainsi que les contes et coutumes des régions composant la Suède. Selma Lagerlöf parcourra le pays pour l’observer, le comprendre et récolter toutes anecdotes locales ou contes pour utiliser cette matière dans son récit.

Le premier tome est paru en 1906 et le second l’année suivante.

Nils Holgersson est un jeune garçon qui ne pense qu’à dormir, manger, faire des bêtises – ce n’est pas anormal non plus, il faut bien que jeunesse se passe – jouer et surtout concocter de méchants tours. Il peut être un tantinet cruel avec les animaux, qu’il aime persécuter, de la ferme de ses parents, en Scanie, les oies en font souvent les frais.

Un dimanche, notre Nils fait des pieds et des mains pour éviter d’accompagner ses parents au temple. Alors qu’il lit les passages de la Bible imposés par son père, il pique un peu du nez et  rencontre un tomte, celui qui vit dans leur maison. Il le raille, il se rengorge et finit par être puni de sa méchanceté en se retrouvant rétréci à la taille d’un tomte et pouvant parler avec les animaux. Nils est paniqué, apeuré et surtout désespéré, il ne lui reste qu’une seule échappatoire : quitter la ferme pour éviter à ses parents la honte d’avoir un fils transformé en lutin. Au même moment, le jeune jars Martin entend le vol des oies sauvages Akka de Kebnekaise et leurs moqueries ironiques. Il décide de leur prouver qu’une oie domestique est capable de voler et veut les rejoindre. Nils, en partance pour un ailleurs loin de sa famille, tente de le retenir ce à quoi il échoue et s’envole avec lui.

Commence alors pour Nils et Martin un voyage fantastique à travers la Suède pour rejoindre les régions polaires où elles nichent.

Chaque région sera décrite par chacune de ses particularités naturelles, paysagères, économiques, géologiques, agrémentée par le récit de contes et légendes qui lui sont spécifiques. Le récit aurait pu être fastidieux à lire s’il n’y avait pas eu une quête cachée : la rédemption de Nils et la levée de la malédiction du tomte.

Peu à peu Nils met de côté le méchant garnement qu’il peut être pour apprendre, sous la houlette bienveillante et énergique d’Akka, la vieille oie sage et avisée, à comprendre les beautés de la nature ou la joie de contribuer au bien d’autrui en étant solidaire et bon.

Avec ses amies les oies sauvages, Nils déjouera les plans de leur ennemi juré qu’est Smirre le renard, tellement entêté et obnubilé par la vengeance qu’il les poursuit sans cesse. On assiste à un « Roman de renart » à l’envers : le leurré de l’histoire est à chaque fois Smirre.

Nils croise et recroise la route de deux jeunes enfants, un frère, Mats et une sœur, Asa, qui avaient gardé les oies avec lui l’été précédent, qu’il a tourmentés. Ces derniers ont dû partir sur les chemins pour gagner leur vie suite au décès de leur mère et de leurs frères et sœurs. Ils veulent retrouver leur père qui a fui devant le chagrin de la perte d’une partie de sa famille. Selma Lagerlöf en profite pour édifier ses jeunes lecteurs en expliquant les ravages de la tuberculose quand la population est sous-alimentée, vit dans la misère et ne sait pas qu’il faut laver et désinfecter la maison et les vêtements. A plusieurs reprises, l’auteure fera allusion à la pauvreté généralisée du pays au XIXè siècle due aux famines et provoquant un exode massif suédois en Amérique.

Nils, au fil des rencontres et des épreuves, tisse des liens d’amitié avec Martin le jars qu’il malmenait et méprisait, Nils s’améliore et laisse s’exprimer la bonté qu’il a au fond de lui. Chaque bonne action le rapproche de la rédemption et fait de lui un être humain meilleur et tolérant : chaque être vivant a droit à son espace de liberté et de tranquillité pour grandir et se reproduire, les animaux qu’ils soient à poils ou à plumes, qu’ils aient deux ou quatre pattes, qu’ils volent, courent ou rampent, font partie d’un tout et sont essentiels au cycle de la vie, comme les plantes, et les hommes doivent accepter de partager le monde avec eux.

 

J’ai lu avec bonheur ce classique de la littérature jeunesse dont je n’avais lu que quelques épisodes. J’ai trouvé lumineuse la relation, imagée certes mais tellement ludique et pédagogique, de la création géologique du parcours d’un fleuve de sa source à son embouchure, là où il rejoint la mer. Le chapitre est magnifique tant par la justesse de l’explication que par la poésie de l’écriture, la splendeur des images mentales créées par le style de l’auteure. On est au cœur du processus géologique, on suit le filet d’eau qui grossit et enfle au point de bousculer les chaos rocheux afin de poursuivre son cheminement. On sait que le temps se compte en millions d’années par le rythme de la narration.

Autre moment fort du roman, moment d’humour et d’émotion : la rencontre de Nils, le tomte, et de Selma revenant sur les lieux de son enfance… ou comment extérioriser les difficultés rencontrées au cours de l’écriture du roman et indiquer au lecteur sagace quelle astuce littéraire lui permettra de rendre possible le récit : son héros sera réduit à la taille d’un tomte et pourra ainsi voyager sur le dos d’une oie.

