mercredi 9 décembre 2015

Décembre n'est pas que le mois du Père Noël

Noël est associé avec le Père Noël, le traîneau, les rennes, la hotte, le sapin, la cheminée et les cadeaux tant attendu.
Les albums foisonnent sur le personnage principal des fêtes de l'Avent, on ne sait plus où poser les yeux.
Il est une tradition de l'est de la France: le pain d'épice vendus sur les étals des marchés de Noël. Tradition allemande également ce qui a pourvu notre imaginaire collectif d'histoires plus ou moins inquiétantes autour de ce délicieux gâteau au miel.
Je n'ai pas choisi le conte traditionnel de "Hansel et Gretel" doté d'une maison de pain d'épice abritant une horrible sorcière; non, j'ai opté pour un autre conte, dit de randonnée, où le pain d'épice est à l'honneur sous la forme d'un drôle de bonhomme.
Vous avez reconnu le célèbre "Bonhomme de pain d'épice". J'aime lire et raconter cette histoire à mes élèves en période de Noël: elle propose une "respiration" dans le cumul des histoires de Père Noël tout en apportant les saveurs d'une pâtisserie que l'on ne mange que pour l'Avent.

Comme mon auditoire est en dernière année de Maternelle, je lui lis le conte traditionnel accompagné d'une variante publiée chez la très belle maison d'édition "Didier Jeunesse".
Le conte édité chez Nathan a des illustrations simples, "vintage" aurais-je envie de dire, très plaisantes: elles nous plongent dans une autre époque et nous nous y baignons avec plaisir.
Ce conte, dit de randonnée, met en scène une pâtisserie découpée en forme humaine, en bonhomme, prenant vie à la sortie du four. 
C'est la course poursuite des gourmands avec l'objet de toutes les convoitises... le fameux petit bonhomme qui court, court en narguant ses poursuivants (la vieille femme, le vieil homme -son mari- la vache, le cheval et les paysans.
L'obstacle à franchir est la rivière au bord de laquelle se trouve un renard. Ce dernier répond à la provocation du bonhomme de pain d'épice par une indifférence remplie de malice.
Il aide le petit bonhomme à traverser la rivière, le mettant en confiance, étant son seul recours pour échapper au cortège de gourmands. Peu à peu, l'unique ressource du p'tit bonhomme est de se réfugier sur le nez du renard qui en profite pour le croquer une fois de l'autre côté de la rive.
Les enfants font tout de suite la relation avec "Roule galette" et trouvent le renard très malin bien que "pas gentil" - aux yeux de certains -. Ils se délectent du refrain lancé par le bonhomme de pain d'épice "J'ai échappé à..., cours, cours aussi vite que tu le peux! Tu ne m'attraperas pas, je suis le bonhomme de pain d'épice."
La morale de l'histoire? Quand on souhaite quelque chose, inutile de crier "Je veux", jouer sur le charme et l'intelligence fine rapporte plus.

La variante du conte traditionnelle, est un album au graphisme original, poétique et épuré, "P'tit Biscuit ou L'histoire du bonhomme de pain d'épice qui ne voulut pas finir en miettes". Les illustrations, pastels, montrent ce qui est sous la terre, à l'intérieur la maison de la grand-mère, comme si l'environnement était transparent.
L'histoire reprend la confection d'une pâtisserie de pain d'épice à laquelle on donne forme humaine. Le bonhomme s'enfuit parce qu'il ne veut pas finir en miettes (c'est le sous-titre). Il avance dans la forêt à "petits pas biscuités". Au fil de sa promenade il fait des rencontres lorsqu'il entend "j'ai faim". A la souris il offre à croquer son petit doigt, au serpent un bras puisqu'il en a deux il lui en restera toujours un, au hibou un pied puisqu'il en a deux il lui en restera toujours un. A chaque fois, on lui dit merci.
La dernière rencontre, avec le loup, est plus angoissante puisque ce dernier aimerait le croquer en entier. De toute façon, c'est lui qui décide, et toc! Le petit bonhomme de pain d'épice s'enfuit en laissant un bout de ventre, de chemise, de nombril et de main: le loup ne lui a même pas dit merci. Ainsi, avons-nous la preuve que les loups sont de vrais malotrus impolis, prenant ce dont ils ont envie sans demander la permission.
Notre héros biscuité revient au logis bien fatigué. Et c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase: la grand-mère, affamée, le rouspète, tout "débraillé"qu'il est il lui faut donc "égaliser tout ça". Croc, croc, miam, elle ne laisse que la tête. La mangera-t-elle ou la gardera-t-elle pour plus tard?
Le petit bonhomme prend son destin en main et décide pour elle... en l'avalant toute entière.
Il peut se reposer, le ventre plein. Et la grand-mère? Bah, pour elle, l'histoire est terminée voyons!

J'aime beaucoup les différents niveaux de lecture de cette variante: entre le conte de randonnée, les clins d'oeil à l'histoire du "Petit chaperon rouge", l'univers ambivalent de la forêt et le mythe de la dévoration, celle qui fait perdre son innocence, celle qui provoque les catastrophes de la psyché humaine. Peur, répulsion, attirance et fascination, les mamelles d'un conte bien réussi, celui qui fait grandir et prendre conscience qu'un jour on sera grand, qu'il faut se méfier des apparences, qu'il faut savoir se perdre pour mieux se retrouver.

