dimanche 31 janvier 2010

Dimanche poétique # 11

L'an dernier, Joël Bastard, poète contemporain, était en "résidence de poète" à Guingamp. Une envie de faire découvrir une poésie en prose proche du haïku....Un extrait de son recueil "Au dire des pas" (2003)



Les nuits d'été, il y a comme un bruit d'eau à l'intérieur des arbres. Comme un transfert de fraîcheur qui profiterait de l'obscurité pour passer d'un instant à l'autre.

(photographe: moi)

Les compagnons de voyage de Celsmoon sont ici .

mercredi 27 janvier 2010

Nouvel an à la japonaise

Ce mercredi est le dernier du mois de janvier, aussi en profitai-je pour présenter le dernier, du moins il me semble, album de La famille souris "La famille souris prépare le nouvel an" de Kazuo Iwamura.
La nouvelle année pointe son nez, c'est l'effervescence chez notre célèbre famille souris: ce matin, on confectionne les gâteaux de riz du Nouvel An!! Tout le monde est préposé à une tâche et s'en réjouit d'avance.
On suit pas à pas les préparatifs et les rituels pour installer le mortier à riz qui pilera les grains pour en faire de la pâte. La recette est détaillée, étape par étape, et met l'eau à la bouche. Le déroulement est scandé par les facéties des enfants, la douceur de grand-mère, le sourire de grand-père, le sérieux des garçons et la tendresse qui émane de ces moments privilégiés que sont les tâches rituelles vécues ensemble.
L'auteur sait mettre en scène les liens intergénérationnels et familiaux avec tendresse et délicatesse, comme à son habitude, ainsi qu'un moment important dans la culture japonaise: la préparation et la confection des gâteaux de riz pour fêter la nouvelle année. Les oiseaux sont les spectateurs attentifs de cette agitation gaie et délicieusement bruyante, et mettent de la couleur dans cette atmosphère particulière qu'est l'attente de la neige.
La journée se déroule dans une ambiance de fête, de joie, entre la cuisson, le pilage du riz, que l'on broie, concasse avec un énorme pilon, le pétrissage et la mise en boules de la pâte de riz. Puis on roule ces dernières dans une poudre de noisettes....avant de les déguster avec délice, récompense après une journée d'efforts joyeux.
Ce que j'aime dans les albums d'Iwamura, c'est la transmission des valeurs, le lien intergénérationnel très fort, essentiel pour aider à construire une jolie enfance, l'apprentissage des traditions ancestrales, qui aident à savoir qui on est et d'où on vient, pour permettre l'ouverture aux autres, le partage et la vie en communauté qui apprend l'entraide et la solidarité. Des valeurs qui se perdent un peu dans la tourmente, la spirale interminable du temps qui passe trop vite, et qu'il est nécessaire de ne pas oublier dans le tourbillon des jours.
"La famille souris prépare le nouvel an" est un album tendre, aux illustrations tendres et douces que l'on ne se lasse pas de regarder et sans cesse redécouvrir. Les enfants se font une joie de repérer les petits détails que l'on ne voit pas tout de suite et qui éclairent le texte: les illustrations sont une mine de détails dans lesquels on se fait une joie de déambuler et de se perdre.
Une fois encore une histoire à mettre entre toutes les mains!

Album traduit du japonais par Irène Schwartz




(2/24)


Quelques instants pour une cause


Il est des appels qu'il faut entendre: il est vrai qu'à côté du désastre haïtien, l'appel de Claude Bartelone pour sauver la culture du désengagement financier de l'Etat peut sembler superflu et bien insignifiant. Certes, mais nous ne devons pas oublier que moins d'aide financière rime avec baisse de l'offre culturelle départementale et régionale, ouvre un chemin vers l'installation de l'obscurantisme rampant (je sais, ce terme peut paraître outrancier mais j'assume!). Ce n'est pas parce que la culture audio-visuelle proposée est celle de TF1 qu'elle doit être généralisée! Ce n'est pas parce que ce type de culture est en tête de gondole qu'elle est unique et incontournable.
Il est des luttes qu'il faut continuer, coûte que coûte, même si parfois on a l'impression d'être les nouveaux Don Quichotte combattant les moulins à vents! Alors, si vous avez quelques instant à consacrer pour cette entité si chère à mon coeur et cruellement galvaudée en ces temps modernes, un petit clic pour une apporter sa pierre, modeste mais ô combien nécessaire, à l'édifice de la contestation:
clic!  



(Apollon et les neuf muses - Hendrick Van Balen)

dimanche 24 janvier 2010

Dimanche poétique # 10


Ce soir, Gérard de Nerval (1808-1855) est à l'honneur. Une envie de retrouver les années lycée....Nostalgie guette toujours au détour d'un après-midi ensoleillé!