 

L’écriture porte joyeusement le roman, les descriptions sont loin d’être ennuyeuses, elles apportent des couleurs, du relief comme dans un immense tableau paysager peint avec une délicatesse énergique.

Nils agace au début et peu à peu on s’attache à lui, on veut qu’il réussisse à vaincre la malédiction et à rentrer chez lui, en Scanie.

 

« Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède » est un voyage initiatique dans lequel la pédagogie se glisse sans heurt grâce à la plume poétique et délicate de l’auteure, conteuse hors pair aménageant les rythmes du récit pour ne pas lasser son lecteur. Cinq cent pages de bonheur.

 

Traduit du suédois par Marc de Gouvenain et Léna Grümbach

 

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vendredi 28 mai 2021

La forme de l'eau

 


Le Giro littéraire organisé par Martine Galati me fait poser les valises en Sicile et découvrir la première enquête du commissaire Montalbano.


Vigata (bourgade imaginaire), Sicile orientale, est une petite ville dotée de friches industrielles, vestiges d'un temps où les gens pouvaient trouver du travail. Aux alentours d'une ancienne fabrique, il y a le Bercail, lieu de tous les trafics allant de la prostitution au trafic de drogues. Entre terrain devenu vague et décharge à ciel ouvert, les affaires glauques se concluent à toute heure, cependant la nuit attire les couples en mal de sensations fortes... à leur risque et péril.


Un matin, à l'aube, deux éboueurs, géomètres de métier, viennent ramasser les ordures abandonnées au cours de la journée et de la nuit. Ils tombent sur un cadavre dans une voiture et l'un d'entre eux récupère un collier valant son pesant d'or.

Ils ont reconnu le mort : Luparello, un politicien en vue ce qui corse l'affaire. Leur première réaction est d'appeler le secrétaire du défunt avant d'être invités, laconiquement, à alerter les autorités.

La disparition de Luparello met sur les dents aussi bien la police que la mafia, ainsi commence l'enquête de Montalbano, l'enfant du pays.

Ce dernier devra manoeuvrer entre mensonges et demies vérités pour tenter de démêler l'écheveau du mystère : comment la voiture est-elle arrivée au Bercail, la mort de cause naturelle de Luparello cache-t-elle autre chose ? D'autant que découvrir son cadavre dans le lieu de perdition célèbre dénote avec sa personnalité.

Montalbano ne s'en laissera pas conter, conservera calme et flegme lui qui sait si bien naviguer dans les eaux troubles, là où la loi et l'illégalité tissent des liens. En effet quoi de plus intriguant que ce qui est formellement établi ? Aussi Montalbano gratte-t-il partout pour comprendre le pourquoi du comment de la disparition de la victime.

Une mort accidentelle de cause naturelle (mort par extase sexuelle) a autant de formes que l'eau quand on la met dans différents récipients et elle peut dire tout et son contraire. Montalbano s'accroche aux détails de l'ombre pour raccorder, à mesure qu'il avance dans son enquête, les morceaux et terminer le puzzle.

Des petites manies plus ou moins glauques des gens biens aux calculs politiciens bien orchestrés, le chemin menant à la vérité est difficile sans faire de vagues.


Le commissaire Montalbano, que je découvrais, m'a bien plu : son caractère grognon, sa pugnacité, sa probité et l'amitié indéfectible avec son copain d'enfance, Gégé, trafiquant et à l'occasion indic du commissaire.

Il est humain et cette dimension apporte une aura au personnage : il arrange la vérité autour du collier, retrouvé non loin du lieu de l'accident, pour aider un couple à soigner son enfant à l'étranger. L'occasion est donnée pour souligner les travers d'une époque et d'une région qui a des difficultés à prendre ses distances avec le système mafieux. Le marigot est loin d'être asséché et sécurisé.

L'intrigue est bien menée, on ne s'ennuie pas une seconde grâce à l'humour et au don d'observation du héros.

Ah... ne pas oublier les plats siciliens traditionnels préparés par la femme de ménage du commissaire qui n'est autre que la mère d'un malfrat qu'il a envoyé derrière les barreaux pour quelques années.

Traduit de l'italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria


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mardi 25 mai 2021

Une ado en Inde

 


Depuis que je m'engage dans divers « challenges » lecture, je m'ouvre à la littérature jeunesse autre que celle des albums que je pratique au quotidien dans ma classe.

Je suis rarement déçue par ces nouvelles lectures, « Bye bye Bollywood » n'a pas dérogé à l'habitude, la lecture de ce roman m'a beaucoup plu.


Une mère divorcée avec ses deux filles, Nina et Garance, décide de partir dix-huit jours, pendant des vacances scolaires intermédiaires, en Inde, son aînée, collégienne de quinze ans et en pleine crise d'adolescence est ravie. Sauf que le séjour ne se déroulera pas dans un hôtel pourvu de tout confort et doté d'une piscine, mais dans un ashram au cœur de la ruralité indienne.

