lundi 30 août 2021

"Les bourgeois c'est comme les cochons"

 


Pour l'étape aoûtienne des Classiques c'est fantastique, mon choix s'est porté sur un roman classique français de la fin du XIXème siècle, d'un auteur que je n'avais encore jamais lu, Octave Mirbeau, « Le journal d'une femme de chambre » porté quatre fois à l'écran et joué à multiples reprises au théâtre. Le sujet abordé dans le roman, sous forme de journal, se prête aussi bien au jeu cinématographique que théâtral.

« Le journal d'une femme de chambre » paraît d'abord en feuilleton dans le journal « L'Echo de Paris » pendant six mois (d'octobre 1891 à avril 1892). l'auteur ne peaufinera son feuilleton qu'en 1900 date de parution du roman dans la Revue Blanche, aux connotations dreyfusardes, ce qui explique le choix de la revue car le sujet du roman est très critique envers la bourgeoisie.

Bien entendu Octave Mirbeau s’inscrit dans le mouvement du roman réaliste car son roman n’est pas linéaire au contraire le récit passe du présent au passé régulièrement.

 

Célestine est une jeune femme, on apprendra rapidement qu’elle vient de Bretagne, de la baie d’Audierne, allant de place en place, qui ne parvient pas à rester longtemps dans la même maison. Très vite on comprend pourquoi : comment résister à l’enfer de la servitude qui broie les êtres et les âmes ?

« Etre au service de » est tout sauf une sinécure car la « bonne » est à la merci des moindres caprices des maîtres de maison. Célestine en a vu des bourgeois et des plus huppés : au fil des souvenirs qu’elle déroule dans son journal, on en arrive au même constat, « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. » Entre les hommes libidineux et leurs femmes suant le mépris de classe par tous les pores de leur peau, il y a de quoi voir d’un autre œil la belle et bonne société du siècle. Un adjectif revient souvent dans la bouche, et sous la plume, de Célestine : sale. Quand elle utilise ce mot elle dit tout le dégoût, toute la rancœur et la haine de la domesticité envers les dominants peu soucieux du bien-être de leurs serviteurs. On est loin de « Downton Abbey » !

J’ai suivi Célestine, qui est attachante malgré tous ses défauts, au gré de son travail, au gré de ses souvenirs ; je l’ai accompagnée au bureau de placement, lieu de toutes les cruautés, d’un côté comme de l’autre. Les domestiques sont des bêtes de somme que l’on jauge, que l’on évalue selon leur potentiel. La dame du bureau est un peu une mère maquerelle : elle retient une somme sur les gages des employés de maison. D’ailleurs, certaines filles franchissent facilement la ligne ténue séparant les métiers de bonne et de fille follieuse. Au point que les maquerelles ne sont jamais loin des bureaux de placement, elles récupèrent ainsi les désespérées.

Octave Mirbeau avec Célestine dénonce cet esclavage moderne d’une manière impitoyable : « On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage… Ah ! voilà une bonne blague, par exemple… Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon des esclaves ?… Esclaves de fait, avec tout ce que l’esclavage comporte de vileté morale, d'inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines. » Il aborde, de façon très pédagogique, l’enfer social et les conditions révoltantes dans lesquelles évoluent les « gens de maison ». Ohhh, la scène d’une violence inouïe, dans laquelle un couple souhaitant être engagés comme jardinier au domaine d’une Comtesse, cache la grossesse de la femme, souffrant sans mot dire les paroles cinglantes de l’employeuse expliquant que les « pauvres » ne devraient pas avoir d’enfants. A frémir d’horreur d’autant que non loin les trois jeunes enfants de la Comtesse jouent joyeusement sous le regard attendri de leur mère.

Mirbeau démythifie la condition des « gens de maison », montre l’injustice sociale sévit ailleurs que dans les mines de fond ou les industries.

