jeudi 30 juillet 2009

Mères et filles, tout une histoire!


Ce recueil de nouvelles est comme une conversation à deux voix: celles de la mère et de la fille. Deux mondes tellement proches qu'ils en deviennent parfois un peu étranger l'un à l'autre. Au cours de ces dix-neuf nouvelles, des moments tendres et des vérités difficiles à accepter s'egrennent et offrent au lecteur une partie de palette plus sombre qu'arc-en-ciel de l'âme humaine et notamment de l'âme féminine. Des récits qui émeuvent et qui souvent dérangent, laissant un drôle de goût, comme une amertume délétère.
Ce recueil, je l'ai lu il y a quelques mois et lorsque j'eus terminé l'ultime nouvelle, j'éprouvai un certain effroi et un grand malaise. Les situations dramatiques, comme celle de la mère qui reste spectatrice, consentante?, du trop plein de tendresse paternelle déversé sur la petite fille du couple ("insecte"). Des vérités tues qui tuent à petit feu. La chute abandonne le lecteur en pleine perplexité: la frontière entre réalité et imagination reste délibéremment floue, une opacité voulue par l'auteure afin que le lecteur soit libre de son interprétation...enfin une liberté bien encombrante et très déstabilisante mais d'une grande richesse émotionnelle orchestrée de main de maître!
Les relations mère/fille sont et seront toujours d'une extrême complexité: entre désir d'identification et jalousie inavouée (dans un sens comme dans l'autre); c'est ce que décortique, avec une minutie digne d'un naturaliste ou d'un entomologiste, Claire Castillon. Sans relâche, elle nous renvoie à nos hontes comme à nos instants intenses de complicité et de bonheur; sans cesse, elle remue le couteau dans la plaie et très vite panse les plaies mises à vif...l'absolution prend des détours inattendus plus souvent qu'on ne le pense. Claire Castillon balade son lecteur dans les méandres d'un cordon ombilical toujours difficile à couper - d'ailleurs le coupe-t-on vraiment un jour? - surtout lorsque le deuil, la dépendance affective ou l'adolescence s'invitent au cours de ces introspections. Une balade en rien reposante car elle titille, là où cela fait le plus mal, les émotions scellées au plus profond de notre moi.
En peu de mots, en quelques images, Claire Castillon met en scène de multiples mondes, celui de l'intime, celui du quotidien, celui de l'imaginaire, celui des peurs, mondes qui embrasent la lecture, mondes qui virevoltent telles les phalènes, le soir, autour d'une lumière tremblotante et incertaine, et qui prennent corps grâce à la force évocatrice de son écriture, toujours juste, toujours percutante.
"Insecte" fut une lecture poignante, émouvante et déroutante qui non seulement m'a perturbée au point de mettre tout ce temps à écrire mes ressentis mais encore et surtout m'a transportée avec bonheur dans l'univers de cette auteure que je découvrais! Un recueil que l'on garde à portée de main pour relire une ou deux nouvelles avec un plaisir renouvelé malgré le contexte violent de l'éventail de sentiments: oui, parfois une fille peut avoir honte de sa mère; oui, elle peut être énervée au plus haut point par cette dernière, qui ne la laisse jamais respirer comme elle le souhaiterait; oui, elle peut la détester d'être malade car elle a une peur viscérale de la perdre irrémédiablement (cette nouvelle "Un anorak et des bottes fourrées" m'a bouleversée); oui, une fille peut ressentir tout cela à la fois et aimer éperdument celle à qui elle restera toujours attachée, quoiqu'il arrive.... ce sont toutes ces contradictions qui tissent, en mailles serrées, les relations terriblement fascinantes mère/fille!




Le site de l'auteure ICI



mardi 28 juillet 2009

Le cercle dans lequel je ne suis pas entrée


Janvier 1946, Londres tente de se relever de ses cendres: la guerre s'est achevée quelques mois plus tôt et Juliet Ashton, célèbre chroniqueuse sous le nom d'Izzy Bickerstaff, en tournée dans le pays pour la promotion de des chroniques de guerre rassemblées en un seul volume (Izzy Bickerstaff s'en va-t-en-guerre), cherche un sujet pour son prochain roman. Elle ne compte pas s'orienter vers une biographie, celle qu'elle a écrite sur Anne Brontë fit un grand flop.
C'est alors que le hasard, qui fait toujours bien les choses, atterri dans sa boîte aux lettres londonienne: un lecteur de Guernesey lui écrit qu'il a en sa possession un roman qui, un jour, lui appartint (elle y a apposé son nom à l'intérieur) Les essais d'Elia, morceaux choisis de Charles Lamb. Une correspondance se met en place entre Juliet et Dawsey Adams de Guernesey. Ce dernier lui révèle en quelles circonstances il fut amené à se plonger dans l'oeuvre de Charles Lamb: l'Occupation allemande asphyxiait l'île, la nourriture se faisait rare et de plus en plus chiche et ne pas respecter le couvre-feu pouvait avoir de dramatiques conséquences. Un soir, après une réunion entre voisins et amis à paratger un cochon rôti, la rencontre inopinée avec une patrouille allemande amena Elizabeth McKenna à inventer l'existence d'un cercle littéraire: le cercle littéraire des amateurs de tourte aux épluchures de patates! C'est ainsi qu'au fil des rencontres l'intérêt pour la littérature s'empara d'un groupe d'îliens peu prédisposés à se plonger dans une activité aussi oisive.
Juliet Ashton voit sa curiosité attisée à mesure que les membres de ce fameux cercle lui racontent, à leur manière, leurs impressions et leur vécu de l'aventure: la galerie de personnages aussi variée que riche lui donne envie d'aller les rencontrer en vrai, à Guernesey, île britannique qui fut coupée du monde pendant cinq ans!
J'avoue mon embarras devant ce roman: il est amusant, agréable à lire et pourtant, à aucun moment je n'ai ressenti d'enthousiasme. Certes, les personnages sont attachants, il y a juste ce qu'il faut d'humour pour pimenter les échanges et les missives sont truffées de renseignements historiques sur les conditions de vie dans les îles anglo-normandes pendant la seconde guerre mondiale. On y rencontre de beaux personnages, telle Elizabeth McKenna qui est la grande absente après la guerre en raison de son arrestation, elle qui tomba folle amoureuse d'un bel officier, cultivé et pas vraiment partisan des nazis, dont elle eut une fillette, elle qui aida à survivre les prisonniers-esclaves de l'armée allemande, elle qui paya le prix fort pour cela. On croise le mépris, les langues de vipères, un fat imbu de lui-même et son charme et des gens devenus de vrais lecteurs avides de romans et d'évasions littéraires. Oui, il y a tout ce qui aurait pu m'emporter mais hélas, je suis restée en dehors du cercle littéraire. J'ai trouvé qu'il manquait un je ne sais quoi de consistance pour que ce roman dépasse le stade de simple lecture de plage. Le point positif du roman: le choix épistolaire qui le sauve de l'insipidité et il n'est guère évident de construire un bon roman épistolaire comme Les liaisons dangereuses, La religieuse ou 84, Charing Cross Road. Je dois être la seule de la blogosphère à ne pas avoir été transportée par ce roman, même si les effluves iodées de Guernesey sont une véritable invitation à prendre le premier bateau en partance de St-Malo! Je ne peux que vous inviter à lire les avis, nombreux et unanimes, des lecteurs qui en ont fait leur coup de coeur.