El Desdichado

Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encore du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

(1853)
 
Les compagnons du voyage poétique de Celsmoon sont ICI 


("La Mélancolie" Albrecht Dürer

samedi 23 janvier 2010

Bestiaire oublié


J'ai lu, il y a longtemps, "Poil de carotte" et l'écriture de Jules Renard m'avait alors embarquée dans un univers où la nature est très présente. Renouant, grâce à Mariel, avec la lecture des classiques, c'est avec bonheur que je suis tombée, à la médiathèque, sur les "Histoires naturelles": près de soixante-dix animaux se voient croqués par un Jules Renard maniant, avec bonheur, l'humour et la poésie.
En quelques mots, il dresse un portrait-robot enjoué ou nostalgique de chaque animal, le parsemant de clins d'oeil et de douce ironie "Le geai: le sous-préfet aux champs." Il utilise les mots comme autant de pigments, de pixels dévoilant une image prise sur le vif: le lièvre au gîte, les perdrix affolées, le pinson invisible chanteur, se dévoilent sous la force évocatrice d'un mot finement choisi.
Le menu peuple des bois et des champs, les âmes discrètes des jardins, les figures emblématiques de la basse-cour ou du monde agricole, deviennent les héros d'un autre type de fables: héros d'histoires que la nature offre aux regards de celui qui sait patienter et observer...Il y a de La Fontaine en Jules Renard! Chez dame Nature, la parade et la péroraison sont aussi de mise, de même que les duels, les vaines batailles ou les délicieuses piques pourfendant de leur dard leur pauvre victime et les animaux sont parfois un tantinet sots.
Le souci permanent du détail est une joie apportée au lecteur avide de sensations poétiques et de surprenantes esquisses: les animaux défilent au gré de la promenade du chasseur d'images qu'est Jules Renard, sous les yeux parfois humides du lecteur ému et étreint par l'empathie de l'auteur.
Le bal de la faune et de la flore se déroule joyeusement, avec la tendresse nostalgique d'une enfance en harmonie avec la nature et les délicieux frissons qu'elle dispense.

Un recueil de textes qui restent d'une étonnante modernité: à lire et conter même aux jeunes enfants!
Ravel a mis en musique le bestiaire de Renard: ICI  et  LA  , entre autre!
Il existe des versions, joliment illustrées, pour les enfants: clic!  et re-clic! 

"Le Hanneton
Un bourgeon tardif s'ouvre et s'envole du marronnier.
Plus lourd que l'air, à peine dirigeable, têtu et ronchonnant, il arrive tout de même au but, avec ses ailes en chocolat." (p 109)
"Les coquelicots
Ils éclatent dans les blés, comme une armée de petits soldats; mais d'un bien plus beau rouge, ils sont inoffensifs.
Leur épée, c'est un épi.
c'est le vent qui les fait courir, et chaque coquelicot s'attarde, quand il veut, au bord du sillon, avec le bleuet, sa payse." (p 139)


(2/12)

mercredi 20 janvier 2010

Quand Perrault inspire Ayano Imai

Il était une fois un chat qui avait pour compagnon un pauvre cordonnier. Les temps étaient difficiles, les commandes se raréfiaient à mesure que les clients ne poussaient plus la porte de l'échoppe. Arriva ce qui devait arriver: l'ultime boîte de conserve fut ouverte et partagée, la faim et le dénuement extrême ne tarderaient pas à étreindre leur coeur, et le cordonnier devrait bientôt chercher un autre travail. Si ce dernier était résigné, il n'en était rien pour son chat qui, vaillamment, partit en quête de nouveaux clients, chaussé d'une splendide paire de bottes de cuir rouge, création de son maître. Il parvint un jour devant un château dont le propriétaire était un terrible, méchant et "horrifique" ogre! Comme beaucoup d'ogres, celui-ci était riche, faisait peur et avait un pouvoir magique! En effet, on chuchotait qu'il pouvait se transformer en toutes sortes d'animaux. Très vite une idée germa dans la tête, bien rusée, de notre ami le Chat Botté de rouge! Ni une ni deux, celui-ci se présenta chez l'ogre pour lui vanter non seulement ses immenses mérites de "transformer" mais encore ceux de son maître le cordonnier qui pouvait chausser dignement un grand seigneur tel que l'ogre! La vanité du personnage ne put résister aux louanges cauteleuses de notre félin botté de rouge: l'ogre commanda une belle paire de bottes rouge! Quelques jours plus tard, notre chat apporta le fruit du travail du cordonnier, à la grande joie de l'ogre qui se prit à penser qu'il aurait besoin autant de paire de bottes que de transformations animalières! Notre chat de rouge botté vint régulièrement au château apporter une paire de bottes, prendre les mesures d'un autre et lorsque vint le moment de payer son dû, l'ogre, malgré ses richesses, rechigna à ouvrir sa bourse! Un tantinet exaspéré, le chat décida d'en finir une bonne fois pour toute: il élabora un plan pour se débarrasser définitivement de l'ogre avare. Il demanda à son maître de fabriquer une paire de bottes très spéciales: très petites, minuscules même, dans un cuir extraordinairement souple et beau....il s'en pourléchait les babines d'avance! L'ogre disparut de la circulation, au grand soulagement de tous, le cordonnier et son chat investirent le château et y ouvrirent une belle échoppe dans la vitrine de laquelle trônait, parmi d'autres paires plus délirantes et belles les unes que les autres, une minuscule paire de bottes qui aurait chaussé comme un gant une petite souris!
Vous aurez reconnu le superbe conte de Perrault "Le chat botté" dans cette histoire de chat chaussé de bottes rouge.
Le texte est amusant, dans l'ambiance du conte originel, et les illustrations sont de très belle facture: les couleurs et les traits de crayon sont empreints de douceur, de poésie. Le chat, sans jeu de mot, est à croquer, les paires de bottes donnent envie de les mettre aux pieds, les attitudes et les mimiques du chat plus vraies que nature (notamment lors de l'ultime transformation de l'ogre, on jurerait que le chat louche, et au moment où le chat conclut l'infortune de l'ogre!).
"Le chat botté de rouge" est un album qui revisite agréablement et très joliment le conte de Perrault et on appréciera les jolies et douces illustrations, dans les tons roses et rouge, d'Ayano Imai.

