dimanche 28 février 2021

L'archipel du Kompromat

 


Quand l'auteur avait présenté son récit à La Grande Librairie j'avais été séduite par le sujet tant il était romanesque. Aussi ai-je postulé pour la lecture dans le cadre du dernier opus de Masse Critique organisé par Babelio. J'ai été très heureuse de pouvoir concrétiser mon envie de le lire.


Le livre n'est pas l'objet auquel je suis habituée puisque j'ai reçu un audio-livre. Grande première pour moi. Je dois avouer que ce mode de lecture n'a pas été aisé: écouter n'est pas pareil que lire car le champ de vision est plus large et donc susceptible d'être distraite par tout ce qui pouvait y entrer. J'ai du repasser plusieurs fois les mêmes chapitres et fermer les yeux pour être au cœur du texte. C'est un apprentissage fastidieux dont le charme réside dans l'écoute d'une lecture faite par l'auteur lui-même.


Yoann Barbereau nous relate la machination dont il a été victime alors qu'il était en poste à Irkoutsk, en Sibérie, en tant que directeur de l'Alliance française. Tout est à remonter, un vrai défi lui est offert.

Au début tout va pour le mieux, il réussit à approcher des mécènes et obtenir des subsides pour améliorer le fonctionnement de l'Alliance. Il randonne près et sur le lac Baïkal, il réalise un souhait de toujours : appréhender l'âme russe et le mystère sibérien.

Puis tout dérape sans qu'il ne voit rien venir : arrestation musclée devant sa fille, âgée de cinq ans, devant son épouse qui ne réagit pas, détention en préventive tout aussi musclée et emprisonnement dur en attendant le procès.

Le lecteur-auditeur est plongé, comme l'auteur, dans un monde absurde où la folie guette chaque prisonnier. La machinerie bien huilée du kompromat, inventé par le KGB et bien rodé par le FSB, se met en branle et rien ne peut l'arrêter malgré les ficelles grossières dont est fait le dossier à charge de Yoann Barbereau.

On est estomaqué devant l'ampleur prise par l'affaire et on se dit que jamais Yoann ne s'en sortira. Sa voix emporte le lecteur au cœur d'un univers carcéral d'une violence inouïe, au-delà de l'entendement. On à l'impression de se retrouver dans un film de barbouze tant les rebondissements sont étourdissants et angoissants. Entre les lâchetés diplomatiques, les manipulations des témoins, la fuite de son épouse et de sa fille en Angleterre, les accusations de pornographes assaisonnée d'une dose de pédophilie, il y a de quoi sombrer dans le découragement et la folie.

Yoann est sauvé de l'horreur intégrale de sa situation grâce à la littérature, aux souvenirs de lecture, de poèmes et de séries. Il est Edmond Dantès, Michel Strogoff, Casanova emprisonné à Venise, un héros de Pouchkine ou de Boulgakov. Il est un héros kafkaïen, il est personnage de Dostoïevski ou de Soljénitsyne … l'archipel du goulag l'attend au bout du procès.

Il endure et note chaque jour dans un petit carnet vert ce qu'il ressent, ce à quoi il est amené à réfléchir, il note son quotidien et celui de ses codétenus. Il brosse le portrait du système carcéral russe sans en faire trop ce qui le rend encore plus glaçant.

Après la prison ce sera l'hôpital psychiatrique puis l'assignation à résidence avec bracelet électronique. Un an depuis l'arrestation et toujours la solitude de l'enfermement.

Enfin la décision est prise : ne pas rester à attendre l'issue du procès mais fuir pour regagner sa liberté. A machination machination et demie, Yoann Barbereau prend la poudre d'escampette pour vivre un « road-trip » des plus dingues et digne de la série « Le bureau des légendes ». Il construit avec précision son plan et sa légende : il deviendra un suisse voyageur en Blablacar et Airbnb avant d'échouer...à l'Ambassade de France à Moscou dernière étape avant la grande évasion.


L'auteur fait preuve d'une grande résilience après avoir vécu l'enfer près de la splendeur du lac Baïkal, empreint d'une mystique littéraire fascinante, dans une Sibérie magnifique sous la neige et la glace avec sa taïga infinie.

Il livre à son lecteur un récit d'une intensité époustouflante dans lequel l'humour et l'érudition font le miel et le sel de son histoire. Une catharsis magnifique grâce aux livres et à l'écriture.

Les portraits des détenus sont parfois drôles, souvent attachants : on quitte ces pauvres hères à regret, craignant pour leur intégrité physique et mentale. Chaque personnage, chaque intervenant est ciselé en quelques mots, quelques phrases : on est là parmi la faune carcérale, la faune politique, la faune ordinaire des gens qui aident au nom de la liberté, la présence lumineuse de son chat Béhémoth, point d'ancrage pour lutter contre l'Absurdie.

La voix de l'auteur amène son lecteur au cœur de l'action au point qu'il a du mal à décrocher des montées d'adrénaline.

Bon... allez … cher Yoann …. avouez …. vous faites partie du Bureau des légendes ? Non ? Flûte alors !

J'ai écouté avec délice ce récit hypnotique, rocambolesque et extraordinaire, portée par la voix chaleureuse et douce de l'auteur.

Merci pour ces moments partagés empreint de l'ineffable âme slave et de son grain de folie.

Je remercie Babelio et les éditions Audiolib

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samedi 27 février 2021

Ombres et lumières en Inde

 


Qui est le tigre blanc ? Il s'agit du héros du roman épistolaire électronique, Balram Halwai, surnommé par un de ses professeurs impressionné par son intelligence et sa vivacité d'esprit, aussi rares dans les classes que le félin en question.

