mardi 30 juin 2020

Bilan du Mois Anglais

En ce dernier jour du mois de juin, un bilan s'impose.
  • Tout d'abord ce fut ma première participation depuis que le « Mois Anglais » existe et j'en suis des plus ravies. D'ailleurs, je compte bien récidiver pour les prochains Mois à thème et je m'inscris déjà pour la dixième édition.
  • J'ai fait une seule impasse : la biographie/essai. D'une part je ne suis pas une amatrice du genre et d'autre part je n'avais aucune inspiration ni aucune possibilité de fouiller en médiathèque en raison du confinement.
  • Ce Mois Anglais m'a permis de reprendre l'exercice, ardu, de l'écriture du billet de lecture, et d'investir régulièrement mon blog en sommeil depuis plusieurs années.
  • J'ai enfin lu le classique « Auberge de la Jamaïque » qui attendait l'occasion en or de quitter les rayons de la bibliothèque pour que je vive les aventures de Mary Yellan.
  • Ce fut une période riche en découvertes d'auteures anglaises et de séries rafraîchissantes.
  • Grand fut le plaisir de lire les chroniques des participantes et de voir l'allongement de ma LAL.
  • Des concours grâce auxquels les participantes ont été gâtées.
  • Enfin ce Mois Anglais fut le fil conducteur de lectures qui me permirent d'oublier les désagréments inhérents aux deux « rentrées » scolaires de juin où la fatigue de la journée était oubliée dès que j'ouvrais les pages du roman en cours de lecture. Une vraie bouffée d'oxygène !
  • Mon palmarès de Juin : 10 titres, dix voyages, dix petits bonheurs.
=> 3 Juin: "Un remède de cheval", une enquête d'Agatha Raisin, de M.C Beaton
=> 6 Juin: "Code 1879" de Dan Waddell
=> 9 Juin: "L'auberge de la Jamaïque" de Daphné du Maurier
=> 11 Juin: "Nord et sud" d'Elizabeth Gaskell
=> 13 Juin: "Sacrées sorcières" de Roald Dhal
=> 15 Juin: "Le parfum des fraises sauvages" d'Angela Thirkell
=> 21 Juin: "Le passé" de Tessa Hadley
=> 23 Juin: "Le corbeau d'Oxford" de Faith Martin
=> 26 Juin: "Tamara Drewe" de Posy Simmonds
=> 29 Juin: "Des femmes remarquables" de Barbara Pym


Merci aux organisatrices pour leur dynamisme, leur accompagnement, leur gentillesse et leur gestion des chroniques.
En un mot comme en mille … chapeau bas Martine Lou et Lamousmé


(Alexander Mark Rossi "Afternoon tea" 1878/ crédit photo: Getty images)


lundi 29 juin 2020

Vous prendrez bien une tasse de thé?

Qu'est-ce qu'une femme remarquable dans l'Angleterre d'après guerre ? Une femme discrète dont la vertu est incontestable : modestie, qualité d'écoute au point de devenir le « deus ex machina » pour dénouer les pires situations, assister aux offices, prêter attention aux sermons des révérends, avoir une tasse de thé à proposer à toute heure.

Mildred Lathbury est une de ces femmes remarquables. Elle ne cesse d'être à la hauteur de son excès de vertu et oublie tout simplement de vivre sa vie.
Ohhh, elle n'est pas malheureuse, loin s'en faut, du moins en apparence. De temps à autre une pointe non pas de dépit mais de léger désappointement perce le quotidien terne de la demoiselle. C'est qu'entre le presbytère très fréquenté et le couple Napier, Mildred a de quoi mettre en pratique ses trésors de patience et de savoir-vivre.

Une femme remarquable peut-elle tomber amoureuse ? Certainement... mais que quel type d'homme ? D'un révérend ancré dans son célibat tel Julian Malory? D'un ancien officier beau parleur réputé mettre à l'aise les femmes officiers mal fagotée dans leurs uniformes blancs comme Rockingham Napier ? D'un anthopologue bourru toujours prêt à commettre un commentaire désagréable à l'image d'Everard Bone?
Une femme remarquable est-elle apte à repérer le goujat qui sommeille en chaque homme ? Sans aucun doute si elle s'appelle Mildred qui l'air de rien observe, analyse et ne s'en laisse pas compter.
Une femme remarquable est-elle vouée au célibat, à la vie morne, grise et insipide de la « vieille fille » typique de l'Angleterre des années Cinquante ? Est-elle destinée à n'être qu'une personne rendue invisible par les services qu'elle dispense aux autres ?
Une femme remarquable n'est-elle qu'une malheureuse cruche dont on abuse de la gentillesse ?
Beaucoup de questions et autant de réponses en suspend.

Mildred est sans conteste une de ces femmes remarquables or elle possède ce petit quelque chose qui la démarque de cette étiquette un peu trop facile à attribuer : elle voit très vite ce que cache le reflet étudié du miroir trop poli des uns et des autres.
Tout en proposant son éternelle tasse de thé, elle fait son miel, sans aucun jugement et avec un humour extraordinaire, des agissements ou questionnements d'autrui.
Au final, sa vie est tout sauf terne car il s'en passe des choses sous l'apparente uniformité du quotidien. Un peu comme dans un roman japonais où tout se déroule entre les lignes, dans les non-dits, dans les suggestions, dans la banalité d'un geste, dans un regard fugace, dans la description de l'environnement où vit la personne.