« Quand ma mère nous a annoncé qu’on partait en vacances en Inde, ma sœur s’est direct imaginée en mode « Bollywood », façon princesse indienne. Plus mesurée, j'ai pensé que j'avais la meilleure maman du monde, ce qui n’arrive pas souvent. Puis j’ai compris qu'elle nous emmenait dans un ashram. Traduction : délire yoga-méditation, riz complet et partage des tâches ménagères ! Ça m’a anéantie. Et encore, j’ignorais qu’une fois là-bas, il n’y aurait pas de réseau et que le seul jeune de mon âge, Jésus, serait un matheux sans pitié. Mais…

Comme le dit le proverbe indien : « Tant qu’il y a de l’amour, tout est possible » !

La quatrième de couverture ne dévoile rien d'important et réussit à titiller la curiosité du lecteur adulte.

Il accompagne Nina dans son voyage en Inde qui est loin de ressembler à l'image bollywoodienne qu'elle s'en faisait. Elle pensait que Garance et elle seraient les seuls enfants dans la galère de l'ashram or non, elle rencontre Jésus et sa petite sœur Zaouïa. Les débuts sont difficiles entre les deux adolescents : Nina, sans être frivole, n'est pas absorbée par ses études, elle est du genre à devoir bûcher pour se maintenir dans la moyenne, Jésus est brillant partout, notamment en maths, ce qui a le don d'agacer la jeune fille. Ils se découvriront des points communs au gré des soirées passées dans la bibliothèque, seule pièce dotée de prises électriques, à regarder des films et à discuter de leur petite vie d'ado.

L'auteure, Hélène Couturier, peint une Inde différente de ce qu'imaginait Nina – mais aussi tout occidental qui n'est jamais allé en Inde - : elle est happée par le bruit, incroyable, les couleurs, les odeurs, la foule disparate qui se côtoie dans les rues et sur les marchés. Elle confronte sa jeune héroïne aux us et coutumes de cet immense pays qui ouvrira les yeux sur une réalité choquante et qui s'ouvrira au monde, un décentrement permettant de mûrir et de grandir.


J'ai aimé les relations de Nina avec Karen, un membre permanent de l'ashram, ou avec une jeune fille, Fulki, destinée à un mariage forcé. Leur rencontre devient l'occasion pour les enfants et ados de mettre en place une stratégie pour faire échouer le plan des parents de Fulki.

J'ai vraiment apprécié le fait qu'Hélène Couturier ne masque pas la réalité indienne, elle distille avec à propos et finesse les éléments culturels du pays. Le tout sans langue de bois et dans un style dynamique et plaisant.

J'ai apprécié le temps fort vécu par Nina quand elle voit, en vrai !, une de ses héroïnes féministes, Sampat Pal Devi, dans son sari rose, suivie par ses « soeurs », fendant la foule pour venir admonester un homme qui veut jeter sa femme et ses filles à la rue parce qu'il n'aura pas de fils. Nina n'est pas seule pour comprendre ce qui se joue sous ses yeux, il y a le filtre Karen pour étayer les informations reçues.

Les relations entre sœurs sont également bien vues : la différence d'âge amène des situations amusantes et drôles. Nina aime autant qu'elle déteste gentiment Garance : elle l'envoie paître et le regrette aussitôt mais la fierté adolescente fait qu'elle ne le montre pas.

Enfin j'ai aimé la manière dont sont traitées les relations mère-fille adolescente : sans concession, avec force de chaque côté du miroir. J'ai été d'autant plus émue et réceptive qu'avec l'âge et le temps qui passe, ces relations sont en évolution permanente avec parfois des bas et souvent des hauts. Mère et fille, à l'issue du séjour, auront mis de l'eau dans leur vin et l'apaisement semble en bonne voie. D'autant que la magie ultime de la visite du Taj Mahal au petit matin, après une journée de voyage en train, est un moment précieux pour elles.


J'ai quitté, avec un pincement au cœur, Nina et sa famille tant le roman, dans lequel la comédie tient une jolie place, est rafraîchissant et joyeux.

La bibliothécaire en charge du secteur jeunesse m'avait certifié la qualité de ce roman, ma lecture n'a pas démenti son avis : « Bye bye Bollywood » faisait partie des sélectionnés dans la catégorie 5è/4è du Prix des Incorruptibles 2018-2019, gage de qualité.

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lundi 24 mai 2021

Un palazzo et trois soeurs

 


J'avais beaucoup aimé « Mal de pierres », ce beau souvenir restait en moi et m'a amenée à renouer avec la prose de Milena Agus.

« La comtesse de ricotta » nous conte, dans une atmosphère remplie de nostalgie mélancolique, avec délicatesse la splendeur passée d'une grande famille de Cagliari dont le palazzo se délabre.

Les trois sœurs vivent différemment la perte de la splendeur familiale, les appartements ont été vendus pour ne pas sombre financièrement, elles vivent dans les trois appartements dont elles sont toujours propriétaires.

Noémi, avocate de renom, s'accroche à l'idée de renouer avec le passé et espère pouvoir racheter ce qui a été vendu. Elle vit seule, célibataire, avec l'espoir de rencontrer l'amour de sa vie.

Maddalena est mariée, coud merveilleusement bien et ne vit que pour enfanter un jour. Les plaisirs charnels n'ont qu'un seul but : être enceinte. Elle ne ménage pas ses efforts et entoure de sensualité son époux.