 

Balram devenu « entrepreneur » important, écrit des courriels au Premier ministre chinois dont la visite diplomatico-économico-politique à Bangalore est proche. Le but de cette visite ? Apprendre comment s'est construite la réussite des entrepreneurs de la ville.

Chaque nuit, Balram alias Ashok Sharma, lui écrit un courriel, chaque nuit il dévoile une part de l'envers du tableau, chaque nuit Balram, dict Ashok Sharma dict Le Tigre blanc, se raconte et raconte l'Inde d'aujourd'hui, celle qui brille aux yeux de l'Occident et celle qui sombre dans la misère la plus insupportable, chaque nuit il s'épanche dans un récit hypnotique et obsédant.

La part d'ombre de la réussite indienne est décortiquée au scalpel avec minutie : ce qui est mis à nu est insoutenable.

Reprenons le cours de l'histoire...

Balram ne peut continuer l'école et doit travailler dans un tea-shop, au village. Le Bihar est une région pauvre, plus exactement miséreuse où le Gange n'est plus le fleuve mythique mais un cours d'eau boueux et noirâtre. La violence et la corruption enlisent chaque famille paysanne dans la pauvreté ou l'indigence. Notre héros ne souhaite qu'une chose : quitter le village et monter à la ville, à la Capitale Delhi, là où il pourrait devenir « quelqu'un » comme le chauffeur de car et le poinçonneur dont il regarde avec envie situation et costume.

Balram est un débrouillard aussi sait-il utiliser à bon escient les leviers pour obtenir des leçons de conduite. Il devient chauffeur chez Monsieur Ashok revenu des Etats-Unis avec son épouse. Mr Ashok fait partie d'une famille de propriétaires terriens exploitant les paysans du Bihar, cependant son séjour aux States lui a émoussé le caractère : il n'est pas violent comme ses frères et cousins, il ne regarde pas son chauffeur comme un moins que rien. Il en est presque humain du moins pour un temps.

Balram coule des jours, non heureux mais tranquilles, au volant d'une des voitures du couple. Il devient un observateur discret et perspicace des us et coutumes des familles riches : dîners opulents, sorties, visites chez les ministres ou chefs de parti pour acheter leurs faveurs à coups de millions de roupies.

Balram se rend peu à peu compte qu'il est prisonnier de la « cage à poules », cette cage qui compartimente en caste, instille les envies d'émancipation, de richesses chez les plus démunis, infuse le devoir de pérennisation des biens chez les plus riches. Chaque étage de la société est fait de cages dont les occupants veulent s'échapper. Seul, le sommet de la pyramide se bat dans le sens inverse : celui de la domination sur les plus faibles, ceux qui fournissent les roupies de la corruption à la sueur de leur front.

Balram franchit un jour la ligne rouge : il commence à « voler » son employeur en conservant, avec ironie, son air de soumission. Lorsque l'épouse de Mr Ashok quitte l'Inde pour retourner aux Etats-Unis, tout bascule : le maître devient odieux au point que notre héros en arrive au meurtre et atteint un point de non-retour.

Avec cynisme Balram devient Ashok Sharma pour le quotidien et le Tigre blanc pour ses affaires plus occultes . Il a beaucoup appris au contact de ses employeurs et met en pratique ce qu'il a observé pour devenir, lui aussi, un entrepreneur. A coup de bakchichs, il créé son entreprise de service auprès de la personne, en l'occurrence auprès des entreprises occidentales sous-traitant une partie de leurs opérations administratives en Inde : il organise le « ramassage » en taxi des employés à la sortie de leur travail de nuit.

 

Aravind Adiga n'est pas tendre quand il peint les deux Indes : les « Ténèbres » et la « Lumière » se côtoient, rarement se mélangent et pourtant l'une ne peut vivre sans l'autre en raison du cercle peu vertueux de l'opulence qui ne laisse que d'infinitésimales miettes à l'indigence. La rudesse de son propos est sublimée par l'ironie ou le burlesque de certaines situations. Parfois le pathos affleure pour happer le lecteur tétanisé devant le tableau sans concession dressé par Adiga.

Le texte est puissant dans le sens où il implique le lecteur dans le sillage du héros et qu'il met en place une force d'évocation dotée d'un palpable lyrisme.

Le sordide en devient magnifique tandis que la splendeur revêt des habits mortuaires. L'Inde de l'ombre a la beauté des ténèbres alors que l'Inde de la lumière est le reflet d'un égoïsme froid.


Ce que j'avais pu entrevoir avec « Les ombres de Kittur » est incisé puis mis à nu avec une constance presque diabolique : l'auteur n'épargne rien à son lecteur qui se demande si Balram parviendra à quitter la « cage à poules ».

Nous sommes loin des images d'Epinal sur l'Inde et nous nous engageons de l'autre côté du miroir. Nous en revenons chamboulés d'avoir approché le côté sombre de la force économique de l'Inde moderne.

 

Roman traduit de l'anglais (Inde) par Annick Le Goyat

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jeudi 25 février 2021

Bonsoir, la rose

 


La Chine du nord, celle du grand nord où l'hiver est long, très, très long au point que l'on se demande si le printemps reviendra.

Harbin ville construite par les Russes après la révolution d'Octobre, refuge d'une diaspora juive et de russes blancs.

Xiao'e, une jeune fille issue d'un milieu modeste, croise le chemin de Léna, une pianiste russe juive dont la famille a émigré ici après la révolution de 1917. La première ne parvient pas à conserver ses logements chez l'habitant, la seconde, aveugle, cherche de la compagnie. Tout les oppose, cependant, au fil de leur apprivoisement respectif, elles tisseront des liens indéfectibles.

