mardi 31 mai 2022

Sherlock, Lupin et moi: dernier acte à l'opéra

 


J'ai retrouvé le trio d'adolescents friands de mystère et d'aventure avec plaisir. Après Saint-Malo en période estivale, nos jeunes amis m'ont entraînée à Londres pour admirer, Covent Garden, la diva Ophélia Merrodew , vedette du nouvel opéra du maestro Giuseppe Barzini.

Irène Adler, en septembre 1870, alors que les canons prussiens sonnent le glas pour les armées françaises, et que Paris devient dangereux, part avec son père et Horacio Nelson, l'homme de confiance de la famille, pour Londres.

Irène est heureuse de retrouver Sherlock Holmes, incognito, et Lupin qui, part le plus pur des hasards, se trouve à Londres, son père se produisant dans un cirque en tournée londonienne.

Le soir même, Irène et son père assistent, émerveillés, à la représentation donnée par la grande cantatrice Ophélia Merrodew.

La magie de l'instant ne résiste pas à l'annonce d'un meurtre perpétré à l'hôtel Albion, où logent Arsène et son père Théophraste. Ce dernier est accusé d'avoir assassiné le secrétaire particulier du grand Giuseppe Barzani. Les trois amis enquêtent pour innocenter le père d'Arsène, accusé trop évident pour qu'il soit le véritable meurtrier. Or, un malheur ne venant jamais seul, Ophélia Merrodew disparaît à son tour.


L'enquête m'a entraînée dans les bas-fonds de Londres comme dans les beaux quartiers et les grands magasins. Il y a même l'entrée en scène du fameux brouillard londonien plongeant la ville dans une dangereuse purée de poix. Le quartier miteux de Bethnal Green, dont est originaire la cantatrice, est sordide au possible et inquiétant : des tripots malsains, des mines patibulaires, une vieille femme dérangée, des ruelles sombres et gluantes tels les tentacules d'une pieuvre …. de quoi engendrer angoisse et ambiance horrifique.

Les jeunes héros prendront de nombreux risques pour découvrir la vérité et éviter, ainsi, la pendaison à Théophraste Lupin.


Comme pour le premier volet de leurs aventures, j'ai apprécié les informations distillées (j'ai souri, amusée, quand le jeune Sherlock trouve la maison du 221B Baker Street, intéressante et pas mal du tout) par la jeune narratrice, permettant de mieux appréhender les personnalités des adolescents : leurs caractères deviennent plus marqués et ils laissent deviner leurs futures personnalités.

L'intrigue est menée tambour battant dans un contexte historico-scientifique très bien documenté : le XIXè siècle est bien esquissé, sans être ennuyant, tout comme le Londres victorien et les avancées scientifiques et technologiques.

Le récit est distrayant et bien construit. J'y prends goût !

Traduit de l'italien par Béatrice Didiot

Quelques avis :

Babelio  Bianca  Sens Critique  PatiVore

Lu dans le cadre




lundi 30 mai 2022

L'attaque du Calcutta-Darjeeling


 

1919, la Grande Guerre s'est achevée quelques mois auparavant, laissant des paysages et des âmes dévastées, la terre crevassée par les tranchées, des champs de ruines tant matériels que psychologiques. Quand on a tout perdu, l'espoir de tenter sa chance en Inde devient la planche de salut de nombreux britanniques. C'est ainsi que notre héros, le capitaine Sam Wyndham, ancien de Scotland Yard, vétéran traumatisé de la Grande Guerre, il est dépendant à la morphine, débarque à Calcutta, ville presque aussi dangereuse pour un britannique que les tranchées : chaleur moite, insectes en tout genre, eau frelatée, ruelles malfamées et la haine de plus en plus visible des indigènes envers les colons.


Wyndham se retrouve vite à enquêter sur l'agression mortelle dont a été victime un haut fonctionnaire, Mac Auley. Cela est-il du à cette haine envers le colon blanc ? Ou est-ce un crime crapuleux ? C'est que le capitaine et son équipe, formée par un jeune officier indien, le sergent Banerjee issu de l'élite indienne il est passé par Cambridge, et Didby, anglais arrogant et raciste.

Sa hiérarchie souhaite que l'enquête soit bouclée rapidement afin d'éviter une main mise de la « section H » de la police militaire aux méthodes musclées.

Une complicité se nouera rapidement entre Wyndham et Banerjee, jeune homme éduqué, intelligent, sympathisant des idées indépendantistes et tiraillé entre sa fidélité envers les siens et le devoir inhérent à sa fonction. Il est l'archétype du fonctionnaire indigène prêt à prendre la relève lorsque l'indépendance sera proclamée.

Une autre complicité naîtra entre Wyndham et un conducteur de rickshaw qui lui servira de guide et de taxi lors de ses déplacements dans les méandres de Calcutta.

Alors que l'enquête semble piétiner, l'attaque du train reliant Calcutta à Darjeeling donne à penser au plus grand nombre que les deux événements sont liés. D'autant plus qu'un célèbre rebelle indien, Benoy Sen, en fuite depuis plusieurs années se fera arrêté. Cependant, mieux vaut être prudent avec les évidences et prendre les événements avec circonspection et calme.