Puis on rencontre la benjamine dite la comtesse de Ricotta, si fragile qu'elle ne va jamais au bout de ses projets. Tout lui échappe des mains, la catastrophe n'est jamais bien loin. Elle élève seule son petit garçon Carlino, avec lequel personne ne veut jouer parce qu'il est décalé et étrange. On pourrait le croire simplet mais on sait qu'il ne l'est pas. Il est simplement différent comme sa maman la Comtesse de Ricotta. Toute petite elle s'intéressait aux misérables, aux contrefaits, à ceux qui vivent aux lisières du monde. Plus tard elle gardait les enfants des femmes pauvres pour qu'elles puissent travailler, la Comtesse de Ricotta devenait alors nounou gratuite au grand désespoir de ses sœurs. Fragile, maladroite, empathique et désespérée de n'arriver à rien.

Pourtant l'espoir demeure : de l'autre côté du mur le voisin, sans se montrer, communique avec Carlino et sa mère. L'amour se trouve-t-il derrière ce mur ?


Milena Agus nous fait glisser, mine de rien, dans un récit au charme incroyable : en quelques phrases, nous sommes dans un autre monde, celui d'un palazzo nobiliaire qui s'effrite dans la mélancolie. La Sardaigne est flamboyante dans les descriptions des paysages que l'on peut admirer depuis la colline du Castello, quartier médiéval où se dresse le palazzo des comtesses. La Sardaigne revêt le voile nostalgie d'un passé révolu quand nous suivons les méandres des sentiments et pensées des trois sœurs.

Leur quête est identique bien qu'elle emprunte des chemins différents, accordant autant de désillusions que d'espoirs. Parfois la tentation est forte de tout laisser tomber et de disparaître dans le bleu de la mer ou le vide de l'oubli. Souvent la vie et ses inattendus redonnent des couleurs au récit, à cette histoire désarmante qu'il nous est impossible de voir triste.

L'idéal n'existe pas sauf dans les contes. Sa quête ne peut apporter de plénitude puisque jamais la satisfaction n'est au rendez-vous. L'amour idéal est un leurre dont le voile obstrue le champ de vision : tant que nous sommes à sa recherche, nous errons sans fin, nous accommodant, peu ou prou, de petits arrangements avec la réalité. Noemi se retrouve confrontée à cela lorsqu'elle rencontre le neveu de leur ancienne gouvernante qui restaurera la façade de la cour intérieure du palazzo.


« La comtesse de Ricotta » se lit et se découvre entre les mots, dans ces espaces silencieux où la rêverie du lecteur est accueillie à bras ouverts. Chacun a une part « ricotta » en soi, une fragilité intrinsèque à assumer ou à dissimuler.

La poésie est présente, elle rythme le récit et lui apporte une lumière tendre et émouvante. Nous naviguons sur cette part merveilleuse laissée au rêve et ce n'est que joie en ces temps qui en manquent beaucoup.


Traduit de l'italien par Françoise Brun


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dimanche 23 mai 2021

Les 10 ans du Mois Anglais, ça se fête!


 Le joli mois de mai et ses déambulations italiennes cèdera, dans quelques jours, la place à juin, mois du "Mois Anglais" qui fête cette année ses dix ans!

Les organisatrices CryssildaMartine et Lou ont dévoilé le programme anniversaire de leur "bébé". Les rendez-vous auront lieu sur les blogs des participants, sur le groupe Facebook de "Mois Anglais" et sur Instagram.

Quant au programme, il est là, tout chaud:

  • Présentation de PAL, d'envies : dès à présent
  • Billets libres: à tout moment
  • Avant 1837 : 3 juin
  • Animaux : 5 juin
  • 1ere ou 2e guerre mondiale : 7 juin
  • Littérature jeunesse / album jeunesse : 9 juin
  • Époque victorienne : 10 juin
  • Une saison au choix : 12 juin
  • Années 50/60 : 14 juin
  • Époque édouardienne : 17 juin
  • English Royals : 19 juin
  • Années 70/80/90 : 21 juin
  • Non fiction (essai / biographie / livre d'histoire) : 22 juin
  • Années 20/30/40 : 24 juin
  • Voyage / évasion au sens large (régions anglaises, voyage dans le temps, dans l'espace si l'équipage est anglais) : 26 juin
  • Années 2000 jusqu’à aujourd’hui : 28 juin
Ce qui est bien, comme dans tous les challenges auxquels je participe, c'est que l'on peut prendre quelques libertés avec le programme qui est un fil conducteur que l'on peut choisir de suivre scrupuleusement ou au gré de ses envies et des livres que l'on a sous la main.
J'ai passé quelques heures à fouiller sur internet pour trouver des auteurs correspondant aux thèmes, à regarder sur mes étagères si je pouvais tomber sur les titres recherchés puis à compulser le catalogue des médiathèques que je fréquente.

J'ai sorti de ma PAL:

* « Comme il vous plaira » William Shakespeare => avant 1837

* « Les aventures de Cluny Brown » Margery Sharp => années 20/30/40

« Ecoute la ville tomber »  Kate Tempest => années 2000 à aujourd'hui

J'irai emprunter à la médiathèque:

* « Cheval de guerre » de Morpurgo Michael => littérature jeunesse/animaux/1ère guerre mondiale (je reconnais avoir fait fort)

* « Le récital des anges » Tracy Chevalier => époque victorienne

* « Avec vue sur l'Arno » E.M. Forster => époque édouardienne

* « L'Ombre du soleil » A.S. Byatt => années 50/60

* « Illusions fatales » Rachel Abbott => années 70/80/90

* « La mort est aveugle » Julia Chapman => 2000 à aujourd'hui

Visionnage de série prévu:

* "The crown" dont on m'a dit le plus grand bien.