L'histoire est parsemée de détails a priori insignifiants, se fondant dans le brouillard formé par le froid ou dans la mémoire collective. La vie n'a pas été tendre avec Xiao'e comme avec Lena, dans des registres différents leur douleur les rassemble. En petites touches dignes d'un peintre impressionniste, les zones d'ombre sont mises, fugacement, en lumière : un bal dans un des hôtels huppés en compagnie d'officiers japonais, une fête des morts dans un village, près d'une tombe, au cours de laquelle une jeune femme mariée rencontrera son violeur. Lena ne conservera qu'un souvenir de son grand amour, Xiao'e sera le fruit du viol et ne sera jamais considérée comme une enfant légitime. Seuls son demi-frère et sa mère lui apporteront amour et considération.

Dans la nuit hivernale qui dure, chuchotent les fantômes et les amoureux, s'enfuient les illusions perdues qu'on aimerait retrouver, poussent les plantes de Lena, s'envolent les notes de son piano, s'esquissent des tableaux éphémères d'une réalité disparue.

La douceur du récit dissimule la violence et la crudité d'un acte ou des pensées. La neige étouffe les sons, le gel retarde les mouvements, l'air glacé s'embrume jusqu'au printemps. La belle saison est si brève qu'elle est vécue avec avidité dans une urgence éblouissante. Les couleurs ternes s'effacent pour le bal des couleurs vives et sensuelles, la floraison des pruniers montre combien l'impermanence fait partie de la vie.

Xiao'e et Lena, deux caractères forts, deux vécus qui forgent les volontés et arment l'entrée dans le monde. Xiao'e grandit aux côtés de Lena qui, possédant l'art d'harmoniser les couleurs et les choses, devient bouton triste qui éclot en une belle fleur. Telle une rose aux épines dissimulées.

Comme souvent, la littérature chinoise (ou japonaise) esquive l'explicite pour privilégier l'implicite : ainsi, entre non-dits et minuscules indices, se cache l'évidence pour se dévoiler petit à petit. Quelques touches pour transformer les apparences, pour évoquer la spiritualité dans chaque petit incident, minuscules chaos de l'existence.

Chi Zijian sait faire surgir la poésie en quelques mots, en un rythme au cours d'une phrase, au croisement de la tristesse et de la peine. Elle chante la beauté de la Mandchourie et de ses paysages.

Elle raconte également, en racontant la vie de ses deux héroïnes, la société chinoise actuelle, la misogynie, le comportement des hommes peu reluisant, la violence au sein d'un couple, l'acrimonie avec laquelle certains ne pensent qu'au gain, l'égoïsme pendant d'une société de plus en plus individualiste, les croyances archaïques (le costume funéraire que l'amoureux de Xiao'e transporte dans sa valise), la pauvreté proche de la misère des campagnes, la pollution dans les grandes centres urbains. La modernité n'altère pas l'aspiration au beau, Xiao'e et Lena en sont le parfait exemple.

Roman traduit du chinois par Yvonne André

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mercredi 24 février 2021

Le Prix des Incorruptibles 2020-2021

 


Chaque année je prends plaisir à participer avec me élèves au Prix des Incorruptibles.

Cinq albums ont en partage les thèmes de la nature, des animaux, de l'amitié, des émotions, les différences, l'humour, l'imagination ou encore le lien entre l'enfant et l'animal. 

La diversité des illustrations est toujours aussi extraordinaire, il y en a pour toutes les sensibilités. C'est ce que j'apprécie le plus dans la sélection proposée, chaque année. Certaines me parlent plus que d'autres cependant la difficulté face au choix sera présente... comme d'habitude. De très belles découvertes en perspective.

La sélection ci-dessous:



lundi 22 février 2021

Amicalement vôtre, Georgiana, Lady Glen Garry & Rannoch

 


Plantons le décor : Londres, 1932, les années folles s'achèvent à peine et les rumeurs au sujet d'un certain Adolf Hitler se partagent parmi le gotha anglais.

Lady Victoria Georgiana Charlotte Eugenie, fille du duc de Glen Garry et Rannoch et d'une actrice anglaise aux mille et un époux, doit se débrouiller par elle-même après que son demi-frère ait cessé de lui versé une rente. La jeune Lady décide d'échapper à son destin tout tracé, se marier avec un bon parti, et se réfugie dans la résidence londonienne de la famille, Rannoch House, en plein Belgravia square.

Or, Lady Victoria se rend compte qu'il n'est pas facile de dénicher un travail tout simplement parce qu'elle ne sait pas faire grand-chose. Après une expérience, d'une brièveté extraordinaire, de vendeuse en cosmétiques chez l'enseigne légendaire Harrods, elle décide de fonder sa petite entreprise de services à domicile : préparer les résidences londoniennes de la belle société anglaise. Le tout sans divulguer son identité : on est membre de la famille royale même si on se trouve à la 34è place dans la ligne de succession.

Lady Victoria dicte Georgiana se retrouvera dans les situations les plus cocasses et les plus inattendues, elle renouera avec une ancienne camarade de classe, styliste et jet-setteuse, croisera le chemin d'un comte irlandais aussi désargenté qu'elle, apprendra à devenir pique-assiette dans les festivités mondaines.