Comme quoi, un simple morceau de pain d'épice peut ouvrir la voie vers un imaginaire protéiforme.
A lire sans modération!

mercredi 25 novembre 2015

Vingt mille mots sous la mer

Un soir, un jeune homme, le narrateur, aperçoit un vieil homme doté d'un gardénia à la boutonnière de son costume, se promener en bord de mer.
Le vieil homme, très digne, se jette à l'eau et disparaît. Le narrateur plonge à sa suite pour le sauver, commence alors une aventure extraordinaire.
Le vieil homme le conduit jusqu'à un bar, sous la mer, où une vingtaine de personnes sont réunies, chacune d'entre elle aura une histoire à conter, offrira au visiteur un univers où l'imaginaire est roi.
Le lecteur, aux côtés du narrateur, devient auditeur subjugué par la maestria des conteurs du bar sous la mer.
Tel Pierre Aronnax rescapé d'un naufrage devenu hôte du Nautilus, sous-marin du Capitaine Nemo, nous plongeons dans un univers merveilleusement inconnu et beau : chaque nouvelle est une découverte inattendue, un voyage étonnant. Les narrations sont comme les fonds marins : elles abritent de nombreuses formes littéraires, à l'image des algues ou coraux offrant logis et garde-manger à de multiples espèces de poissons.
Le lecteur savoure les frissons de l'épouvante avec le récit de « L'homme au manteau » dans lequel la noirceur se lie avec le fantastique, tel une murène à l'affût du moindre tremblement. Le décor est digne d'un château hanté des Carpates, on s'attend à voir la famille Adams au complet ou encore celle de Dracula. Il est au bord du cauchemar avec celui du « Type à la mèche ».... toujours se méfier des méchus qui cachent derrière la drôlerie de la mèche un road-movie sanglant, emportant avec un humour ravageur une famille dans un resto-route digne d'un film d'horreur.
Il se délecte des récits jouant sur les cordes de la romance, de l'absurde ou du drame d'autant que chaque personnage est en adéquation avec le conte dont il se fait narrateur. Chaque récit a une chute remarquable qui fait râler parfois le lecteur hameçonné avec art dans une histoire qui lui fait gober le ver avec finesse.

L'auteur régale le lecteur de son goût du burlesque car chaque récit en est truffé par petites touches savamment réparties, lui offre le plaisir des mots et de leurs jeux tout en lui réservant de grandes situations absurdes qui décontenancent tout en faisant rire... jaune parfois.

« Le bar sous la mer » est un Nautilus immobile où le Capitaine Némo est l'auteur tandis que les lecteurs des hôtes émerveillés par tant de diversité et de plaisir de lire. L'art de la nouvelle est exigeant et Stefano Benni le manie à la perfection : il sait trouver LA chute qui cloue le lecteur de stupeur car il prévoyait tout sauf cette dernière, ou provoque un rire franc et libérateur. D'ailleurs, le plaisir est renouvelé quand, désirant garder en bouche la saveur des mots et la luxuriance de l'imaginaire, on lit et relit un conte ou un de ses passages.

Un recueil enchanteur pour oublier l'espace d'une lecture les aria du quotidien.




mercredi 4 novembre 2015

A monstre monstre et demi

Les vacances sont terminées, retour en classe et lecture d'albums. 
Cette semaine, j'ai choisi "Le Gruffalo" exquise histoire où le plus petit trouve toujours une parade pour affronter une épreuve.
Une souris se promène dans une forêt... sombre bien entendu. Elle rencontre un renard, ce dernier par la vue alléchée aimerait en faire son dîner. Las! C'est sans compter sur le rendez-vous de la souris. En effet, elle attend le Gruffalo.
Savez-vous ce qu'est un Gruffalo? Non? Le renard non plus. La souris, bien brave, donne des indices descriptifs, trois, puis informe le renard du plat préféré du Gruffalo: le renard à la cocotte, ce qui fait fuir le prédateur.
Ensuite, elle croise la route d'un hibou qui en ferait bien son quatre-heures. La souris explique qu'elle attends le Gruffalo à l'endroit où le hibou se trouve. Ce dernier ne sait pas ce qu'est un Gruffalo. Trois nouveaux indices et précision du plat préféré du monstre: le hibou en sirop! Ce qui fait fuir le rapace.
Enfin, elle rencontre un serpent qui souhaiterait la déguster. Même manège et apport de trois indices supplémentaires sur la physionomie du monstre et le nom de son plat préféré, le serpent aux olives. Une fois de plus, l'ennemi fuit devant la perspective de servir de repas au monstre.
A chaque fois, la souris se moque de ses prédateurs en disant "Pauvre renard/hibou/serpent qui ne sait pas que le Gruffalo n'existe pas!"
Continuant sa route elle tombe nez à nez avec... le descriptif sur pattes du monstre qu'elle avait imaginé! "….Oh ? Qui est ce monstre avec de grands crocs, des griffes tranchantes et des canines très coupantes ? Ses jambes ont des bosses, son nez porte une verrue, son regard est orange et sa langue très sombre, son dos est couvert de pics violets ! Au secours !!! C’est un gruffalo !" Comble de l'horreur, il la trouve succulente parce que son plat préféré est la souris, délicieuse sur un lit d'artichauts!
La souris ne se démonte pas et contre-attaque en disant que tout le monde, dans la forêt, la craint ce qui fait rire le Gruffalo.
Elle relève le défi, ils font le chemin inverse et des bruits se font entendre: le serpent, le hibou et le renard s'enfuient sans demander leur reste quand elle les salue ce qui surprend, étonne, sidère le Gruffalo. L'estocade est portée lorsque la souris précise que son plat préféré est "le Gruffalo en purée". Comment réagit le monstre? Je vous laisse deviner.
Notre héroïne peut savourer une noisette en toute tranquillité.