Cependant, l’auteur ne tombe pas dans l’excès inverse à savoir magnifier cette branche du prolétariat : les « gens de maison » sont loin d’être très scrupuleux et c’est à qui récupèrera le plus de miettes. La révolte des petites gens n’est pas pour tout de suite tant l’aliénation de la servitude est ancrée dans leur mode de pensée. Célestine est un personnage capable de réflexion, de prendre du recul sans pour autant être structurée politiquement. Le roman se déroule entre la fin du XIXè et le tout début du XXè siècle, les remous révolutionnaires ne sont encore qu’épars. Joseph, le jardinier des Lanlaire, lit « La libre parole » qui lui permet d’exalter son antisémitisme et est loin des préoccupations communistes.

Célestine est écoeurée par ce qu’elle est contrainte de vivre, elle en est nauséeuse, elle l’exprime à maintes reprises, consciente qu’il est nécessaire de faire quelque chose sans en avoir la force. A travers Célestine, qui a été si souvent débaptisée par ses maîtresses, Mirbeau expose son tourment existentiel devant tant de tragique dans la condition humaine. Célestine dit le sordide de son quotidien, la vulgarité ambiante, chez les nantis comme chez les subalternes, et le vide de cette vie. Célestine aime s’élever, aime les romans et la poésie. Célestine est une libertaire qui s’ignore.

 

Je comprends pourquoi le roman a été perçu comme étant subversif mais il fait un bien fou, il est un exutoire qu’on lit avec jubilation tant le style est tonique et absolument moderne. Il a été publié en 1900 et on a l’impression qu’il a été écrit hier. D’ailleurs, quand j’entends, au vol, à la radio des faits divers d’esclavage domestique, ce que Mirbeau dénonçait à son époque est toujours en cours au XXIè siècle. De quoi désespérer de l’humanité qui joue en boucle le duo dominé-dominant avec des variantes dues au mince verni civilisationnel.

 

« Le journal d’une femme de chambre » a été une lecture enthousiasmante malgré la rudesse du sujet. Je suis encore sous le charme subversif du roman que j’attendrai un peu avant de visionner l’adaptation cinématographique de Luis Buñuel qui fit scandale lors de sa sortie en 1964. D’aucuns pourraient clamer à l’appropriation culturelle, or Mirbeau, avec sa sensibilité d’artiste, parvient à devenir Célestine, comme Flaubert était Emma Bovary.

 

Quelques avis :

 Babelio  Electra  Girlymamie Temps de lecture

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lundi 16 août 2021

La huitième reine

 


Les étapes indiennes sont une mine de lectures à découvrir et à partager. Elles permettent, en plus, de diminuer sa PAL quand une lecture commune a lieu pour « fêter » la date d'indépendance du Pakistan, le 14 août 1947.

Bina Shah, l'auteure, vit à Karachi, ancienne capitale du pays, située dans la région historique du Sindh.

 

Automne 2007, Benazir Bhutto revient au Pakistan après sept ans d'exil, Ali Sikandar, étudiant le soir et reporter le jour pour nourrir sa famille, est envoyé par sa rédactrice en chef à Karachi pour couvrir l'événement.

L'action du roman se déroule entre le retour de Benazir Bhutto et l'attentat de décembre 2007 qui lui coûtera la vie.

Ali est un témoin privilégié du retour de l’ancienne Premier Ministre, conspuée par les uns et vénérée par les autres car porteuse d’un espoir immense pour le pays. Il oscille entre doute et espérance, entre partir étudier aux Etats-Unis, une forme de fuite, et rester pour assumer ses engagements familiaux et contribuer au redressement du Pakistan, lui l’héritier d’une longue lignée de féodaux.

Il est amoureux de Sunita, une jeune étudiante hindou, et tait sa liaison pour ne pas affronter les reproches de sa famille : cela ne se fait pas de fréquenter une hindoue. Les traditions sont lourdes à supporter d’un côté comme de l’autre, la mixité religieuse dans les unions ne sont guère prisées.

Au fil des reportages, Ali va comprendre que l’enjeu politique est de taille au point de s’engager dans les manifestations protestant contre l’état d’urgence décrété par l’armée. Au cours de l’une d’elle, à Islamabad, il sera pris dans un affrontement sanglant avec la police anti-émeute, et se retrouvera en prison. Alors qu’il n’a plus parlé à son père depuis que ce dernier a quitté sa mère pour fonder une nouvelle famille, un des gradés, en entendant son nom, lui dit qu’il est sous l’obédience de son père et lui demande de l’appeler pour ainsi le libérer. Ce qu’il fait, brisant des années de silence et d’incompréhension.