Ajoutons à cela une convocation à Buckingham Palace pour prendre le thé avec la Reine et se voir confier une mission sans avoir le temps de remplir son estomac criant famine. Et quelle mission ! De l'espionnage mondain, ni plus ni moins : suivre et épier les faits et gestes du Prince de Galles lors d'un pique-nique à la campagne. L'héritier de la Couronne file le parfait amour avec une américaine, divorcée de surcroît.

Notre Lady se retrouvera dans un imbroglio oscillant entre le drolatique et le dramatique : un cadavre est retrouvé, noyé, dans la baignoire de Rannoch House. Il s'agirait d'un créancier du père de Georgiana, réclamant la propriété des terres de Glen Garry et Rannoch, en Ecosse, pour éponger la dette de jeu de son père.

Le coupable, aux yeux de la police, ne peut qu'être son demi-frère. Georgiana mettra tout en œuvre pour prouver son innocence tout en échappant à plusieurs tentatives d'assassinat.

La chute est heureuse, bien entendu, car nous jouons dans la catégorie, fort plaisante, du « cosy mystery » au charme très british.


J'ai apprécié la personnalité décalée de l'héroïne, son humour, sa volonté de « gagner sa vie » en utilisant ses compétences, ses relations avec son grand-père, policier à la retraite, cookney s'il en est. Lui aussi éprouve des difficultés à boucler ses fins de mois, néanmoins il a le cœur sur la main et aide sa petite-fille à l'aune de ses modestes moyens.

J'ai souri et rit plus d'une fois en accompagnant notre royale héroïne dans ses tribulations : les soucis de l'aristocratie peuvent paraître futiles voire impudents. Cependant, deux catégories de nobles se côtoient : les familles aisées et celles qui sont ruinées ou proches de l'être. On peut appartenir à la famille royale et courir après chaque penny parce que le père n'a laissé que des terres peu prolixes et un nom.

Au final, que l'on soit nobles, bourgeois ou menu peuple, l'argent mène le monde et tout devient plus facile quand on en a en suffisance. La crise de 1929 a laissé des traces à chaque étage social. Georgiana pourrait être l'archétype de la jeune femme, issue d'une classe sociale aisée, aspirant à plus de liberté, visant à exercer son libre arbitre pour ses choix de vie. Elle a une excellente éducation, un carnet d'adresses intéressant, elle est intelligente, vive, débrouillarde et n'oublie pas une partie de ses origines. Ces qualités en font un personnage attachant que l'on a envie de suivre au fil de ses enquêtes. Je ne sais pas si par la suite, elle trouvera un alter ego, toujours est-il qu'elle m'a fait penser au Brett Sinclair de la célèbre série « Amicalement vôtre ».


« Son Espionne Royale mène l'enquête » n'est peut-être pas le polar du siècle mais l'intrigue, convenue, est plaisante et bien construite. Tous les ingrédients sont présents pour installer confortablement le lecteur dans sa lecture : une héroïne en retrait de son activité professionnelle ou ne travaillant pas, un environnement « cosy » c'est à dire très spécifique (dans un village pittoresque, une ville tranquille, dans un milieu social précis). Cette héroïne se retrouve à dénouer plusieurs intrigues où un, ou des, meurtre a été commis. Inutile de chercher les effusions de sang, elles sont absentes, tout comme les scènes de violence. D'où l'appellation de ce sous-genre de la littérature policière « cosy mystery ». La cruauté des situations est atténuée par l'usage circonstancié de l'humour britannique ajoutant tout le sel à l'histoire.

Le roman est un « roudoudou » idéal à lire quand on souhaite se distraire de la cacophonie ambiante : douceur acidulée dans un monde de fous ! Et il n'y a pas de honte à lire ces séries « cosy mystery », qu'on se le dise !


Traduit de l'anglais (Grande Bretagne) par Blandine Longre


Quelques avis :

Babelio   Bepolar   Yzabel  Plume libre

Lu dans le cadre



dimanche 21 février 2021

Une mer pas aussi innocente que cela

 


Goa, ses plages, sa mer turquoise, ses hippies, ses touristes, ses marchands ambulants, ses trafics et ses mystères.

Goa, un coin de paradis pour les anciens hippies, un lieu à la mode pour la jeunesse d'aujourd'hui, un endroit agréable pour les hindous aisés souhaitant passer des vacances tranquilles.

Simran Singh espérait prendre du temps avec Durga, sa fille adoptive, or la réception impromptue d'une vidéo dans laquelle une adolescente européenne semble être abusée, change la donne et affecte les vacances tant espérées. Cerise sur le gâteau : son ami et vieux complice Amarjit, haut fonctionnaire de police, la rejoint pour lui demander d'enquêter sur la disparition d'une jeune anglaise, Liza.

Simran se lance dans une enquête troublante au cours de laquelle elle croisera le pire comme le meilleur, où elle côtoiera une légende hippie sur le retour, embrumée par la consommation sans modération de multiples drogues.

La plage et ses paillottes sont autant de pièges que de lieux où passer du bon temps. Sur la mer enchanteresse mouillent les casinos flottants dans lesquels se pressent touristes étrangers et locaux sous le regard impavide et las des hôtesses à la solde des puissants.


L'auteure, Kishwar Desai, a à cœur dans ses romans de parler de la condition féminine en Inde, des femmes malmenées, violentées, invisibles aux yeux de la loi.

« La mer d'innocence » aborde le sujet du viol : celui de la jeune anglaise disparue et celui d'une jeune fille, à New Dehli, dans un bus, sans que quiconque lève le petit doigt.