Album traduit du japonais par Julie Duteil

L'avis de Typhania 



(1/24)

Littérature jeunesse


Info glanée sur le forum Livraddict: le challenge des lectures d'école.
Si vous aimez la littérature jeunesse ou si vous aimeriez la découvrir, c'est possible grâce à ce challenge qui puise les pistes de lecture dans la sélection de la vénérable institution qu'est l'Education Nationale. Cette dernière, en 2007, avait édité une liste exhaustive de titres dits "essentiels" pour que les élèves puissent se construire une culture littéraire digne de ce nom du cycle 1 (Maternelle) au cycle 3 (Elémentaire). Cette initiative pouvait sembler incongrue mais elle fut loin d'être inutile! En effet, les critères mis en avant sont bien ciblés: la qualité littéraire des oeuvres/l'accessibilité des textes/équilibre entre ouvrages patrimoniaux (littérature classique) et oeuvres récentes/disponibilité des titres/diversité des auteurs, illustrateurs et éditeurs.
Le challenge pioche seulement dans les "essentiels" du cycle 3 qui comprennent six genres: la BD, les albums, les contes et fables, la poésie, les romans et les pièces de théâtre.
Pour participer, il suffit de lire, en 2010, 4 titres choisis au moins dans 3 genres différents, et de publier une chronique sur son blog.
Moi qui souhaite cette année sortir des albums jeunesse (Maternelle), voilà une tentation bien difficile à ignorer!!!
Une liste bien pourvue est donnée ICI  et la génèse du projet est à lire LA !

Ma sélection:

"Journal d'un chat assassin" de Anne Fine (roman)
"Mange-moi" de Nathalie Papin (théâtre)
"La reine des fourmis a disparu" de Frédéric Bernard (album)
"Yoko Tsuno: le trio de l'étrange" de Roger Leloup (BD)

mardi 19 janvier 2010

Art's connection


Yuan Zhao est un célèbre dissident chinois, artiste peintre réputé pour ses performances illégales dans l'East Village à Pékin. Ayant été remarqué par le professeur Harry Lin, il est invité à se rendre à Los Angelès dans le cadre d'une bourse universitaire afin de faire connaître ses oeuvres au public américain et réaliser un projet artistique. Il est hébergé dans une famille bourgeoise-bohême, les Travers, et se voit offrir un poste de professeur d'art au célèbre collège pour filles de St-Anselm's. Tout semble être au mieux dans le meilleur des mondes possibles: entre les attentions puériles autant que touchantes de la maîtresse de maison, Cece Travers, les ronchonneries de son époux, les frasques du beau-frère, la crise d'adolescence du fils et l'insouciance de la fille, Yuan s'évertue à se faire oublier et observe tout ce petit monde avec une bonhommie un tantinet ironique.

Yuan Zhao perçoit très rapidement les infimes fissures qui lézardent l'apparente harmonie familiale: Cece tente, avec l'énergie du désespoir, de masquer le désarroi dans lequelle elle se trouve devant l'indifférence de son époux qui lui préfère la généalogie; elle se démène pour percer les âffres de l'adolescence de son fils, aux portes de la dépression et au goût marqué pour les expériences interdites, et remarque combien sa fille s'approche de l'âge adulte. Comment Cece parviendra-t-elle à sortir du labyrinthe compliqué du tissu familial qui lentement s'éffiloche et surtout, comment réussira-t-elle à gérer l'apparition, inattendue dans ce paysage, de son beau-frère, dramaturge en pleine crise existentielle et toujours épris d'elle? Son côté "desperate housewife" semble la desservir et pourtant, on ne peut s'empêcher d'éprouver de la tendresse pour ce personnage, papillon prisonnier d'une toile d'araignée: elle n'est plus amoureuse de son mari, elle est trop mère poule, elle se heurte à l'indifférence des siens, sans baisser les bras et, surtout, sans se déconnecter du monde sensible, représenté par son hôte chinois.

Quant au dissident chinois, Yuan Zhao, le fil de l'histoire sème les graines du doute quant à sa véritable identité: pourquoi craint-il tellement d'être en présence du fameux professeur Harry Lin? Est-il réellement celui qu'il paraît être? Les pistes se mélangent et embrouillent les idées, les bribes de solutions portés par la jeune June et ses performances, sortant des sentiers battus, titillent la curiosité et les interrogations.

Par petites touches, Nell Freudenberger, dresse un portrait amusant de la bonne société bourgeoise aisée et intellectuelle californienne: l'engouement pour tout ce qui touche à l'exotisme de l'étranger, une certaine naïveté dans les bons sentiments et surtout une relative incompréhension, malgré toute la bonne volonté du monde, de ce qui n'appartient pas à la micro-société dans laquelle elle évolue. Cette société qui vit toujours à cent à l'heure, qui s'enthousiasme pour quelque chose ou quelqu'un à la vitesse de la lumière et l'oublie tout aussi rapidement...un mode de vie à l'opposé de la vie chinoise, bercée par les siècles d'une longue tradition et lentement secouée par les prémices d'une évolution radicale.