L'histoire joue sur plusieurs registres: la peur des monstres, le plaisir de fabuler et d'inventer une créature épouvantable, la surprise de penser que l'imaginaire peut devenir réalité. 
On peut expliquer le système de la chaîne alimentaire aux enfants: le prédateur, la proie. Qui mange qui. 
Manger? Vous avez dit manger? Que cela tombe à pic! Le texte est riche d'expression relevant des domaines culinaire et des saveurs: "appétissante" "venir goûter avec lui" "thé"  "succulente".

Un album qui tient en haleine les enfants avides d'histoires improbables et pourtant tellement réelles! Approuvé par mes élèves qui ne se lassent pas de l'entendre.

Il existe un film d'animation, un extrait ICI

lundi 26 octobre 2015

Sous les étals, il n'y a pas toujours la plage

« Faire la saison » c'est s'expatrier pour découvrir un ailleurs où le travail ajoute un autre parfum, subtil, à la sueur. On « fait la saison » en ramassant les cocos paimpolais, les haricots, les pommes-de-terre, les pêches, les abricots, en « faisant les vendanges » ou encore en louant un emplacement de camelot dans un marché en bord de mer.

C'est ce que font Bruno et Jeanne, marchands ambulants dans les monts du Lyonnais, au cours d'un printemps et d'un été, dans une station balnéaire du Bordelais, Carri. Ils arrivent un beau matin d'avril pour prendre possession de leur concession.
Parce qu'ils vendent des bijoux, que fabrique Bruno en hiver, ils sont rapidement surnommés « Les Bijoux » par l'ensemble des camelots campant depuis des lustres sur le marché de Carri.
Jeanne, l'épouse de Bruno, attise immédiatement les convoitises des hommes, notamment celle de Forgeaud, le caïd de Carri, l'autorité implacable régnant sur la communauté des ambulants. Avec Francis, le placier municipal, il fait la pluie et le beau temps à Carri, en est à la fois le régulateur et le « parrain ». C'est qu'il a des airs mafieux le Forgeaud... des airs et la musique puisque tous subissent la « Taxe Forgeaud » pour avoir la paix et une place intéressante garantie.

Bruno, Jeanne, Virgile et Alexis apparaissent comme LES étrangers, l'inconnu qui dérange et c'est bien connu, les gens ordinaires n'aiment pas être dérangés par les étrangers... surtout quand ces derniers montrent peu à peu que le système instauré par Forgeaud est loin de les satisfaire.

La tension entre Bruno et Forgeaud est palpable dès leur rencontre : le premier subit une humiliation publique, devant son épouse, par le second. Ce dernier pense asseoir, ainsi, son autorité, sa loi, montrer qu'il peut prendre un droit de cuissage sur Jeanne.

Par petites touches, savamment déposées, Eric Holder fait entrer son lecteur dans l'univers particulier des camelots, des marchands ambulants. Il peint ses personnages avec art, sans fioritures parfois quand la rudesse est de mise, avec douceur et fermeté quand la situation l'exige.

Derrière l'écriture en apparence simple, Eric Holder décortique la nature humaine, sous tous ses aspects – des plus agréables au plus abjects – tout comme le microcosme sociologique des marchands ambulants. Il associe personnages principaux et secondaires avec subtilité et justesse, amenant son lecteur à vivre au rythme de ces derniers, à les considérer comme des voisins, des connaissances de quartier. Le lecteur est au cœur du marché saisonnier de Carri, il est chacun des marchants tout en possédant le recul de la lecture.

Les scènes dramatiques sont courtes et efficaces, Forgeaud apparaît, très tôt, comme un « parrain » de pacotille que la moindre étincelle embrasera. Le mac toulonnais qu'il embauche pour punir Jeanne, après avoir inquiété, peint sous un jour sombre par les mots de l'auteur, ne prend pas l'ampleur escomptée par son commanditaire. 
Le point d'orgue est la scène où tous les ingrédients de dramaturgie sont présents pour apporter la violence et le chaos : Le souteneur, répondant au doux nom d'Enzo, après les repérages autour du bungalow des « Bijoux », se prépare à corriger Jeanne
Le jour J de l'action, tout vole en éclats grâce à un deus ex machina cocasse. 
Le lecteur attendait, depuis quelques pages, le drame, qui tourne court, montrant combien Forgeaud n'est qu'un homme hâbleur et vain. En quelques mots, le matamore devient pantin ridicule, et ce accompagné par la plume jubilatoire de l'auteur.
Il fait très chaud, Virgile est parti acheter de l'insecticide dans une grande surface, Jeanne est au calme dans son bungalow, Enzo est en approche :

« Ayant laissé son 4x4 deux cents mètres plus bas afin de ne pas être identifié, Enzo s'était tapé d'aller à pied jusqu'au sommet. Revêtu pour la circonstance, de sa tenue fétiche autant que professionnelle, il n'avait pas été aidé dans sa marche par les santiags à bout ferré, le pantalon cuir sous lequel il cuisait, et le véritable fouet de gaucho qu'il avait passé en guise de ceinture, et qui n'arrêtait pas de se dénouer...
Quant au boléro, de cuir noir également, qu'il avait choisi de porter à même la peau, laissant apparaître de nombreux tatouages, il glissait maintenant sur son dos enduit de sueur comme un gilet en carton bouilli, écorchant le quatre-mâts goélette qui naviguait entre ses épaules, un souvenir de la marine française. Enfin l'abondance de chaînes, toutes plus imposantes les unes que les autres, dont il était paré, lui râpant le cou, tenait maintenant de la punition supplémentaire.
L'emplacement qu'occupaient les Bijoux avait été tracé au bulldozer, on y accédait de plain-pied par la route qui s'élevait encore avant de redescendre. Enzo n'eut pas le temps de se cacher (….) Jeanne leva la tête. Le petit mac l'observait depuis là-haut, à contre-jour. (…) On dit qu'une taie opaque envahit l'oeil des grands requins au moment où ils s'apprêtent à mordre, les rendant aveugles. Enzo donnait tous les signes de l'absence, devenu gris, subitement. Sa mâchoire, à lui, pendait.
Elle hurla. D'un bond elle était sur pied et courait vers le bungalow. Il y parvint à l'instant où elle donnait un tour de clé à la porte, qu'il enfonça d'un sel coup de talon en oblique, façon kung-fu. Elle n'eut pas le temps de crier à nouveau, déjà il était sur elle et, d'un revers de main lui giflant le visage, l'envoyait à terre.
Enzo sentit alors qu'on le tirait par un pan du gilet. On l'appelait même « Hé, Ducon ! » Peut-être bénéficia-t-il d'un millième de seconde, en se retournant, pour reconnaître Virgile au bout du bras qui tendait l'aérosol, pschitt ! » (pages 260 à 262)