 

Ali est représentatif d’une jeunesse pakistanaise dont le désir d’émancipation est immense : la rigidité des traditions pèse sur la vie quotidienne des gens qui n’ont que peu de choix. Il aime une jeune fille non musulmane, il souhaite partir étudier à l’étranger et ne plus subir les restrictions au quotidien. Malgré sa défiance quant à la capacité de Benazir Bhutto de redresser le pays et de le faire entrer dans la modernité et la croissance économique, Ali, en observant autour de lui les gens et en côtoyant ceux qui n’acceptent pas la botte armée, portera un autre regard sur cette femme qui ne renonce à aucun de ses idéaux. D’autant plus qu’il comprend le lien existant entre sa famille et les Bhutto… les roses de leur jardin depuis longtemps fanées et conservées entre les feuilles d’un livre. Il verra en elle l’espoir d’une nation, un espoir qui hélas sera étouffé dans l’œuf, une fois encore.

 

Ce qui m’a touchée dans ce roman, ce sont les subtils allers-retours entre passé et présent, le premier apportant toujours un élément de compréhension du second. Le passé, aux multiples facettes, est évoqué comme un plan de plus en plus serré sur le Sindh : des origines jusqu’au jardin des Bhutto où la jeune Benazir va se recueillir auprès des roses tant aimées de son père, jusqu’à la scène dans laquelle Pinky, alias Benazir enfant, se fait prédire l’avenir par un parrot master, un diseur de bonne aventure, qui voit en elle la huitième reine.

Le passé éclaire le présent tragique du Pakistan en un chant célébrant une région, le Sindh, terre de convoitise en raison de ses richesses, terre de déchirements en raison des convoitises qu’elle suscite.

Bina Shah, au gré des chapitres, décrit un pays riche des figures politiques, spirituelles et artistiques qui ont forgé, au fil des siècles, l’identité du Sindh.

« La huitième reine » est un roman qui met en miroir la révolution personnelle du jeune Ali avec la roue d’une histoire millénaire au cours d’une très belle fresque historique.

Une lecture commune en compagnie de RachelHilde et Pati

Traduit de l’anglais (Pakistan) par Christine Le Bœuf.

 

Quelques avis :

 Rachel  Babelio  Asialyst  La cause littéraire  Jostein  Le Figaro

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dimanche 8 août 2021

Ca décoiffe à Balmoral pour Son Espionne Royale

 


« Son espionne royale et la partie de chasse » de Rhys Bowen est le troisième opus des aventures de Lady Georgiana de Rannoch et je l'ai autant apprécié que les deux précédents.

Eté 1932, Londres, le Londres de la haute société, est déserté par la noblesse et la haute bourgeoise anglaise, en quête de fraîcheur dans une des campagnes du royaume. Notre Georgie a toujours autant de difficultés à tenir son budget, les rentrées d'argent se faisant rares, et est esseulée dans un Londres désert, elle ne peut même pas sortir avec sa meilleure amie Belinda partie en Italie faire la fête.

Alors qu'elle se rend chez Belinda au cas où elle serait rentrée, Georgie manque de se faire renverser par une moto lancée à vive allure. Surprise, Belinda est passagère du bolide conduit par un mordu de la vitesse, le Comte Paolo di Marola e Martini, amant du moment. Notre Lady de Rannoch se retrouve le lendemain à remplacer Belinda à un dîner en tête à tête avec un américain du Kansas, censée lui tenir compagnie. A l'issue de la soirée, agréable et conviviale, Georgie a l'idée de laisser tomber son agence de nettoyage des résidences de standing pour lancer une agence d'hôtesses destinées à accompagner les messieurs esseulés au théâtre, au restaurant ou à des soirées. et diffuse une annonce dans le London Times