La structure narrative à deux voix du roman transporte le lecteur entre Pékin et Los Angelès, l'emmène au coeur de la créativité bouillonnante des artistes contemporains chinois, bravant les interdits et les convenances pour le triomphe de l'expression artistique. En compagnie des souvenirs de Yuan Zhao, on suit les cheminements, parfois underground, des performers chinois, on participe aux déjeuners du mercredi où les artistes parlent d'art et de ce qui n'est pas de l'art, où la question de la propriété intellectuelle d'une performance est latente mais pas définie: une fois photographiée, pour en garder trace, à qui appartient-elle? A l'artiste performer ou au photographe? L'immersion dans les appartements, glauques de l'East Village, est comme entrer dans l'euphorie créatrice des artistes et regarder, avec intensité, leurs tableaux vivants.

"Le dissident chinois" est un roman qui se laisse lire avec plaisir, qui embarque le lecteur au coeur d'un exil intérieur et dans un voyage inattendu dans l'art contemporain chinois ainsi que dans les gestes répétés à l'infini, imitateurs des grands classiques. On ne peut que se laisser entraîner dans les paysages du rouleau "Lui Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai", copié et laissé en guise d'ultime message par Yuan Zhao à Cece.

Roman traduit de l'anglais (USA) par Clément Baude










(7/7)


Un grand merci à BOB et aux éditions du Quai Voltaire pour ce très joli moment de lecture!

Les avis de biblio   ulike.net  lili galipette   Yv   keisha   armande 

 
"Lui Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai"

dimanche 17 janvier 2010

Dimanche poétique # 9




(photographe: moi )

Les rayons du soleil éclairent de temps à autre ce dimanche d'hiver. Une tourterelle a même chanté une partie de la matinée, réchauffée par la chaude lumière dont nous fûmes sevrés la semaine dernière. Il y a comme un étrange air de printemps: un papillon voletait contre le carreau...du coup, un poème de Jules Renard, extrait de "Histoires naturelles" m'a semblé approprié:

Le papillon

Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur.

Les compagnons de voyage de Celsmoon et leurs poèmes sont ICI

samedi 16 janvier 2010

Connais-toi toi-même


Hiroshi Nakatana retourne en train pour Tokyo: il a 48 ans et sort d'un copieux et alcoolisé repas d'affaire, rien d'anormal, rien d'étrange pour cet homme qui s'apprête à retrouver sa famille, seulement un mal de crâne qu'il met sur le compte de l'alcool. Lorsqu'il arrive à la gare, curieusement il se trompe de train sans le savoir: le voilà à destination de sa ville natale! Hiroshi prend son mal en patience et accepte son inattendu crochet vers son enfance. Une fois parvenu à destination, en attendant de prendre le chemin du retour, il décide de se rendre au cimetière où est inhumée sa mère; devant la stèle, il éprouve d'étranges sensations, s'évanouit et lorsqu'il reprend connaissance une surprenante situation l'attend! C'est avec incrédulité qu'il se rend compte que le temps s'est mis à rebours: entre frayeur et étonnement, Hiroshi se retrouve l'année de ses 14 ans, juste avant la rentrée des classes. Commence alors une autre adolescence pour ce dernier: à la fin de l'été de ses 14 ans, son père disparut sans laisser de trace, laissant la charge familiale à son épouse. Pourquoi ce père a-t-il quitté le foyer où il semblait heureux? Et s'il profitait de ce retour dans le passé, pour tenter de comprendre ce qu'il s'est réellement passé, et surtout essayer d'empêcher l'inexplicable disparition paternelle?! Hiroshi revit d'un autre regard, avec sa maturité de la cinquantaine proche, cette période délicate de son existence: plus rien ne lui pèse au lycée, il a de très bonnes notes, il est à l'aise dans ce corps qui lui donne une impression de légèreté et de dynamisme, le sport n'est plus un pensum et surtout, il est remarqué par la plus jolie fille de la classe, la douce et timide Tomoko, et une douce idylle prend sa source dans le passé revisité. Et si les imperceptibles changements provoqués par le retour d'Hiroshi influaient son présent et transformaient son futur? Une peur distille ses interrogations et amène Hiroshi à se retourner sur sa vie de cinquantenaire....d'autant qu'au cours d'un rêve, il est témoin d'une conversation entre son épouse et ses filles, apprenant brusquement l'envie de son aînée de quitter le giron familial pour s'installer avec son amoureux. Et si ce retour dans le passé lui faisait perdre ce trésor? Comme il est facile de rester à côté de sa famille sans vraiment la connaître, sans vraiment s'y mêler! Hiroshi s'aperçoit qu'il reproduit, dans sa vie adulte, une partie de l'attitude de son père: il est perçu comme distant, inquiétant, un père auquel on n'ose rien dire d'intime, un étranger... presque. Comme il est troublant de se réveiller dans un corps de 14 ans avec l'âme d'un homme mûr: on sait comment les évolutions de la société se sont faites....l'ouverture du Japon à l'étranger, l'émancipation des femmes, la modernisation fulgurante du pays, l'urbanisation galopante et la fuite en avant des uns et des autres dans un quotidien qui n'existe que par le travail. Certes, le retour d'Hiroshi au coeur de son adolescence, ne semble rien déranger hormis sa perception des choses et ses proches qui lui trouvent une maturité inattendue autant que bienvenue, mais il sème quelques graines parmi ses condisciples du lycée. Cependant, même si cette maturité ne sert pas son objectif ultime, elle lui permet de comprendre le pourquoi du départ de son père: les scènes de l'attente à la gare et de la séparation sont un grand moment de tension et de délivrance, entre poésie et violence des sentiments. Le quai de la gare est comme le symbole d'une méditation sur l'essence de la vie, l'essence de ses aspirations et de ses espoirs, une quête qui provoque la souffrance des êtres chers sans pouvoir être éludée. Ce quai qui ouvre et ferme le récit, un lieu où l'on se quitte, se croise, se retrouve ou on ne se trouve pas. Les rails du temps et du destin, droits et pourtant si souvent aléatoires et inattendus, emportent les rêves et les souvenirs tout en ramenant vers le présent que l'on a oublié de regarder comme un objet précieux.

