J'avais l'habitude des romans d'Honoré de Balzac et j'ai eu l'agréable surprise d'apprendre qu'il avait également écrit des nouvelles.
Le thème du mois de « Les classiques, c'est fantastique » étant sur l'art en littérature, j'ai donc choisi la lecture du « Chef d'oeuvre inconnu ».
La nouvelle met en scène le jeune Nicolas Poussin, encore inconnu, visitant le peintre Porbus dans son atelier. S'y trouve également un étrange bonhomme répondant au nom de Maître Frenhofer. Ce dernier commente, de manière fort savante, l'oeuvre que Porbus a achevé, « Marie l'égyptienne ». Or, à ses yeux, bien que l'oeuvre soit magnifique, Frenhofer estime qu'elle est incomplète et en quelques coups de pinceaux il magnifie Marie, notamment en mettant en valeur son pied.
Mais, le vieux maître éprouve des difficultés à faire de même pour son Oeuvre éternellement inachevée en raison de sa propension à être insatisfait, « La belle noiseuse » attend le trait de génie pour être exposée.
La discussion sur les diverses techniques de peinture et les échanges de commentaires savants donnent une irrépressible envie à Poussin et Porbus d'admirer la toile du Maître. Ce dernier rechigne et parvient à surseoir à la visite des deux artistes.
De fil en aiguille, Poussin propose à Frenhofer, qui accepte, de faire poser son amoureuse, Gillette. Cette dernière émeut tellement le vieux maître par sa beauté qu'elle qu'il s'en inspire pour achever le portrait de « La belle noiseuse », autrement dit Catherine Lescault. Le vieux maître invite Porbus et Poussin à admirer l'oeuvre achevée... du brouillard de couleurs n'apparaît, sublime, qu'un pied. Il va sans dire que la déception des deux peintres se lit sur leur visage au point de provoquer le désespoir du vieux Frenhofer.
Avec « Le chef d'oeuvre inconnu » Balzac propose une réflexion sur l'art, le rapport entre le peintre et son modèle mais aussi celui entre le peintre et la peinture. Leurs rencontres peuvent être destructrices comme magnifiquement constructives.
Balzac mêle étroitement, et avec habilité, les thèmes de l'érotisme, la relation peintre-modèle et également la figuration érotique dans une œuvre (dans « L'enlèvement des Sabines », les drapés des robes moulent le corps des femmes apportant une sensualité et de l'érotisme dans le chaos des corps et de la panique, un pied est délicatement chaussé d'une sandale, une chevelure devient aérienne dans le tumulte de la lutte), de l'esthétique et de la mort.
Le fil de la nouvelle tisse une pensée philosophique sur la finalité de l'expression artistique : pourquoi peint-on ? Que souhaite-t-on exprimer et transmettre ? Le but est-il d'exposer ou de revenir, inlassablement, sur des détails, sur l'agencement des couleurs et de la lumière au point que la toile est éternellement inachevée ? L'oeuvre, avant d'être dévoilée au public, doit-elle être absolument parfaite ? D'ailleurs qu'est la perfection aux yeux de tout un chacun ? Est-elle au diapason ou discordante ? Pourquoi un chef d'oeuvre inconnu peut-il être inconnu ? Est-ce parce qu'il est détruit ou jamais exposé au regard du public ? Ou bien est-ce parce qu'on ne sait pas encore que le chef d'oeuvre en est un ?
Tant de questions naissent à la lecture de cette belle nouvelle qui m'a sortie de ma zone de confort. Balzac manie avec brio les codes du réalisme (les descriptions physiques des personnages sont de petits bijoux) et du fantastique (les doutes et les angoisses éprouvées par certains personnages, l'escalier sombre et brinquebalant, la façade un peu décrépie) : Frenhofer est comme Orphée, il descend loin dans les enfers de la création pour en extirper la vie, celle qu'il veut montrer dans sa toile. La folie est aux lisières de l'esthétisme recherché par le personnage, fictif, de Frenhofer.
Balzac fait plus que suggérer d'autres mythes tels que celui de Pygmalion et de Galatée, le sculpteur amoureux de la statue, parfaite, réalisée, Gillette par sa beauté donne vie, aux yeux du vieil homme, à « La belle noiseuse », ou encore celui d'Achille et son point faible, le talon. Le pied, magnifique, de « La belle noiseuse » montre combien l'anarchie des couleurs du reste de la toile est un désastre.
La douleur est multiple et fatale pour Frenhofer ou certains artistes.
« Le chef d'oeuvre inconnu » m'a transportée tant par les références culturelles et par la si belle langue littéraire du dix-neuvième siècle. Un pure gourmandise apaisante.
Quelques avis :
Lu dans le cadre