Bien entendu, notre Lady, un rien naïve, se met dans une situation impossible en rejoignant son premier client dans une boîte de nuit, un peu glauque. Ce dernier avait en tête une tout autre notion du terme « hôtesse ». Surgi de nulle part, Darcy, évaporé depuis des mois, arrive à point nommé pour sauver l'inconséquente Gerogiana. Le lendemain matin, Scotland Yard, en la personne de Sir Jeremy, sonne à la résidence londonienne de la famille Rannoch, pour faire comprendre à Lady Georgiana que son entreprise tombe à l'eau. Il en profite pour l'envoyer en Ecosse sur le champ en mission pour découvrir qui tente d'attenter à la vie de David Windsor, héritier du trône d'Angleterre.


Pour Son Espionne royale commence une enquête folle au cours de laquelle elle aura fort à faire pour trouver qui en veut autant à la famille royale d'autant plus que son frère Binky, le Duc de Rannoch, a eu sa jambe abîmée par un piège posé sur le domaine à un endroit improbable.

Une autre surprise de taille l'attend à Rannoch : Wallis Simpson, la célèbre maîtresse de l'héritier du trône, est accueillie au château sis non loin de Balmoral, résidence estivale de la famille royale. Elle est accompagnée d'un groupe d'amis américains, bruyants et exigeants acculant Fig, Duchesse de Rannoch, à la possible dépression nerveuse.

Les scènes sont savoureuses et irrésistibles d'humour comme la description des commodités ornées de papier peint aux motifs inspirés des tartans écossais ou comme celle de la tuyauterie du château. Les invités américains auront droit au réveil au son de la cornemuse, à l'apparition d'une Dame blanche, aux cousins de la famille, au monstre du loch et au haggis. De quoi faire décamper le plus brave des touristes.

Je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement avec la série « The Crown », notamment lors de la scène du pique-nique au bord du lac sous un vent à décorner les bœufs, Georgiana savoure ses sandwiches avec un flegme tout écossais. Ou encore lorsque l'enquête de Georgie, épaulée par son grand-père maternel, la mène dans un asile haut de gamme où sont relégués les moutons noirs des grandes familles nobles.

L'histoire est pleine de rebondissements au cours desquels Georgie croise la route d'une aviatrice célèbre, Veronica Padgett dite Ronny, éprise de liberté et se moquant des conventions, retrouve le prince Siegfried, toujours aussi décalé, est confrontée à l'enlèvement de son neveu Podge, à plusieurs tentatives d'assassinat dont une en compagnie d'Elizabeth de Windsor, future Elizabeth II.

Les indices se croisent, s'emmêlent pour un dénouement incroyable que je ne divulgâcherai pas.

Cependant, une question demeure : qui en a après David, le futur Edouard VIII ? Tente-t-on de lui faire peur afin qu'il prenne, enfin !, son rôle d'héritier du trône au sérieux ? Tente-t-on de lui faire passer le goût des aventures amoureuses avec des femmes mariées ? En ces années trente, la santé du Roi George V est déclinante ce qui rend les frasques mondaines de David dangereuse pour l'équilibre politique, subtil, entre la Royauté et le Parlement. Les mouvements séparatistes ébranlent la Couronne et tentent d'en affaiblir le rayonnement.


« Son espionne royale et la chasse royale » est une fois de plus un régal à lire et son héroïne toujours aussi délicieusement naïve et imprégnée par les principes inculqués par son éducation. Cependant, au fil de ses aventures, la jeune Lady tente de prendre son destin en main et de frayer son chemin dans le monde. En quelque sorte, elle acquiert, peu à peu, un esprit indépendant et parvient à s'émanciper dans le cadre de la bienséance malgré ses bourdes et nombreuses maladresses. C'est ce qui la rend si attachante.

Traduit de l'anglais par Blandine Longre


Quelques avis :

Babelio  Bianca  Sous le feuillage  Lilly  A livre ouvert  Lectures et plus  Mylène  Book tea et pie  Mokona  Sélectrice

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samedi 7 août 2021

Monsieur Han

 


Quand Monsieur Han décède, ses voisins s'aperçoivent qu'ils ne savaient rien de sa vie, notamment qu'il avait été médecin à Pyongyang, une famille qu'il dut laisser derrière lui dans le chaos aux abords du trente-huitième parallèle, frontière entre le nord et le sud de la Corée.