"Quartier lointain" est un petit bijou de poésie, de tendresse, de nostalgie, une promenade dans l'univers fantastique d'une machine à remonter le temps: le noir et blanc souligne avec justesse cette ambiance et revisite avec précision et délicatesse presque cinquante ans de l'histoire nippone du XXème siècle. Les thèmes récurrent chez Jiro Tanigushi sillonnent la quête de Hiroshi: l'attachement familial, la nostalgie de l'enfance mais aussi l'importance des beautés de la nature (Hiroshi, à l'aune de sa quarantaine finissante, s'approprie les jardins du lycée, les senteurs des jardins, les mille et un petits riens qui font un paysage). Le lecteur est transporté au coeur d'un Japon encore traditionnel dans lequel couve une modernisation et une libéralisation des moeurs et grapille avec délection les morceaux de vie quotidienne, où l'intemporalité et l'universalité affleurent, croqués par l'auteur.

Roman graphique adapté par Frédéric Boilet





mardi 12 janvier 2010

Bonnes résolutions 2010


Janvier n'est pas terminé, aussi, le temps des bonnes résolutions est-il toujours de mise.
J'ai été joyeusement taguée par Catherine (j'ai terminé mon challenge mais pas mes chroniques, désolée!) et c'est avec plaisir que je relève le défi des 3 bonnes résolutions que je ne tiendrai pas en 2010!!!
1. Etre en adéquation avec le rythme de mes lectures et présenter en heure et temps mes chroniques: j'ai du mal à ne pas être dépassée par la limite des 24h dans une journée...ceci explique la naissance d'une nouvelle pile, celle des Chroniques en souffrance (PCS)!
2. Rester raisonnable lors des emprunts à la médiathèque et ne plus avoir les yeux plus grands que le ventre: c'est fou comme la médiathèque peut être un lieu de débauche....que fait la police!
3. Ne plus me laisser influencer par les Parfumés: ces vils tentateurs sont à éviter comme la Grippe A, sinon, c'est l'enfer de la lecture qui vous happe!
...et bien entendu...demain j'arrête d'augmenter ma PAL (parole de LCA)!

Je tague Pascal  Marie et Keltia  .... s'ils le souhaitent.

lundi 11 janvier 2010

Bad Boys made in Corée



Gwanmoon, Jang Bang et Yubin, trois lycéens, voient leur vie basculer lorsqu'ils rencontrent Aram, étrange et mystérieuse lycéenne aux pouvoirs de divination: ils seraient la réincarnation de trois grands guerriers de l'an 184, guerriers valeureux qui luttèrent contre les massacres des populations sans défense...ils s'appelaient Yubi, Gwanwoo et Yangbi et se sont juré une fidélité éternelle. Certes, ils ne purent réunifier la Chine mais leur bravoure sans égal en fit des figures de héros légendaires.

Nos trois adolescents voient leur destin se croiser et à leur suite, le lecteur entre dans l'univers très particulier des bandes de lycéens où règnent discipline et honneur sous la houlette de chefs prêts à tout pour conserver leur aura. Entre courses poursuites à moto, combats organisés dans des friches industrielles, séjours à l'hôpital et cours sagement suivis au lycée, se joue un jeu dangereux au coeur des rivalités jusqu'au jour où arrive un élément perturbateur, déclencheur de rixes et de sang versé: un bel adolescent revient en Corée pour tenter de se venger des avanies et injures subies au lycée. Est-il un des ennemis des trois anciens guerriers? Le combat venu du fond des âges a-t-il, à nouveau, sonné?
On croit entrer dans une histoire dans laquelle modernité et légende vont s'imbriquer et il n'en est rien! Très vite, j'ai été désarçonnée par la tournure des évènements: bagarres à répétition faisant penser à une version ado de "Fight Club", taux de testostérone élevé, gros mots et insultes à gogo, engloutissent le récit dans le glauque.
Les combats seraient-ils un exutoire au mal-être des jeunes héros du manhwa auxquels une jeunesse, déboussolée par la société adulte contemporaine, pourrait s'identifier? Se battre, se vautrer dans la violence, serait-ce un étrange jeu pour expulser tensions et peurs, pour avoir l'impression d'exister? Derrière le récit des querelles entre "bandes" de lycéens, émerge une esquisse de la société moderne: la violence des actes et des paroles, l'insoumission aux contingences du réel en se lançant dans des courses folles de moto, la marchandisation des êtres, l'utilisation cruelle de la concupiscence (la scène où est évoquée l'obtention crapuleuse des bonnes notes en piégeant un professeur) ou l'absence de toute limite.
Est-ce parce que j'ai lu cette série avec mon regard d'adulte que j'ai été choquée par la violence exprimée dans les dessins et le vocabulaire utilisé? Ou, est-ce simplement dû à un décalage culturel? Non seulement j'ai trouvé l'histoire sans queue ni tête mais encore l'alternance des dessins réalistes et décalés m'a profondément déplu, une irrégularité dans les traits inhabituelle et dérangeante pour une néophyte comme moi.
"Eternity" est loin de m'avoir charmée et est loin de posséder les qualités graphique et narrative de "Monster"....les deux séries ne jouant pas dans la même cour et encore moins sur le même registre. Une lecture qui peut être évitée et que j'oublierai très vite!