Je suis comme devant un joli soufflé plein de promesses qui est retombé avant de sortir du four...c'est dire mon désappointement!

Roman traduit de l'anglais (GB) par Aline Azoulay-Pacvon




Les avis de télérama et bibliobs


Une vue complète des avis de la blogosphère chez BOB

dimanche 26 juillet 2009

C'était à Mégara....


La première guerre punique, opposant Carthage à Rome touche à sa fin: les mercenaires achetés par Carthage pour faire face à la puissance romaine attendent leur solde promise dans les jardins d'Hamilcar. La luxuriance des mets, des vins, de la vaisselle, des meubles et des jardins exacerbent l'impatience des soldats, rendus oisifs par l'inactivité et sujets aux sautes d'humeurs....le drame lentement s'annonce, la sauvagerie des instincts primaires inexorablement chemine vers son paroxisme, chemine vers le dénouement qui voit un festin s'achever en massacre des jardins, des lions et des éléphants d'Hamilcar. C'est alors qu'apparaît, au milieu du déchaînement des passions, la sublime, la merveilleuse, la belle et sensuelle Salammbô, fille d'Hamilcar. Mâtho, un jeune mercenaire barbare, en tombe immédiatement amoureux et ne souhaite qu'une chose: la posséder! mais comment accéder aux doux délices de l'amour? Spendius, un esclave grec d'Hamilcar Barca, qui a choisi de s'affranchir seul du joug de la servitude, vouant une haine farouche aux richesses, à la culture, à la puissance carthaginoise, lui sussurre de dérober le voile de Tanit, déesse lunaire protectrice de Carthage, afin d'affaiblir et vaincre la ville abhorrée.
Les soldats barbares, lassés d'attendre le bon vouloir des Riches et des Suffètes de Carthage, décident d'assiéger la ville afin d'obtenir compensation. De ruses en promesses, les carthaginois parviennent à s'en débarasser mais pour peu de temps: la colère des barbares, exacerbée par la rouerie et l'hypocrisie, encouragés par le vol du voile de Tanit, la haine de Spendius et l'absence d'Hamilcar, les incite à revenir assiéger Carthage jusqu'à ce qu'elle rende gorge. Hannon, le vieux rival d'Hamilcar, se lance dans la bataille afin d'écarter les mercenaires assoiffés de sang et de vengeance. Las, l'attaque tourne court, échoue lamentablement par suffisance et mépris envers les barbares qui reprennent l'avantage et décuplent de furie. Carthage est à nouveau en danger....enfin arrive Hamilcar, Suffète et fin stratège aimé et détesté à la fois pour son charisme et ses capacités militaires. Une série de batailles commence, plus terrifiantes les unes que les autres, pendant lesquelles machines de guerre effroyables, sauvagerie, haine et déchaînement épuisent les hommes, misérables fétus au coeur d'un combat électrique.
Carthage est proche de l'abîme, Carthage sombre dans le désespoir: le voile de Tanit a disparu! Salammbô, sous la coupe du prêtre Schahabarim, se dévoue pour aller dans le camp des barbares, récupérer le précieux voile. Schahabarim la conditionne pour qu'elle se donne à Mâtho, ce qu'elle fait dans un état second, entre désir et haine, entre souffrance et plaisir intense. Au petit matin, Mâtho s'aperçoit de la fuite de Salammbô et de la disparition du voile. Une autre bataille s'engage, le vent tourne pour les troupes encerclées d'Hamilcar: la percée salvatrice s'opère, le retrait dans Carthage s'effectue mais Mâtho, enivré de désespoir et de haine passionnée, avec l'aide de Spendius, détruit une partie de l'aqueduc pourvoyeur d'eau: Carthage va-t-elle plier? C'est sans compter avec les prêtres du culte de Moloch qui estime nécessaire un sacrifice d'enfants carthaginois, notamment ceux des familles des Riches et des Suffètes (Oh, comme Hamilcar tremble pour son précieux Hannibal!), afin de faire tomber la pluie. Le sacrifice ayant apaisé le dieu, un regain d'espoir envahi la ville et Hamilcar décide, dans un ultime effort et une dernière ruse, de fourvoyer l'armée des barbares, afin de la réduire définitivement, dans une course mortifère à travers la plaine désertique et les montagnes.
Et Salammbô dans tout cela? Jeune fille d'une beauté à couper le souffle, symbole d'une féminité exacerbée, Salammbô est l'image sacrée du principe féminin, la clé du monde de l'inconscient, celui de tous les désirs, de toutes les passions. Elle est également une image de la contradiction: elle n'aime pas Mâtho, elle le hait même, et pourtant lorsqu'elle s'offre à lui elle ne peut que se laisser emporter par les vagues intenses du plaisir, la chair et ses mystères instillent un amour inconscient, celui de la féminité épanouie, fertile, qui ne supportera pas la mise à mort du barbare.
Comment résister à la première phrase du roman: "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar". Flaubert a durement planché sur cette phrase d'ouverture pour atteindre une perfection de style et d'accroche: quelques mots et déjà tout un monde de couleurs, de saveurs, d'exotisme promis....Rien que pour cette phrase, Salammbô vaut le détour. Elle n'a l'air de rien comme ça mais lorsqu'on se la met bien en bouche, qu'on la lit et relit l'essence même du romanesque transpire des mots. Le premier chapitre est d'un baroque extraordinaire et l'apparition de Salammbô un chef d'oeuvre! La belle, la cultivée, la sublime au-dessus d'une mêlée avinée, avide d'or, de chair et de sang, la sauvagerie d'une soldatesque errante est palpable, la barbarie d'une tour de Babel militaire donne des frissons et attise l'envie de tourner les pages! On remarque d'emblée que l'altérité culturelle est pointée: autant de caractères et de coutumes mêlés par le grand hasard des conflits portés aux confins du monde. La mosaïque de peuples, de traditions, de modes de vie, du monde antique vue par le prisme d'un écrivain européen d'une grande culture, est un véritable tableau foisonnant et d'une sauvage beauté. Flaubert peint avec justesse la richesse espérée et les espoirs déçus: Carthage, la belle, est certes riche mais pas à l'envi; la détresse des habitants ne sachant comment agir sans provoquer la colère des troupes étrangères, ces Barbares que l'on ne comprend et qui ne comprennent pas Carthage. En peu de mots, Flaubert met en scène un spectacle étourdissant où les couleurs, les odeurs, les zones de lumières et d'ombre, les cris, la poussière, la chaleur étouffante, le bruit métallique des armes qui s'entrechoquent, ne peuvent que saisir le lecteur du XIXè comme celui du XXIè! On s'y croirait, on y est, on est au coeur des batailles, on entend les gémissements, les ahanements, les râles et les soupirs. Parfois d'ailleurs, le lecteur en a la tête qui tourne, proche de la nausée mais toujours fasciné par la beauté baroque et violente d'une Carthage violentée par les mercenaires.
Avec un sens évident du sensationnel, du grand spectacle, Flaubert décrit, avec un plaisir et une volupté évidents, les peuples composant les cohortes de barbares: c'est Babel qui vient à Carthage, c'est la multitude de l'altérité qui se déverse sur les peurs primaires d'une civilisation construite sur les ruines fumantes des peuples soumis. Entre réalisme et grotesque, le lecteur voit défiler sous ses yeux un monde antique venu des limites du connu et apportant les promesses d'un inconnu fascinant qui suscitera moult convoitises.
Salammbô est une oeuvre magistrale, fascinante tant par la beauté de l'écriture flaubertienne que par la violence qui s'en dégage à chaque mot: la guerre et son cortège d'horreurs et de souffrances sont décrits minutieusement, paysages déments d'une folie rougeoyante. C'est une débauche de couleurs raffinées, d'odeurs et de bruits. La scène de crucifiction des lions, symboles de la force militaire et du rayonnement culturel de Carthage, est un morceau d'anthologie, parmi beaucoup d'autres! Flaubert gorge son lecteur d'une myriade de sensations, de couleurs, de raffinements dans la cruauté jusqu'au plongeon écoeurant dans la noirceaur de l'âme humaine qu'il souhaitait montrer: la bassesse, l'avidité inextinguible des richesses de l'autre, la méchanceté, la vilenie, l'orgueil (le terrible orgueil d'Hannon qui failli perdre Carthage) ou la lâcheté. Tout l'éventail des pulsions humaines est exposé sous le soleil écrasant des plaines carthaginoises....un spectacle technicolor réalisé grâce au pouvoir évocateur des mots justement choisis et assemblés avec grand art!






