Eté 1945, Saint-Brieuc est libérée
par les Alliés, De Gaulle met en place un exécutif pour restaurer
la République française, les Résistants règlent leurs comptes,
les femmes en subissent les conséquences.
Maria Salaün, splendide jeune fille
rousse, a vécu une histoire d'amour avec un officier allemand, une
histoire tout sauf sordide. Hélas, l'époque n'était pas des plus
propices à son épanouissement.
Antoine, son ami d'enfance (et amoureux
éconduit au début de la guerre), chef des maquisards, débarque
avec ses acolytes au volant d'une jeep américaine. Il vient rendre
justice et demander des comptes à Maria.
Attroupement devant l'auberge « La
petite bedaine » tenue par Victor Salaün, père de Maria, un
des maquisard part réquisitionner un coiffeur, il revient en lieu et
place avec un barbier qui sait ce qui lui sera demandé et qui en a
déjà honte. Parmi les badauds, des femmes, des commères bien sûr,
des enfants, des hommes bien pensants et deux GI noirs, les frères
Monroe originaires de Louisiane. Ces derniers venaient à l'auberge
attirés par la réputation de la poule au pot du père Victor, las
du cornbeef des rations réglementaires de la caserne.
Le décor et les figurants sont en
place, place aux acteurs du « carnaval moche ».
Maria ne se dérobe pas car elle n'est
pas une putain et encore moins une traîtresse, elle est amoureuse
d'un beau capitaine aux doigts de musicien.
Maria se livre, magnifique dans la robe
de fiançailles de sa mère, la chevelure flamboyante relevée en un
chignon sublime et compliqué, à ses tortionnaires.
Antoine lui ordonne de s'asseoir sur
une des chaises de l'auberge, une chaise bistrot appelée « numéro
14 » de conception autrichienne. Maria obéit, pieds nus, en
robe de mousseline blanche, l'humiliation publique peut commencer
sous le regard avide d'un public impatient.
Maria subit son supplice en silence et
droite comme un "i" sur sa chaise, ange malmené par des rustres
revanchards.
Comment vivre après ça ? Comment
regarder le monde après ça ? Maria choisit la Quête et
établit une liste de six noms, six personnes auprès de qui elle
demandera justice et réparation.
C'est cette quête que Fabienne Juhel
raconte avec force et émotion, une reconquête de l'estime de soi,
de l'honneur : Maria jeune femme libre et insoumise demande des
comptes à ceux qui l'ont humiliée... en portant sa chaise « numéro
14 » en guise de croix.
La chaise devient le symbole de ce que
la Libération produit d'injustice, celle faite à ceux qui subiront
des jugements hâtifs. « Le carnaval moche » est une page
de l'histoire peu glorieuse : déverser sa frustration, sa bile,
sur des femmes dont les amours n'ont pas entraîné d'arrestation ni
de déportation, fut tellement facile que cela en devint misérable
et petit.
Les cheveux de Maria deviennent
l'emblème de la liberté d'aimer et de se donner à celui que l'on a
choisi. Leur couleur celui du feu de la vie, de la sève et du combat
pour rester debout.
Petit à petit la honte change de camp
et la chaise perd son lustre à mesure que les pardons sont reçus et
accordés. La rousseur est une lumière éternelle, magnifiée sous
la plume de l'auteure.
Fabienne Juhel adapte son écriture aux
situations : faite de phrases sèches, sécantes lorsque les
ciseaux coupent la chevelure de Maria, elle devient lumineuse et
intense lors des scènes intimistes dans lesquelles la chaise, la
robe ou la chevelure rousse acquièrent une dimension symbolique
proche du merveilleux.
Chaque mot est juste, chaque image
possède une force d'évocation incroyable parfois de poésie.
L'écriture de Fabienne Juhel est subtile, une dentelle à travers
laquelle le monde est dessiné avec finesse et délicatesse. L'art de
la chute dans un roman est un art ardu et, cette fois encore,
l'auteure le maîtrise à la perfection et cela ravira, une fois
encore, le lecteur.