Manhwa traduit du coréen par Pyun Nam Suk


dimanche 10 janvier 2010

Dimanche poétique # 8


La neige qui poudroie et le froid qui "gerçoie" (oui j'ai osé le néologisme mal venu!) m'ont donné l'envie de parcourir le recueil "Alcools" de Guillaume Appolinaire. J'ai choisi "Nuit rhénane", non seulement parce que j'aime beaucoup la langueur sombre du Rhin, mais aussi parce que j'aime la chaleur des vins dorés des côteaux rhénans!

Nuit rhénane

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Ecoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourrir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire


Burg Sooneck am Rhein
(Photo de Merlin Rossbach)

Les compagnons de voyage des dimanches poétiques de Celsmoon sont ICI  

samedi 9 janvier 2010

Vous avez dit changement climatique?

C'est suffisamment rare pour que ce soit noté: la neige en Bretagne désorganise tout....surtout avec plus de 10 cm de neige sur les routes et chemins! Pas de bonhomme de neige dans mon jardin, mais je n'ai pu résister, sur la route (pédestre) vers le supermarché, à l'envie de mitrailler (à tort et à travers parfois) le paysage insolite des bords du Trieux:


au bout du chemin...c'est le Trieux

vendredi 8 janvier 2010

L'homme de Rio


Sarah Bernhardt, en 1886, est en tournée, triomphale, en Amérique du Sud: sa première étape est brésilienne. Elle se produit à Rio de Janeiro, où le Stadivarius "Le chant du cygne" de la belle et jeune baronne Maria Luisa de Albuquerque a été volé, au grand dam de l'empereur Dom Pedro qui le lui avait offert! Cette délicate affaire embarrasse sa majesté qui ne voudrait pas contrarier l'impératrice et encore moins voir sa vie intime étalée dans les journaux. Lorsque la divine Sarah apprend cela, elle conseille vivement à Dom Pedro de faire appel à son vieil ami....Sherlock Holmes en personne: le célébrissime détective résoudra, en moins de temps qu'il faut pour le dire, cette épineuse affaire.
A peine arrivé, flanqué du fidèle Watson, Holmes se lance à la recherche du Stradivarius et s'intègre, naturellement, à la joyeuse société des intellectuels et artistes de Rio, noctambules et fêtards invétérés. Cependant, Holmes, tout en enquêtant sur le vol, se trouve confronté à d'autres évènements plus sanglants: deux meurtres ont eu lieu, perpétrés sur de très jeunes femmes, avec comme points communs, une langue tranchée et une corde d'instrument de musique entortillée sur leur intimité. Le commissaire Mello Pimenta se demande quel meurtrier pervers a pu commettre de telles horreurs et sollicite l'aide de notre détective londonien.
Entre les joyeux drilles de la bande de la Confrérie des Fainéants, les vapeurs ronchonnes de Watson (qui ne s'acclimate vraiment pas!), les sollicitations érotiques d'une jeune métisse qui lui fait tourner la tête au point d'en presque perdre sa virginité légendaire, Sherlock expérimente les volutes apaisantes du cannabis, plus luxuriantes que le fog de Londres, les soirées mondaines au cours desquelles il joute musicalement au violon, et lance non seulement la mode des costumes blancs sous les tropiques, mais encore invente un cocktail ainsi qu'un nouveau concept en criminologie...celui du serial killer!
Jô Soares s'en donne à coeur joie avec cette enquête très spéciale de Sherlock Holmes: il explore l'univers des aventures de notre célèbre détective avec la facétie du pastiche où Holmes est souvent très proche du ridicule hilarant....surtout lorsqu'il se lance dans ses déductions imparables qui tombent à chaque fois à côté (c'est qu'il devient un peu myope notre héros à casquette et pipe!). Jô Soares dresse un portrait amusant de la bonne société brésilienne, largement francophile, charmée par la venue d'une célébrissime actrice, qui s'exprime, l'air de rien, en alexandrins comme si elle était en éternelle représentation; promène son lecteur au coeur d'une cité grouillante et agitée où les étudiants enthousiastes étalent leurs manteaux et capes en guise de tapis pour la Divine Sarah, une ville pittoresque avec ses fontaines, sa vie nocturne, sa librairie polyglotte,"L'antre d'Aphrodite", pourvoyeuse des dernières parutions européennes, délices des intellectuels, éternels exilés mais solidement ancrés dans le sol brésiliens, ses clubs de musique classique et ses cafés où les bohêmes peuvent grignoter à toute heure. On déambule, le soir, après une représentation ovationnée de la Divine, dans les ruelles calmes où rôde, invisible et inquiétante, l'ombre du tueur en série, l'assassin aux couteaux et aux cordes de violon....parce que ces cordes sont celles d'un violon qui pourrait être le fameux Chant du cygne, disparu. L'assassin serait-il mélomane? En effet, le soir de chaque crime, une musique ténue s'envole vers les toits!
Sous la plume de Soares, Sherlock Holmes prend une dimension humaine: il commet des erreurs, il est attiré par les représentantes du beau sexe (ce qui est fort rare dans les récits de Sir Conan Doyle), il est affecté par de vulgaires inconvénients tels que les maux de ventre ou la myopie. Bref, ce n'est plus une icône intouchable, d'ailleurs le "serial killer" met le doigt sur sa fatuité et son incapacité à trouver la signification des indices laissés sur le lieu de chaque crime, mais un homme ordinaire et touchant. Quant au docteur Watson, malgré son séjour aux Indes, ne supporte pas le climat brésilien et l'auteur en dresse un portrait caricatural: celui d'un européen, anglais, qui ne parle que sa langue et semble étonné, voire choqué, que le reste du monde ne le comprenne pas! Watson est grognon, ne fait aucun effort pour s'intéresser à son environnement, passe son temps à avoir peur d'attraper microbes et maladies, reste toujours en dehors des conversations et est affublé, en plus de son mortel ennui, d'une capacité à être grugé et moqué qui prête à rire.
"Elémentaire, ma chère Sarah!" est un roman sympathique, agréable à lire, amusant par le contexte particulier dans lequel l'auteur fait évoluer les deux célébrités, de fiction et réelle, de cette fin du XIXè siècle, Sarah Bernhardt et Sherlock Holmes. Par la même occasion, Jô Soares apporte sa pierre au sujet de l'identité possible d'une autre célébrité de l'époque....Jack l'Eventreur!