On a l'impression d'être dans un Western spaghetti ou un film des années 50. Le cocasse et le ridicule sont le pendant des divers drames tissés au fil de l'histoire. 
Le comique est associé, sans fausse note, à la gravité des situations dans lesquelles sont placés les personnages : la vie est une sarabande endiablée.
On rit, on a un peu peur pour les héros, on se glisse à leurs côtés avec naturel tout en appréciant la manière ineffable qu'a Holder de parler des femmes. Il les esquisse, avec tendresse et passion, d'une plume poétique : leurs forces, leurs faiblesses et leurs secrets offrent autant d'occasion à l'auteur de les raconter avec subtilité.

« La saison des Bijoux » est un roman savoureux que l'on prend plaisir à lire, appréciant le passage des deux saisons composant la « saison », le printemps et l'été, les jours qui passent sous la plume du romancier devenu peintre le temps d'une description :

« On tient dans la région septembre pour le plus beau mois de l'année. Juin y éclate pourtant dans le jaillissement des rosiers en fontaines, les verts intenses des feuilles alanguies à force d'être grasses. Au milieu de la danse des coquelicots, un pavot déploie lentement sa robe de derviche. Il pleut des pétales d'acacia.
Les couleurs miellées de résine se rejoignent en une : l'orange, en fin d'après-midi, tandis qu'apparaissent, sous les arbres à l'orée des forêts, les pans de mur, des constructions inachevées d'ombre profonde. Avec la marée monte une odeur de sel et d'algues où se glisse l'épice des plantes maritimes. » (p 115)

«C’était à Carri l’heure où les tempéraments s’alanguissaient. Le sable de l’arène humaine désertait la grand-rue, franchissait des tamis successifs, la douche, l’apéro, les charmes de la villa ou du camping, avant de verser ses grains les plus colorés, les plus aurifères, dans la rue des restaurants. » (page 186)

Eric Holder nous tient et ne nous lâche pas, le temps d'une « saison ».


Je remercie Babelio et les Editions du Seuil pour cette lecture où la poésie côtoie le romanesque, le policier et le western.

tous les livres sur Babelio.com



dimanche 25 octobre 2015

C'est dimanche jour de la photo #8

Circuit de 7 km autour d'une partie de la retenue du Gouët, près de St-Brieuc. L'automne et sa lumière rasante magnifient ce banc laissé aux ronciers et herbes folles.
Imaginez le crissement des feuilles mortes sur le sentier, le calme des bois lors d'un dimanche ensoleillé.

Photo prise il y a 3 semaines. Aujourd'hui les fougères sont brunes.

dimanche 11 octobre 2015

C'est dimanche jour de la photo # 7

Ce matin, pour la première fois, j'ai participé à la marche "Rose Espoir" à Ploumagoar. Il y avait foule violette et rose, même seule, on se laisse porter par le rythme des autres, la solitude n'est qu'une idée fausse parmi les marcheuses de tout âge.
Deux photos pour le prix d'une: l'affiche et un trait d'humour.


Même les chiens ont leur T-shirt!

Le blog de la Rose Espoir:

samedi 10 octobre 2015

Madeleine "delermienne"

Exquis titre que celui choisi par l'auteur pour son dernier opus de nouvelles. Tout comme le sous-titre, que je trouve bienvenu également « et autres belles raisons d'habiter sur terre ».

J'aime l'écriture de Philippe Delerm, tout comme l'écrivain, rencontré il y a quelques années lors d'un Salon du Livre à Paris. Il est à l'image de ce qu'il écrit : simplicité, ouverture vers autrui, douceur et à l'écoute du monde.

« Les eaux troubles du mojito » m'a rappelé son premier recueil « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » : pour cette rentrée littéraire 2015, Delerm nous offre de nouveaux plaisirs minuscules, des fragments de vie, du quotidien, ces multiples moments qui font que la vie vaut la peine d'être vécue.
La lecture d'une ou deux nouvelles avant de partir au travail ou en rentrant de ce dernier, s'avère être un moyen efficace pour effacer les aria rencontrés dans le monde du travail ou l'écoute des nouvelles du monde plus déprimantes les unes que les autres.
L'espace d'une aquarelle ou d'une photo jaunie par le temps, le lecteur oublie la vacuité du monde contemporain pour se délecter d'une nostalgie des plus délectables. Oui, nostalgie délectable, celle qui fait du bien, celle qui remet les pendules à l'heure, celle qui nous dit « Stop, regarde un peu en arrière et prends le temps de rêver, de ne rien faire et de penser uniquement à toi. »