Maintenant, il n'y a plus qu'à... Let's go!

samedi 22 mai 2021

Micmac marseillais

 


J'avais gardé un excellent souvenir de ma lecture de « Une année en Provence » de Peter Mayle aussi ai-je choisi de récidiver avec « Embrouille en Provence » afin d'illustrer le thème du mois mai « Anti Brexit » du challenge « A year in England ».

« Quand le milliardaire français Francis Reboul vient chercher Sam Levitt jusqu'à Los Angeles pour lui demander de servir de prête-nom dans une société immobilière à Marseille, Sam est à la fois tenté et un peu réticent : pourquoi cet homme, à qui il a volé pour plusieurs millions de grands crus lors de son dernier séjour en France, veut-il lui confier cette délicate besogne ? »


On retrouve le milliardaire Francis Reboul que Sam Levitt avait grugé dans « Château l'arnaque » et si on ne l'a pas lu la lecture ne s'en trouve pas gâchée.


Marseille et son vieux port, Marseille et ses calanques, Marseille et ses embrouilles, Marseille et ses projets d'urbanisme puant si bon les magouilles et les entourloupes. Sam Levitt n'a pas plus envie que cela de quitter Los Angeles pour la Provence mais sa fiancée est enthousiaste à l'idée d'un séjour en France, au soleil qui plus est.

Sam aidé par un ami journaliste et par les « connaissances » de Reboul est missionné pour déjouer les manœuvres et les intrigues de ses deux concurrents pour le projet d'urbanisme de la ville qui sera bientôt capitale européenne de la culture. Il s'agit de contrecarrer les projets d'une Parisienne et d'un Lord anglais dont le point commun est de bétonner un petit coin de paradis marseillais.

Il y aura des accidents bizarres, des hommes de main indélicats, une traductrice insolite et intrépide, un enlèvement et un sauvetage granguignolesque.


« Embrouille en Provence » se lit rapidement et sans enthousiasme. La lecture est à peu près sauvée grâce à quelques personnages amusants tels que la traductrice ou les frères corses gentiment mafieux et surtout la description magnifique des calanques, de Marseille et de l'arrière-pays. On y est, on sent la sardine et le goudron chauffé par le soleil.

Cependant, une fois la dernière page tournée, il y a comme un goût d'inachevé. Autant j'avais adoré « Une année en Provence » autant ce gentil polar m'a laissée indifférente. Sans doute n'ai-je pas été réceptive aux joyeux clichés fleurant bon le pastaga, la bouillabaisse et le rosé.


Mauvaise pioche pour moi... tant pis.


Traduit de l'anglais par Jean Rosenthal


Quelques avis :

Babelio  Gilles Pudlowski

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jeudi 20 mai 2021

Ce soir on soupe chez Pétrone


 

Le mois italien ne peut se dérouler sans une lecture consacrée à Rome, ses empereurs vertueux, libidineux ou fous furieux, son Forum, ses patriciens, son Sénat, ses intrigues, ses magnificences, ses artistes et ses conquêtes qui firent de cette ville extraordinaire un immense empire.

Etrangement, la plume n'est pas italienne mais française : Pierre Combescot dont la faconde et le style unique font les délices du lecteur le temps d'une immersion en 66 après JC, auprès d'un Pétrone au crépuscule de sa vie.


Tout le monde connaît Pétrone, n'est-ce pas ? Auteur du célèbre « Satyricon » ou plus exactement auteur de « La vie aventureuse d'Encolpe et de Giton, vagabonds exemplaires et miroirs des filous ». Pétrone, l'écrivain favori de Néron, l'écrivain qui voyait en l'empereur instable et sanguinaire un acteur inégalable, un artiste incompris. Aveuglement ou désenchantement ironique ?

Lysias, le protégé du maître, relate la vie de Pétrone et essentiellement la dernière partie, celle qui le conduira à devancer l'ordre mortifère de Néron.


« Ce soir on soupe chez Pétrone » est un roman historique étonnant et surtout truculent grâce à la plume de Pierre Combescot qui narre avec humour la Rome de Néron. La langue est somptueusement crue, leste, jamais vulgaire, et décrit avec verve le cloaque incroyable qu'a pu être Rome. L'érudition de l'auteur met en scène des personnages licencieux, parfois abjects, avides de stupre et de luxure ; elle anime également un microcosme pouilleux ou parfumé à l'excès, où le snobisme tient sa place avec entrain, où les histoires scabreuses de caleçonnades, à la mode antique, s'enchaînent joyeusement avec de multiples rebondissements.

Il y a de la grivoiserie, un brin de trivialité qui peut choquer les père ou mère la vertu, mais qui donnent corps au récit et brosse le portrait d'une Rome cheminant vers la décadence. La République a toujours ses nostalgiques aux sursauts mal orchestrés voués à l'échec.