Roman traduit du portugais (Brésil) par François Rosso




Les avis de ptitesouris

Je remercie BOB et Le Livre de Poche pour ce séjour inattendu à Rio de Janeiro!

jeudi 7 janvier 2010

Grâce aux Gounjous

Un moment d'infinie douceur et de rêverie en cherchant parmi des extraits d'oeuvres musicales, dont celle de Johann Pachelbel, les Gounjous Gourmand et Farceur, je suis tombée en arrêt sur le Canon In D. Majeur....je craque pour la musique baroque et je souhaite partager avec vous ce pur moment de bonheur....6 minutes que vous ne regretterez pas!


NB: "A la recherche des Gounjous" est un outil pédagogique d'éveil musical extraordinaire qui fonctionne à merveille auprès des élèves et cela dès 3 ans!!!!

mercredi 6 janvier 2010

Magie des contes


Chaque été, Nathanaël et sa famille vont passer leurs vacances chez Tante Eléonore, dans une vieille maison en bord de mer. Là, c'est le paradis: Eléonore non seulement lit des histoires aux enfants et ça, Nathanaël adore, mais aussi possède une pièce interdite qu'elle ferme à double tour.
Cet été, la vieille maison est vide à leur arrivée: seul le chat est là pour les accueillir car Tante Eléonore est partie au "pays d'où on ne revient pas". Qui racontera des histoires à Nathanaël? Angélique sa soeur? Certainement pas, elle n'y croit plus aux contes depuis longtemps et puis, elle réussit toujours à être rabatjoie!
Un soir, les parents de Nathanaël apprennent aux enfants qu'Eléonore leur a légué à chacun un objet: une poupée russe (Aaahhh la magie du mystère des Matriochkas!) pour Angélique et la clef de la pièce interdite pour Nathanaël! Enfin, il va connaître ce qui se cache derrière cette porte....c'est une immense bibliothèque, remplie de vieux livres, remplie d'histoires à raconter...une caverne au trésor....seulement, Nathanaël ne sait pas bien lire par manque de confiance en lui: les lettres dansent devant ses yeux à chaque fois qu'il veut se lancer!
Au cours de la nuit, une tempête se lève se transformant en ouragan qui malmène sans relâche et sans pitié la vieille maison. Au petit matin, cette dernière est toujours debout mais bien mal en point: les réparations seront au-dessus des moyens de la famille, aussi, Nathanaël est-il prêt à se séparer des livres d'Eléonore puisqu'elle n'est plus là pour le bercer avec des histoires!
C'est alors que Nathanaël se retrouve confronté à un petit peuple bien inattendu: celui des contes et des histoires que Tante Eléonore lui lisait. Il apprend qu'il est le successeur choisi par Eléonore et pour être intrônisé dans ses nouvelles fonctions, il doit lire à haute et intelligible voix la phrase écrite sur le mur: "Ce n'est pas parce que c'est inventé que ça  n'existe pas". Le pauvre Nathanaël est bien ennuyé, la pression monte car s'il ne lit pas cette phrase, le peuple des contes disparaîtra. Bien entendu, une fois encore les lettres se mélangent et dansent devant ses yeux: Carabosse le réduit à la taille des personnages et commence alors une belle course-poursuite, en compagnie de l'Ogre, d'Alice et du Lapin Blanc, pour récupérer les livres et surtout sauver le peuple des contes et légendes!
"Kerity et la maison des contes" est un film d'animation, sorti sur les écrans le 16 décembre dernier (il n'a pas encore été programmé dans ma ville), mais aussi un bel album accompagné de son CD. Les illustrations sont superbes et d'une tendresse émouvante, servies par le doigté ineffable de Rebecca Dautremer.  C'est aussi une belle histoire d'amour entre un petit garçon, aux portes de la lecture, et les livres, ces trésors de mots qui emportent les enfants de monde au coeur des rêves les plus extraordinaires. Comme dans les contes, le jeune héros est confronté à sa faiblesse, apparente, doit, au prix d'une quête et d'affrontements contre des méchants, sauver un royaume en détresse, et parvient à rétablir l'équilibre du monde en allant jusqu'au bout de lui-même et en prenant confiance en lui.
Une sublime histoire pour faire rêver encore et encore!