Le recueil est une respiration dans notre monde qui ne vit qu'à la vitesse de la connexion internet : sa lecture nous invite à prendre son temps, à se souvenir de l'unique mojito que nous avons bu, un jour d'été, en compagnie d'amis, à la campagne. Le vert de la feuille de menthe se mêlant à la teinte ténue du jus de citron, vert et jaune, liant la transparence du rhum. La rondelle de l'agrume surplombant la banquise chahutée des glaçons, est une note ensoleillée et poétique exacerbant la fraîcheur du breuvage.
C'est une gourmandise que l'on n'oublie pas, une gourmandise qui s'ancre dans la mémoire des papilles : le sucré des Antilles, l'acidité de l'agrume et la tonicité de la menthe fraîche. Vous savez, celle qui s'épanouit, en été, dans la jardinière sur la terrasse, plein sud !
Les rires et les conversations insouciantes rejaillissent avant de s'atténuer pour rejoindre la malle des souvenirs. La fin de journée s'éclaire, la soirée s'annonce de manière agréable, le monde devient plus souriant et vivable.
Le recueil en main, on se prépare un thé pour prolonger l'état de grâce.

Une autre nouvelle m'a touchée : celle de l'enfant en pleine lecture dont le doigt suit les lettres et les lèvres disent les mots... tout bas. L'enfant répète la geste millénaire des apprentis lecteurs dans une scène que l'on peut observer dans les lieux consacrés à la lecture ou chez soi. L'entrée dans l'imaginaire s'effectue au rythme du déplacement du doigt et de l'articulation silencieuse : la fluidité est proche tout en aimant le grincement de la porte des rêves qui lentement s'ouvre devant l'infini des possibles.
Je suis toujours émerveillée de voir un jeune enfant comprendre, par on ne sait quel étrange mécanisme, le système de la combinatoire (autrement dit en français dans le texte : l'association son/lettre avec d'autres sons/lettres. Je ne suis pas certaine d'être très claire, non ? Si?), processus immémorial pour comprendre ce que signifient l'assemblage de lettres composant un mot, des mots composants d'une phrase, de phrases constituant un texte, une histoire. L'appropriation de la liberté de penser est alors en marche.

Le talent de Delerm réside dans sa capacité à exprimer, avec simplicité et poésie, ce que tout un chacun a ressenti au cours de sa vie devant les petits riens de l'existence. Ces « plaisirs minuscules » qui nous font trouver la vie sur terre si belle malgré tout ce qu'elle subit, malgré tout ce que le monde subit.

« Les eaux troubles du mojito » est à savourer lentement, longuement, pour en percevoir toutes les subtilités qu'il contient. 
Quand le blues menace de nous étreindre, ouvrons les pages du recueil et il reculera pour se tapir loin de nous.


Livre lu dans le cadre du Challenge Rentrée littéraire 2015 orchestré par Sophie Hérisson



vendredi 9 octobre 2015

Une voix, cent voix, mille voix

Nous sommes à l'aube du XXè siècle, des milliers de jeunes filles japonaises quittent leur famille, leur maison, leur province pour rejoindre leur futur époux dont elles ne connaissent qu'une seule chose, leur photo : les mariages arrangés par les familles les envoient vers un destin où la désillusion puis la résignation les attendent.
« Certaines n'avaient jamais vu la mer » est l'histoire de ces femmes parties vers un avenir meilleur sur la côte ouest des Etats Unis. L'avenir sera tout sauf radieux dans un pays qu'elles ne comprennent pas, au milieu de gens qu'elles ne peuvent comprendre, au cœur d'une civilisation, qui se construit à mesure que la Conquête de l'Ouest s'achève, étrangère, grossière comparée à celle qu'elles ont emportée dans leurs maigres bagages. Le rêve américain est plus proche du cauchemar que de la vie facile promise dans la lettre accompagnant la photo de l'époux.

Elles deviennent « invisibles », voix anonymes, silencieuses, s'ajoutant les unes aux autres en un concert désarçonnant au premier abord, dévoilant au fil des morceaux choisis la maestria des notes, fausses, discordantes, harmonieuses, légères, graves ou virevoltantes. Les partitions diffèrent pour mieux composer un ensemble musical cohérent, aux variations subtiles : les destins de ces voix ne se ressemblent pas mais s'ajoutent, s'entrecroisent en se répondant sans cacophonie.

L'utilisation du « nous » est d'une force narrative évidente, offrant une dimension particulière au roman. Le lecteur lit, excentré, tout en étant impliqué par le « nous » collectif, celui qui universalise la douleur, la peine, le regret, l'espoir et le rêve. Le nous est le double de l'auteure, issue de l'immigration japonaise : ces voix sont celles qui l'ont construite, elles sont celles de la mémoire collective de la communauté japonaise d'Amérique.

Les voix se racontent, se répondent, répandent les rêves, aspirations, les rendez-vous manqués, la tristesse, les menues joies, les espoirs ou les déceptions qu'elles ne parviennent pas à taire.

Les voix sont un choeur où la mélancolie, les regrets d'un passé laissé au loin et le quotidien forment le creuset d'une tragédie se jouant dans l'harmonie chère à la culture japonaises : même dans les pires moments, la beauté de l'instant est présente.

Ces femmes ont emporté dans leurs malles leurs trésors, les petits riens essentiels pour ne pas oublier d'où l'on vient, qui l'on est : le kimono de mariage, les feuilles de papier de riz, les pinceaux et l'encre pour écrire une fois « là-bas ».

Jusqu'à l'attaque de Pearl Harbor, ces femmes invisibles triment aux champs, dans les serres, chez les bourgeois dont elles gèrent la maisonnées, vivent au cœur de la multitude, se fondant dans le décor, ne disant jamais un mot plus haut que l'autre. Du jour au lendemain, la communauté japonaise est mise à l'index, soupçonnée de trahison, et acheminée vers des camps d'internement.