Pétrone, proche et intime de Néron, regarde son monde qui se meurt, goguenard et d'un d'oeil égrillard, sans faux espoirs et sans faux-semblant : il sait que les faveurs du Prince ne sont pas éternelles et que viendra le jour où il lui faudra quitter la scène et ce de manière élégante.

Pétrone est un esthète, un homme d'une grande culture, un érudit et un observateur sans concession de la nature humaine …. « ses amis, ses amours, ses emmerdes » chantait Aznavour.

« Ce soir on soupe chez Pétrone » est loin d'être un roman triste, bien au contraire : même si on connaît la fin qu'aura Pétrone, même si la Rome de Néron est loin d'être un fleuve tranquille et serein, je ne m'avancerais pas beaucoup en pensant qu'il y a du picaresque et du beau ! La galerie de personnages présentées est le terreau inestimable sur lequel « Le Satyricon » a prospéré : les aventures que traversent Encolpe et Giton sont autant de contestations de l'ordre, non pas social, bien que Pétrone avant de mourir ait affranchi tous ses esclaves, plutôt politique établi, la toge patricienne ou miteuse remplace le pourpoint fatigué du héros en incessantes vadrouilles.

Lysias, intime et secrétaire de Pétrone, recueille les réflexions, les idées ou les propos du maître ce qui permet de savourer les petits et grand ridicules, les défauts amusants ou épouvantables de la bonne société romaine.

Pierre Combescot fait découvrir à son lecteur un Pétrone arbitre des élégances, chef d'orchestre de soupers courus par le « tout Rome », un "détricoteur" de morale, entreprise qu'il maîtrise joyeusement, un démolisseur du langage car, et ça je ne le savais pas, Pétrone est marseillais et a appris dans la cité phocéenne l'argot qu'il emporte avec lui quand sa famille retourne à Rome.

Il ne se contente pas de larder la langue latine avec l'argot marseillais, il ne mégote pas sur les moyens pour prendre le contre-pied des conventions et des idées reçues. Qu'il aime s'amuser des travers des mondains, des gens de pouvoir, des parvenus galérant pour se faire admettre dans les cercles dont il faut être, « the place to be » antienne séculaire de tout bon suiveur de mode. Staphyla dicte Perlette et son époux Fluvius Fluviolus sont des personnages hauts en couleur dignes commensaux pour un dîner de cons.

D'ailleurs, le souper, qu'en est-il ? Selon les critères de la grand-mère de Pétrone, Fabia Maxima, un souper ne peut comporter pas moins de trois invités et pas plus de neuf. Autant dire que son organisation, dans la villa de Cumes, dans la baie de Naples, ne sera pas aisée : qui écarter, qui convier ? Car ce souper ne sera pas les autres : une bouillabaisse servie en prima dona et il sera l'événement marquant la disparition de Pétrone.

Pétrone est un artiste, un esthète, un épicurien qui ne veut pas rater sa sortie. Une réussite parfaite, relatée d'un ton jubilatoire.


« Ce soir on soupe chez Pétrone » est une lecture joyeuse, avec ce qu'il faut de tristesse désabusée, qui m'a emmenée de Marseille à Cumes en passant par Rome, pour un bienfaisant voyage en Italie.


Quelques avis :

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mercredi 19 mai 2021

Dur, dur d'être la benjamine

 


Susie Morgenstern revisite son enfance à Newark aux Etats-Unis, état du New-Jersey, benjamine d'une sororie de trois filles. Les deux aînées, Sandra et Effie, sont déjà adolescentes tandis que la petite Susie, du haut de ses dix ans, est la « petite dernière » que l'on aime bien employer pour faire les tâches qui rebutent les « grandes » et qu'on aime bien gentiment rudoyer.

Le grand drame de la vie de Susie est d'être la « petite dernière », ses sœurs sont soit plus jolies ou plus drôles qu'elle. Lui confiera-t-on un jour une mission de grande comme éplucher les légumes, mettre la table, faire des courses ? Tout ce qui lui est demandé c'est faire ses devoirs, être attentive et de bien travailler en classe.

A-t-elle quelque chose qui la démarque de ses soeurs? Tout simplement sa vivacité d'esprit, sa curiosité intellectuelle et sa soif de comprendre le monde qui l'entoure. Sans compter sa capacité à partager de nombreux moments avec la jolie Sandra et Effie, la rigolote.

Le quotidien de la famille, juive, de Susie est délicieusement servi par les dessins tendres et empreints d'humour joyeux par Johann G.Louis qui croque les petits riens au fil des saisons et des événements.

On ne peut résister au soir d'Halloween au cours duquel les trois sœurs reconstituent leurs réserves de friandises pas vraiment autorisées par leur confession religieuse. Elles sont drôles, désopilantes, on les suit, insouciant, comme elles, dans leur déambulation déguisée. Jusqu'au moment où Susie est à la traîne et « disparaît » quelques instants pour revenir auprès de ses aînées, son panier délesté d'une grande partie de sa collecte « des bonbons ou des sorts ». Bien entendu, Susie la gourmande n'a pu résister à l'appel des friandises. Sauf que... non...Susie n'a pas dévoré ses bonbons, Susie a été rackettée par Walter un élève de son école qui lui dérobe quasiment tout. Susie ne dira rien. Quelques semaines plus tard, Walter l'interpelle uniquement pour lui balancer un « T'es qu'une sale juive ». Peu à peu Susie perd son entrain habituel, redoute de se rendre à l'école jusqu'à en perdre le goût d'étudier. Elle apprendra combien les préjugés raciaux ou religieux ont la vie dure même dans la grande et belle Amérique.