La critique de Sainte-Beuve ICI

Les avis de fahrenheit lafactory



Roman lu dans le cadre des lectures communes de Parfum de livres

vendredi 24 juillet 2009

Crise mystique?



En assistant à un spectacle de rue, hier en fin d'après-midi, sur le parvis de la basilique de Guingamp, au cours duquel l'incantation suprême était "Que la fouarce soit en vous", je me suis rappelée les photos de certaines sculptures extérieures, prises un bel après-midi de printemps.

En attendant de renouer avec l'inspiration pour mes billets, un peu de tourisme est toujours bienvenu!

lundi 20 juillet 2009

La lune décrochée



Il y a 40 ans, un rêve (Le voyage dans la lune Méliès, 1902) se réalisait sous les yeux incrédules des téléspectateurs du monde entier:


L'homme marchait sur la lune!


Depuis, on ne regarde plus ce satellite comme avant: plus de Sélènes à imaginer (n'est-ce pas Jules Verne!) mais un imaginaire qui ne prend pas fin (Cosmos 1999, la lune quitte l'orbite de la Terre pour un voyage peut-être sans fin!).

dimanche 19 juillet 2009

Tout vient à point à qui sait attendre



Drôle de titre pour cette chronique mais je n'ai pu être dans les temps pour mettre en ligne le billet sur la lecture commune du blogoclub "Nous étions les Mulvaney".