C'est dans la description des départs orchestrés par l'administration américaine que l'apogée de la muette tragédie est atteinte... tout en délicatesse et subtilité : sans un mot, chaque famille accepte son sort, quitte sa maison en la laissant ordonnée et propre, l'autel des ancêtres en bonne place dans l'attente d'un retour. Tout est fait avec minutie, résignation, pudeur, la peur en filigrane, l'incompréhension étreignant l'âme.
Ils partent sous les regards empreints de culpabilité pour beaucoup, de haine pour certains, des américains. Ils partent en silence, celui qui les fera sombrer dans l'oubli des consciences et de l'Histoire.

« Certaines n'avaient jamais vu la mer » est un roman polyphonique d'une incroyable intensité : longtemps résonnent les mots des multiples narratrices, longtemps résonne ce « nous » une fois la dernière page lue.

« La grange a brûlé
A présent

Je vois la lune » Masahide (1657-1723)

jeudi 1 octobre 2015

La citation du jeudi # 7

"La région a pris son essor après la publication de ces lignes, la population s'est rapidement étoffée, et en quelques années un village était né autour d'une importante industrie de pêche. L'histoire de Nestporp, plus tard rebaptisée Nestkauptadur, le destin des gens qui y ont vécu et qui y sont morts, leurs baisers, leurs paroles enflammées, leurs larmes inconsolables et par conséquent toute l'histoire d'Ari, sont advenus suite à la parution de ces quelques lignes écrites par le naturaliste Bjarnin et publiées dans la revue "Andvari". La vie naît par les mots et la mort habite le silence. C'est pourquoi il nous faut continuer d'écrire, de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintiendrons la faucheuse à distance, quelques instants."

pages 28 et 29 in "D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds" de Jon Kalman Stefansson

mercredi 30 septembre 2015

La sieste, ton univers impitoyable....

C'est l'heure d'aller à la sieste!

Qui n'a jamais prononcé ces mots ne peut savoir l'effet produit sur l'enfant, ou les enfants, à qui ils s'adressent.
La sieste, moment de calme rejeté par les plus petits et espéré par les adultes. 
La sieste, un univers où l'angoisse se dispute avec le sommeil réparateur après une longue matinée à découvrir le monde.
La sieste, tabou s'il en est, pourtant essentiel au développement de l'enfant, en harmonie avec le monde.
La sieste commence toujours ainsi:

"D'abord, on n'a pas très envie de s'endormir: il y a tellement mieux à faire...."
Seulement, un bruit de vagues, appel à paresser sur la plage, se fait entendre, l'esprit s'envole pour écouter une histoire venue de loin, très loin, apportée par les vagues.

Ainsi commence le voyage au gré des histoires et berceuses racontées à travers le monde, par toutes les mamans à leur tout-petit bout de chou.
Ainsi commence l'aventure de l'imaginaire, celui qui aide à grandir, à se construire, à être ce que l'on est, ce que l'on deviendra.
Un fil conducteur... une sauterelle: de minuscule elle devient grande puis immense, elle est comme le rêve envahissant les limbes du monde proche et lointain. Elle bondit à travers le monde, elle survole des enfants, des adolescents endormis ou rêvassant, l'esprit libéré du poids de la réalité.

Le temps passe, l'esprit a voyagé, a appris, a vu mille et une jolies choses, a entendu mille et une belles histoires, a croisé mille et une personnes. Le bruit des vagues chuchotent "il est l'heure de se réveiller".
La petite fille s'éveille lentement, triste de quitter ce monde du rêve où tout est immense et à portée de main. La réalité reprend le dessus malgré la nostalgie de quitter l'état agréable du voyage immobile.
"Déjà? Il y a tellement d'histoires à rêver, allongé, bien reposé...Puis très vite, tout le monde finit par se lever: il y a tellement de choses à faire cet après-midi!"

Au quatre coins du monde, le même rituel se déroule sous des cieux et dans des langues différents. Au quatre coins du monde, l'enfance se construit au fil des sommeils remplis de rêves.

Un album court, servi par un texte très beau, poétique et drôle à la fois, et de très belles illustrations comme on les aime chez les Editions Rue du Monde.

dimanche 27 septembre 2015

samedi 26 septembre 2015

Et si...

L'uchronie est un domaine littéraire où il fait bon s'égarer de temps en temps. A quelques semaines de la diffusion en France de la série « Le maître du Haut Château » inspirée du roman éponyme de Philip K. Dick, j'ai lu ce dernier avec délectation. Osons ce terme, plus adapté à la dégustation d'un plat raffiné, pour la littérature.
Oui, je me suis délectée de cette histoire où les Alliés ne sortent pas vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, où les forces de l'Axe dominent le monde.
Ce ne sont pas les Américains qui ont lâché la bombe atomique mais les Nazis. Les Etats Unis d'Amérique n'ont pas envoyé le premier homme sur la lune mais les Allemands sont partis à la conquête de l'espace, des missions sont envoyées vers Mars.
Les vols supersoniques mettent Los Angeles à deux heures de Berlin grâce aux avions fusées.
L'Allemagne n'est pas divisée en quatre secteurs mais les Etats Unis sont séparés en deux zones : à l'est, sous domination nazie, à l'ouest, sous domination japonaise, au centre une zone neutre où vit l'homme dict le maître du Haut Chateau