Parce que rien n'est anodin quand un homme pose son regard sur les formes d'une femme ou d'une jeune fille, parce que beaucoup d'entre eux se comportent comme des prédateurs sexuels, Simran ne peut que chercher à comprendre pourquoi « on » lui envoie des vidéos de la jeune disparue sur son portable. Que lui est-il arrivé ? Quelle mauvaise rencontre a-t-elle pu faire ?

Peu à peu, Simran, travailleuse sociale en vacances, déroule le fil des événements aux multiples rebondissements, elle le déroule si bien qu'elle comprend qu'elle a mis le doigt sur trafic de drogue agrémenté de concussion et de pots-de-vin pour acheter tout ce qui peut l'être.

Un portrait de l'envers du décor de Goa se dessine sous les touches colorées et chatoyantes des objets vendus par les marchandes ambulantes à la langue trop bien pendue ou sous celles des atermoiements mystérieux de Marian, la sœur de Liza.


La faune décrite ne paraît pas être pire à Goa qu'à New Dehli, du moins est-ce l'impression que le lecteur en a en lisant les rares remarques de l'héroïne. Sans doute parce que les habitants de Goa, les habitants de souche, ont, comme beaucoup d'autres ailleurs dans le monde internationalisé des loisirs exotiques, préféré mettre de côté leurs traditions pour récolter une part de la manne économique générée par les complexes touristiques. Ils profitent tout en regardant ailleurs quand l'emprise des hommes d'affaires, proches du pouvoir, assujettit les corps et les âmes en recourant à la violence ou à la torture s'il le faut.

Le drame est on ne peut plus banal ce qui le rend encore plus odieux.


Même si je n'ai pas été enthousiasmée par me lecture, j'ai cependant lu le roman sans m'ennuyer. Je ne connaissais pas cette auteure et je souhaitais entrer dans les étapes indiennes côté mystère autrement que par une enquête du Brahmane Doc, héros de Sarah Dars.

J'ai pu mettre en lien l'enquête de Simran Singh avec les nouvelles des « Ombres de Kittur » ce qui m'a aidée à mieux entrer dans l'histoire sur fond de paysage marin tellement beau et calme qu'on oublie la violence qu'il peut cacher.

Roman traduit de l'anglais (Inde) par Benoîte Dauvergne

Quelques avis:

Babelio  Casent le book Roman sur canapé  Sens critique  Atasi  Lailaseshat2  

Lu dans le cadre de



jeudi 18 février 2021

Belgravia, un univers impitoyable?

 


Nous sommes en juin 1815, à Bruxelles. Napoléon menace la coalition formée par les grandes puissances européennes, Angleterre, Prusse et Autriche.

Bruxelles vit au diapason des armées que l'intendance doit ravitailler sans cesse. Les plus grands noms de l'aristocratie anglaise y vivent et continue à organiser bals et soirées au cours desquels des romances entre jeunes et beaux officiers et jeunes filles de bonne famille éclosent.

Sophie Trenchard et le vicomte Edmund Bellasis, fisl unique des Comtes de Brokenhurst, vivent ce qui pourrait s'apparenter à une amourette au grand dam d'Anne, mère de la jeune fille. Elle sait combien la société peut devenir cruelle avec une jeune fille de la bourgeoisie.

Le 15 juin 1815, la Duchesse de Richmonds donne son bal devenu légendaire. Grâce à l'entregent d'Edmund, la famille de bourgeois Trenchard est invitée à la fête à la grande joie de Sophie et de son père. Au cours du souper, un messager provoque le départ des fringants officiers pour le front : Napoléon et ses armées arrivent.

Quelques jours plus tard, la plupart des jeunes officiers présents au bal périssent sur le champ de bataille de Waterloo.

Ces événements auront d'importantes conséquences deux décennies plus tard.

La vie de Sophie Trenchard, la délicieuse fille du responsable de l'intendance du duc de Wellington, James Trenchard, et de sa famille bascule quand elle comprend qu'elle est enceinte et qu'elle a été dupée par son amant qui organisa un faux mariage. Elle accouchera, sous un nom d'emprunt, loin de Londres et le bébé, prénommé Charles, sera confié à un pasteur, Mr Pope. Une chape de plomb recouvre le secret de Sophie, morte en couche.

Un quart de siècle passe, James Tranchard a participé à la construction du quartier londonien très huppé de Belgravia Square où réside le gratin aristocratique anglais et sa fortune est bien établie. Il aspire à rejoindre les cercles de la noblesse et s'y prend avec beaucoup de maladresse.

Quant à Oliver, son fils, son intérêt pour les affaires financières de son père est inexistant : seul lui importerait la gestion du domaine campagnard acquis par sa mère.


Tout bascule lorsqu'Anne est invitée à prendre le thé chez une dame de la noblesse et rencontre la Comtesse Caroline de Brokenhurst, la mère d'Edmund. Anne Trenchard comprend le désarroi de la Comtesse qui a perdu son unique enfant quand elle lui dit qu'après eux il ne restera personne. Anne sait que le vicomte a laissé une part de lui-même en ce monde : le fils de Sophie. Dès lors le dilemme naît: la Comtesse doit-elle ignorer qu'elle a un petit fils ? Rapidement Anne prend la décision de lui dire la vérité.

Commence alors le ballet des faux-semblants, trahisons, bassesses, mensonges, jalousie, colère, petites et grandes tromperies. D'autant plus que Charles Pope se retrouve propulsé sur le devant de la scène quand il reçoit l'appui financier de la Comtesse qui l'exhibe lors d'une soirée.


Vous avez aimé « Downton Abbey » ? Vous aimerez également « Belgravia ». Dans le premier roman, le monde des domestiques était mis en avant, alors que dans le second, il passe au second plan. L'intrigue de ce roman, qui est paru, de manière originale, en feuilleton dans la presse, renouant ainsi avec une tradition du XIXè, se déroule essentiellement dans les salons aristocratiques.