Les années 70 en Amérique, une famille heureuse, unie où l'amour est débordant, où les enfants grandissent heureux au milieu des champs et des animaux. Les Mulvaney, Mickael et Corinne, sont parvenus à la force du poignet à faire partie des familles en vue de Mont-Ephraim, état de New-York. Les enfants sont au lycée où leur popularité est à l'aune de leurs talents sportifs, pour Mike dit "Le Mulet", de leur réussite et de leur beauté pour Marianne. Patrick, lui est respecté et craint pour ses excellentissimes résultats scolaires, son humour mordant, son regard incisif, son intelligence aiguë; il cultive savamment sa différence et sa solitude.
Ce tableau idyllique (la ferme aux volets lavande perdue dans les champs, les prairies et les bois, la place au Club-House, les appels quotidiens des nombreux amis de Marianne) va lentement se disloquer lors d'une soirée de St-Valentin 1976 au cours de laquelle la vie de toute la famille sera brutalement bouleversée à jamais: Marianne a la mauvaise idée de suivre un jeune homme de bonne famille et ce qui lui arrive fera basculer son histoire intime.
C'est la chute d'une famille modèle américaine que relate le benjamin des Mulvaney, Judd, avec ses souvenirs grapillés et construits au fil du temps. Il retrace l'histoire des siens (mais aussi celle d'une société à un moment donné), qui furent humiliés, traînés dans la boue, ruinés, avec humilité et sans haine: il sait que les relations humaines sont tout sauf simples. Sous sa plume, le lecteur suit le calvaire intime de Marianne qui se sent coupable et salie, qui subit l'opprobe et la honte sans pouvoir se défendre ni détester le monde et les autres. Une vie en "patchwork" conduit Marianne jusqu'à une coopérative où elle réapprendra à vivre, en compagnie de son chat Muffin, tandis que son père sombrera lentement dans la déchéance, solitaire jusqu'au pardon final.
Joyce Carol Oates peint un portrait peu reluisant d'une société américaine, puritaine, bien pensante, en racontant l'heur et la décadence d'une famille ancrée dans une petite ville, entourée d'amis et de joyeuses relations...jusqu'au jour où l'acte impardonnable d'un fils de famille salit la réputation d'une jeune fille naïve, au coeur trop tendre, à la bonté trop grande qui ne lui permet pas de dire non. Comme il est facile pour les notables bien pensants de penser que la pauvre Marianne n'a récolté que ce qu'elle a semé, comme il est aisé de disculper un fils parce qu'il est issu d'une vieille famille, réputée et aux importantes relations, comme il est simple de rester aveugle devant un acte de violence intense....la vertu des filles tient tellement à peu de chose, surtout quand ladite fille est issue d'une famille depuis peu acceptée au sein du cercle d'élus! Oates, au gré de ses minuscules touches, pointe les manquements des uns et des autres, souligne l'hypocrisie insoutenable d'une société qui rejette ce qu'elle ne peut accepter: un reflet peu reluisant de son incapacité à appliquer à elle-même ses préceptes humanistes et bien-pensants! La middle-class et ses petitesses s'exposent au fil du roman, au fil de la descente aux enfers de Mickael, le père de famille qui voit s'effondrer ses espoirs et ses rêves, au fil de la reconstruction de Marianne, des errances enrichissantes de Patrick et du point de vue empreint d'humanité et d'humanisme de Judd.
Joyce Carol Oates gratifie le lecteur de magnifiques descriptions de paysages, d'intérieurs campagnards en suivant les pas de l'école américaine du roman naturaliste comme elle parsème, avec justesse, les images, importantes dans son oeuvre romanesque, de la dualité entagoniste du bourreau et de la victime: Marianne victime d'un Zachary (minable et grossier), la famille Mulvaney achevée par l'étroitesse d'esprit d'une classe sociale qui met à son ban ce qui dérange l'ordonnancement parfait qu'elle s'est construit, Mickael senior bourreau mental de sa fille, de sa famille et victime d'une middle-class qui ne pardonne aucun faux-pas, qui n'accepte pas l'originalité, la différence, le saugrenu comme l'excellence et guette la moindre faille pour sonner le glas, l'hallali et reprendre tranquillement le cours insipide du quotidien étriqué.
Oui, j'ai détesté cette société, oui, j'aurai aimé prendre par le "colbac" tous les Zachary du monde et leur géniteurs imbus de leur piètre importance et leur faire rendre gorge pour l'acte infâme perpétré sur une jeune fille. Le pire est de se dire que ce type d'attitude est hélas encore d'actualité dans notre société dite moderne.
Oui, j'ai aimé la douleur de Marianne, sa manière de fuir pour se reconstruire malgré l'abandon moral de ses parents. Oui, j'ai eu envie de claquer ces derniers pour leur manquement et leur égoïsme. Oui, je me suis interrogée sur le choix de Corinne qui décide d'envoyer hors la vue de son père, sa fille Marianne: lâcheté extrême ou extrême courage? Prise entre deux feux, entre deux amours, entre deux passions, Corinne est contrainte à un choix qui ne sauvera pas son couple...mais doit-on lui jeter la pierre pour avoir fait un choix de femme, d'amante et non de mère? Sans doute, a-t-elle voulu sauver ses deux amours, son homme et son enfant, sa fille, une autre elle-même, d'un gâchis encore pire que celui qui sera vécu!
Nous étions les Mulvaney est un roman, un grand roman, écrit avec justesse, sobriété (tout est crédible), efficacité et doté d'une gamme de sensations, d'émotions et de sentiments qui lui donne un souffle romanesque d'une force indéniable. Il faut dire que la scène d'ouverture est d'anthologie: elle happe immédiatement le lecteur pour l'emporter dans un voyage au long cours où il rira, pleurera, se révoltera, aura des envies de meurtres, des élans de tendresse et une envie d'en savoir toujours plus sur ces Mulvaney qu'il quittera un brin nostalgique. Oates, dès les premiers mots ferre son lecteur et ne le lâche plus jusqu'au point final....du grand art!

