Sarah Bernhardt, en 1886, est en tournée, triomphale, en Amérique du Sud: sa première étape est brésilienne. Elle se produit à Rio de Janeiro, où le Stadivarius "Le chant du cygne" de la belle et jeune baronne Maria Luisa de Albuquerque a été volé, au grand dam de l'empereur Dom Pedro qui le lui avait offert! Cette délicate affaire embarrasse sa majesté qui ne voudrait pas contrarier l'impératrice et encore moins voir sa vie intime étalée dans les journaux. Lorsque la divine Sarah apprend cela, elle conseille vivement à Dom Pedro de faire appel à son vieil ami....Sherlock Holmes en personne: le célébrissime détective résoudra, en moins de temps qu'il faut pour le dire, cette épineuse affaire.
A peine arrivé, flanqué du fidèle Watson, Holmes se lance à la recherche du Stradivarius et s'intègre, naturellement, à la joyeuse société des intellectuels et artistes de Rio, noctambules et fêtards invétérés. Cependant, Holmes, tout en enquêtant sur le vol, se trouve confronté à d'autres évènements plus sanglants: deux meurtres ont eu lieu, perpétrés sur de très jeunes femmes, avec comme points communs, une langue tranchée et une corde d'instrument de musique entortillée sur leur intimité. Le commissaire Mello Pimenta se demande quel meurtrier pervers a pu commettre de telles horreurs et sollicite l'aide de notre détective londonien.
Entre les joyeux drilles de la bande de la Confrérie des Fainéants, les vapeurs ronchonnes de Watson (qui ne s'acclimate vraiment pas!), les sollicitations érotiques d'une jeune métisse qui lui fait tourner la tête au point d'en presque perdre sa virginité légendaire, Sherlock expérimente les volutes apaisantes du cannabis, plus luxuriantes que le fog de Londres, les soirées mondaines au cours desquelles il joute musicalement au violon, et lance non seulement la mode des costumes blancs sous les tropiques, mais encore invente un cocktail ainsi qu'un nouveau concept en criminologie...celui du serial killer!
Jô Soares s'en donne à coeur joie avec cette enquête très spéciale de Sherlock Holmes: il explore l'univers des aventures de notre célèbre détective avec la facétie du pastiche où Holmes est souvent très proche du ridicule hilarant....surtout lorsqu'il se lance dans ses déductions imparables qui tombent à chaque fois à côté (c'est qu'il devient un peu myope notre héros à casquette et pipe!). Jô Soares dresse un portrait amusant de la bonne société brésilienne, largement francophile, charmée par la venue d'une célébrissime actrice, qui s'exprime, l'air de rien, en alexandrins comme si elle était en éternelle représentation; promène son lecteur au coeur d'une cité grouillante et agitée où les étudiants enthousiastes étalent leurs manteaux et capes en guise de tapis pour la Divine Sarah, une ville pittoresque avec ses fontaines, sa vie nocturne, sa librairie polyglotte,"L'antre d'Aphrodite", pourvoyeuse des dernières parutions européennes, délices des intellectuels, éternels exilés mais solidement ancrés dans le sol brésiliens, ses clubs de musique classique et ses cafés où les bohêmes peuvent grignoter à toute heure. On déambule, le soir, après une représentation ovationnée de la Divine, dans les ruelles calmes où rôde, invisible et inquiétante, l'ombre du tueur en série, l'assassin aux couteaux et aux cordes de violon....parce que ces cordes sont celles d'un violon qui pourrait être le fameux Chant du cygne, disparu. L'assassin serait-il mélomane? En effet, le soir de chaque crime, une musique ténue s'envole vers les toits!
Sous la plume de Soares, Sherlock Holmes prend une dimension humaine: il commet des erreurs, il est attiré par les représentantes du beau sexe (ce qui est fort rare dans les récits de Sir Conan Doyle), il est affecté par de vulgaires inconvénients tels que les maux de ventre ou la myopie. Bref, ce n'est plus une icône intouchable, d'ailleurs le "serial killer" met le doigt sur sa fatuité et son incapacité à trouver la signification des indices laissés sur le lieu de chaque crime, mais un homme ordinaire et touchant. Quant au docteur Watson, malgré son séjour aux Indes, ne supporte pas le climat brésilien et l'auteur en dresse un portrait caricatural: celui d'un européen, anglais, qui ne parle que sa langue et semble étonné, voire choqué, que le reste du monde ne le comprenne pas! Watson est grognon, ne fait aucun effort pour s'intéresser à son environnement, passe son temps à avoir peur d'attraper microbes et maladies, reste toujours en dehors des conversations et est affublé, en plus de son mortel ennui, d'une capacité à être grugé et moqué qui prête à rire.
"Elémentaire, ma chère Sarah!" est un roman sympathique, agréable à lire, amusant par le contexte particulier dans lequel l'auteur fait évoluer les deux célébrités, de fiction et réelle, de cette fin du XIXè siècle, Sarah Bernhardt et Sherlock Holmes. Par la même occasion, Jô Soares apporte sa pierre au sujet de l'identité possible d'une autre célébrité de l'époque....Jack l'Eventreur!
Roman traduit du portugais (Brésil) par François Rosso