lundi 27 juin 2022

Le chef d'oeuvre inconnu

 


J'avais l'habitude des romans d'Honoré de Balzac et j'ai eu l'agréable surprise d'apprendre qu'il avait également écrit des nouvelles.

Le thème du mois de « Les classiques, c'est fantastique » étant sur l'art en littérature, j'ai donc choisi la lecture du « Chef d'oeuvre inconnu ».


La nouvelle met en scène le jeune Nicolas Poussin, encore inconnu, visitant le peintre Porbus dans son atelier. S'y trouve également un étrange bonhomme répondant au nom de Maître Frenhofer. Ce dernier commente, de manière fort savante, l'oeuvre que Porbus a achevé, « Marie l'égyptienne ». Or, à ses yeux, bien que l'oeuvre soit magnifique, Frenhofer estime qu'elle est incomplète et en quelques coups de pinceaux il magnifie Marie, notamment en mettant en valeur son pied.

Mais, le vieux maître éprouve des difficultés à faire de même pour son Oeuvre éternellement inachevée en raison de sa propension à être insatisfait, « La belle noiseuse » attend le trait de génie pour être exposée.

La discussion sur les diverses techniques de peinture et les échanges de commentaires savants donnent une irrépressible envie à Poussin et Porbus d'admirer la toile du Maître. Ce dernier rechigne et parvient à surseoir à la visite des deux artistes.

De fil en aiguille, Poussin propose à Frenhofer, qui accepte, de faire poser son amoureuse, Gillette. Cette dernière émeut tellement le vieux maître par sa beauté qu'elle qu'il s'en inspire pour achever le portrait de « La belle noiseuse », autrement dit Catherine Lescault. Le vieux maître invite Porbus et Poussin à admirer l'oeuvre achevée... du brouillard de couleurs n'apparaît, sublime, qu'un pied. Il va sans dire que la déception des deux peintres se lit sur leur visage au point de provoquer le désespoir du vieux Frenhofer.


Avec « Le chef d'oeuvre inconnu » Balzac propose une réflexion sur l'art, le rapport entre le peintre et son modèle mais aussi celui entre le peintre et la peinture. Leurs rencontres peuvent être destructrices comme magnifiquement constructives.

Balzac mêle étroitement, et avec habilité, les thèmes de l'érotisme, la relation peintre-modèle et également la figuration érotique dans une œuvre (dans « L'enlèvement des Sabines », les drapés des robes moulent le corps des femmes apportant une sensualité et de l'érotisme dans le chaos des corps et de la panique, un pied est délicatement chaussé d'une sandale, une chevelure devient aérienne dans le tumulte de la lutte), de l'esthétique et de la mort.

Le fil de la nouvelle tisse une pensée philosophique sur la finalité de l'expression artistique : pourquoi peint-on ? Que souhaite-t-on exprimer et transmettre ? Le but est-il d'exposer ou de revenir, inlassablement, sur des détails, sur l'agencement des couleurs et de la lumière au point que la toile est éternellement inachevée ? L'oeuvre, avant d'être dévoilée au public, doit-elle être absolument parfaite ? D'ailleurs qu'est la perfection aux yeux de tout un chacun ? Est-elle au diapason ou discordante ? Pourquoi un chef d'oeuvre inconnu peut-il être inconnu ? Est-ce parce qu'il est détruit ou jamais exposé au regard du public ? Ou bien est-ce parce qu'on ne sait pas encore que le chef d'oeuvre en est un ?

Tant de questions naissent à la lecture de cette belle nouvelle qui m'a sortie de ma zone de confort. Balzac manie avec brio les codes du réalisme (les descriptions physiques des personnages sont de petits bijoux) et du fantastique (les doutes et les angoisses éprouvées par certains personnages, l'escalier sombre et brinquebalant, la façade un peu décrépie) : Frenhofer est comme Orphée, il descend loin dans les enfers de la création pour en extirper la vie, celle qu'il veut montrer dans sa toile. La folie est aux lisières de l'esthétisme recherché par le personnage, fictif, de Frenhofer.

Balzac fait plus que suggérer d'autres mythes tels que celui de Pygmalion et de Galatée, le sculpteur amoureux de la statue, parfaite, réalisée, Gillette par sa beauté donne vie, aux yeux du vieil homme, à « La belle noiseuse », ou encore celui d'Achille et son point faible, le talon. Le pied, magnifique, de « La belle noiseuse » montre combien l'anarchie des couleurs du reste de la toile est un désastre.

La douleur est multiple et fatale pour Frenhofer ou certains artistes.

« Le chef d'oeuvre inconnu » m'a transportée tant par les références culturelles et par la si belle langue littéraire du dix-neuvième siècle. Un pure gourmandise apaisante.


Quelques avis :

Babelio  Beaux Arts

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samedi 25 juin 2022

La saga des Cazalet: Etés anglais


 

Depuis le temps que le premier tome de la saga des Cazalet dormait dans ma PAL Kobo, il aura fallu le programme du Mois anglais, l'officiel, 2022 pour que je me décide à l'ouvrir.

1937, les rumeurs d'une prochaine guerre vont bon train à Londres dans les milieux d'affaires et politiques. Un seul espoir demeure : la visite de Neville Chamberlain en Allemagne nazie.

La famille Cazalet prépare les vacances d'été, ses membres se retrouveront à Home Place, la propriété familiale, autour de la Duche, la matriarche, et le Brig, le patriarche. Trois générations se retrouvent sous un même toit, avec toutes les différences de tempérament, d'âge et de visions du monde.

« Etés anglais » est l'ouverture de cette saga familiale et est, donc, un tome de présentation des membres de la famille et d'exposition de la situation géopolitique et sociale des années 1937-1938 dans une Angleterre encore meurtrie par l'horreur de la Grande Guerre. Cependant, en cet été 1937, malgré les rumeurs inquiétantes, on fait connaissance avec les Cazalet avec bonheur. J'ai eu l'impression de retrouver une autre saga, française, « Les Thibault ».

J'ai suivi les Cazalet pendant les deux étés du roman : les trois frères, Hugh (revenu mutilé de la Grande Guerre), Edward, Rupert, et leurs différences, les trois épouses, Sybil, Viola et Zoë la seconde épouse de Rupert, une jeune femme aux abords égocentriques, égoïstes, préoccupée par son apparence, les fêtes et l'attention masculine ; elle apparaît frivole, inconséquente et immature...une véritable pénible. La tribu enfantine, entre les deux aînés, Simon et Teddy, partis de la maison pour suivre leur cursus au collège, les petits derniers, Lydia et Neville, qui sont à la traîne pour tout parce que trop jeunes pour entrer dans le cercle des grands et trop vieux, à leurs yeux, pour être soumis aux astreintes des « bébés » comme l'heure de la sieste. Puis, il y a les filles adolescentes ou en passe de l'être, Polly (et son chat Pompée), Louise et Clary, l'âge des questionnements, des envies de liberté et des premiers émois. Enfin, il y a Rachel, la sœur Cazalet, célibataire dévouée à ses parents.

Elizabeth Jane Howard dresse le portrait de tout ce petit monde, sans édulcorer la réalité de l'époque tout en éprouvant de l'empathie pour eux.

Les portraits de femmes forment une jolie galerie de caractères. Sybil est une femme qui tente de voir la vie du bon côté, elle aime sa vie d'épouse et de mère, elle est proche de son mari, leur relation est empreinte de tendresse et de complicité. Viola, ancienne ballerine, semble plus réservée, plus froide. La vie conjugale est loin d'être passionnelle, les choses de l'intimité entre époux ne sont pas sa tasse de thé, elle se soumet au devoir conjugal sans entrain. Cependant, elle est loin d'être revêche, c'est une femme de tête qui sait ce qu'elle veut et ne veut pas. Quand Louise devient une jeune fille attirante, elle ne voit pas d'un bon œil Edward lui offrir des tenues trop femme ou la sortir au restaurant. Comme si elle pressentait un geste, une attitude déplacés d'Edward envers sa fille.

Puis, il y a Zoë, seconde épouse et belle-mère de deux jeunes enfants, rôle auquel son métier d'actrice de théâtre ne l'a pas du tout préparée. Elle craint Clary et Neville, elle n'ose entamer une relation de confiance avec Clary qui lui reproche, sans cesse et en silence, d'avoir pris la place de sa mère. Zoë est à mille lieues de comprendre les enfants car elle apparaît, au début du roman, comme étant, elle-même, encore une enfant.

Quant à Rachel, elle est l'archétype de la jeune femme de bonne famille altruiste et empathique dans l'âme. Elle a ses idées, sa vision du monde tout en se laissant régenter par ses parents au grand désespoir de son amie Sid. Entre elles est née une amitié trouble faite d'admiration, d'amitié profonde, de respect et d'attirance tue, elles s'aiment sans se l'avouer vraiment.


Les portraits défilent au gré des repas en famille, des parties de tennis sur le gazon de Home Place, des sorties à la plage, des thés et de l'attente du résultat de la visite de Chamberlain en Allemagne nazie. Sous le soleil estival, les jeux de plage, les parties de campagne, se tapit une sourde inquiétude. Une inquiétude insidieuse s'empare de chacun. Qui ne veut pas voir l'été s'achever pour ne pas entrer au collège, qui ne veut pas suivre uniquement une éducation destinée aux jeunes filles de la bonne société, qui redoute de mener une grossesse non désirée ou subie, qui ne veut pas être pris au dépourvu en cas de conflit... la prévoyance et l'anticipation étant mères de la réussite financière, qui craint de voir partir au loin les fils et les frères se faire massacrer. La varicelle remet un peu d'ordre dans les projections des peurs et des craintes.


« Etés anglais », premier opus de la saga, aborde aussi de nombreux thèmes tels que l'homosexualité, l'adultère et ses conséquences, le viol et la honte qui s'en suit, l'inceste, la violence au sein des établissements scolaires secondaires pour garçons, les traumatismes dus à la guerre des tranchées ou la pauvreté. On sait que l'équilibre fragile sera rompu par l'annonce en 1939 de l'entrée en guerre de l'Empire britannique. Les cartes de la société seront rebattues, les fissures sont présentes, en apparence anodines.

Ce qui fait toute la saveur de ce premier tome c'est la description, d'entomologiste, des rituels, des repas, des jeux et distractions pratiqués au sein de la famille, le quotidien, les lectures, les préoccupations des personnages sont narrés avec une réelle précision historique, celle d'une Angleterre insulaire s'il en est, en cette veille de second conflit mondial. Entre insouciance et inquiétude, l'annonce des accords de Munich abolit un monde que tout un chacun pensait immuable.

Traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff

Quelques avis :

Babelio  En attendant Nadeau Lecteurs Le Parisien Le Monde Télérama

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mercredi 15 juin 2022

L'écarlate de Venise

 


La semaine italienne invitait à voyager du nord au sud aussi ai-je commencé par Londres, Rome et Venise avec trois auteurs différents.

« L'écarlate de Venise » est un roman policier historique dont l'action se situe à Venise, au XVIIIè siècle, et est le premier tome des « Mystères de Venise ». Tout pour me plaire.


« Venise, 1752. Lors d’une nuit glaciale de décembre, un homme est retrouvé assassiné dans une ruelle. La victime, un noble ruiné, a été étranglé. Dettes de jeu  ? Affaire d’escroquerie ou de mœurs ayant mal tourné  ? Pour Marco Pisani, le magistrat chargé de l’enquête, l’affaire s’annonce complexe. Elle le devient encore plus quand on découvre d’autres victimes, assassinées de la même manière. Un tueur sévit dans les rues et une vague de terreur déferle sur la Sérénissime. »


Marco Pisani, advocateur (procureur) vénitien aux méthodes originales, rappelant que le siècle des Lumières débutera sous peur, d'enquêteur, mène l'enquête de terrain avec l'aide de son ami Zen, avocat, et de Nani, le jeune gondolier à son service, pipelette et efficace dans le collationnement d'informations en tout genre.

La police locale préférant la facilité à aux recherches d'indices plus élaborées, met rapidement le grappin sur un jeune apprenti tailleur oeuvrant chez la belle Chiara, femme d'affaires indépendante et très perspicace. Très vite, Marco est convaincu que le pauvre hère est innocent et fait en sorte qu'il ne soit pas maltraité en prison. La suite des événements lui donne raison puisqu'un autre meurtre est perpétré dans la ville, portant la même signature que l'assassinat précédent.


L'auteure, Maria Luisa Minarelli, entraîne son lecteur dans une Venise mystérieuse et sombrement belle. Les intrigues, les luttes de pouvoir, les familles nobles ruinées d'avoir raté le tournant économique de la Sérénissime, tentent de survivre et de sauver les apparences coûte que coûte, la riche société allant de réception en bal masqué au gré des canaux et des palazzi.

Bien que l'intrigue ne soit pas des plus complexes, j'ai pris plaisir à suivre les divers personnages dans leurs déplacements au cœur de la ville. Complètement happée par l'ambiance, j'ai lu le roman sans m'ennuyer un seul instant tant l'atmosphère de l'action est bien installée.

J'ai eu un gros faible pour Nani, le gondolier de Marco, jeune homme impétueux, rusé, finaud et plein de ressources.

Quant aux descriptions des fastueux palais, elles m'ont ravie, j'y étais, je suivais Marco et Zen, je m'inquiétais aux côtés de la belle Chiara hésitant à se laisser aller au sentiment amoureux.

J'ai passé un excellent moment et c'est ce m'importait le plus.

Traduit de l'italien par Marie-José Theriault


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lundi 6 juin 2022

Le colibri

 


« Marco Carrera est le « colibri ». Comme l’oiseau, il emploie toute son énergie à rester au même endroit, à tenir bon malgré les drames qui ponctuent son existence. Alors que s’ouvre le roman, toutes les certitudes de cet ophtalmologue renommé, père et heureux en ménage, vont être balayées par une étrange visite au sujet de son épouse, et les événements de l’été 1981 ne cesseront d’être ravivés à sa mémoire. [...] »


Marco Carrera a été surnommé le « colibri » par sa mère en raison de sa petite taille et sa frêle carrure lors de son enfance dues à un retard de croissance. Cependant, il partage d'autres caractéristiques avec l'oiseau en question : il dépense une énergie folle à rester au même endroit.

Le roman s'ouvre en 1999, avec un échange improbable entre lui et le psychiatre de son épouse, le dialogue est savoureux et permet au lecteur de cerner, un peu, le héros qui éprouve une aversion consommée à l'encontre de cette profession.

Marco est ophtalmologue réputé et reconnu, à Rome. Sa réussite est évidente or les zones d'ombre l'entourent comme les lettres qu'il reçoit ou envoie, les courriels envoyés, tels une bouteille à la mer, à son frère parti vivre aux Etats Unis, ou encore l'histoire du fil imaginaire dans le dos de sa fille.

Les méandres de sa vie sont loin d'être limpides tant les fils de son histoire s'entremêlent au point de risquer la perdre en route.

Sandro Veronesi joue avec la destructuration du roman et de sa chronologie ce qui est déroutant en début de lecture. Puis, comme devant un tableau d'art contemporain, le plus simple est de se laisser porter par l'écriture, par la personnalité des personnages, par l'incroyable capacité de résilience du Colibri, Marco Carrera résistant aux événements les plus difficiles de sa vie pour en faire un réceptacle d'expériences positives. On ouvre son esprit aux résonnances que le roman provoque lors de la lecture libérée des contingences narratives.

J'ai suivi le rythme particulier du colibri dont le surplace est incroyable de volonté et de force, reproduit par celui de l'écriture qui n'est qu'un éternel aller-retour entre moment présent et scènes marquantes du passé.


Sandro Veronesi offre de très beaux moments dans son roman, des moments d'émotion intense, d'intimité empreinte d'amour et de tendresse. Je me suis laissée emporter dans le sillon particulier de la vie du héros, ophtalmologue au regard aveugle parfois, perçant souvent lorsqu'il observe les siens.

J'ai aimé la variété des supports de communication utilisés par les personnages : entre les conversations téléphoniques, les lettres et les courriels, la gamme des émotions se joue avec harmonie. Les petits riens comme les faits marquants se conjuguent pour peindre une vie morne en apparence alors que Marco entretient un amour intense pour son amour d'adolescence, la belle Luisa. J'ai aimé la relation père-fille entre Adèle et Marco, leur complicité et leur tendresse l'un envers l'autre.

« Le Colibri » est une succession de moments intimes, du quotidien, de l'enfance revécue par la grâce des souvenirs, de l'amitié Marco-Durrio, deux pôles éloignés qui se rencontrent et bâtissent de solides liens. J'ai souri et ris, j'ai ressenti beaucoup d'émotion par moment au point d'en avoir la gorge serrée. J'ai apprécié l'écriture tantôt malicieuse tantôt mélancolique de l'auteur qui dans la construction confuse, du moins en apparence, de son roman, sait magnifier les errances, les peurs, les tragédies comme les bonheurs, les espérances, les déceptions qui forgent une vie ordinaire et parfois extraordinaire. Il relate cette vie dense ou clairsemée de ses personnages, désespérés dotés d'une grande candeur attachante, avec tendresse et nostalgie ce qui m'a touchée en tant que lectrice.

Traduit de l'italien par Dominique Vittoz


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Babelio  France Inter  Télérama  Pamolico  Sens Critique  Martin Eden

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mercredi 1 juin 2022

Le Mois anglais 2022

 


J'aime les marronniers surtout ceux des défis littéraires. Après le mois de mai passé en Italie, le voyage immobile continue en Albion. Juin est celui du Mois anglais organisé avec enthousiasme par LouTitine et Cryssilda.

Je n'y participe que depuis juin 2020 et chaque année j'attends avec impatience le programme proposé par les organisatrices. Grâce à elles, je sors souvent de ma zone de confort. Le programme est dense, alléchant, je ne cocherai certainement pas tous les items mais l'essentiel étant de participer, je picorerai au gré de mes disponibilités et de mes envies.



Mes lectures prévues:

"Etés anglais" d'Elizabeth Jane Howard.

"Les recettes des dames de Fenley" de Jennifer Ryan

"Son espionne royale et le collier de la reine" de Rhys Bowen (non lu)

"Emma" de Jane Austen 

"Sa Majesté mène l'enquête: bal tragique à Windsor" de S.J Bennett

"Madame la colonelle" de William Somerset Maugham

Les séries ou films:

"La chronique des Bridgerton" saison 2

Côté recettes de cuisine:

Les scones végétaliens