Monsieur Han arrive sans un sou vaillant à Séoul et se retrouve soupçonné d’être un espion à la solde des communistes du Nord. Il se retrouve confronté à un univers de corruption où tout s’achète et se revend sans état d’âme : il gère les opérations délicates d’une clinique dont les deux associés n’ont quasiment aucune connaissance médicale.

Sa nouvelle vie aurait pu bien se dérouler, il avait rencontré une jeune femme, mère d’un garçon, et pouvait se fondre dans la société très suspicieuse de la Corée du Sud où toute personne venant du nord du trente-huitième parallèle est un communiste déguisé en réfugié ; il avait retrouvé sa sœur et renouait avec un semblant de famille. Or, il commit l’erreur de s’attacher à la jeune femme rencontrée et de l’épouser alors qu’elle plaisait à un des associés de la clinique ce qui ne fit pas de lui son ami.

Un soir, l’un des associés prend en charge, lors d’une absence de Monsieur Han, un avortement alors qu’il n’en avait pas le droit. L’opération tourne à la boucherie au point que Han ne peut que constater les dégâts : il a fallu enlever l’utérus. C’est la dégringolade car Monsieur Han est le parfait coupable aux yeux de la police et de la justice sud-coréenne.

Son séjour en prison le brisera et fera de lui un homme mendiant du travail. Il en trouvera un : croque-mort, métier dont personne ne veut. L’oubli de ses idéaux et de ses espoirs perdus se fait dans l’alcool dont il se nourrit et dont il mourra.

 

Le destin de Monsieur Han est celui de milliers de Coréens ballotté dans les remous du conflit entre les deux Corées subissant l’influence soviétique pour l’une et l’influence nord-américaine pour l’autre.

Monsieur Han est l’anti-héros, refusant toutes les compromissions ou mensonges quitte à en subir les conséquences. Un poignant Candide malgré lui.

 

Sok-yong Hwang raconte l’histoire mouvementée et douloureuse d’un pays déchiré par une séparation inhumaine de son territoire en deux entités qui s’affrontent.

Il n’y a pas de pathos dans le roman, les faits sont relatés, sans en ajouter, ils se suffisent à eux-mêmes. On ne peut s’empêcher de penser aux nombreuses images du fameux « no man’s land », dite zone coréenne démilitarisée, au bord duquel les familles séparées accrochent des messages ou des prières, espérant qu’un jour la réunion des deux Corées se fera.

 

J’ai apprécié le ton du roman, le choix du personnage, brillant gynécologue, professeur à l’hôpital de Pyongyang, estimé et peu à peu mis sur la touche parce que ne montrant pas beaucoup de convictions communistes.

Par petites touches efficaces, l’auteur décortique le mécanisme de la machine infernale de l’Histoire qui broient les destins pour réduire les hommes en charpie tant physique que psychologique.

Un très beau roman sur une page tragique de l’histoire coréenne.

 

Traduit du coréen par Mi-Kyung Choi et Jean-Noël Juttet

 

Quelques avis :

Babelio  Sens critique La cause littéraire France inter  Une française dans la lune Critiques libres

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mardi 3 août 2021

Faire un pas de côté

 


Cet étrange roman de l'auteure sud-coréenne Han Kang prend le biais du végératisme pour aborder le thème de la folie.

Il est découpé en trois chapitres : l'ordinaire devient peu à peu extraordinaire, l'obsession du beau-frère de l'héroïne quant à la tache mongolique qu'elle possède encore à l'âge adulte, enfin l'apothéose de la folie végétale du personnage principal.


Yonghye est, selon son mari, une femme des plus ordinaire : ni belle ni laide, d'intelligence moyenne, passe-partout. Une femme quelconque pouvant passer inaperçue. Le couple, ordinaire, a une vie ordinaire jusqu'au jour où il la trouve, immobile et perdue dans ses pensées, devant le réfrigérateur ouvert. Une seule réponse à son questionnement : « J'ai fait un rêve ».