"Nous étions les Mulvaney, vous vous souvenez? Vous croyiez peut-être notre famille plus nombreuse; j'ai souvent rencontré des gens qui pensaient que nous, les Mulvaney, formions quasiment un clan, mais en réalité nosu n'étions que six: mon père Mickael John Mulvaney; ma mère Corinne; mes frères Mike et patrick; ma soeur Marianne et moi...Judd. (...) Hight Point Farm était une propriété bien connue dans la vallée - inscrite plus tard aux Monuments historiques - et "Mulvaney" était un nom bien connu.
Longtemps vous nous avez enviés, puis vous nous avez plaints.
Longtemps vous nous avez admirés, puis vous avez pensé Tant mieux!...il n'ont que ce qu'ils méritent."
(p 11)

Roman traduit de l'anglais (USA) par Claude Seban







Les avis de biblioblog pascal et des blogoclubistes chez Sylire et Lisa










(On ne peut que penser aux toiles d'E.Hopper en lisant Nous étions les Mulvaney!)

jeudi 16 juillet 2009

Berlin underground


Franz Biberkopf vient de sortir de prison où il a purgé une peine pour le meurtre de sa compagne Ida, et est bien décidé à ne pas replonger dans le sordide. Libre comme l'air, le voilà dans le Berlin de la fin des années 20 début des années 30, errant aux alentours de la place essentielle de la ville, la célèbre Alexanderplatz! Cet endroit, mythique, tient une place de choix dans l'oeuvre romaesque de Döblin qui après avoir fréquenté assidûment les cercles expressionnisme s'en détache pour ne jurer que par le naturalisme, moteur romanesque où l'observation brute des faits réels prend le pas sur l'imagination pure.
Berlin, ville de plus que quatre millions d'âmes, ville culturelle et de lumière, ville d'architecture et de vie grouillante entre les lieux de plaisirs sordides, les abattoirs ronflants, les bistrots selects comme malfamés, les ruelles sombres et les immeubles délabrés, voit Franz Biberkopf arpenter les rues en vendeur de journaux, en distributeur de tracts nationalistes, terrassier ou déménageur, autant de petits métiers lui permettant de vivoter. Le lecteur suit ce héros aux aspirations honnêtes de fin 1927 au début 1929 dans une cité où monte, lentement et sournoisement une idéologie nauséabonde qui enverra au pouvoir un certain Hitler. Mais peut-on lutter contre la fatalité? Peut-on s'écarter définitivement des cercles de l'illégalité lorsque l'on croise, chaque seconde, les membres d'une bande de malfrats? La loi de la rue est dure, sans concession et sans sentiment.
Dès le début du roman, le niveau de langage, l'écriture et l'ambiance berlinoise m'ont fait pensé à Céline et son "Voyage au bout de la nuit". Il existe des similitudes entre les deux auteurs: ils ont exercés en tant que médecins et se sont intéressés aux petites gens, aux humbles, aux bas-fonds de Berlin ou de Paris. Döblin propose un voyage au bout d'une nuit, au bout d'une vie, une vie que le personnage voudrait pouvoir changer malgré les contingences matérielles, une vie qui lui colle à la peau et qui ne semble guère lui offrir une autre voie, une échappatoire à sa route déjà tracée. D'ailleurs, ce voyage aux côtés du héros est balisé par les incipits de chaque livre, incipits annonçant à chaque fois les grandes lignes de l'étape de l'Odyssée berlinoise. Détail donnant une dimension épique à l'oeuvre...une épopée des zones sombres, inquiétantes parfois, où se meut le petit peuple des précaires, des démunis et des voyous.
Franz Biberkopf apparaît comme étant écartelé entre sa liberté enfin recouvrée et une relative nostalgie de sa vie derrière les barreaux, vie réglée comme du papier à musique....très rassurante en fait: il hésite, il rase presque les murs berlinois, encore étourdi par la possibilité de marcher où il veut, comme il veut. Döblin imprime un rythme intense à son écriture afin de distiller la frénésie d'une capitale grouillante de vie et d'activité, à la limite de l'étourdissement: le lecteur est happé par le bruit des véhicules, par les chansons entendues parci parlà, par le tramway, par les cris des marchands, à la sauvette ou non, des vendeurs de journaux, le quotidien échevelé absorbe Franz biberkopf tout en l'effrayant un peu (la reprise de contact avec la vie libre est difficile à apréhender). Cependant, Döblin prend soin de placer des intermèdes descriptifs, ces petits riens qui permettent une pause et une respiration, en mettant en scène des petits bouts de vie. La sensualité de Berlin est à fleur de mots, exhalant une crudité dans les détails anatomiques, sa violence aussi et cette latence apporte aussi sa pierre à l'édifice épique du récit. Berlin est en perpétuelle construction, toujours changeante et pourtant éternelle et moderne. Le lecteur continue sa découverte de l'underground berlinois dans le livre deuxième au cours duquel notre Franz élargit le cercle de ses connaissances: entre piliers de tripots et amie peu farouche, récupérée pour aider un ami à butiner d'autres fleurs berinoises, il déambule pour mieux éprouver du remords au sujet de la mort d'Ida; les furies grecques auraient-elle investi Berlin? Toujours est-il que Franz semble de plus en plus désirer devenir un autre homme, un homme honnête et doux en vendant des journaux. Las, ces journaux sont des journaux d'extrême-droite, édités par des hommes au joli verbe, à la faconde facile et qui l'ont très vite influencé: Franz est de ceux qui se laissent mener par le bout du nez à partir du moment où on détient la puissance du verbe, il est le type même du parfait candidat au n'importe quoi, faisant siennes les thèses les plus outrancières! Le bruit de bottes et chemises à brassard se fait entendre derrière les mots de Döblin, un Döblin qui joue à merveille sur les différents registres de l'ironie et la distanciation avec les personnages: le caustique est toujours prêt à bondir....comme la violence larvée de Franz (le lecteur attend le moment où la violence diablesse du héros surgira hors de sa boîte). Une violence qui suinte derrière le long passage, plus que saisissant, sur les abattoirs de porcs: le lecteur ressent avec horreur tout ce qui se déroulera suite à l'accession d'Hitler au pouvoir...la mise en place d'une machine à broyer les hommes, les âmes est en route derrière la machine infernale que sont les abattoirs où on voit des hommes donner tranquillement et méthodiquement la mort.
Döblin place son héros devant une alternative difficile: être honnête et vivre pauvre, exploité par les uns et les autres et sans être un minimun respecté, ou céder aux tentations d'une vie plus facile en entrant dans une bande et bénéficiant ipso facto d'un réseau d'entraide contournant le système, quitte à laisser des hommes ou des femmes sur le bord de la route. Les relations douteuses de Franz lui font admettre que la société ne peut lui offrir de décence et que les soucis matériels ne pourront pas être résolus par la voie des urnes (et on entend le bruit des bottes claquer le pavé berlinois). Aussi, notre naïf Franz pense-t-il qu'il pourra se faire une petite place au soleil en tissant des liens, même légers, avec les voyous patentés et cela sans s'engager outre mesure et en se coulant dans la peau d'un proxénète en vivant aux côtés de Mimi, la jeune et gentille Mimi peu avare de ses faveurs. Le lecteur voit se profiler une funeste répétition de vie dans la descente aux enfers de Franz. Cependant, ce dernier accepte son destin que Döblin ne rend en aucun cas tragique: il apporte une dimension optimiste à ce triste chemin de vie en offrant la rédemption à son héros...une épopée citadine, moderne, aux accents que notre société ne pourrait renier, s'achève dans une apothéose libératrice.
Certes, il est difficile de quitter son chemin de vie quand la prédestination colle aux basques, cependant, Berlin Alexanderplazt est loin d'être un roman sur le fatalisme ou sur le pessimisme: il décrit tout simplement la vie des humbles que les rouages de la société écrasent, aveugles et sourds à la détresse et au désir de rompre les chaînes du déterminisme social. Döblin par son écriture qui mêle différents styles, plusieurs niveaux de langue, peint une toile sociale et humaine où les appétits féroces des uns croquent les espoirs des autres, où les petites frappes musclées et gouailleuses se pavanent, coqs en basse-cour, devant un parterre d'admiratrices subjuguées. Elles peuvent être malmenées, maltraitées par leur "jules" sans pour autant cesser de l'aimer. Döblin tisse sans fin des ramifications dans son récit, renvoyant à de multiples interprétations, à de multiples niveaux de lecture au fil desquels le lecteur se perd et se retrouve avec délectation et gourmandise. Un roman épique aux accents tragiques derrière une façade parfois grotesque dans le sens où l'ambiance frise avec le carnavalesque, le burlesque, le caricatural, le bouffon et le comique. Une force romanesque qui emporte le lecteur d'un bout à l'autre des 623 pages, sans que l'ennui ne lui vienne une seule fois; une lecture étonnante et jubilatoire!