« Des femmes remarquables » est mon premier roman de Barbara Pym, auteure que je ne connaissais absolument pas. Ma rencontre fut une belle réussite : j'ai adoré suivre Mildred, trentenaire qui regarde ses contemporains avec recul et tendresse. Même si les gens qu'elle côtoie l'agacent un tantinet, elle les ménage toujours malgré quelques remarques d'un humour subtil et percutant. C'est ce trait de caractère qui fait sa force et son charme. D'ailleurs une de ses relations ne s'y trompe pas : Everard Bone, l'anthropologue passionné d'archéologie, derrière sa dérision apprécie Mildred. Se décidera-t-il à l'épouser ? Le lecteur ne peut que l'espérer même si Mildred ne semble pas en faire une priorité.

J'ai apprécié le côté suranné du roman qui est loin d'être ennuyeux. Le personnage de Mildred peut agacer parce qu'il est ordinaire, or justement il est reposant par sa manière de voir le monde sans s'agiter, sans partir illico au créneau à la moindre étincelle. Le temps s'écoule au rythme d'une société qui ne misait pas encore sur le coktail explosif de la rapidité, de la performance et du jetable. 
On prend son temps, on le savoure autour d'une tasse de thé. On le regarde passer avec ou sans regret. Il est l'ami et non l'ennemi car il fait ce que l'on est, ce que l'on devient.

L'avis de Pierre Ahnne  celui de Lou celui de  Jérôme

Lu dans le cadre du



vendredi 26 juin 2020

La vie tranquille des cottages anglais?


J'aime l'univers de la BD mais je n'en suis pas une grande lectrice, le « Mois Anglais » a un peu bousculé les lignes de ma zone de confort.
Un premier pas étant fait, restait à réaliser le deuxième ce qui ne fut pas facile : autant je connais des auteurs de BD ou roman graphique américains, français ou belges autant je séchais lamentablement sur les auteurs anglais. J'aurais pu lire un opus des aventures de Blake et Mortimer, or je tenais à lire "anglais".
C'est là que l'on est content d'avoir dans ses relations un prof d'anglais pouvant fournir, au quart de tour, un précieux nom. Ce fut celui de Posy Simmonds, dessinatrice de presse, auteure de BD et illustratrice de livres pour enfants.

« Tamara Drewe » tomba entre mes mains et ce fut une belle rencontre.

Tout est calme à Stonefield où Beth Hardiman a aménagé une retraite studieuse et « cosy » pour écrivains. Elle les choie, elle les dorlote, elle est à l'écoute, elle sait ce qui leur fera plaisir, elle fait tout pour que rien ne vienne troubler leur travail.
La vie est rythmée par les repas pris en commun au cours desquels les échanges sont riches d'enseignement : le mari de Beth, Nichola, auteur de romans policiers adaptés à la télévision, en est souvent la vedette, le point de mire que les écrivains débutants, surtout les femmes, admirent. Je ne sais pas trop pourquoi, d'emblée Nichola m'a agacée et je me suis dit que ce personnage cachait quelque chose.
Glen Larson, universitaire américain en mal d'inspiration vient à Stonefield pour finaliser son roman. Il va sans dire que le vaniteux Nichola, magnifique spécimen de mâle dominant, l'irrite au plus haut point tant il est son anti-thèse : élégant, charmant, brillant alors que Glen, tout en rondeurs, est maladroit et manque de style.
L'harmonie se fissure lorsque Tamara Drewe revient au cottage familial à la mort de sa mère. Qui est donc Tamara ? Une jeune femme dont la chronique hebdomadaire dans un journal people est attendue et lue avec avidité par les lecteurs.
Elle est se sent belle depuis qu'elle a fait refaire son nez et en devient provoquante au point de déstabiliser l'univers réglé de Stonefied : elle veut montrer au monde entier qu'elle est belle, attirante et joue, beaucoup, sur la gamme de la croqueuse d'homme.
La lézarde enfle, se creuse puis ronge la réalité, en apparence lisse, de cette campagne anglaise en proie à la désertification et à la spéculation immobilière.
Le phénomène prend de l'ampleur quand deux adolescentes, désoeuvrées, s'introduisent en catimini dans l'intimité de Tamara. L'une d'elle devient incontrôlable quand le petit ami de Tamara, Ben le célèbre batteur d'un groupe de rock, vient passer quelques jours.
De mensonge en imbroglio, les relations entre les personnages se dégradent jusqu'au point de non retour pour certains. C'est cette dégradation que décrit avec justesse et humour, Posy Simmonds : on suit le sillage de la rancoeur, de la haine, de la jalousie dans le cadre bucolique d'une Angleterre rurale endormie.
Les traits de caractère des personnages sont ciselés par le coup de crayon et le regard scrutateur de l'auteure sur un pan de la société anglaise. Qu'il est délectable de se sentir privilégié grâce au procédé des pensées de quelques personnages réservées au seul lecteur.
Plusieurs points de vue sur la femme sont abordés : Beth, l'épouse aimante, tolérante envers son mari volage, secrétaire attentive et fidèle jusqu'au moment où la goutte d'eau fait déborder le vase. Tamara, la jeune femme de la ville, libérée sexuellement et assumant ses désirs jusqu'à ce que la vacuité de sa vie lui saute au visage, Casey l'adolescente fascinée par le monde des célébrités que les journaux people étalent à perte de page, vivant une vie par procuration, Jody sa meilleure amie, adolescente délurée, plus affranchie que Casey, par qui le dérapage arrivera. Deux facettes d'une adolescence terne, avide de sensations fortes et d'émotions intenses, deux sensibilités différentes et attachantes.
La narration est fluide, les dessins subtils et beaux et c'est ce qui m'a conquis dans ce roman graphique à la fois tendre et brutal où le marivaudage n'a pas toujours un « happy end ».

