samedi 23 mars 2019

Poo poo pee doo...


Le 8 mars dernier se tenait la journée mondiale des droits de la femme; j'ai emprunté, suite à une présentation de l'équipe de la médiathèque de ma ville, une BD « Betty BOOB ».
Les autrice et illustratrice ont réalisé un récit époustouflant qui bouscule un peu les lignes du moins les miennes.

Elisabeth,l'héroïne, se réveille à l'hôpital et se rend compte qu'il lui en manque un. Un quoi donc ? C'est ce que se demande le lecteur dans la nanoseconde avant de comprendre qu'il s'agit, bien entendu, d'un sein.

L'héroïne de l'histoire revient d'une hospitalisation importante suite à une longue maladie qui l'ampute d'une partie de sa féminité. Le retour à la maison, auprès de son compagnon se révèle être difficile et douloureux. Tout comme se révèle ardu et désespérant le retour au travail. L'éloignement puis l'incompréhension provoque la séparation du couple. Il s'agit, en réalité, plus d'une fuite de la jeune femme qui ne peut plus supporter le regard affligé et dégoûté de son homme. C'est qu'Elisabeth a plus pensé au contenu du bocal (où est conservé son sein) que des malaises de son compagnon qui ne peut plus la regarder comme une femme à part entière.
Les mots ne sont pas nécessaires pour comprendre qu'il s'agit du cancer du sein. D'ailleurs, il n'y en a que très peu, quelques lignes tout au plus.


Tout est dans les dessins, dans les expressions des personnages, dans les actions et la danse des corps.Il n'y a pas pléthore de couleurs : du rouge, du noir, du blanc et du gris car inutile de faire dans le coloré pour exprimer la vie après la maladie.
Les deux autrices de ce petit bijou réussissent le tour de force de relater, avec tendresse et humour, le parcours d'une reconstruction : celle d'une jeune femme amputée d'un sein suite à un cancer, affublée d'une perruque rebelle qui la conduira dans le sillage d'une troupe hétéroclite de cabaret. Au gré des pages tournées, le lecteur suit l'héroïne dans la réappropriation de son corps et la reconquête de sa féminité après sa maladie.
La BD évite les écueils des poncifs et autres clichés, quand ces derniers apparaissent c'est sous forme humoristique. Les démons d'Elisabeth sont présents, représentés de manière parfois grotesque parfois, souvent avec des clins d'oeil aux galeries de monstres exposés dans les cirques au XIXème siècle. La volonté de vivre et d'avancer est telle chez la jeune femme qu'ils ne restent guère longtemps, l'humour et la vie lui ouvrent des horizons qu'elle n'aurait jamais soupçonnés. Le burlesque magnifie la différence, la rend belle et « fashion » au point qu'une mode verra le jour... car, oui, pourquoi pas une mode de l'amazone, avec ce sein disparu qu'on afficherait symboliquement !

Betty Boob devient une autre Betty Boop, aussi glamour et sensuelle que l'icône des cartoons.

Une BD à lire sans modération... gare aux bouffées d'émotion derrière le rire, surtout,  les laisser s'exprimer sans culpabilité.

jeudi 21 mars 2019

La séparation

1941 la guerre d'usure entre le Reich et l'Angleterre bat son plein arc boutant les belligérants sur leurs positions : les Anglais ne lâcheront rien, les Nazis veulent faire plier Albion sous un déluge de feu, de fer et de sang.
Deux frères jumeaux se retrouvent dans la tourmente, l’un est pilote de la RAF, l’autre Objecteur de Conscience affecté à un poste d’ambulancier de la Croix Rouge.
Le lien ? 1936 année des jeux olympiques en Allemagne dominée par le Chancelier Hitler. Cet été 1936, les frères Sawyer, dotés des mêmes initiales (JS pour Joseph et Jack Sawyer), représentent le Royaume Uni dans l’épreuve d’aviron de deux barreurs. Ils décrocheront la médaille de bronze et rencontreront Rudolf Hess.
Les deux jeunes hommes, parfaitement bilingues, sont hébergés chez des amis de leur mère, une famille juive qui a perdu tous ses droits. Joe est le seul à se rendre compte de ce qui se trame réellement en Allemagne tandis que Jack reste plus naïf.
C’est lors d’une soirée à l’ambassade britannique que Jack croisera le chemin de Hess avant de rejoindre son jumeau pour rentrer en Angleterre.
Les Sawyer ne reviennent pas seuls : Birgit, la fille des amis de leur mère, a été dissimulée dans une cache du camion par Joe. Jack est très épris de Birgit et n’ose le lui avouer…. Une fois en sécurité en Grande Bretagne, Joe épouse Birgit, évinçant son frère.
Les deux frères n’ayant pas la même vision du monde, les querelles naissent jusqu’à les conduire à la rupture définitive.
Tout les oppose au point qu’ils n’ont pas la même perception de la réalité. C’est le point d’orgue de l’uchronie orchestrée avec maestria par Christopher Priest.
Pour Joe la guerre s’est achevée en 1941 par la signature d’un traité de paix entre le Royaume Uni et le Reich. Il en a été un des participants actifs en tant que traducteur.
Quant à Jack, sa guerre s’est terminée en 1945 quand son stalag est libéré par l’armée américaine.

Priest construit le parcours parallèle des deux frères en s’appuyant sur des éléments réels qui rendent les faits plausibles. Par touches subtiles, maniant l’artifice du « déjà vu » avec efficacité et brio, l’auteur sillonne les événements en faisant de tout petits pas de côté.
La paix séparée signée en 1941 a impliqué un conflit long, usant et coûteux aux Etats-Unis, à l’Allemagne et à l’URSS. La Troisième Guerre a conduit les USA dans un isolationnisme provoquant un marasme économique, social et culturel tandis que l’Allemagne parvient à se redresser sans doute parce que Hitler a été évincé manu militari par Rudolf Hess.

La séparation est un roman construit avec une grande habilité, un roman dans lequel l’intrigue est menée avec une précision qui permet de l’achever par un dénouement surprenant car c’est au lecteur de choisir ce qu’il souhaite « croire », interpréter.
La distorsion subtile du prisme de la réalité vécue apporte une dimension intéressante au personnage de Joe et à ses relations avec ses proches. L’éloignement, source de souffrance, de son frère fait que ce dernier est sans cesse présent. Une même scène se joue plusieurs fois avec des chutes tellement réalistes qu’elles en deviennent vraies. Or où se situe la frontière entre l’hallucination et le réel ? Entre ce qui est vécu et rêvé ? La séparation de la gémellité est-elle le point de la divergente d’un événement historique ? La faille ouvrant sur d’autres champs des possibles ?
 Priest joue sur ces concepts avec jubilation amenant son lecteur dans le dédale des perceptions.



L’avis de Cyril