Abir Mukherjee construit avec brio un roman policier digne d'un roman d'Agatha Christie avec une véritable ambiance « Cluedo ». Il peint une ville secouée par les premières révoltes indiennes contre l'autorité britannique dues aux lois Rowlatt entrées en vigueur en 1919, lois iniques autorisant les arrestations des plus arbitraires.

Le contexte politique est aussi poisseux que le climat chaud et humide du Bengale. La peur du terrorisme provoque la mise en place d'une terreur systémique, pour étouffer dans l'oeuf la moindre velléité de révolte chez les indiens.

Il brosse le portrait d'une Inde aux prémices d'une longue révolte, d'abord violente ensuite pacifique sous l'influence de Gandhi, dans laquelle le monde politique et celui des affaires s'entendent merveilleusement bien pour le développement de leurs sociétés commerciales. Notre héros se voit contraint de se passer des procédures traditionnelles pour utiliser des chemins détournés pour affirmer ses valeurs humanistes et progresser dans son enquête, démontant les multiples manipulations au plus haut niveau. Le cynisme teinté d'un humour féroce donne une véritable force au roman, lui permettant d'aborder les problèmes socio-politiques marquant la fin inéluctable du Raj britannique.


Je ne connais pas l'Inde et encore moins Calcutta mais la force d'évocation des mots choisis par l'auteur pour décrire cette ville, son ambiance, son architecture, ses bas-fonds comme ses palais, ses fumeries d'opium, fait que la lectrice que je suis a eu l'agréable sensation d'y être, de souffrir de cette moiteur poisseuse, de cette chaleur qui étouffe, de humer les odeurs les plus agréables comme les plus abjectes... j'étais à Calcutta, en 1919, dans la galère aux côtés de Sam Wyndham.

Abir Mukherjee fait la part belle à la capitale du Bengale occidental au point que je ne regrette pas d'y avoir passé quelques jours en compagnie de ces policiers humanistes et rigoureux.

« L'attaque du Calcutta-Darjeeling » est le premier volet des enquêtes de Sam Wyndham et Banerjee. D'ailleurs, Banerjee aura-t-il de l'avancement ? Wyndham s'acclimatera-t-il à Calcutta ? Parviendra-t-il à faire changer le regard de ses pairs sur les locaux ? Certaines répondes se trouveront, certainement, dans les tomes suivants que je lirai avec plaisir.

Traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez-Batlle

Quelques avis :

Babelio  Mon roman noir et bien serré  Le Figaro littéraire  Du côté de chez Cyan  PatiVore  Manou  Sens Critique  Alex  Belette Rachel

Lu dans le cadre


 
 





 

La panne

 


Chaque mois, la libraire Mots & images organise un goûter littéraire au cours duquel les participants échangent leurs avis sur leurs lectures. Ce moment est toujours précieux et intéressant car les avis se confrontent loin de toute artificialité.

C'est au cours d'un de ces joyeux goûters que j'ai découvert un auteur suisse peu connu et méconnu : Friedrich Dürrenmatt et son court roman, ou longue nouvelle, « La panne ».

Il a été écrit en 1956 et deviendra, la même année, une pièce radiophonique. En 1972, Ettore Scola en fera une adaptation cinématographique sous le titre « La plus belle soirée de ma vie », puis en 1979 « La panne » sera adaptée en comédie pour un théâtre ambulant. Il faut dire que le roman est « théâtral » dans sa construction : unité de temps, de lieu et d'action.

Autant dire que ce roman, de grande qualité, a frappé les esprits au point de l'adapter tant au théâtre qu'au cinéma.


Alfredo Traps, représentant en textile, suite à une panne de voiture, se retrouve coincé pour une nuit dans un village où il trouve logis chez un juge à la retraite, faute de place dans l'hôtel du coin.

Cela tombe bien, il manque au juge et à ses vieux amis magistrats, un rôle …. celui de l'accusé. En effet, régulièrement, les compères juristes se retrouvent pour dîner joyeusement et jouer revivre de vieux procès sans le cadre rigide de la loi.

Alfredo est un gai luron et ne refuse ni le gîte ni le couvert ; il accepte sans sourciller le rôle d'accusé car il se demande bien de quoi les vieillards gourmets et gourmands pourraient l'accuser, lui dont la vie est simple et limpide.

Malgré les mises en garde de son « avocat », Alfredo se laisse emporter par l'ambiance bon enfant et la conversation délicieuse des convives. Le jeu s'installe au fil des plats et des verres remplis des meilleurs vins, peu à peu l'étau se resserre autour de l'inculpé qui ne pense à mal et ce jusqu'à la fin du repas. Mais, une fois dans sa chambre ….. Alfredo repense à la portée des révélations faites au cours du dîner et en tire les conséquences.... glaciales.