Lu dans le cadre du





mercredi 24 juin 2020

Aaahhh les beautés du subjonctif imparfait!



Les réseaux sociaux regorgent de pépites à glaner ce que je m'empresse de faire ici pour ne pas oublier ce joli texte d'Alphonse Allais.








Complainte amoureuse
Oui, dès l'instant que je vous vis,

Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l'amour qu'en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les vœux que je vous offris !
En vain je priai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j'y mis.
Ah! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu'ingénument je vous le disse,
Qu'avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu'en vain je m'opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez !

Alphonse Allais

Un corbeau peu "cosy"


Une nouvelle série d'enquêtes policières découverte dans le cadre du « Mois Anglais » organisé par Lou et Cryssilda dont j'ai pris plaisir à lire le premier opus « Le corbeau d'Oxford ».
Ce roman est classé dans la thématique du « cosy crime », thématique dont je n'avais jamais entendu parler, qu'à cela ne tienne, la nouveauté est attirante.

Nous assistons, avec cette enquête, à la naissance d'un duo qui, de prime abord, semble mal assorti constitué par l'agent de police stagiaire Trudy Loveday et le coroner Clement Ryder.
Oxford, ville universitaire célèbre, s'avère être un lieu où la tranquillité n'est que façade.
Trudy Loveday, jeune femme engagée au sein de la police, se languit d'être assignée aux patrouilles dans les rues ou au travail administratif alors qu'elle n'aspire qu'à participer à une véritable enquête.
Sauf que nous sommes 1960 et  qu'il est mal vu qu'une femme choisisse un métier masculin. Trudy subit la frustration d'être reléguée, au pire , à du travail de secrétariat, au mieux à courir après de jeunes délinquants ou à arrêter des exhibitionnistes sous l'oeil goguenard de ses collègues misogynes.
Elle enchaîne les journées insipides et décevantes jusqu'au jour où, croyant lui offrir un cadeau empoisonné, son chef l'envoie dans les pattes de l'insupportable Clement Ryder, chirurgien retraité devenu coroner, autrement dit enquêteur en charge des affaires de décès pouvant donner suite à la mise en place d'un procès si une mort semble toujours suspecte après les premiers témoignages.

Le vieux Ryder, chafouin et mordant au possible, détecte bien vite les qualités de la jeune Trudy : intelligence, adaptabilité et ambition. C'est qu'elle sait qu'elle peut être à la hauteur de ses collègues masculins et leur en remontrer dans l'élaboration d'hypothèses et la déduction.
Leur travail se fera en marge de l'enquête importante puis rapidement les deux empêcheurs de tourner en rond trouveront un lien reliant l'enquête en cours avec un dossier classé que Ryder s'empresse de ressortir.

Sir Marcus Deering, un riche industriel de la région d'Oxford, reçoit des lettres de menaces anonymes, il n'y prête pas plus d'attention jusqu'au jour où l'une d'elle lui annonce la mort de son fils, en mentionnant date et heure : il doit se repentir d'une faute passée, mystérieuse pour le lecteur. Il alerte la police qui met ses meilleurs éléments sur l'enquête. Le jour dit, à l'heure dite, le fils consigné chez ses parents, n'est victime d'aucune agression ou tentative de meurtre. Or, un fils peut en cacher un autre... et c'est cet autre qui tombe sous les coups du « corbeau ».
A mesure que les liens s'avèrent réels entre le dossier rouvert d'une affaire vieille de cinq ans et l'affaire du « corbeau », les deux excentriques – dans le sens où la première  est une femme policière, du rarement vu à cette époque, et le second a choisi de quitter son poste de brillant chirurgien avant que la maladie de Parkinson ne l'amène à commettre une erreur. - dévident la pelote des mensonges par omission cachant des secrets détestables derrière les façades des maisons bourgeoises.
Leur complicité se manifeste au fil de leurs découvertes, Ryder poussant Trudy dans ses derniers retranchements pour qu'elle progresse et mette de côté préjugés et orgueil mal placé. Nous assistons à ce qui peut ressembler à une maïeutique entre le mentor et son élève.

Une lecture agréable avec ce qu'il faut de suspense pour apprécier l'intrigue. Je me suis attachée à la jeune femme et surtout au vieil ours mal léché, mais élégant, qu'est Clement Ryder car ils forment un tandem crédible et drôle et qu'ils font fi des convenances.

Lu dans le cadre



dimanche 21 juin 2020

Les lézardes du dernier été

L'été s'installe à Kington, en Angleterre, accompagné de son cortège de vacances en famille ou de villégiatures dans les maisons familiales.
Trois sœurs et un frère viennent passer trois semaines en famille dans la demeure de leurs grands-parents. Une décision, quant à la conservation ou la vente de la maison, devra être prise au cours du séjour.
Les lignes pourraient rester immuables entre les frère et sœurs mais ce serait sans compter la venue de Pilar la nouvelle épouse de Roland, ce dernier souhaitant profiter des retrouvailles pour la présenter à ses sœurs Harriet, Alice et Fran.
Le présent, au sein de la maison familiale, est empreint du passé sans qu'on ne puisse rien y faire. Chaque objet renvoie à un souvenir, à un événement, à des scènes d'enfance.
La maison vieillotte, mal entretenue et mal équipée conserve le charme désuet des presbytères anglais, malgré tous ses défauts on ne peut s'empêcher de s'y attacher et d'espérer qu'elle ne sera pas vendue. C'est qu'elle est un personnage à part entière avec ses escaliers qui craquent, ses chambres qui communiquent entre elles, ses rideaux anciens, ses meubles rustiques, ses tiroirs à secrets, son jardin très anglais, loin de tout et ses fuites dans la toiture.

Construit en trois temps : le présent, le passé, le présent, le roman plonge d'emblée le lecteur au cœur d'un mode de vie, bourgeois cultivé, réglé comme du papier à musique, qui s'étiole lentement vers sa fin.
La joie des retrouvailles passée, les lézardes deviennent rapidement visibles, comme le sont celles des murs de la maison qui exigerait une rénovation et donc un investissement financier que ne semblent pas prêts à faire les membres de la fratrie.
Les jours s'écoulent dans la chaleur estivale : les enfants de Fran, Ivy et Arthur, jouent comme tous les enfants à des jeux d'exploration et de construction qui les mèneront à visiter un cottage abandonné où ils trouveront de quoi agrémenter leur imaginaire. Ils agacent, ils s'immiscent là où il ne le faudrait pas, observent ou ajoutent à la pesanteur de la promiscuité familiale.
Le fragile équilibre se rompt lorsque Alice découvre en fouillant les tiroirs du bureau de leur grand-mère, une liasse de lettres. Dans cette liasse se trouve une lettre écrite par Roland à leur mère hospitalisée en raison d'un cancer qui la ronge. Roland refuse qu'Alice la lise à haute voix, s'en empare de mauvaise humeur. Bien qu'il ait grandi entouré de femmes, sa pudeur d'intellectuel refuse que ses sentiments d'adolescent soient ainsi exhumés.
Sous les yeux du lecteur défilent les caractères des sœurs et frère : Harriet, l'éternelle torturée oublieuse d'elle-même au point qu'elle passe à côté de sa vie, Fran, la jeune mère pragmatique, légèrement différente des autres, Alice un brin farfelue au point d'en paraître excentrique et Roland le philosophe dont les chroniques paraissent dans les journaux. Autant de différences formant la richesse d'une famille.

La seconde partie du roman, intitulée « Le passé », éclaire ce qui anime les personnages de l'histoire. Elle donne les clefs pour comprendre la sensation d'attente exprimée par Alice dans ses rêves et ses moments d'introspection, et le décalage de Fran. L'auteure invite le lecteur dans l'Angleterre de 1968, lors des événements français, et lui permet d'accompagner les regards de Sophy, la grand-mère et de Jill la mère de la fratrie, sur la condition de la femme et ses aspirations légitimes. Tessa Hadley esquisse, joliment, à coup d'humour et de poésie, le portrait d'une époque.

La troisième et dernière partie précipite le dénouement, peut-être un peu trop vite, j'aurais aimé un plus long développement de l'action et des ressentis chez les personnages. Cependant le plaisir de les suivre est toujours présent d'autant que nous savons quelque chose qu'ils ignorent et c'est tellement agréable d'égoïsme.
La scène au cours de laquelle Fran coupe les cheveux longs et bouclés de son fils Arthur est la métaphore du cordon ombilical coupé libérant les frère et sœurs de la maison de famille. Arthur quitte son statut de bébé pour entrer dans le monde des petits garçons comme Fran et les autres quittent irrémédiablement leur jeunesse quand un agent immobilier vient expertiser la vieille bâtisse pleine de charmes.

« […] ils lisaient tous les deux le soir, souvent pendant des heures. Ce n'était pas la lecture anodine dont leurs voisins de classe moyenne parlaient, celle qui vous aidait à franchir , dans un glissement, le seuil du sommeil, l'équivalent d'un somnifère, le marque-page progressant par modestes avancées. Sophy et Grantham dévoraient leurs livres : lire était une liberté arrachée à la trame réglée du quotidien. Sans même en avoir jamais discuté, chacun savait que l'autre approuvait l'habitude de retourner leur réveil-matin réglé sur sept heures, de sorte qu'ils n'avaient aucune idée du teps qui passait tandis qu'assis, ils tournaient les pages, aucune idée non plus de leur imprudence ou de la façon dont lils le paieraient le jour suivant. Evidemment leurs lectures étaient bien différentes : les romans de Sophy empruntés à la bibliothèque, les livres sérieux de Grantham. Naturellement, Sophy éteignait la première, elle posait son livre ouvert, pages contre le sol – cassant sa tranche, se plaignait-il – et renonçait à son engagement dans l'altérité de la lecture avec un soupir presque sensuel." (p 267 et 268)

Une lecture agréable au cours de laquelle on s'attache aux personnages: on aime suivre leurs moments d'introspection, leurs disputes, leurs décalages. On apprécie les personnages à part entière que sont la maison familiale et le cottage abandonné. Le tout baigné dans la lumière indicible d'un été anglais.

L'avis de Anne Claire 

Lu dans le cadre du:



lundi 15 juin 2020

L'été anglais rimerait-il avec fraises sauvages?

Nous ne savons pas quand se déroule exactement le roman, les quelques indices dispersés par l'auteure font situer l'action dans les années Trente.
La famille Leslie accueille pour l'été Mary Preston, une nièce de Lady Leslie, à Rushwater House, leur très agréable résidence dans la campagne anglaise, à quelques heures de Londres.
L'été s'annonce joliment entre parties de tennis et de cricket, promenades au grand air, concert des métayers et bals, dans l'insouciance des beaux jours.
Angela Thirkell dans « Le parfum des fraises sauvages » nous dresse une galerie de portraits plus amusants les uns que les autres, miroirs de la bonne société anglaise des années Trente où tout semble figé : les serviteurs observent, parfois commentent mais jamais n'agissent au-dessus de leur rang, les maîtres vivent, échangent sous les regards de ces derniers sans s'émouvoir le moins du monde.
Lady Emmy est tête en l'air et aime, à plaisir, compliquer les moindres événements de la vie domestique et sociale. Son étourderie est telle qu'elle en devient excentrique et délicieusement évaporée.
Sir Leslie est l'archétype du hobereau plus immergé dans les affaires du domaine, notamment son élevage de taureaux, qu'enclin à participer pleinement à la vie domestique, à tel point que ses interventions en deviennent décalées et immanquablement drôles. Il est vrai que pour lui une femme se doit d'être futile, intéressée par et investie dans l'éducation de ses enfants et dévouée corps et âme à son époux.
Agnès Graham, fille des Leslie, est une image d'Epinal à elle seule : d'une beauté digne d'un personnage féminin de Jane Austen sans en posséder une once d'esprit critique. Cela ne la rend pas plus ridicule pour autant, du moins ne l'ai-je pas vue ainsi. Certes on ne peut que sourire, et parfois être agacé, lorsqu'elle gourmande ses enfants d'un éternel « Vilains, vilaines, vous êtes vilains » et les confie à leur Nannie. Elle ne voit la vie que par le prisme de la vie familiale sous l'autorité suprême de son époux, le Capitaine Graham, l'Absent toujours présent du roman. Elle a fait un mariage arrangé et s'en trouve heureuse et épanouie. Sa vie semble n'être que vacuité et pourtant... on sent qu'elle a les moyens d'être autre que l'image qu'elle renvoie.
David Leslie, le jeune homme charmant et charmeur qui fera chanceler et défaillir la délicate Mary Preston. Son égoïsme n'a d'égal que son talent à se faire pardonner chaque manquement. Il se veut être l'artiste de la famille et a un roman en cours d'écriture, ou plutôt a-t-il l'idée d'écrire un roman qu'il veut proposer comme pièce de théâtre ou comme film alors qu'aucun mot n'en a encore été couché sur le papier. Chacun de ses gestes envers Mary peut prêter à confusion : est-ce par attirance ou simple sympathie qu'il lui dépose un baiser au creux de sa paume, qu'il lui promet un saladier de fraises sauvages ? Plutôt son inconséquence née de son indécrottable égoïsme.
Martin, dix-sept ans, est l'héritier du Domaine suite au décès, à la guerre, de son père. Il réussit à échapper à un séjour linguistique en France pour rester dans le cocon familial pendant l'été. Cependant, sa manœuvre lui fera subir les leçons de français de Madame Boulle, locataire de Mr Banister, révérend et propriétaire du presbytère.
C'est l'occasion pour l'auteure de pointer, malicieusement, les a priori des Anglais vis à vis des Français : « J'ose espérer, Henry, que les canalisations du presbytère sont en état si Martin doit y séjourner, car les Français sont assez vagues pour ce qui est des sanitaires. » (p 94)
John, le fil puîné devenu l'aîné suite à la disparition  du père de Martin, est un trentenaire, donc vieux, veuf inconsolable. Il a le sens du devoir, de l'élégance, et travaille à Londres en tant qu'homme d'affaires prospère. C'est la voix de la sagesse et de la temporisation.
Mary Preston, jeune fille de prime abord naïve car elle tombe très vite sous le charme de David. Cependant, au fil du roman, elle apparaît comme une femme qui sait penser par elle-même, qui exprime ses idées tout en respectant le code des convenances. Elle dénoue beaucoup de nœuds domestiques, se rend compte de la vacuité de certains de ses sentiments. Elle ressemble, elle aussi, aux héroïnes de Jane Austen, l'emportement des sentiments en moins. Elle nous fait sourire, parfois rire, lorsqu'elle se pâme devant les attentions de David qui semblent prises pour argent comptant. J'avoue que l'auteure a bien su masquer la cible des vrais sentiments amoureux éprouvés par Mary. Pourtant il suffisait de lire entre les lignes, de s'arrêter sur certaines descriptions, sur quelques scènes fugaces.

« Le parfum des fraises sauvages » est une comédie romantique absolument délicieuse qui au-delà d'une apparente mièvrerie, nous raconte une Angleterre que j'oserai qualifier d'éternelle.
Cette ambiance particulière, presque indicible, m'a également fait penser aux romans japonais dans la façon de relater l'insignifiance d'un quotidien pour en extraire ce qu'il a d'unique.
Ce fut comme assister à une agréable « causerie » grâce à laquelle le temps s'arrête et transporte le lecteur dans un tableau de scènes ordinaires.
D'aucuns penseront que « Le parfum des fraises sauvages » est insignifiant, suranné, mièvre ou consternant, j'ai aimé cette lecture, souri et ri plus d'une fois avec dans la tête la musique du film « Meurtre dans un jardin anglais »... allez savoir pourquoi !

Quelques avis


Lu dans le cadre du:


samedi 13 juin 2020

Sais-tu que...

Trouvaille grâce à un des réseaux sociaux sur lequel je sévis. Je l'ai partagée mais pour être certaine de la retrouver quand bon me semblera, je la consigne sur Chatperlipopette.


Le chien aboie quand le cheval hennit et que beugle le bœuf et meugle la vache.
L'hirondelle gazouille, la colombe roucoule et le pinson ramage.
Les moineaux piaillent, le faisan et l'oie criaillent quand le dindon glousse.
La grenouille coasse mais le corbeau croasse et la pie jacasse.
Et le chat comme le tigre miaule, l'éléphant barrit, l'âne braie, mais le cerf rait.
Le mouton bêle évidemment et bourdonne l'abeille.
La biche brame quand le loup hurle
Tu connais bien sûr, tous ces cris-là mais sais-tu ?
Que si le canard nasille, les canards nasillardent,
Que le bouc ou la chèvre chevrote,
Que le hibou hulule mais que la chouette, elle, chuinte,
Que le paon braille,
Que l'aigle trompète
Sais-tu ?
Que si la tourterelle roucoule, le ramier caracoule et que la bécasse croule,
que la perdrix cacabe, que la cigogne craquette et que si le corbeau croasse,
la corneille corbine et que le lapin glapit quand le lièvre vagit.
Tu sais tout cela ? Bien.
Mais sais-tu ?
Que l'alouette grisolle,
Tu ne le savais pas. Et, peut-être, ne sais-tu pas davantage que le pivert picasse.
C'est excusable !
Ou que le sanglier grommelle, que le chameau blatère
Et que c'est à cause du chameau que l'on déblatère !
Tu ne sais pas non plus peut-être que la huppe pupule
Et je ne sais pas non plus si on l'appelle en Limousin la pépue….parce qu'elle pupule ou parce qu'elle fait son nid avec de la chose qui pue.
Qu'importe ! Mais c'est joli : la huppe pupule !
Et encore sais-tu que la souris, la petite souris grise : devine ?
La petite souris grise chicote ! Oui !
Avoue qu'il serait dommage d'ignorer que la souris chicote et plus dommage encore de ne pas savoir, que le geai cajole !




Pour démasquer une sorcière

Les sorcières, c'est bien connu, ont toutes un nez crochu, du poil au menton, un chapeau noir pointu, des yeux effrayants, des doigts crochus et se déplacent en balai volant... et elles sont toutes affreuses, sales et méchantes.
Sauf que... non...car elles ont plus d'un tour dans leur sac à malices. C'est ce que découvre le jeune héros de notre histoire grâce à l'expérience de sa grand-mère.

Comment reconnaître une sorcière ?

C'est LA question du roman car contrairement aux idées reçues les sorcières ne sont pas comme dans les contes de fée, moches dotées d'un nez crochu et de poils au menton. Loin s'en faut, les sorcières savent se fondre dans la masse, rien ne les distingue des dames normales. Rien ? Il y a quelques signes imparables pour mettre la puce à l'oreille d'un observateur averti des subterfuges de ces drôles de dames.
Si une dame garde ses gants à l'intérieur il y a de fortes chances qu'elle souhaite dissimuler ses doigts crochus donc méfiance surtout si elle est gentille envers les enfants.
Une dame ne peut s'empêcher de se gratter la tête ? Elle n'a pas de poux, le perruque qui cache son crâne chauve lui provoque des démangeaisons insoutenables. Les sorcières sont chauves, sans exception.

Lors d'un séjour à l'hôtel d'une station balnéaire anglaise, notre jeune héros et sa grand-mère seront confrontés aux sorcières d'Angleterre, réunies en congrès de la protection de l'enfance maltraitée, quoi de plus malin qu'une telle couverture pour celles qui ont juré la perte des enfants du monde entier !
N'écoutant que son astuce et son courage, il déjouera les plans établis par la Grandissime sorcière qui veut transformer tous les enfants en souris et ainsi en débarrasser la face du monde.
Notre héros malgré sa triste mésaventure ne restera pas à se morfondre ni à se lamenter sur son sort : fort de l'aide de sa grand-mère, sorciérologue norvégienne, il mettra fin au complot et sauvera les enfants anglais d'une disparition épouvantable.
On rit, on s'émeut aux côtés du petit garçon et de sa grand-mère qui assume sa consommation de cigare, expliquant les bienfaits du tabagisme à son petit-fils. Ce qui paraît une hérésie pour les contemporains, habitués à l'interdiction de fumer dans les lieux publics ou à l'extérieur de nos maison, que nous sommes. Est-ce un pied de nez de l'auteur aux biens pensants ?
Toujours est-il qu'il décline un thème important dans son œuvre prolixe d'auteur jeunesse, et ce d'une manière irrésistible : les adultes ne s'extasient pas tous devant les enfants qu'il n'est pas immoral de ne pas aimer ; les grandes personnes ne sont pas toujours les plus fortes d'ailleurs un enfant peut triompher ; la méchanceté est, à un moment ou à un autre, toujours punie.

Une lecture délicieusement amusante car grande est la fantaisie de Roald Dahl.

Lu dans le cadre:

jeudi 11 juin 2020

Les deux Angleterre


Nous sommes transportés dans l'Angleterre victorienne du milieu du XIXème siècle dans le Comté du Hampshire appartenant à la région des Cornouailles, région rurale et conservatrice du sud du pays. La vie s'écoule paisiblement au rythme des saisons et des travaux des champs, celle de Margaret Hale, jeune fille élevée à Londres chez sa tante afin de tenir compagnie à sa cousine, revient, après le mariage de cette dernière, auprès de ses parents. Son père est le pasteur de la paroisse de Helstone, sa mère s'occupe de l'école paroissiale où elle dispense les rudiments scolaires aux enfants.
L'harmonie est de temps en temps interrompue par la fatigue et les récriminations de sa mère lasse de rester dans la même cure sans aucune perspective de promotion pour son époux. Par touches légères, Elizabeth Gaskell souligne que le mariage d'amour n'est pas synonyme de vie sans grisaille : entre les réflexions de la mère de Margaret et celle de sa fidèle femme de chambre, le lecteur apprend très vite que Mme Hale aurait pu prétendre à mieux et éviter de vivoter.
Il apprend également, au détour d'une conversation entre les protagonistes, qu'une ombre pèse sur les Hale : l'absence du fils aîné, Frederick, exilé en Espagne suite à une mutinerie alors qu'il servait dans la Royal Navy : sans pouvoir être disculpé, il ne peut rentrer en Angleterre qu'au péril de sa vie.
Le frère du Capitaine Lennox époux de sa cousine, vient un jour leur rendre visite. Au cours de leur promenade, alors qu'ils ont sorti leur matériel à dessin, le jeune homme demande en mariage Margaret qui l'éconduit : elle ne voit en lui qu'un ami, rien d'autre. Autant dire que l'attitude de Margaret est loin de lui plaire.
Les jours s'écoulent dans la tranquillité du Hampshire jusqu'au jour où Mr Hale annonce aux siens qu'il quitte ses fonctions pasteur parce qu'il n'est plus en accord moral avec l'Eglise qu'il sert. On ne saura jamais la nature de la dissidence de l'ancien pasteur.
Un de ses amis d'Oxford, propriétaire à Milton, dans le nord de l'Angleterre, lui trouve un emploi de professeur particulier.
La famille Hale quitte le sud paisible pour rejoindre un nord inconnu et industriel. Margaret se retrouve confrontée avec les us et coutumes d'une ville industrielle en plein développement, des habitudes de vie qu'elle ne connaît pas, qui lui paraissent vulgaires, braillardes et libertaires dans le sens où les gens tiennent à leur franc-parler et leur liberté de parole.
C'est un choc des cultures qu'elle affronte, un choc dont elle en sortira autre.

Margaret ne restera pas longtemps cloîtrée chez elle, contrairement à sa mère qui ne se remettra pas du changement de vie de la famille : elle va à la rencontre des gens et se liera, au fil du temps, avec une famille ouvrière, les Higgins.
Elle rencontre également Mr Thornton, premier élève de son père. Elle le trouve rustre et peu avenant par contre elle aime son sourire, presque enfantin, qui illumine trop rarement son visage.
Bien entendu, il s'éprend désespérement de Margaret qui reste, apparemment, indifférente à ses marques d'intérêt. Or, il est connu que les contraires s'attirent ce qui sera confirmé au cours du roman après une série de malentendus et de quiproquos faisant enfin taire le déni amoureux dans lequel elle se morfond.
C'est qu'au contact des Higgins, Margaret voit s'éveiller sa conscience sociale qui provoquera de vives discussions avec John Thornton. Et si les patrons et les ouvriers pouvaient mettre de côté leurs différences et leurs querelles pour le bien de l'industrie ? Et si chaque « camp » parvenait à comprendre l'autre pour améliorer leurs relations et faire converger leurs intérêts ? Y aurait-il du socialisme dans ce « roman industriel » d'Elizabeth Gaskell ? Si ce n'est pas cela au moins est-ce une vision féminine du monde économique de l'époque victorienne fondé sur l'industrialisation de la production manufacturière.
L'auteure réussit dans son roman à informer et souligner la situation précaire des ouvriers et leurs relations tendues, jusqu'aux éclats violents d'une grève, avec les patrons tout en équilibrant le tout en développant le point de vue et les idées d'un patron avec son personnage John Thornton, opiniâtre, dur avec lui-même et les autres, et malgré tout sensible aux vies misérables que subissent les ouvriers.
Cela aurait pu être un roman lénifiant et pontifiant, or point du tout. Au contraire, l'auteure aime se moquer de ses personnages, les malmener un peu et les mettre face à leur mauvaise foi et leur certitudes pétries d'orgueil qu'il soit d'ordre de l'intime ou du social.
Le lecteur mesure le chemin parcouru par Margaret quand elle retourne vive auprès de sa tante et sa cousine, à Londres, après la mort de ses parents. Comme elle semble incongrue dans la société futile et papillonnante de la bonne société londonienne. Comme elle nous paraît moderne par sa décision d'être maîtresse de sa vie, de ne pas être sous la coupe de qui que ce soit : peu lui chaut l'apparence puisque la réflexion et l'utilisation de ses savoirs sont plus importants à ses yeux. Comme nous mesurons le chemin qui restera à faire aux femmes pour sortir de leur condition féminine de soumission aux désirs masculins.

Une lecture revigorante par sa qualité et ses personnages attachants et hauts en couleurs : ce qui est formidable avec les romans victoriens c'est l'immersion immédiate au cœur de l'histoire, aux côtés des personnages qui deviennent, le temps d'un voyage dans le temps, nos amis.

Lu dans le cadre:








Quelques avis :






mardi 9 juin 2020

Tous les chemins mènent à la Jamaïque


« C 'était par une froide et grise journée de fin novembre. Le temps avait changé pendant la nuit : vent violent, ciel de granit, puis une pluie fine. Bien qu'il ne fût guère plus de deux heures de l'après-midi, la tristesse d'une soirée hivernale semblait s'être abattue sur les collines, les couvrant d'un manteau de brume. Il ferait nuit à quatre heures. »

C'est le début du roman, d'emblée le lecteur est mis dans l'ambiance inquiétante et glauque dans laquelle évoluera l'héroïne, Mary Yellan.
En quelques mots bien choisis, en peu de phrases bien agencées, Daphné du Maurier saisit son lecteur, le tient en haleine de bout en bout : il sait qu'il y aura des drames, des atrocités, des larmes et de la peur intense.

Mary Yellan, devenue orpheline, n'a pas d'autre choix que de rejoindre sa tante Patience mariée à un aubergiste à la réputation sulfureuse, Joss Merlyn. Elle quitte la ferme avenante d'Helston pour rejoindre l'Auberge de la Jamaïque, perdue au milieu d'une lande hostile, non loin de la côte atlantique anglaise, une côte désolée et hostile.
Plus le coche se rapproche de l'auberge plus le paysage et le temps se dégradent tels des signes avant-coureurs des tourments qui l'attendent car il est évident que la jeune fille se dirige vers de nombreux dangers.
L'accueil est à la hauteur de la réputation de l'aubergiste : glacial, âpre et inquiétant. Joss Merlyn joue et abuse de la terreur qu'il inspire aux braves gens de la région en surjouant son rôle d'homme maléfique et violent. Quand on lit sa description, on a l'impression de se retrouver face à un ogre regardant, goguenard, le tendron qu'est à ses yeux Mary.
L'intérieur de l'auberge est à l'aune de ses propriétaires : suintante de la terreur de tante Patience, sombre comme une forêt malfaisante, enfumée comme une grotte mal aérée, branlante comme la vie du couple et menaçante comme un ciel de tempête.
L'auberge de la Jamaïque est un repaire glauque de malfrats en tout genre, d'hommes rustres et violents, beuglants des chansons paillardes et descendant les verres de rhum aussi aisément qu'une pinte de cidre.
Cependant, Mary fait le choix de montrer le moins possible sa peur : elle regarde, affligée, ce qu'est devenue sa tante Patience, une pauvre petite chose constamment effrayée, fidèle à son époux comme peut l'être un chien maltraité par son maître. Son « baptême » du feu a lieu peu de temps après son arrivée, derrière le comptoir du bar où elle sert les verres d'alcool aux malandrins et sbires composant la bande dirigée par son oncle. Daphné du Maurier excelle dans l'art d'immerger son lecteur au cœur de l'action, il suit, à la limite de la terreur, la montée du degré d'alcoolisation des écumeurs de la côte, dégénérant en sordides élucubrations et violentes prises de bec. On se dit qu'ils ne feront qu'une bouchée de Mary. Or, l'ogre veille au grain, sans doute parce qu'il se rend compte que sa nièce a dépassé le stade de terreur paralysante et qu'elle est dotée d'un caractère bien trempé.
Très vite, Mary n'a qu'un seul objectif : quitter l'horrible auberge de la Jamaïque et sortir Tante Patience de cet enfer.
Elle parcourt la lande lors de longues promenades, s'approprie son environnement, apprend à reconnaître les dangers des marécages en se défiant des herbes trop vertes et attirantes. Parfois, la lande est belle quand elle la regarde avec d'autres yeux que ceux d'une jeune fille prisonnière des contingences, les éclaircies sont rares et précieuses.
Ainsi en sera-t-il de ses rencontres avec Jem Merlyn, le jeune frère de son oncle, un séducteur et méchant garçon comme les aiment les jeunes filles en fleurs et qui ne laissera pas Mary indifférente. Puis de sa rencontre avec le vicaire, Francis Davey, homme étrange, secret, habile à faire s'épancher ses paroissiens, sachant se faire confident des soupçons de Mary au sujet des activités sordides de son oncle.
Le point d'orgue de l'immonde se jouera sur la côte, lors d'une tempête, où les naufrageurs, sans avoir bien préparé leur stratégie, feront s'échouer sur les récifs un lourd navire. Ils achèveront les naufragés rescapés dans un déchaînement de violence et de folle tuerie, obligeant Mary à être témoin de leurs exactions.

« L'auberge de la Jamaïque » est un roman foisonnant dont l'héroïne est une jeune fille du XIXè siècle, courageuse, intrépide et intelligente. Elle entraîne le lecteur sur un chemin de péripéties dramatiques se déroulant dans une atmosphère, incroyable, de constante horreur.
Daphné du Maurier sert au lecteur une puissance d'évocation de la langue avec un grande maîtrise. Ce avec des mots extrêmement bien choisis pour agencer le récit de manière à tenir en haleine son lecteur. Elle n'utilise pas de « grands mots », nulle grandiloquence dans les propos, il n'y a que de subtiles touches et nuances sélectionnées avec soin si bien que le caractère des personnages s'esquisse naturellement, sans fioriture philosophique.
On aime ou on déteste, on trouve démodé et insipide ce roman ou on le lit et relit régulièrement, admirant, à chaque lecture, le style maîtrisé des descriptions des expressions des visages, des paysages, des ambiances.
L'auteure joue, avec maestria, sur les codes du roman d'aventure à la Stevenson et du roman gothique : l'évocation des actes cruels et abominables est plus puissante que leur description crue. C'est ce qui fait le charme du roman et le rend indémodable.
Je n'avais lu que « Rebecca », aussi ai-je quitté « L'auberge de la Jamaïque » enchantée par ma lecture.
Non, « L'auberge de la Jamaïque » n'est pas un roman mièvre, non les personnages ne sont pas gnangnans ni ridicules. Ils sont intemporels car ils ne seraient pas décalés s'ils étaient transportés dans notre merveilleuse époque contemporaine.

Lu dans le cadre