Cela nous vaut une belle galerie de personnages aussi bien attachants qu'exécrables. Entre l'héritier Bellasis qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins, les domestiques que l'on corrompt pour un peu d'argent, une noblesse imbue d'elle-même, et les petites jalousies provoquées par la maladresse d'un père, le lecteur est au cœur d'un récit, convenu certes, plaisant et bien rythmé. On sent la plume du scénariste.

« Belgravia » dresse le portrait d'une époque victorienne riche des débuts de la révolution industrielle et de la restructuration de Londres : aménagement de quartiers aisés, huppés pour la haute société et la grande bourgeoisie, celui des quais sur la Tamise et surtout la valorisation du quartier de la City.

« Belgravia » est également le roman des tensions entre la noblesse désargentée, refusant de réduire la voilure, et la bourgeoisie fortunée grâce à son esprit d'entreprise et d'audace... la première rechignant à ouvrir ses cercles à la seconde. Un point leur est commun : les secrets qu'il ne fait pas bon de déterrer et les amours contrariées.

Et le menu peuple dans tout cela ? On ne l'entrevoit que lors de l'escapade d'Oliver à Manchester quand il visite la filature de Charles Pope. Par contre, les domestiques, même s'ils n'ont pas la part belle, ont une influence dans les intrigues. Certains se compromettent car ne se sentent pas redevables envers leur employeurs, d'autres leur sont fidèles et ne diront rien qui puisse leur nuire.


« Belgravia » est une agréable lecture et un plaisant séjour à l'époque victorienne au cœur de Londres. Un joli voyage immobile.

Traduit l’anglais par Valérie Rosier et Carole Delporte

Quelques avis:

Babelio On a lu  Le livre d'après  My little big world  Les papiers de Mrs Turner  Un chocolat dans mon roman

Lu dans le cadre de: "Une année en Angleterre"




dimanche 14 février 2021

Saint-Valentin

 




Aujourd'hui l'Amour est fêté partout dans le monde. J'ai choisi cette ravissante production japonaise datant du XVIIIè siècle.

′′ Deux amoureux sous un parapluie dans la neige ′′ (1767) par Suzuki Harunobu (líng mù chūn xìn ; c. 1725-1770), un designer japonais de l'art imprimé en bois dans le style ukiyo-e.
Harunobu était un innovateur, le premier à produire des imprimés en pleine couleur (nishiki-e) en 1765, rendant obsolète les anciens modes de deux et trois couleurs. Harunobu utilisait de nombreuses techniques spéciales et représentait une grande variété de sujets, des poèmes classiques aux beautés contemporaines. Comme beaucoup d'artistes de son époque, Harunobu a également produit un certain nombre de shunga, ou d'images érotiques. De son vivant et peu de temps après, beaucoup d'artistes ont imité son style. Quelques-uns, tels que Harushige, se sont même vantés de leur capacité à forger le travail du grand maître.
(crédit photo et commentaire le Net)

Je suis une page FB très intéressante Jaded in Japan

Pour en savoir plus sur la Saint-Valentin c'est ici ou

samedi 13 février 2021

Le silence est-il d'or?

 


C'est l'histoire d'une quête d'identité d'un homme et de sa place dans une lignée dont il a été exclu. Thème on ne peut plus classique que celui de ses racines et de son histoire au sein de la famille.

André sait qui est sa mère mais ignore le nom de son père. Il aimerait connaître la partie manquante de son histoire, le pan paternel de sa lignée. Or sa mère, Gabrielle, est très discrète à ce sujet, elle, la parisienne élégante et libre, elle qui a confié son fils à sa sœur Hélène et son beau-frère au point qu'André les considère comme ses parents.

Marie-Hélène Lafon mène son lecteur sur le chemin d'une saga familiale courant sur trois générations, quasi un siècle : l'histoire commence en 1908 pour s'achever en 2008 avec le même personnage dont il sera peu question et pourtant quelle importance a-t-il ! Armand et ses pieds nus au début du XXè siècle ouvre cette saga familiale aux allures non de fleuve mais de ruisseau, et la ferme un siècle plus tard lorsqu'un de ses descendants découvre sa tombe.

Un accident domestique ouvre le bal d'une quête de soi, d'une histoire familiale qui se doit de continuer au-delà de la perte d'un enfant. « L'histoire du fils » est la narration de la survie d'une lignée, est le récit d'une famille qui avance pour continuer à s'inscrire dans la mémoire des siens. Chacun appartient au lieu où il est né et grandit dans un temps historique, une époque particulière qui fait qu'on est soi malgré son lot de douleurs, de joies, de silence et de secrets.


Marie-Hélène Lafon emmène le lecteur au cœur des terroirs, ceux qui forgent les campagnes françaises avec sa bourgeoise locale et son menu peuple : l'Auvergne et le Quercy, le pays du haut et celui du bas. Il y a les odeurs, les us et coutumes, les paysages et les couleurs. Et puis il y a Paris, ville de tous les possibles, celle qu'a choisi Gabrielle pour y vivre en toute liberté. L'histoire de Paul, André et Gabrielle se forge entre ces trois points : Chanterelle-Aurillac, Paris et Figeac.