La Résistance s'organise, cahin caha, de part et d'autre de la zone neutre. A Los Angeles, Frank Frink est renvoyé de l'usine où il fabrique des imitations d'antiquités pour le marché japonais. Monsieur Takomi doit accueillir l'agent Rudolf Wegener et organiser la visite du couple héritier de l'Empire du Japon. Juliana Frink, ex épouse de Franck, a tout quitté pour rejoindre les Etats neutres des Rocheuses.
Les personnages se croisent, s'éloignent, parfois sans se connaître. Deux éléments les relient : un roman subversif « Le poids de la sauterelle », interdit dans les zones sous la domination nazie, parce qu'il décrit un monde où la Guerre n'a pas été perdue par les Alliés. Le deuxième élément est l'utilisation du « Livre des transformations », le Yi King, faite par les principaux héros du roman : Takomi, Frank, Juliana et un personnage inattendu.
Le Yi King revêt une grande importance : les baguettes sont lancées six fois pour créer un hexagramme que l'on interprète dans le "Livre des transformations". Lors des moments importants de la vie de chacun des héros, ces derniers font appel à cette pratique.
Ainsi Takomi pressent un malaise pesant sur les relations entre l'Allemagne nazie et le Japon, qui se confirmera lorsque l'agent allemand lui apprendra qu'une attaque allemande est prévue contre le Japon.

Le roman est prenant, au rythme bien enlevé : l'existence d'un roman dans le roman met en abyme l'histoire lue avec celle que l'on aimerait lire, celle du « Poids de la sauterelle » dont l'auteur, Hawthorne Abendsen, a la tête mise à prix par les Allemands.
Juliana, exilée volontaire dans les Rocheuses, rencontre un jeune italien avec lequel elle a une aventure sentimentale : il lui parle du livre interdit. Suite à l'élimination du jeune homme, agent nazi en mission pour tuer Abendsen, par elle-même, elle lit l'ouvrage interdit et comprend que l'auteur a découvert, par l'interprétation des hexagrammes, que la guerre a été, en réalité, remportée par les Alliés.

Au-delà de l'uchronie, qui s'appuie sur un fait historique réel à savoir la tentative d'assassinat de Roosevelt, en 1933, par Giuseppe Zangara, Dick met en place une logique de guerre froide entre les force de l'Axe ainsi que l'admiration de la culture japonaise chez de nombreux américains, tiraillés entre attirance, mépris et répulsion. L'harmonie du raffinement recherchée dans tous les domaines par les Japonais fascine de nombreux personnages.
Dick provoque aussi le lecteur qui, de mise en abyme en mise en abyme, est renvoyé à ses propres questionnements, notamment l'interrogation sur ce qu'est notre propre réalité. Le lecteur, comme les personnages du roman, lit un livre qui lui décrit un monde autre en lui expliquant que ce monde autre est la réalité. Le lecteur est pris dans le principe, propre à la lecture, de l'illusion romanesque.
Dick joue avec les miroirs et interroge la définition de la réalité, de sa frontière avec la fiction, de l'existence de chacun et de son incertitude (suis-je vraiment moi?). Ces jeux de miroirs amènent parfois à se demander sur quel terrain l'auteur souhaite nous emmener au point que l'on ne sait pas vraiment où il veut en venir. C'est ce qui fait tout le sel de la démarche: perdre le lecteur à l'envi pour qu'il se retrouve ou se perde définitivement.


J'ai regardé l'épisode pilote de la prochaine série. Les éléments importants sont présents et captent immédiatement l'intérêt du spectateur. Etant bon public, j'ai apprécié cette mise en bouche qui, à mon avis, ne dessert pas le roman.



jeudi 24 septembre 2015

La citation du jeudi # 6

Je commence la lecture de "D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds" de Jòn Kalman Stefànsson. Univers très islandais et un long passage qui m'a interpellée.

"Nous revenons parfois à la souffrance, à nos regrets, à la nostalgie. Et nous remuons le couteau dans la plaie. Nous ne sommes pas très bien, la vie constitue un écheveau de plus en plus complexe, comme si l'homme peinait toujours à la cerner. Nous prenons des calmants, des excitants, des tranquillisants pour supporter le quotidien. Les années passent, le but de la vie demeure vague, nous ne comprenons presque plus rien, nous prenons du poids, nos nerfs s'usent puis se rompent et nous sommes constamment affligés par l'insatisfaction et les désirs inassouvis. Nous rêvons d'une solution, aspirons à l'azur et l'éther, mais n'ayant ni le temps ni la sérénité ni l'endurance qu'il faut pour les atteindre, nous avalons, reconnaissants, des solutions hâtives, les plats préparés, le sexe à la va-vite, tout ce qui nous procure une solution d'urgence, nous vivons à l'époque de l'instantané. Les manuels de développement personnel nous promettent une vie meilleures et un peu de profondeur dans nos existences: panoplie de dix conseils pour arrêter de boire, arrêter de grossir, de souffrir, d'avoir peur, dix conseils pour mieux vivre, ils sont rarement plus de dix, nous peinerions à en mémoriser plus, ils sont au nombre de dix comme les doigts, comme les Commandements."

(pages 17 et 18) in "D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds"

