dimanche 30 décembre 2018

Japonitudes


Les aventures de Sugarawa Akitada, jeune fonctionnaire japonais sont dans la même veine que celles du Juge Ti : savoureuses et dépaysantes.
Je n'ai lu que trois romans et encore pas dans le bon ordre ce qui ne gêne en rien la lecture.
Akitada Sugarawa est issu d'une famille de l'aristocratie qui fut, autrefois, bien en cour et qui se retrouva à sa lisière suite à un revers de fortune. Il termine major de sa promotion et est promis à un brillant avenir de fonctionnaire. Sauf que....
Il a un défaut, et non des moindres : il aime résoudre les mystères et autres affaires criminelles ainsi que les rencontres improbables avec des personnages hauts en couleur dont il acquiert respect et amitié au point d'en faire des alliés précieux lors des enquêtes.

L'énigme du dragon tempête

Les trois derniers convois d'impôts de la province de Karzusa disparaissent corps et bien avant de rejoindre la capitale impériale. Aucun indice, aucune trace.
Une jeune femme aristocrate est retrouvée, assassinée, dans un quartier de la capitale : pour quelle raison ? Peu de temps après, un ami proche d'Akitada prend la décision de devenir moine bouddhiste.
Akitada s'ennuie au ministère de la Justice, aussi accueille-t-il avec enthousiasme la mission qu'on lui confie : retrouver les convois volatilisés.
Il prend la route en compagnie de son fidèle intendant Seimei, bien décidé à éclaircir le mystère. Lors d'une étape, il rencontre un jeune homme, dénué du sens du protocole. Il se nomme Tora et est ancien soldat de l'empire. Notre jeune fonctionnaire le tire d'un mauvais pas : en effet, Tora est accusé du meurtre d'une jeune femme. Sa cicatrice au visage l'a fait confondre avec l'assassin qui court toujours.
Quand le trio entre en ville, l'atmosphère est bien étrange : le gouverneur sur le départ est le principal suspect, le supérieur du monastère bouddhiste semble bien mystérieux et inquiétant avec sa horde de jeunes moines aux allures de soldats, le chef de la police apparaît peu efficace puisque les crimes ne sont que rarement élucidés et le tribunal désert. Quant à l'ancien gouverneur, vieil homme érudit, il trouve la mort dans son bureau alors qu'il souhaitait discuter avec Akitada.
Notre héros sera mis sur la voie par deux concours de circonstance : l'achat d'une belle épingle sertie auprès d'un colporteur puis celui d'une peinture sur rouleau représentant le « Dragon tempête » malmenant un navire non loin de la côte. Le visage du « capitaine » laisse perplexe Akitada surtout lorsqu'il apprend que des moines ont molesté la jeune artiste auteure de la peinture.
Le jeune fonctionnaire tire lentement le fil des événements tout en affrontant des politiciens véreux, des moines peu recommandables et une veuve manipulatrice derrière son apparence de femme-enfant.
L'auteure nous fait approcher le monde particulier de l'administration impériale japonaise qui propose des missions impossibles à un jeune fonctionnaire afin d'enterrer un vol bien gênant. Un monde retors, sans état d'âme au service d'un système féodal souvent violent.

L'énigme de la flèche noire

J'ai commencé par cette enquête. Akitada, jeune marié, est envoyé aux confins de l'empire,dans la province d'Echigo, pour remplacer un gouverneur défaillant. Le nord est soumis aux attaques incessantes des Aïnous et l'empire ne tient que par la hargne des seigneurs de guerre.
Seulement, parfois ces derniers deviennent tellement puissants qu'ils en deviennent dangereux pour le pouvoir impérial.
La région est loin d'être un havre de paix malgré le sublime des paysages enneigés porteurs d'une poésie à la subtile beauté. Les greniers sont vides, le tribunal est en ruine, la garnison en piteux état. La ville est soumise au bon vouloir d'un seigneur de guerre tyrannique qui fait et défait les fortunes.
Cette tyrannie a mis à mal la confiance de la population envers l'administration impériale provoquant l'accueil très froid du jeune gouverneur.
Il y a un pesant secret familial, une communauté d'intouchables, ces hommes et femmes réduits à exercer les plus basses et viles besognes du quotidien, les pêcheurs qui se confinent pour supporter le long hiver qui isolera du monde la province.
Le meurtre d'un aubergiste avare, marié à une jeune et belle femme, conduira à l'arrestation de trois suspects, les derniers clients de l'auberge dont un paysan simplet, un acteur sur le retour. Leur vie ne tient qu'à un fil, celui de l'enquête menée par Akitada.
L'auteure utilise avec art les ficelles d'une intrigue à plusieurs entrées ce qui permet au lecteur de rester en alerte et de découvrir un peuple étrange, les Aïnous.

L'énigme du second prince

Dans cette enquête, suite chronologique de celle de la flèche noire, notre jeune Akitada est envoyé incognito sur l'île de Sado où sont envoyés en exil les criminels et les traîtres.
Il coud son ordre de mission prouvant qu'il est un envoyé de l'empereur dans la doublure de son vêtement et s'embarque sous un nom d'emprunt, celui d'un disgracié, pour rejoindre Sado et découvrir qui a assassiné le frère de l'empereur.
Après les seigneurs de la guerre, le lecteur découvre l'univers clos d'une île où les condamnés peuvent vivre une autre vie une fois leur peine purgée s'ils n'ont pas rendu l'âme dans l'une des mines d'argent.
Akitada devra déjouer un complot, confondre un ancien noble, réhabiliter le fils du gouverneur, le tout avec l'aide de son inénarrable Tora, joyeux drille irrévérencieux, et d'une nonne mystérieuse.
Le lecteur apprendra ou ré-apprendra qu'il est nécessaire d'acquérir le savoir-faire indispensable pour préparer le fugu, poisson à la chair délicate hautement dangereuse. Il découvrira comment le pouvoir impérial se débarrasse des gêneurs en les exilant, comment d'exilé on peut s'enraciner sur une terre.

Le personnage d'Akitada Sugarawa est attachant : on sait qu'il est loin d'être bien en cour malgré son intelligence et brillantes compétences. C'est qu'il a l'art de se trouver au cœur d'affaires qui ne le regardent pas vraiment. Comme il est tenace et mène jusqu'au bout ses raisonnements pour éclairer les situations les plus inextricables, il agace en haut lieu.
Il a ce supplément d'âme en le sens où derrière un naturel froid se cachent une humanité et une grande tolérance pour l'irrévérence quand elle est de bon aloi. Il est un homme juste au service de son empereur et ce sans dévier un instant de sa ligne de conduite.

Les romans de I.J Parker sont plaisants à lire entre deux lectures plus ardues ou sombres. C'est du bon policier historique 10/18.
La force de ces intrigues ? Le lecteur est pris par les chemins de traverses et veut absolument connaître la manière dont les divers personnages se sortent de leurs (més)aventures. La chute est à chaque fois surprenante.