Roman traduit de l'allemand par Zoya Motchane










Roman lu dans le cadre des lectures communes de Parfum de livres

mardi 14 juillet 2009

Pour celles/ceux qui ne partent pas en vacances


Celsmoon organise un swapounet vacancier.

Tous les renseignements sont ICI

Clôture des inscriptions le 25 Juillet!

Donc, à vos marques, prêts...swapounet!!!!

lundi 13 juillet 2009

Un dimanche à La Roche Jagu


Nous aimons beaucoup venir nous promener au château de La Roche Jagu, domaine appartenant au département des Côtes d'Armor. Le parc aux thématiques multiples est un vrai bonheur à explorer et arpenter. Et surtout, en été, il y a toujours une belle animation offerte aux visiteurs.

Hier après-midi, après la sieste et le goûter de notre petit vacancier, nous nous sommes rendus à La Roche Jagu et de belles surprises nous attendaient: des spectacles, aussi étranges que comiques, happaient les promeneurs au fil des sentiers... les enchoufflichures épataient leur monde et faisaient ouvrir grand oreilles et yeux des petits et des grands!

Entre un spectacle de bulles et de bruits, harmonieux, de tuyauteries (eau avec bondex, produit invisible, hilarant et inutile), des savants fous, un garde champêtre prônant la Révolution, un salon littéraire, une frite géante conduisant le spectateur sur les lieux de perdition, des extra-terrestres, des bardes et de curieux cuisiniers venus des âges farouches, il y avait de quoi perdre la notion du Temps et de l'Espace!
Encore une belle réussite qui fait la part belle aux troupes professionnelles et amateurs! (Je suis bien contente de voir qu'une partie de mes impôts est utilisée à bon escient...)