mercredi 23 septembre 2015

Elle voit des souris partout

Septembre est le mois de la souris en classe. "Mic la souris" est une histoire, parue d'abord chez Pomme d'Api et ensuite éditée en livre chez Bayard jeunesse poche.
Mic, petite souris orpheline, quitte sa maison ravagée par les pièges pour trouver un nouveau logis. L'aventure commence et est loin d'être de tout repos.
En premier lieu, un soulier. C'est chouette les souliers, même sans lacets. Au moment où elle entre, Maligot l'escargot sort lui demandant si elle souhaite quelque chose. Raté pour le soulier qui a déjà un locataire.
Peu de temps après, elle tombe sur un cartable. C'est chouette les cartables, même vieux et usés. Elle entre pour visiter et fait une rencontre piquante: un hérisson en a fait son logis. Raté pour le cartable qui a aussi son locataire.
Mic commence à être dépitée.
Miracle! Une série de boîtes de conserves...inoccupées: le rêve. Enfin, cela aurait pu être le rêve, seulement aucune boîte ne convient, évidemment: trop petite est celle des sardines, trop collante celle du lait concentré, trop glissante celle des haricots; En plus, ça résonne quand on chante. Raté les conserves sans locataires.
Une merveille apparaît: une belle théière en porcelaine: c'est plus qu'un logis, c'est un palais! Mic s'approche, l'espérance brillant dans ses yeux, las! il y a une bonne odeur de soupe ce qui signifie qu'il y a déjà un locataire: une souris qui lui conseille d'essayer les tasses. 
Mic n'en peut plus et pleure toutes les larmes de son corps. C'est alors qu'un mulot pointe le bout de ses moustaches. Elle lui raconte ses déboires et il se met à rire en lui expliquant qu'elle souhaite trop de confort alors qu'elle a ses dents, ses pattes et ses griffes.
Oui cher mulot mais pour quoi faire, dites-nous tout!
Pas bégueule pour une graine de tournesol, le mulot, en deux temps trois mouvements creuse un trou dans lequel il disparaît. Mic le suit et découvre un habitat spacieux et confortable:
"Viens voir! Salon, salle à manger, chambre à coucher, logement à l'abri, tout ça entre des racines fraîches et parfumées. Ta maison, elle est au bout de tes pattes, ma jolie!"

L'histoire est simple, bien rythmée avec un fond de morale qui renvoie à certaines fables. La sensibilité de l'enfant est mise à l'épreuve à travers la descriptions des péripéties vécues par Mic. Son périple n'est pas négatif: après l'escargot inquisiteur, le hérisson grognon, la souris égoïste, elle rencontre le mulot qui lui ouvre le chemin de la liberté d'agir: il suffit de faire appel à son intelligence, à ses capacités, son imagination pour maîtriser ses émotions et résoudre les problèmes qui se posent à soi. On peut surmonter ainsi toutes les difficultés.

Lue et approuvée par les 24 loupiots de ma classe.

dimanche 20 septembre 2015

C'est dimanche jour de la photo # 5

Je vous emmène encore en balade au Moulin à fouler, à Plélo, où le goût des belles choses est visible tant côté jardin que côté brocante et décoration.
Une ancienne cuisinière retapée et accueillant les convives qui se délectent à l'idée de goûter la potée maison ou les galettes.
Je ne me lasse pas de relater ma Bretagne.

mercredi 16 septembre 2015

Les gastéropodes sont aussi des héros sans peur et sans reproche

"Le Chevalier de Ventre-à-terre" est un album surprenant par la nature du héros: un escargot. Ventre-à-terre lui sied à merveille tant par le clin d'oeil à l'expression "courir/aller ventre-à-terre" image de la rapidité extrême contrastant avec la vitesse d'escargot de l'escargot, que par la réalité physiologique du gastéropode dont le mode de déplacement s'effectue ventre-à-terre, au sens premier du terme.
Notre Chevalier vit dans un château, sur des terres merveilleuses, foisonnantes, il a une petite famille adorable et aimante. Comme tout Chevalier qui se respecte il a son ennemi contre lequel il guerroie sans cesse.
D'ailleurs, ce matin, son ennemi l'attend pour une bataille rangée dans le carré fraises. Pas de temps à perdre, le Chevalier de Ventre-à-terre doit se préparer. Attention, il se prépare dans les règles de l'art et cette préparation est un monument d'humour et de deuxième degré. L'image parle d'elle-même.




Enfin il est presque prêt: avant de partir ne pas oublier d'embrasser épouse et progéniture bien baveusement.



Un Chevalier ne peut se rendre au combat sans porter secours à une Princesse en détresse, sans mater quelques vilains mal embouchés. En cours de route, il s'octroie une pause pendant laquelle un pied de cèpe, bien rond, bien lisse, l'inspire au point qu'il dessine sa vie à la manière...de la Reine Mathilde tissant, elle, la "Tapisserie de Bayeux". Bien sûr, les enfants ne réagiront pas à ce rappel historique, mais l'adulte, lui, savourera cela et s'appliquera, selon l'âge de l'auditoire, à expliquer pourquoi le Chevalier de Ventre-à-terre ressemble à la Reine Mathilde.
Notre pourfendeur sans peur et sans reproche arrive sur le champ de bataille où l'attendent son armée et celle de son adversaire. Face à face plein de noblesse et d'intimidation. La bataille commencera à la page suivante, nous en sommes certains: la preuve ils sont tous sur le dos, bouche ouverte, armes éparpillées, ils sont mort! Peut-être que ce n'est qu'une illusion? Vous le saurez à la page suivante, page qui vous ravira.



C'est le soir, tout ce petit monde doit retourner chez soi et se fixe rendez-vous au lendemain, même endroit, même heure, pour batailler.
Notre héros revient chez lui en s'arrêtant beaucoup moins pour sauver gentes demoiselles et pauvres hères.


Le lendemain, le réveil sonne, le Chevalier s'étire, prend son frugal petit déjeuner, fait ses exercices, écrit son courrier, se prépare... la suite, nous la connaissons.

Les planches fourmillent de détails infimes qui enrichissent de non-dits le texte écrit, les dessins sont d'une finesse très agréable, simples et riches de détails que l'on s'amuse à observer longuement. Le texte est simple, certes, mais participe à l'ambiance riante et malicieuse de l'histoire: l'image et le texte se répondent avec un décalage humoristique, l'une contredisant l'autre avec facétie.

"Le Chevalier de Ventre-à-terre" est un petit bijou où la poésie des dessins s'imbrique dans leur humour. Mes élèves l'avaient apprécié et me sollicitaient souvent pour que je la leur lise.