Quatrième de couverture:
« Jenny a consacré sa vie à son mari, le naturaliste Wilkie Walker. Elle est une créature aussi rare que les espèces en voie de disparition qu'il essaie de préserver. Mais cette année-là, au début de l'hiver, Wilkie lui paraît distant et déprimé. Au désespoir, Jenny le persuade de faire un séjour à Key West, mais le soleil et les paysages des tropiques ne font rien pour le dérider.... »
Jenny est une femme d'intérieur et une épouse parfaite qui ne vit que pour la carrière de son mari, Wilkie Walker, naturaliste de renom. Elle a 26 ans de moins que lui, ils sont mariés depuis 25 ans, elle va avoir 45 ans et lui en a 70: l'hiver qui s'installe trouve un couple qui s'éloigne peu à peu l'un de l'autre. Wilkie est distant, désagréable et ronchon. De plus, son dernier roman semble en panne: Jenny attend qu'il lui donne à relire, corriger puis taper son ultime chapitre.
Jenny est désorientée par l'attitude de l'homme qu'elle aime et admire en même temps, elle se souvient de son indifférence quant à la vie de ses enfants, indifférence à la limite du mépris (comme il est difficile de vivre avec un grand homme admiré et adulé de tous!): est-il fier de ce qu'ils sont devenus? Rien n'est moins sûr. Jenny est dans l'attente d'un compliment « Chérie, tu es merveilleuse. » qui ne vient plus. Son mari est préoccupé, mais par quoi?
Elle le persuade d'aller à Key West, en Floride, passer l'hiver sous des cieux plus cléments. D'ailleurs, Molly, la veuve d'un des meilleurs amis de Wilkie n'y vit-elle pas six mois par an?
Las, loin de ramener la gaieté sur le visage de son mari, le climat de Key West les éloigne encore plus! Jenny se lie d'amitié avec Lee Weiss, une femme attirante, propriétaire d'une pension exclusivement pour femmes. Lee s'intéresse à Jenny, à ses envies, sa détresse et peu à peu Jenny se sent attirée par Lee, éprouve pour elle des sentiments plus profond que l'amitié, plus confus, plus tendres. Jenny se rapproche de Lee à mesure qu'elle s'éloigne des sautes d'humeur de son mari. Pour la première fois de sa vie, une personne s'intéresse à elle, uniquement à elle, pour elle-même, et non pour pouvoir approcher Wilkie Walker, le grand naturaliste! Pour la première fois, Jenny vit pour elle et elle seule!
De son côté, Wilkie Walker décide de mettre fin à ses jours car il ne veut pas achever sa vie décrépi et dépendant: le seul et unique moyen de partir sans faire souffrir sa fragile épouse (tiens donc? Mais l'est-elle vraiment? La connaît-il vraiment?) est de faire croire à une noyade accidentelle. Mais les circonstances s'acharnent à contrer ses lugubres projets et de manière presque comiques: quand ce n'est pas la compagnie indésirable de Gerry, poète de son état, c'est la météo pluvieuse qui s'en mêle ou encore la vaine tentative de sauvetage de la noyade d'un homme en fauteuil roulant! Ces échecs auront leur explications à un moment inattendu et éclaireront davantage la fatuité exécrable du personnage.
Autour de Jenny, Wilkie et Lee gravitent des personnages secondaires étonnants, attachants voire horripilants! Jacko, le jardinier homosexuel qui apprend sa séropositivité et hérite d'un ancien amant. Barbie, la cousine gaffeuse (car ne sachant pas mentir) et immature de Jacko, épouse d'un homme politique égocentrique et adultère, dominée et manipulée par sa mère, une exécutive woman de la pire espèce. Molly, la veuve octogénaire d'un professeur d'université, qui regarde sa vieillesse avec résignation, qui se met en-dehors de la vie qu'elle observe avec humour, sérénité, peur et tendresse. Gerry, l'ex-intellectuel beatnik, poète presque has been, qui a quitté son épouse pour une succession de jeunes femmes plus écervelées (quoique le ridicule n'est pas forcement du côté que l'on pense) les unes que les autres. Dorrie, la mère de Jacko, effacée et dominée par sa soeur, la mère de Barbie, qui apprend la maladie de son fils et décide de rester avec lui jusqu'au bout en partageant sa passion du jardinage. Un groupe de touristes racistes et grossiers dans un restaurant insultant un serveur.
Par petites touches légères, aériennes, Alison Lurie dresse un portrait savoureux d'une région de Floride où vivent des intellectuels et des personnes aisés, où s'est établit une communauté homosexuelle dynamique, cultivée et fêtarde, où viennent chercher le soleil des américains moyens et grossiers. Sous sa plume, les travers de ces classes socio-culturelles prennent des allures tragi-comiques: les arcanes glauques de la politique où les appuis financiers font l'élection, l'aveuglement dû au refus d'accepter les marques du temps dans et sur son corps, le rejet d'une communauté sexuelle au nom de principes réactionnaires, le clinquant de mauvais goût au prix exhorbitant dans de luxueuses villas, la vague écologique sur laquelle de nombreux intellectuels surfent à des fins personnelles etc... Le personnage qui s'en tire le mieux me semble être Jenny, cette femme oublieuse d'elle-même qui se révèle être une autre, une fausse inconnue; il lui fallait un petit coup de pouce pour qu'elle se laisse aller à l'aventure. Certes, elle reste avec son époux mais elle a découvert qu'elle pouvait vivre pleinement.
J'ai eu une tendresse particulière pour le personnage de Barbie, l'archétype de la femme soumise dès le plus âge aux rêves de pouvoir de sa mère. Une vie étouffée qui agace au début par son côté « nunuche » au plus haut degré mais qui fait sourire quand cette jeune fille décide de dire enfin « non! » aux projets qui ne sont pas les siens pour se consacrer, avec honnêteté, à la défense des lamantins.
Décidemment, au fil des lectures, je découvre un immense intérêt pour l'écriture subtile et ironique d' Alison Lurie dont je suis loin de me lasser!
Roman traduit de l'anglais (USA) par Céline Schwaller-Balay