Depuis le temps que ce titre me faisait de l'oeil sur les blogs! Dès qu'il s'est trouvé sur le présentoir des nouveautés à la médiathèque, je me suis précipitée dessus: enfin, je le tenais!
Et me voilà très vite plongée et conquise par l'écriture simple mais efficace de Milena Agus.
Elle nous transporte en Sardaigne, pendant la guerre, dans l'univers rude et frustre des petits paysans. Dans une société rurale traditionnelle, le célibat des filles est mal vécu par la famille. C'est ce qui arrive à la grand-mère de la narratrice: vieille fille malgré son extraordinaire beauté. Pourquoi? En raison de son étrange caractère, caractère enflammé et sans retenue? En raison de son comportement violent envers elle-même (elle s'automutile et a des tendances suicidaires)? En raison de ses élans romantiques expansifs vers les prétendants qui lui plaisent (elle leur écrit des lettres d'amour enflammées et inconvenantes!)? Sans doute pour tout cela.
Cette jeune femme est seule parmi les siens, incomprise et elle se mure dans une folie, parfois douce, parfois violente, qui la met hors du monde. Elle a des facilités pour apprendre, mais ses parents n'ont pas voulu qu'elle continue l'école: dans leur monde, cela ne se fait pas. Alors, la jeune fille, puis la jeune femme, écrit en cachette sur un carnet ce qu'elle ressent.
Un jour, arrive au village un citadin qui a tout perdu dans un bombardement: famille et femme. Il est accueilli sous le toit de la jeune femme et de sa famille, très vite il comprend la situation de cette jeune femme et la demande en mariage. Ce mariage ne sera pas un mariage d'amour, on le sait dès le départ. Ce mariage sera-t-il capable de briser la spirale infernale du malheur?
Le temps passe, elle est enceinte plusieurs fois mais dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme. On parle de « Mal de pierres », de malédiction: il lui manquerait le petit quelque chose qui permet d'être pleinement mère. En désespoir de cause, elle va suivre une cure sur le Continent, cure pendant laquelle elle rencontrera Le Rescapé, homme brisé par la guerre, mélomane et cultivé. Ils auront une liaison amoureuse qui fera découvrir à cette femme les douceurs de la tendresse partagée. Au retour du séjour thermal, elle est de nouveau enceinte et cette grossesse ira à son terme. Ce sera la seule et unique fois.
Le personnage principal, cette grand-mère particulière – qui écrit, dessine et peint avec art, s'estompe souvent devant les personnages secondaires qui s'avèrent être des touches essentielles du récit. Le grand-père, amateur de prestations de maison close, à la fois dur, froid et d'une tendresse muette que ne comprend que trop tard son épouse. Le fils, qui deviendra pianiste de renom, solitaire, rêveur, « à côté de la plaque » comme l'était sa mère. Les tantes et les oncles qui partent sur le Continent, mirage de Terre Promise, à Milan où la vie est difficile pour les Italiens du Sud, immigrés dans leur propre pays. La maison détruite puis reconstruite, berceau de la narratrice, berceau des émotions. Le Rescapé, cet homme qui restera dans la mémoire de la grand-mère, qui est peut-être le père du père de la narratrice...allez savoir! Cet homme qui est le contraire du grand-père: il aime la tendresse, il aime les discussions, il aime l'art, il aime ce qui indiffère le grand-père.
Mais il y a aussi, en un sensuel filigrane, le récit de la vie amoureuse des grands-parents: les jeux de maison close pendant lesquels, la grand-mère, villageoise tout en tradition, se plie à tous les désirs de son époux (la geisha, la collégienne, la méchante, la soubrette...). Ces multiples évocations sont de vraies scènes surréalistes pour le lecteur et parfois il se demande où commence et où s'arrête la réalité.
Le dénouement renforce ce doute: fantasmes écrits par la grand-mère, rêves épicés de la folie de ses sentiments? On croit connaître ses proches or il s'avère souvent qu'il n'en est rien. Peut-être en va-t-il de même pour la narratrice: les souvenirs narrés et écrits de sa grand-mère ne seraient que des espoirs, des souhaits enfouis au plus profond de son être fantasque.
Un roman aux accents japonais: les petits riens de la vie sont doucement abordés et sont les piliers de la vie qui s'écoule, lentement et inexorablement. Le « sentiment profond des choses » teinté de tristesse, de mélancolie devant l'éphémère beauté de la nature ou de la vie humaine. Une famille doit trouver son équilibre: si elle est en déséquilibre, un de ses membres devient celui par qui la sérénité revient pour que le cycle reprenne son cours. La grand-mère est-elle cet élément régulateur?
Je me plais à le croire.
D'autres avis glanés sur les blogs: gachucha, les fanas de livres, tamara, lilly, chimère, clarabel, cuné, laure, papillon, cathe et goelen....histoire de vous faire une idée de ce petit bijou transalpin!
Roman traduit de l'italien par Dominique Vittoz