Il y a des épisodes savoureux comme celui des escapades régulières des trois sœurs pour acheter des hamburgers bien gras et pas cascher, ou celui de la dispute suite au caftage de Susie de l'opération « hamburgers » qui dégénère au point que les aînées la poussent à travers la vitre qui se brise et provoque la chute de Susie. Quelle explication servir à leur mère  ? Un mensonge énorme pardi « On en avait marre de Susie, alors on l'a passée à travers la vitre. »

Petit à petit, Susie partira en quête de l'histoire familiale suite à plusieurs événements : celui de la mort de son grand-père maternelle, celui de l'altercation avec Walter et celui de l'accueil de parents venus de Pologne, on explique à Susie qu'ils ont vécu l'enfer là-bas. Or, elle ne sait rien des horreurs et atrocités commises par les nazis. Elle ne comprend pas pourquoi le couple est si triste, si terne, voûté comme s'il portait tous les malheurs du monde sur ses épaules. Susie écoutera les non-dits, lira le « Journal d'Anne Franck », glanera des informations et comprendra la tristesse absolue de ces parents éloignés venus de Pologne, de l'autre bout du monde.

« La petite dernière » permet également, au gré des souvenirs de Susie Morgenstern, de croiser les commères du quartier ainsi qu'un couple pas comme les autres : celui que forment Charlotte et Arlène, deux jeunes femmes artistes peu appréciées des gens du quartier qui les appellent les « sorcières ». Les préjugés peuvent amener les gens à être cruels ce qui conforte la fillette dans son esprit de tolérance et son envie d'écrire.


L'adaptation en bande dessinée du roman « La petite dernière » de Susie Morgenstern est une vraie réussite : on se laisse guider de case en case, faites à l'aquarelle, au gré de la poésie et de l'humour tant du texte que des illustrations.

On respire avec bonheur la joie immense de l'année des dix ans de l'auteure, souvenirs mêlant insouciance de la fin de l'enfance et questionnements philosophiques sur l'existence, la vie, ses travers et ses beautés.


Quelques avis :

Babelio  Sens critique  France culture  Nouvel Obs

Le blog de l'auteure: clic!

Merci à Babelio et aux éditions Dargaud pour cette jolie lecture.


jeudi 13 mai 2021

Belle est la montagne

 


Mon Giro lecture commence dans le nord de l'Italie, entre Milan et Grana, petit village de montagne où la mère du narrateur loue une maison- résidence secondaire pour s'éloigner de la ville bruyante et polluée et renouer avec la nature montagnarde.

Pietro rencontre Bruno lors d'un séjour estival à Grana : après une période où les deux jeunes garçons se jaugeront, une solide amitié naîtra entre eux.

Tandis que le père de Pietro, coureur de sommets à épingler sur sa carte, essaie de lui faire aimer la course en haute montagne, Bruno l'initie aux secrets de la montagne en parcourant, inlassablement, les alpages, les berges des torrents, la forêt et les glaciers. Pietro découvre une nature sauvage, âpre qui ne fait pas de cadeau à ceux qui s'y accrochent et tentent d'y vivre. Les baines sont à l'abandon, là-haut, dans les pâturages d'altitude, et les hommes taiseux.

Chaque séjour les lie profondément, chaque séjour fait découvrir au jeune Pietro une facette inconnu de son père, homme peu expansif et taciturne : quand le père pose le pied en montagne, il se relâche et n'a de cesse de gravir les pentes pour atteindre un des sommets de la chaîne alpine. Gravir, marcher et ce sans s'arrêter pour profiter des paysages grandioses : seule compte l'arrivée au sommet. Bien plus tard, une fois adulte, Pietro découvrira les « traces » laissées par les coureurs de sommet, dans une petite boîte en fer, dont celles de son père. Pietro ne parvient pas à adhérer à l'enthousiasme montagnard de son père et un jour il refusera de l'accompagner marquant la rupture avec l'enfance. Le tout sous le regard parfois goguenard de la mère, le lien entre le père et le fils, elle qui sait si bien jouer la partition du couple pour désamorcer les conflits. Elle s'accommode de son époux pour mieux vivre sa vie.

La vie séparera les deux amis, Pietro ira à la fac puis deviendra réalisateur, Bruno sera maçon, comme son paternel, et construira des maisons. Pietro quittera une montagne pour une autre qui lui en redonnera le goût : les Alpes italiennes laissent place au Népal et à l'Hymalaya. Etre loin recentre Pietro, le réconcilie avec lui-même mais pas avec son père.

Le cercle enchâssant la symbolique des huit montagnes fera que Pietro reviendra dans son Val d'Aoste à la mort de son père. Ce dernier lui lègue une cahute brinquebalante, une barma qu'il remontera avec Bruno, créant ainsi un point d'ancrage, un refuge, au cœur d'une montagne aussi grandiose que dangereuse.