Dès lors, Yonghye se débarrasse des aliments d'origine animale pour ne conserver que ceux d'origine végétale. Elle ne mange plus de viande ni d'oeufs ni de lait au grand dam de son mari qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Il se retrouve dans une situation gênante lors d'un dîner organisé chez le PDG de son entreprise car les préférences alimentaires de Yonghye provoque de nombreuses remarques sur le végétarisme.

Elle perd du poids et refuse de s'abandonner dans les bras de son époux au prétexte qu'il sent la viande. Désemparé, il s'ouvre à sa belle famille des difficultés qu'il rencontre avec Yonghye. Au cours d'un repas d'anniversaire, le père de Yonghye, aidé par ses fils, tente de lui faire avaler de force de la viande. Elle se rebiffe en saisissant un couteau et s'ouvre les veines.

Un soir, à l'issue de son hospitalisation, il la veille et à son réveil constate qu'elle a disparu. Il la récupère à l'extérieur, seins nus car, explique-t-elle, elle a trop chaud.


La convalescence de Yonghye se déroule vaille que vaille, elle ne renonce pas au végétarisme, bien au contraire, elle vit cloîtrée dans son appartement, le plus souvent nue. Ses rêves expliquent au lecteur ce qui a pu l'amener à changer radicalement ses habitudes alimentaires.

Son beau-frère, artiste photographe, vient la voir de plus en plus souvent, l'observant, lui trouvant du charme insolite puis lui propose de participer à une création dans laquelle elle devra se mettre nue. Ce qui ne la gêne pas.

Cette partie du roman est d'un grand érotisme, auquel on adhère ou pas, un érotisme extrême parfois dérangeant. Jae organise une séance avec sa belle-soeur Yonghye et un ami artiste Chunsun, il peint leurs corps de motifs floraux et leur demande de prendre des poses suggestives. Chunsun refusera d'aller jusqu'au pornographique.

Yonghye se refuse à Jae parce qu'il n'a pas le corps peint. Une fois le détail réglé, il revient chez sa belle-soeur et lui fait l'amour. Entre-temps, il parvient à filmer leurs ébats, film qui sera visionné par sa femme, Inhye qui les fera internés tous les deux.


Yonghye s'enfonce dans sa folie au point de vouloir devenir un arbre et de rester immobile, comme un arbre, sous la pluie. Elle devient anorexique et oppose une forte résistance quand l'équipe soignante s'en trouve réduite à la gaver par sonde.

Et si tout cela n'était qu'un rêve...


« La végétarienne » est un roman étrange et dérangeant par le sujet traité : la folie, l'anormalité qu'elle soit alimentaire ou érotique. La sensualité de l'interdit est l'arrière-plan du deuxième chapitre, celui du second pas de côté opéré par Yonghye : le végétarisme qui heurte le mode de vie coréen, comme il peut heurter le mode de vie traditionnel occidental. On constate que l'héroïne se dépouille de toutes les habitudes ordinaires jusqu'à mettre réellement en pratique le dépouillement : elle ôte ses vêtements, elle vit dans un environnement minimaliste, elle se nourrit de peu.

Yonghye est une jeune femme qui crie son mal-être avec les armes à sa disposition, la nourriture, son corps qu'elle refuse à son époux.

« La végétarienne » est un roman sur la solitude, le silence de la douleur dans une société, rigide et intolérante, où l'empathie et la communication réelle avec autrui sont loin d'être mis en avant.

La littérature coréenne peut être encore plus dérangeante que la littérature japonaise, « La végétarienne » en est un exemple... entre roman et fable contemplative.

Je n'ai pas détesté le roman, il a réussi à m'intriguer et à bousculer ma zone de confort. Néanmoins, j'ai apprécié les pas de côté de Yonghye ainsi que la résilience de sa sœur Inhye, lumière fragile dans la nuit de l'héroïne.

Bouger les lignes, même légèrement, permettra toujours de porter un regard nouveau sur soi et autour de soi.


Traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Baillot


Quelques avis :

Babelio  Kimamori  Voix au chapitre  Critiques libres  Sens critique


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