jeudi 9 juillet 2009

Quand mordre devient fantasme


Diantre, que ce court roman est terrifiant et parfaitement efficace! Un jeune professeur d'un lycée de banlieue parisienne devient obsédé par l'idée de mordre. Chaque jour qui passe voit son idée fixe grandir, alimentée par les documentaires sur les grands prédateurs, confortée par son envie de quitter la norme, le chemin du quotidien, la route qui fait de lui un bon professeur dispensant un savoir à des adolescents souvent en souffrance.
Les dents, la dentition, la mâchoire, la pression exercée par cette dernière, le déchiquetage, le dépècement, l'univers de la morsure devient la raison d'être du narrateur.
Au fil des pages, le narrateur expose son obsession, ses désirs de mordre à pleines dents dans les aliments, le besoin de dévorer de la viande crue et sa fascination pour Ivan, un rottweiler, le chien d'un de ses voisins. Ce dernier, Jimmy, un jeune homme paumé et solitaire, en rupture sociale, ne vit que pour son chien, compagnon lui offrant par procuration la puissance qu'il ne possède pas, la crainte qu'il n'inspire pas. Le narrateur tisse des liens de bon voisinage plus que d'amitié avec Jimmy afin de se rapprocher de l'objet de sa fascination, Ivan. Une manipulation affective se met en place, masquée par les conversations et les promenades communes au cours desquelles le narrateur peut observer combien la puissance du molosse attire les jeunes femmes, roucoulantes comme si elles étaient en train de séduire le mâle dominant, et les hommes, qui se donnent des airs bravaches amors qu'ils transpirent de crainte. La fascination devant le danger potentiel est extrêmement bien cernée et décrite par l'auteur qui sans cesse place son lecteur devant ses instincts, ignorés et glauques, primitifs de prédateur, de chasseur, de mangeur de viande. La civilisation et la culture ne sont qu'un piètre vernis, toujours prêt à se fendiller ou à éclater. Un jour, alors que le degré de confiance entre le narrateur et Jimmy semble établi, ce dernier décide de lui montrer une video, essence de son intériorité et de sa violence larvée: le narrateur parvient à rester stoïque devant l'horreur des images, réelles, de tortures et autres sévices mais ne peut retenir son indignation et lance à la tête d'un Jimmy qui ne saisit absolument pas le pourquoi d'une telle réaction, tout le mépris qu'il éprouve pour lui! Jimmy prend alors conscience qu'il a été grugé, manipulé, que les démonstrations d'amitié ne concernaient, une fois de plus, que son chien Ivan, seigneur empreint de sa force sauvage aux apparences tranquilles!
Le parti pris de l'auteur, mettre en situation extrême un personnage bien installé dans la société, prof de lycée en banlieue, n'est pas anodin: le narrateur-héros est confronté quotidiennement à un affrontement dans l'arène qu'est la classe, lieu où se joue parfois de terribles mises à mort virtuelles (tel professeur craintif, ayant baissé les bras, se retrouve chahuté au-delà du supportable), lieu où il faut tenir coûte que coûte son rang de dominateur en laissant sourdre ses instincts de survie comme de chasseur...chassé ou être chassé, le choix est limité si on ne veut pas craquer et atterrir à La Verrière! Ainsi, l'environnement professionnel du narrateur est-il le déclencheur d'une névrose qui au fil du récit prend une ampleur démesurée au point qu'il s'attaque avec les dents aux murs de son appartement, aux meubles et aux objets. Les vacances d'été arrivent enfin, respiration qui emmène le narrateur en province avec des amis, l'éloignant de ses obsessions de morsures. Il constate son état psychique alarmant et parvient à se reprendre. De retour, il décide d'éliminer tout ce qui peut lui rappeler ses idées fixes et descend dans son box, à la cave, pour tout ranger. C'est alors qu'un grondement se fait entendre: Ivan le menace et tout échappatoire lui est interdite. Le combat tant attendu, dans la noirceur de ses fantasmes, arrive, la confrontation est inévitable.
"Morsure" est un roman qui glace et met très mal à l'aise malgré une écriture soignée, une plongée sans concession au coeur des fantasmes les plus sombres. Le lecteur, s'il a réussi à aller jusqu'au bout de sa lecture, en sort ébranlé, avec une chair de poule qui l'accompagne longtemps. La sauvagerie latente fait peur, très peur même car elle peut investir les personnalités les plus improbables, parce qu'elle se tapit au coeur des multiples frustrations que peut subir la jeunesse, l'adolescence (le visionnage des scènes de tortures et de violences sur autrui, réelles, est un sommet de terreur et d'horreur: on sait que certains se repaissent de ce type ignominie, que certains ont dépassé la ligne rouge, la frontière séparant la civilisation de la sauvagerie - sauvagerie que même les animaux n'atteignent pas! -).
"Morsure" explore un pan de déviance suscité par une société qui exerce moult violences sur ses citoyens, cette mise en lumière d'une certaine noirceur est très dérangeante et amène à s'interroger sur le modèle sociétal et économique proposé par notre modernité. Une lecture qui fut pour moi très difficile...cependant, je ne regrette rien!







La page ulike.net de l'auteur ICI site des éditions naïve LA



mardi 7 juillet 2009

Cuisine, épices et traditions


Après "Saga italienne", je me suis plongée avec délice dans la lecture de Soulfood Equatoriale de Léonora Miano. La collection "Exquis d'écrivains" de Nil Edition peut enchanter comme décevoir (d'après ce que j'ai pu lire sur les blogs): les amateurs de voyage culinaire seront ravis avec cet opus aux saveurs épicées, chaudes et enchanteresses de l'Afrique équatoriale.
Léonora Miano aborde, au fil des recettes et des savoirs-faire culinaires, des sujets graves comme légers, des situations humaines dramatiques, et hélas communes (l'hsitoire du petit voleur d'avocat), comme le déroulement des souvenirs d'un quotidien familial. C'est tout une société peinte avec tendresse, nostalgie et délicatesse qui s'écoule sous la plume de l'auteure. Cette dernière permet à son lecteur d'entrer, les sens en éveil, la gourmandise titillée, au coeur d'un monde de senteurs, de flaveurs et de couleurs profondes et chatoyantes. La sensualité est en filigrane, encore et toujours, jouant sur la gamme infinie des émotions humaines.
Le Cameroun devient "jazz" mystérieux, sauce tomate garnissant "les sandwiches saxophones" où tout l'art de la cuisinière réside dans l'apport du petit plus, secret parmi les secrets, lui offrant alors une immense renommée transcendant les couches socio-culturelles de la ville.
On est près des fourneaux, tentant de se faire le plus petit possible afin de ne pas gêner la mise en oeuvre des recettes intemporelles, issues des traditions les plus lointaines, héritages d'un melting-pot des ingrédients et des savoirs.
J'ai aimé l'humour savoureux, suave voire doté d'une pointe très acidulée, de Léonora Miano dans des nouvelles telles que "Solo" où deux jeunes hommes s'affrontent autour d'une marmite afin de réaliser avec la plus grande perfection une recette afin de gagner les faveurs de leur belle, ou "Ndole" où l'auteure distille ses conseils pour concocter le plat test de l'homme africain, plat dont la préparation prend une éternité, éternité pendant laquelle la femme ne vit plus alors qu'elle aimerait tant être libre et frivole. Léonora Miano a des solutions pratiques: la préparation en amont et la magie de la congélation.
Sous les rires, se cachent parfois les larmes de la nostalgie de l'enfance ou celles des drames de la faim, de l'abandon. Les traditions, les contes initiatiques trament leurs fils autour des recettes et font entendre leur sagesse immémoriale, celle qui donne les richesses à qui sait bien en disposer, à qui sait en retour offrir et donner tout simplement.
Soulfood Equatoriale est un voyage immobile, intense, qui entraîne le lecteur au coeur d'un monde où les trésors immatériels sont la richesse indéniable de l'humanité.
Un univers non dans une tasse de thé mais dans une belle et chaleureuse marmite à épices!




Merci Guillaume de Babelio pour ce très beau voyage au coeur des saveurs!


samedi 4 juillet 2009

Un air vivifiant de vacances


Pendant que Kirikou et la sorcière subjugue son jeune spectateur, Chatperlipopette peut offrir à ses lecteurs un avant-goût du voyage marin. Pas n'importe quel voyage: un voyage immobile et intérieur au gré des très belles et très esthétiques planches de ce beau livre (une idée de cadeau pour les mordus des "inventaires" à la cabinet de curiosités) Le bestiaire marin, histoires et légendes des animaux des mers de Jean-Baptiste de Panafieu!

Les éditions Plume de carotte regorgent de jolis trésors à admirer, à feuilleter, à lire et relire, à manipuler en soupirant d'aise devant les images d'une esthétique irrépprochable, Le bestiaire marin ne déroge pas à la règle: dès la couverture le voyage commence au gré de la beauté du monde présentée avec délicatesse et poésie.

Oui, on peut parler de délicatesse et de poésie à propos de ce bestiaire qui met en scène des bestioles parfois peu amènes!

Le schéma de présentation est pour chaque "bête" identique: la planche à droite, le texte documentaire, le(s) nom(s) populaires, l'étymologie, l'anthologie et les petit plus "pêche-aquaculture"/ "mauvaise réputation" à gauche. Le tout sur fonds bleutés, plus délicats les uns que les autres, idéalement ourlés pour laisser vagabonder l'imagination et enrichir l'imaginaire. On se croirait au coeur d'un muséum naturel consacré aux animaux et flores marins, au coeur d'un temple poétique dédié aux sciences naturelles.

On feuillette, on picore ces petites perles précieuses au gré des envies, au gré des idées et des moments à soi où l'on décide de s'évader sans quitter son canapé ou son Voltaire. Certes, les révélations fracassantes ne sont le propos de l'ouvrage, certes on pourrait apprendre plus de détails précis, pointus sur chaque sujet d'étude mais le support ne pourrait être celui que nous offrent les éditions Plume de carotte!

En un mot comme en mille, Le bestiaire marin emporte les pensées du lecteur-feuilleteur à la suite de la corne du narval, du lièvre des mers, du cachalot ou de la licorne imaginaire.

Les beautés du monde s'égrennent au fil des photographies et des textes, Le bestiaire marin est un beau voyage immobile au long cours où le parfum iodé des mers traversées titille les sens du lecteur-voyageur.

vendredi 3 juillet 2009

L'aventure c'est l'aventure

Le capitaine Belalcazar arme un navire pour partir à la recherche d'une cité d'or perdue, Païtiti. Cette fois, c'est certain, la nouvelle tentative sera couronnée de succès, après un essai soldé par un échec à quelques emcablures du but.
Embarquent à ses côtés, deux frères indiens d'Alaska, Hug-Cluq et Negook, avides d'aventure et de sensations fortes, de rencontres insolites et de découvertes inattendues, une intendante et cuistot émérite, Fontaine un tantinet amoureuse de notre archéologue à la retraite Belalcazar, une étrange vigie, "cartographe et gabier breveté", Florence Malefosse (qui disparaîtra de l'histoire de manière bien mystérieuse et sans raison évidente...sauf celle du bon vouloir de l'auteur!!!), mutique et solitaire ayant traversé plusieurs fois la Manche à la nage, au charme réel stimulant l'imagination des hommes embarqués.
Commence alors une joyeuse équipée maritime au cours de laquelle, le but visé sera atteint après bien des détours. Entre les côtes africaines et la jungle du Pérou, les glaces de la banquise (qui lentement, tristement et inexorablement fond) apportent la richesse humaine d'un Inyoudgito, flanqué de ses deux filles adoptives et de ses cinq chiens. Entre temps, notre équipage insolite aura rencontré un flibustier sorti de nulle part, à bord d'un navire fantôme, tel Jack Sparrow, et sautant à l'abordage de La Catherine s'inscruste, feu follet créé par le pouvoir invincible de l'auteur, dans le récit, le pimentant d'humour décalé...en effet, le pauvre flibustier s'appelle Jean-Philippe, ça casse un peu le personnage mais ajoute un zeste supplémentaire de dérision dans le récit! Mais l'arrivée de Jean-Philippe est loin d'être la plus extraordinaire: celle de Sophie, une amie de notre Belalcazar, n'est pas mal non plus: tel un deus ex machina, Sophie apparaît comme une ouvreuse de passages secrets et improbables camouflés dans les entrailles de la Terre!
Comment résumer une histoire aussi riche en rebondissements, aussi folle dans son déroulement, aussi amusante, et surréaliste parfois, sans en déflorer la substantifique moëlle, sans édulcorer ses multiples saveurs?
Patrice Pluyette s'amuse follement et amuse au plus haut point son lecteur, celui qui accepte de commencer par un roman maritime pour continuer entre récit fantastique, conte philosophique et aventure cinématographique à la Indiana Jones! Le tout au gré d'une écriture où l'humour et la distance amusée voire facétieuse de l'auteur offrent un roman protéiforme très savoureux! Comme il est plaisant de suivre Belalcazar et ses compagnons (aahhh, la congélation dans le Grand Nord de Jean-Philippe et sa résurrection en pleine jungle après avoir subi chasse à la sarbacane et inondations...des moments d'anthologie picaresque!) dans un fil qui s'emmêle sans cesse pour mieux perdre et le lecteur et les personnages (Monsieur Pluyette est un véritable incorrigible facétieux), qui certes ne sont pas en quête d'auteur, mais cherchent désespérement l'Eden aurifère (d'ailleurs, une fois trouvé, apporte-t-il vraiment le bonheur? Surtout lorsque l'or est en libre service...cela je vous laisse le découvrir!).
Rien ne se déroule comme prévu par les canons du récit d'aventure et c'est ce qui fait indéniablement toute la saveur du roman: les obstacles sont surmontés de manière inattendue apportant sans cesse d'innombrables surprises, souvent désarçonnantes et désopilantes. Pluyette signe ici un roman qui apporte évasion et sourires....à découvrir et à déguster sans modération!
Quant au Mozambique...une jolie fausse piste, métaphore d'une aventure picaresque moderne!





L'article élogieux de Télérama celui du Magazine Littéraire