L'auteure livre une saga ciselée avec peu de mots d'une force qui fait oublier qu'une saga s'épanouit dans un pavé de plus cinq cents pages. D'aucuns le regrettent et se sentent frustrés, sans doute, oui, peut-être, certainement... or tout est dit avec tant de mots justes et une syntaxe de haute volée pourquoi souhaiter le délayage ? Pour avoir le plaisir de ne pas quitter trop vite les héros, leurs sentiments, leurs rêves, leur vision du monde ? Pourtant j'aime les romans au long court, les histoires qui me happent pendant plusieurs tomes. Etrangement, en lisant « L'histoire du fils » je ne me suis pas sentie lésée car le mot juste crée l'ambiance, habille la personnalité de Paul, André, Armand, Hélène ou Gabrielle. La nécessité de développer ne s'impose pas parce que le choix des mots invoque l'imaginaire du lecteur qui complète, ou pas, la phrase, le mot de l'auteure.

J'ai été émue par André : il se pose des questions, n'ose pas aller plus loin parce qu'au final, son oncle et sa tante sont ses parents, ceux qui l'ont éduqué, élevé et contribué à faire de lui ce qu'il est. J'ai aimé ses hésitations et ses contradictions : on peut désirer connaître le nom de son géniteur sans forcément vouloir en savoir plus... pour ne pas être déçu ? Sans doute.

Les personnages féminins sont très intéressants : Gabrielle, l'indépendante, la rebelle, l'anticonformiste sur laquelle tout semble glisser. Elle sera quelques fois prête à tout avouer puis finalement pas. Le mystère demeure quant à ses motivations et ce n'est pas plus mal. Hélène est plus conventionnelle tout en ayant une belle aura : elle est le mortier qui fait tenir la citadelle.

La relation des deux sœurs est celle de deux êtres du même sang que tout éloigne, le mode de vie, le lieu de vie, le regard sur le monde, et qui restent proches et complices au point qu'André, garçon sans père biologique, grandira grâce à l'équilibre créé par sa mère et sa tante, tuteurs d'une belle vie aux racines fortes bien qu'incomplètes.


« L'histoire du fils » est le premier roman de Marie-Hélène Lafon que je lis. J'avoue qu'il m'a donné envie de lire d'autres romans d'elle car j'ai vraiment apprécié son écriture ciselée qui en peu de mots exprime tant de choses.

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jeudi 11 février 2021

Kittur! Suivez le guide!

 


Je suis une grande lectrice de nouvelles, j'aime découvrir des tranches de vie qu'elles soient amusantes, joyeuses ou tristes.

J'aime aussi découvrir de nouveaux horizons surtout lorsque je ne connais que peu d'auteurs d'un pays. C'est une des raisons qui m'ont décidée à participer aux "Etapes indiennes" organisées par Hilde.

J'ai beaucoup lu Bulbul Sharma, je me délectée de « La colère des aubergines » de « Mes sacrées tantes » ou de « Mangue amère » nouvelles aussi épicées que la cuisine d'Inde.

Il était temps d'ouvrir d'autres recueils et c'est chose faite avec « Les ombres de Kittur » d'Aravind Adiga.

Autant les nouvelles de Sharma s'orientent vers la condition féminine en Inde et le statut de la femme au sein de la société régie par le système de castes, autant « Les ombres de Kittur » sont des récits qui s'éclairent les uns les autres.

 

L'auteur invite le lecteur à suivre un itinéraire touristique sur plusieurs journées, elles-mêmes divisées en matinée et après-midi.

Kittur, ville portuaire imaginaire sur la mer d'Oman proche des pays du Golfe, eldorado ou enfer, offre un formidable terreau d'histoires et invoque l'Inde entière dans sa galerie de personnages aussi attachants qu'ils peuvent être horripilants.

Kittur, ses enfants des rues, ses mendiants, ses travailleurs sur exploités sans vergogne par plus fort qu'eux, ses castes qui parfois se mélangent, ses trafics, ses aspirations philosophiques ou politiques, ses nombreuses religions, ses immigrés tamouls sans oublier ses rikshawallahs, forçats de la route pédalant sans relâche pour gagner trois roupies dans des courses harassantes, ses hommes politiques roublards et ses fonctionnaires corrompus.

 

On croise un vendeur de photocopies illégales des « Versets sataniques » de Salman Rusdie. Les policiers et l'avocat sont rompus à la routine de l'arrestation du bonhomme Ramakrishna Xerox qui à peine libéré reprendra son commerce misérable.

On rencontre un jeune « métis » issu d'une union entre un brahmane et une femme issue d'une basse  caste, Shankara. Le jeune homme fait partie d'un groupe de mauvais garçons au lycée privé tenu par les Jésuites. Il raille l'autorité, se moque des professeurs et prend du bon temps. Un jour il entend que pour fabriquer une bombe il suffirait d'acheter de l'engrais. Shankara appartient à la classe aisée  sans en posséder tous les codes. Il en fera les frais à plusieurs reprises car il a tendance à tout prendre au pied de la lettre. Il posera sa bombe qui ne fera pas de grands dégâts mais le mettra devant ses incohérences et face à la réalité. On ne peut qu'être peiné de le voir errer aux frontières de l'acceptation de sa caste.

On suit le dur périple d'une fillette, Soumya, à travers la ville, en quête de la dose d'héroïne pour son père. La moindre roupie épargnée est dépensée dans une dose pour que le père tienne le coup, lui qui s'esquinte à démolir ou construire les villas cossues des classes aisées. Un shoot pour oublier la misère, l'accablement et le désespoir.

On s'arrête aux côtés du jardinier catholique, George D'Souza, au service de Madame Gomez. Les liens se tissent sur fond d'absence de l'époux, au point de rendre difficile à tenir la distanciation sociale entre l'employeur et l'employé.

