Il est des livres qui au premier abord ne paient pas de mine et qui, dès les premières pages, dévoilent une âme particulière au lecteur curieux et audacieux: "Mon vieux grenier en Bretagne" de Louis Pouliquen peut entrer dans cette catégorie. En effet, l'auteur ne défraie pas la chronique littéraire, ses écrits, nombreux, n'ont pas une aura nationale et pourtant, si d'aventure on ouvre un de ses recueils, on tombe très vite sous le charme d'une belle écriture, d'une langue qui a la particularité de susciter des images, des sensations intenses comme si au bout du stylo de Louis Pouliquen coulait une âme, celle d'une région un peu sauvage, battue par les vents et la grisaille lors des longs mois noirs, les fameux "miz du", à la langue rugueuse, âpre, austère parfois, cachant derrière l'accent rocailleux, une douceur insoupçonnée...à l'image de ses paysages, de ses côtes et de ses habitants.
Lorsque j'ai commencé "Mon vieux grenier en Bretagne", j'ai été happée par la magie de ce conteur fameux que peut être Louis Pouliquen: les chemins creux défilaient sous mes yeux, empreints de mystère, parcourus par de multiples êtres minuscules, tantôt gentiment facétieux, tantôt diablotins jusqu'au bout du chapeau, que sont les korrigans, hôtes indissociables des bois, landes et forêts bretonnes. Il y a une âme qui coule au milieu des phrases, des contes, des souvenirs du "vieux pays d'autrefois", celui qui ne connaissait pas encore les balafres du progrès, les blessures du remembrement qui fit disparaître nombre de chemins creux dans le bruit des machines dévoreuses de légendes. Un "vieux pays" arc-bouté à ses talus, à sa lande sauvage, à ses champs travaillés par les pas des chevaux, ces postiers bretons à la croupe avantageuse, et des hommes vivant en symbiose avec un temps que l'on mesurait à l'aune de la clarté.
Au fil des chapitres, des souvenirs d'enfance de ce vieux monsieur charmant qu'est Louis Pouliquen, on suit les méandres d'une mémoire offerte à ses "mignonnes", ses petites-filles qui, sous leurs airs détachés, écoutent, attentives et subjuguées, les histoires du dompteur de vents ou des veillées lors des jours sombres, les concessions faites à la modernité pour que les générations futures puissent avoir un avenir plus radieux....même si le prix fut lourd: celui d'une langue qui lentement est confinée sur les genoux des aïeux, dans les campagnes reculées ou sur les ponts des bateaux.
"Le vieux pays" change sous la houlette du progrès, parfois en bien, souvent en dépit du bon sens terrien: le bocage recule sans cesse, laissant un boulevard aux vents trop heureux de s'y engouffrer pour y hurler une liberté à faire trembler les logis et à faire fuir les hôtes invibles du merveilleux qui s'enfonce dans la brume de l'oubli...les veillées ne relatent plus les nuits noires où l'Ankou aime croiser le chemin des imprudents, où les Chouans viennent frapper aux portes, affamés et armés jusqu'aux dents (si, si, je vous certifie: les Chouans étaient les croquemitaines des petits bretons!!!), remplacées par une lucarne animée appelée télévision. Lors des jours sombres, les voisins ne viennent plus toquer à l'huis pour chercher un peu de compagnie et colporter les nouvelles locales, le cercle autour de l'âtre ne s'agrandit plus à leur arrivée, les chataîgnes ne s'épluchent plus au coin du feu faisant danser les ombres des bavards.
Certes, il y a de la nostalgie à sourdre de ce vieux grenier en Bretagne; certes, on sent souffler le vent des légendes et des contes d'une langue qui a été oubliée; certes, le regard se tourne vers le passé et pourtant, ce recueil de texte est tout sauf une ode passéiste, tout sauf une lamentation sur ce qui n'est plus. Bien au contraire: Louis Pouliquen montre, non seulement combien il est précieux de conserver le passé, celui qui fait ce que nous sommes, celui qui nous façonne, celui qui nous ancre à nos racines; mais aussi, combien il est nécessaire de regarder vers l'avenir pour tenter de raccommoder les accrocs faits par un passé un peu trop oublieux de l'essentiel et de l'essence d'un pays riche d'une culture longtemps méprisée.
Lire "Mon vieux grenier en Bretagne" c'est voyager au coeur d'une âme bretonne, celle des chemins creux, des dompteurs de vent, des taiseux, des rythmes lents des saisons et des veillées lors des miz du, les mois sombres...et c'est aussi comprendre la réalité d'une diaspora régionale, envol d'une génération qui s'est vue interdire de parler sa langue maternelle.
Merci Monsieur Pouliquen pour ce voyage savoureux, où les émotions ressenties remplissent les yeux de larme, dans l'âme d'une Bretagne que j'ai, aussi, au fond du coeur.