C'est le premier roman de Friedrich Dürrenmatt que je lis et j'ai été happée de bout en bout par ce récit délirant d'un humour noir féroce. L'auteur trouve les mots justes, instaure une ambiance dérangeante tout en mettant en place le jeu, un peu pervers, des retraités. Le jeu qui peut ne pas en être un et Dürrenmatt sait jouer du flou, du non-dit et de l'imagination des personnages : la frontière est mince entre réalité et fiction du jeu.

Chaque mot est pesé, chaque action amenée avec une précision diabolique, les coups sont donnés à force de mets savourés, de panses remplies, de vins dégustés au point qu'Alfredo, comme le lecteur, ne sait plus si cela relève de la plaisanterie ou de la perversité la plus brutale. C'est ce jeu subtil avec ces lignes qui fait la saveur de ce roman qui réserve une chute à la hauteur du talent de l'écrivain.

Ce dernier pose son postulat dès la première page :« Nous ne vivons plus sous la crainte d'un Dieu, d'une justice immanente, d'un Fatum comme dans la Cinquième Symphonie ; non ! plus rien de tout cela ne nous menace. » Notre monde n'est plus hanté que par des pannes. Pannes de voiture, par exemple, comme celle de la Studebaker d'Alfredo Traps, un soir, au pied d'un petit coteau.. » Donc, cette nouvelle platitude des existences sonne-t-elle la fin de l'inspiration pour les écrivains ? Après la lecture de « La panne » on ne peut que saluer avec respect la maestria de l'auteur à monter, à partir d'une situation d'un banal pathétique, une intrigue au suspense haletant et à l'ambiance presque baroque tant l'excès est partout... un excès intelligent au service d'une écriture ciselée et percutante.

Traduit de l'allemand (Suisse) par Armel Guerne

Quelques avis :

Babelio  Violette  Sens Critique

Lu dans le cadre




  



samedi 7 mai 2022

Quand les pensées gelaient dans l'air

 


Je ne savais pas qu'Alberto Moravia avait écrit des nouvelles pour la littérature jeunesse. C'est pourquoi, intriguée, j'ai emprunté ce recueil de huit nouvelles.


Qu'en dire ?


Le recueil est recommandé pour les jeunes lecteurs à partir de dix ans ; les histoires sont faciles à comprendre et amusantes.

Le parti pris de Moravia rappelle celui des fables de la Fontaine : les animaux sont doués de paroles et de pensées afin de mettre en scène les comportements et les désirs humains. Il n'y a pas forcément de morale explicite à la fin de chaque nouvelle, cependant le texte apporte quelques clefs au lecteur comme ne pas être ancrés dans ses certitudes comme le Pin Gouin professeur de géographie soutenant, mordicus, que la glace ne peut pas fondre car elle est aussi solide que la pierre. La force des lois de la nature lui démontreront que voyager, même contre son gré, est source de confrontation avec l'altérité et la nouveauté.

Moravia met en scène les interrogations enfantines, avec la Gi Rafe qui ignore qu'elle est girafe parce que devenue orpheline trop tôt : pour se construire, on a besoin du miroir que sont nos parents, on a besoin de leurs enseignements, de leur expérience pour grandir et savoir qui on est. Grandit-on seul ? On aimerait bien parfois or c'est entouré de sa famille, de ses amis que l'on acquiert expérience et maturité.


Par petites touches, Alberto Moravia, par le biais de l'humour, apporte quelques réponses aux nombreuses interrogations des adultes en devenir. Ohhhh, ce délectable espace-temps dans lequel les jeunes lecteurs peuvent se reconnaître : tout ce qui est plus vieux qu'eux date d'au moins un milliard d'années, le temps ne passe pas aussi vite qu'ils le souhaiteraient, surtout lors des activités obligatoires. L'époque des parents c'est de la préhistoire quant à celui des grands-parents il remonte, au moins, à l'époque des dinosaures.

Ahhhh, l'histoire du pauvre morse qui s'interdisait de penser car au Pôle Nord, il fait tellement froid que les pensées gèlent et ne restent dans l'air … donc tout le monde peut savoir que chacun pense ce qui est loin d'être une vie tranquille.


La dernière nouvelle est un peu plus triste que les autres, du moins l'ai-je perçue ainsi. Cha Calot est amoureux de la belle Gi Raffine, un tantinet bêcheuse, et aimerait l'épouser. Or l'odeur de Cha Calot est difficilement supportable pour Gi Raffine qui préfère celle des plantes à celle des charognes. C'est l'éternelle histoire d'amour impossible du ver de terre amoureux d'une étoile. C'est aussi une manière de montrer qu'il est important d'aller au-delà des différences pour réaliser quelque chose. Cha Calot épousera une jeune fille de sa condition, une demoiselle Hyè Ne, mais aura toujours le cœur serré lorsqu'il croisera son premier amour, son étoile jamais atteinte.


Un recueil agréable à lire et intéressant car Moravia soulève nombre de questions que se posent les jeunes enfants. Le texte est judicieusement servi par les illustrations d'Anaïs Vaugelade.


Traduit de l'italien par Diane Ménard et illustré par Anaïs Vaugelade


Lu dans le cadre: