lundi 31 octobre 2022

Quatrevingt-treize

 


En octobre, les « Dessous (fantastiques) des classiques » nous invitaient à choisir une œuvre de Marcel Proust ou de Victor Hugo.

J'ai choisi Hugo et une relecture de son roman « Quatrevingt-treize ».


1793, année terrible pour la France, année sanglante, année d'une rare violence au cours de laquelle s'embrasent la Vendée et la Bretagne.

1793, c'est l'an II de la Convention, celle de Marat, Danton et Robespierre, trois piliers, trois visions, trois orateurs fameux dont les destins seront aussi fulgurants que sanglants.

1793, la France est attaquée de toutes parts : à l'est, le Rhin est franchi par les Prussiens, au sud, l'Italie et l'Espagne tentent d'investir les places, sur les mers la marine anglaise patrouille, en quête du moment idéal pour lâcher des troupes, à l'ouest les Royalistes reprennent du poil de la bête, levant des milliers de paysans au nom de Dieu et du Roi.

1793, le bocage et les forêts bretonnes s'enflamment, la guerre civile, tant redoutée, prend corps au grand dam de Robespierre... l'ennemi le plus dangereux pour la Révolution est celui de l'intérieur.

1793, année de la Terreur. Girondins, Montagnards, Jacobins et autres partis révolutionnaires s'affrontent à la Convention à coups de discours homériques, d'envolée lyriques, d'accusations, d'insultes s'achevant, souvent, avec le couperet de la Guillotine.

1793, les têtes les plus en vue ne tiennent qu'à un fil. L'intransigeance révolutionnaire moissonne les épis récalcitrants sur un décret du Comité de salut public, puissance omnipotente et terrifiante d'un pouvoir qui peine à s'asseoir.

Ce ne sont plus les heures sombres de l'Histoire qui s'écoulent dans le roman de Hugo, ce sont les heures rouges du sang des exécutions et rougeoyantes des incendies dus aux affrontements fratricides.


Le roman s'ouvre par le débarquement en France du nouveau chef des armées contre-révolutionnaires, en la personne du Marquis de Lantenac. Traqué par les troupes révolutionnaires commandées par son petit-neveu, le vicomte Gauvain, lui-même surveillé par son ancien précepteur, le terrible Cimourdin, mandaté par le Comité de salut public. Chacun est surveillé par quelqu'un comme le souhaitent Robespierre et Marat.

Cimourdin, ancien prêtre engagé par Lantenac pour éduquer Gauvain, est la face sombre de la Révolution, intraitable et inflexible. Quant à Gauvain, il incarne sa face lumineuse, celle des idéaux, de l'utopie philosophique, des espoirs d'équité et d'égalité pour poser les socles d'une société nouvelle. Le jeune chef d'armée est quasiment LA figure romantique du révolutionnaire éclairé par les idées nouvelles.

Lantenac est la figure d'un passé qui tente de relever la tête. Il est les dix-huit siècles de monarchie dont le dernier chant explose au cours du siège de la vieille forteresse de Tourgue. Il a emporté, en guise d'otages, trois orphelins adoptés par un bataillon révolutionnaire, tel l'ogre dévorateur des contes. Lantenac est inflexible et insensible, passant au fil de l'épée, hommes, femmes et enfants, massacrant tout ce qui se dresse contre lui. Il est la féodalité, les impôts à n'en plus finir, la société inégalitaire. Il est la Vendée réactionnaire, il est la chouannerie.

Les trois enfants, deux garçons et une fille, sont l'incarnation de l'innocence, de la pureté parmi les horreurs de la guerre et des massacres. Ce sont des lumières égarées parmi les sombres moissonneurs, qu'ils soient « blancs » ou « bleus ». La scène, dans la bibliothèque de la Tourgue, est d'anthologie : le dernier exemplaire du « Saint Barthélémy » est saccagé par les menottes qui s'ennuient. Le fantôme de la nuit de la St-Barthélémy est en filigrane ...massacre d'innocents qui se répète. En effet, ladite bibliothèque a été piégée de manière à s'enflammer pour anéantir les forces républicaines au moment où elles investiront la place.


« Quatrevingt-treize » met aussi en avant deux parties très intéressantes : la première est la rencontre, d'autant plus spectaculaire qu'elle est imaginaire, entre les trois grandes figures de la Révolution française, Danton, Robespierre et Marat ; la seconde est la reconstitution d'une séance à la Convention. Les descriptions sont absolument fabuleuses, Hugo apporte le souffle épique de son écriture et de son style. Ce qu'il fait vivre à son lecteur est le …. oserai-je le dire ? …. joyeux et terrible bordel des séances de la Convention. Les insultes, les bons mots fusent, les discours fleuves noient ou abreuvent, les « émeutes » s'invitent aux discussions et disparaissent aussi vite qu'elles sont entrées. Sous la plume d'Hugo, sa vision de l'an II de la Convention est celle d'un fleuve tumultueux au milieu duquel quelques îlots tentent de canaliser les flots qui se déversent.

Le chaos et la raison, l'ombre et la lumière, l'inflexibilité et l'humanisme charrient une même idée, celle d'une société nouvelle offrant une place à chaque citoyen.


Pour en revenir à nos héros, leur destin sera, forcément tragique. Cependant, chacun à sa manière, sera sublime de grandeur d'âme. Tel est le paradoxe des tragédies.

On pensait voir les trois enfants brûlés vifs, Lantenac alors aux portes de la liberté, rebrousse chemin pour les sauver de la fournaise. La rédemption par le feu.

Le beau Gauvain, écartelé entre devoir et sens moral, pour lui Lantenac s'est racheté en sauvant les enfants, aussi préfèrera-t-il l'échafaud au déshonneur de ne pas respecter sa vision de la Révolution et du monde qu'elle peut créer. La jeunesse prometteuse fauchée par le couperet.

Et Cimourdin ? Il ne survivra pas à celui qu'il a éduqué et chez qui il sema les graines révolutionnaires. Il se châtiera lui-même après avoir appliqué, inflexiblement, la sentence du Comité de salut public.

L'ultime phrase est grandiose, magnifique et tragique... tout Hugo en quelques mots choisis et prosodie admirablement scandée.


La relecture de « Quatrevingt-treize » a été une redécouverte d'un très beau texte d'Hugo et de sa vision, sans doute discutable pour certains, de ces années terribles de la Révolution française.

Les notes sont foisonnantes et très intéressantes car elles permettent de mieux comprendre l'époque et les faits historiques.


Quelques avis:

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samedi 8 octobre 2022

Agatha Raisin: Randonnée mortelle

 


Je continue, à mon rythme, la lecture des aventures de la célèbre Agatha Raisin, mi-mégère mi-fleur bleue.


Après six mois passés à Londres à travailler comme consultante dans son ancienne entreprise, Agatha revient au bercail pour retrouver son cottage, ses deux chats et son James Lacey. Sera-t-il heureux de la revoir ? Ce n'est pas l'impression qu'il donne à Agatha, bien décidée à ne plus le convoiter tout en pinçant encore pour lui.

Pendant son absence, James a mis en place une sorte de club de promeneurs, plutôt que de randonneurs, qu'il guide dans les chemins creux de la campagne des Cotswolds.


Par un heureux hasard, un événement vient perturber le quotidien d'Agatha : un meurtre a été commis dans le Gloucestershire, à Dembley, sur la personne d'une jeune femme, diplômée d'Oxford, professeure dans l'école de la ville, Jessica, activiste féministe au caractère bien trempée et au charisme brutal. Le club des « Marcheurs de Dembley » est choqué malgré les divergences de vue avec la victime. Cette dernière militait bruyamment pour le respect des droits de passage dans les propriétés des environs, ce qui ne lui offrait pas une grande cote de popularité.

Les membres du club de randonnée et les propriétaires font partie des suspects au point que la Présidente de la Société des Dames de Carsely, dont une des nièces appartient au club des « Marcheurs de Dembley », fait appel à Agatha pour innocenter Déborah Camden.

En compagnie de James Lacey, Agatha se lance dans l'enquête afin de découvrir la piste du tueur. Or, rien n'est plus facile que de la perdre et de se retrouver avec un suspect qui ne l'est plus.


« Randonnée mortelle » est une enquête plaisante à suivre malgré le suspense très vite éventé. Les personnages sont, hélas, très caricaturaux : la féministe portant caleçon et non culotte, adepte des poils aux aisselles et aux jambes, au verbe cru et cruel, l'intellectuel sympathisant de la cause nord irlandaise, les couples homosexuels ou la fille pâle et timide désespérant de sortir de son milieu social au point que cela en devienne une obsession. Il va sans dire que le personnage du baronnet est également caricatural et un peu agaçant.

L'intérêt de cette aventure est dans le choix de la couverture choisie par Agatha pour les besoins de l'enquête : jouer, avec James, le rôle d'un couple marié amateur de randonnée. Les relations entre nos deux héros sont un peu plus apaisées, James se rend compte que la présence d'Agatha peut être une agréable compagnie. Doucement, subtilement, les lignes bougent jusqu'à ce qu'une dégustation d'une bonne bouteille de vieux porto change la donne.

Agatha parviendra-t-elle à s'extirper du pétrin dans lequel elle risque de se retrouver ? Réponse dans le ou les tomes suivants.

Traduit de l'anglais par Jacques Bosser


Quelques avis :

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