On compatit aux malheurs de Murali, brahmane converti aux valeurs communistes. Au fil des litanies des solliciteurs, il se prend d'intérêt pour une jeune fille qui à la mort de son père voit les possibilités de mariage s'évanouissent. Il fera en sorte que la veuve reçoive des aides financières et il en sera fort mal récompensé. Il prend conscience qu'il est passé à côté de sa vie. Une nouvelle triste et sombre narrant la vie d'un homme qui crut possible de changer le mode de vie hindou.

On rejoint le couple sans enfant amoureux de leur cadre de vie : vivre en lisière de la dernière forêt de la région, loin de l'agitation de la ville industrieuse. Jusqu'au jour où la cupidité immobilière ne s'encombre plus de la nature.

On sourit en observant Abbasi le propriétaire, musulman, d'un atelier de confection, se débattre avec la corruption des fonctionnaires. On sourit et on rit car il y a des scènes savoureuses d'ironie où on se demande qui gruge qui.

 

Ces destinées attachantes, émouvantes, que suit le lecteur au rythme des transports en commun ou des livraisons en vélo, sont autant d'exemples d'enjeux, identiques et horribles, des castes, de pouvoir et de classe. L'Inde de la misère et de l'injustice marquée par les assassinats d'Indira Ghandi et de son fils Rajiv. Nous sommes loin des papotages entre femmes autour des plats à préparer.

« Les ombres de Kittur » relate les destins d'être cabossés par la vie, d'hommes et de femmes englués dans le cercle vicieux des préjugés sociaux et celui de la misère endémique.

 

Ce recueil de nouvelles est un texte fort, livrant sans filtre la réalité d’une Inde aux portes de la modernité : des talents à revendre englués dans une bureaucratie veule. Le miracle économique tant vanté à l’époque est aux antipodes de ce qui fut « vendu » à l’Occident.

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mercredi 10 février 2021

In love with Pomelo... en amour avec Pomelo!

 


Pomelo
est assis en bord de mer, regarde, écoute le va-et-vient des vagues et.... il imagine.

Les admirateurs, je me compte parmi eux, de Pomelo savent qu'il est plein de ressources philosophiques et qu'il a un imaginaire très étendu.

Je retrouve toujours avec plaisir Pomelo, ce petit éléphant, minuscule, rose à la trompe immense et au regard extraordinaire sur le monde. En quelques mots, en un dessin, le lecteur est emporté au cœur de son univers toujours empreint de poésie.

Pomelo est un petit éléphant poète, philosophe, rêveur et avide de trouver des réponses à ses nombreuses questions.

Là, il i-ma-gi-ne et comme l'écrit si bien Ramona Bàdescu, « Pomelo réalise que dans i-ma-gi-ne il y a le mot IMAGE et aussi un peu de MAGIE ». Tout est dit, il n'y a plus qu'à se laisser emporter par les vagues douces et drôles de l'imagination pomelesque.

Que serait Pomelo sans son dessinateur, Monsieur Benjamin Chaud ! Il ne serait tout simplement pas LE Pomelo que l'on connaît. Il serait un autre certainement, j'ai du mal à me l'imaginer autrement que sous le crayon de Benjamin Chaud.

Avec Pomelo c'est l'enfance qui se dessine en couleurs vives et poétiques sous nos yeux. Les souvenirs de gestes qui ne se perdent pas au fil des générations : qu'il y a trente ans ou seulement deux jours, les enfants « imagine » avec leurs doigts la lorgnette universelle.

Pomelo pose des mots sur ce qu'il ressent et les transmet à ses jeunes lecteurs-auditeurs car « ..il sent bien qu'il occupe une petite place dans l'univers que personne ne pourrait occuper exactement comme lui » ou encore « Pomelo se dit qu'en grandissant il se transforme, mais qu'il reste un peu de ce qu'il a été au fond de lui. » ... c'est tellement vrai et si difficile à exprimer simplement. Ramona Bàdescu et Benjamin Chaud l'ont fait pour notre plus grand bonheur : dans l'univers notre place est unique, personne ne peut nous remplacer et quand on grandit, l'enfant que l'on était demeure en nous c'est pourquoi la peur de grandir s'apprivoise quand on sait ce que qu'on a été restera pour toujours.

Pomelo sème des graines pour nourrir la réflexion naissante du jeune enfant : la multitude de petits cailloux le conduira à appréhender sensitivement une réponse avant de la formaliser avec des mots. C'est tellement rassurant d'entendre un adorable personnage auquel on peut s'identifier raconter ce que l'on ressent. Même lorsqu'on est adulte, il est impossible de rester indifférent à Pomelo et son monde rempli de bonnes et belles questions auxquelles il apporte, dans la mesure de ses moyens, des bribes de réponses. Avec Pomelo ouvre non pas la boîte de Pandore mais une collection fabuleuse de Matriochkas que l'on explore avec délice. Rien qu'en regardant la couverture de « Pomelo imagine » on devine que notre joyeux petit éléphant rose a beaucoup de choses emmagasinées dans sa tête qui déborde de fleurs, d'objets et de moments précieux symbolisés par un livre ou une tasse de chocolat-thé-café.

« Pomelo imagine » est la célébration de l'enfance, de l'imaginaire de l'enfance et nous parle de ce qu'on oublie, en tant qu'adulte un peu trop : l'imagination, le droit d'être « dans la lune », rêveur. L'enfant se construit en imaginant d'innombrables choses qu'elles soient possibles ou impossibles, l'essentiel est de les imaginer, de les faire vivre en pensées.

Quelques avis:

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Quelques planches