Un immense merci à mon ami Marc qui connaît mon faible pour ce genre d'histoire et les albums jeunesse!

Un avis bien alléchant (au sujet du film) ICI 
Un florilège de bandes-annonce LA


mardi 5 janvier 2010

La mécanique de l'absurde


Meursault est un petit employé et vit à Alger. Sa vie se résume à son travail, quelques baignades, quelques aventures féminines, ses repas chez Céleste, son appartement et la monotonie. Fils unique, il vivait avec sa mère jusqu'à ce qu'il la place dans un asile de vieillards, à Marengo, installant une routine chaque dimanche. Lorsqu'il apprend son décès, c'est en automate qu'il sollicite un congé auprès de son patron, qu'il achète son billet pour le voyage en car et qu'il endosse une tenue de deuil. La veillée se déroule comme s'il en était absent, comme s'il était étranger à ce qui l'entoure, il accepte le café proposé par le concierge, il fume quelques cigarettes, presque sans un regard pour sa mère.

Après la mise en terre sous un soleil de plomb, Meursault reprend le chemin d'Alger, le sentier de son quotidien atone, gris et immuable. La vie continue, terne, écrite dès le réveil, identique au jour précédent jusqu'à ce qu'il rencontre Marie, une jeune femme pétillante, prête à croquer la vie, puis Raymond, un homme brutal que l'on dit un peu maquereau. Un dimanche après-midi, la longue et interminable suite identique des jours bascule sur une plage surchauffée par le soleil: les balles d'un révolver bouleversent à jamais le cours du fleuve qui semblait si tranquille.
Meursault est arrêté, accusé de meurtre et emprisonné en attendant son procès. Il apparaît comme étant hors des évènements, comme si ces derniers ne le concernaient pas, comme si ce n'était pas lui l'accusé. Il évolue dans un halo de brouillard: tout est diffus, confus, rien n'est tranché, ça peut être tout et son contraire, l'indifférence happe Meursault, l'enveloppe, l'habille dans une torpeur inexplicable. Tout "lui est égal", au grand désarroi des personnes qui l'approchent; peu à peu le rouleau compresseur de la justice broie les ultimes espérances d'un Meursault de plus en plus en dehors du temps, les moindres détails, insignifiants et encore moins extraordinaires, prennent des allures de faute originelle.


"L'étranger" est un roman dont le héros glace le lecteur par son indifférence, par sa vision désabusée des valeurs de l'homme social: on sent que Meursault est loin de se faire des illusions sur la marche du monde tout en remarquant qu'il ne souhaite pas sortir de son impasse car pour lui la vie ne semble avoir aucun sens, aucun but. Le lecteur le suit pas à pas, gorgé de situations déprimantes jusqu'à en être écoeuré, se laissant envahir par le sentiment de l'absurde. Meursault étranger à lui-même, étranger en raison de son comportement étrange que l'on ne saisit pas d'emblée (on ne sait rien de son environnement intime), et parce qu'il ne ressemble pas aux autres hommes car il ne subit pas son existence sans se poser de questions: derrière son apparente distance, il met en avant une certaine condition humaine, assujettie aux contingences sociales, politiques, économiques ou culturelles. Ainsi, croque-t-il, l'air de rien, la promenade dominicale des familles à l'habillement codifié et connoté (bien ancré dans le monde que rejette, implicitement, le héros Meursault), la place de la justice et de la religion (les scènes du procès où son attitude lors de la veillée mortuaire est décortiquée presque cliniquement: il lui est plus reproché d'avoir abandonné sa mère que d'avoir tué un arabe! L'absurde et le paradoxe sautillent au coeur du roman).
La lecture de "L'étranger" laisse une sensation unique: le mariage de la glace et du feu, soufflé et distillé au lecteur désarçonné puis hypotisé par les méandres de l'absurde que peut exhaler une existence mécanique et routinière. Une lecture qui a suscité chez moi les mêmes émotions qu'il y a plus de vingt-cinq ans....est-ce sans doute dans ceci que réside la force de la littérature!?



 Les avis de fancy    critique-livre  

lundi 4 janvier 2010

Albert Camus


Il y a cinquante ans, le 4 janvier  1960, une voiture et un arbre s'enlaçaient dans une mortelle étreinte pour le conducteur: les Parques en avaient décidé du destin d'un célèbre écrivain, il s'appelait Albert Camus.
Pour commémorer la mémoire de cet écrivain hors du commun, j'ai choisi de relire "L'étranger". En attendant de lire mon billet de demain, je vous propose un passage du roman qui m'a fait frémir comme lorsque j'étais lycéenne

"Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. je lui ai même dit: "Ce n'est pas ma faute." Il n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
J'ai pris l'autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J'ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m'a dit: "On n'a qu'une mère." Quand je suis parti, ils m'ont accompagné à la porte. J'étais un peu étourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.
J'ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c'est à cause de tout cela sans doute, ajoutés aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J'ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j'étais tassé contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demandé si je venais de loin. J'ai dit "oui" pour n'avoir plus à parler."
Ce passage est la scène d'ouverture du roman, où Meursault apparaît tel qu'il est...indifférent, prêt à prendre conscience de l'absurde... un incipit qui m'étreint toujours autant la gorge, après toutes ces années.

Merci à Denis pour cette journée d'hommage.