« Les huit montagnes » est un roman envoûtant par la tristesse ineffable qui s'en dégage malgré les beautés que la nature offre généreusement à celui qui sait être à son écoute. On peut passer sa vie à ne pas comprendre celui qui vous a engendré, on peut passer le reste de sa vie à le regretter sans pouvoir y remédier. On ne revient jamais en arrière, on atteint, dans le cycle de la roue, le point que l'on a quitté des années auparavant, le regard changé et apaisé.

Paolo Cognetti écrit l'intime et le grandiose avec authenticité, avec une magnifique simplicité dans les mots, dans les propos des héros. La simplicité apporte une force narrative dont on ne se lasse pas. On est dans la montagne, à la suite des deux galopins, on suffoque lorsqu'on gravit, derrière le pas alerte du père, on s'extasie devant les scènes vivantes offertes par une montagne fière, lumineuse, chafouine et parfois sombre. On participe à cette ode à la nature qui nous rappelle combien elle est précieuse.

La montagne, univers mystérieux, dépaysant et terrifiant, pour celui, et j'en fais partie, qui n'y est pas né, qui ne la connaît pas et qui ne sait pas l'apprivoiser. Elle peut achever les plus coriaces et les avaler sans qu'ils laissent aucune trace avant le printemps suivant ou conserve à jamais le mystère d'une disparition.

J'ai été charmée par le roman de Paolo Cognetti, auteur que je ne connaissais pas : l'histoire d'une amitié intense que l'éloignement n'entame en rien. Dix ans peuvent passer sans pour autant rendre deux amis étrangers l'un à l'autre. J'ai également apprécié la justesse des mots et des émotions, notamment la tristesse, fil conducteur silencieux et discret du roman. 

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Une citation :

« Peut-être ma mère avait-elle raison, chacun en montagne a une altitude de prédilection, un paysage qui lui ressemble et dans lequel il se sent bien. La sienne était décidément la forêt des mille cinq cents mètres, celle des sapins et des mélèzes, à l’ombre desquels poussent les buissons de myrtilles, les genévriers et les rhododendrons, et se cachent les chevreuils. Moi, j’étais plus attiré par la montagne qui venait après : prairie alpine, torrents, tourbières, herbes de haute altitude, bêtes en pâture. Plus haut encore, la végétation disparaît, la neige recouvre tout jusqu’à l’été et la couleur dominante reste le gris de la roche, veiné de quartz et tissé du jaune des lichens. C’est là que commençait le monde de mon père. »

Quelques avis :

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mercredi 12 mai 2021

Esprits êtes-vous là?

 


« Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantômes »
(in « Le Horla » de Guy de Maupassant)  peut-on lire en quatrième de couverture de ce splendide opus des éditions Soleil.

Le monde traditionnel japonais est peuplé d'esprits aussi gentils que méchamment farceurs ou franchement méchants. L'écriture de Lafcadio Hearn est merveilleusement servie par les illustrations poétiques ou inquiétantes de Benjamin Lacombe.

« Esprits et créatures du Japon » s'intéresse plus particulièrement à la nature et à la figure animale dans les contes et la mythologie japonais.

Le voyage exploratoire commence dans les eaux mystérieuse dans lesquelles évolue l'homme-requin pour se poursuivre en rencontrant le kappa ou génie des eaux un brin chapardeur. Il s'achève avec le conte « La mort d'un canard sauvage » où la cane est une jeune femme enchanteresse.

Les illustrations invoquent l'élément liquide de belle manière : les vagues rugissantes de la mer, la fausse tranquillité d'un marais, les berges dangereuses d'une rivière. Les couleurs passent du bleu à une gamme de verts et de jaunes, enveloppant le lecteur dans un étrange manteau liquide.

Puis, le voyage devient terrestre : les saule et cerisier content des légendes d'une beauté absolue, Benjamin Lacombe peint les arbres en une explosion de couleurs d'un même camaïeu, le lecteur est prisonnier consentant des bras tortueux et noueux du saule vert, du branchage lourd de fleurs du cerisier portant l'âme d'un valeureux samouraï.

Les animaux pointent le bout de leur museau, les kitsune entrent dans la danse grâce à un long chapitre, extrêmement bien documenté, dans lequel on apprend pourquoi nombreuses sont les statues de kitsune a être amputée de leur museau. Je vous mets sur la piste : les enfants auraient quelque chose à y voir mais chuuuut...

Les renardes croisées lors des nuits gorgées de brume sont à éviter car seuls les esprits savent jusqu'où elles peuvent mener les hommes. La magie est latente prête à envelopper le monde d'illusions.

Enfin, l'apogée du voyage se déroule dans les airs lorsqu'un papillon croise la route d'une fourmi. La grâce du pinceau de l'illustrateur apporte une féérie à laquelle on succombe avec enchantement.


« Esprits et créatures du Japon » est un recueil enchanteur tant par son texte que par ses illustrations dont les détails occupent le lecteur tout au long de ses pérégrinations au cœur des légendes japonaises.

La lecture procure de doux moments d'abandon et de rêves éveillés. Une respiration bienvenue après une journée de travail. Ne pas oublier la tasse de thé vert pour accompagner le voyage au pays des esprits et créatures japonais.

Une certitude reste : le désir de replonger dans le recueil sans modération.

Traduit de l'anglais par Marc Logé


Quelques avis :

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