samedi 30 juillet 2022

L'invitation à la vie conjugale


 

Frileux vis à vis du mariage s'abstenir.... quoique.


C'est l'histoire de plusieurs couples, des vieux et des plus jeunes. Ils se connaissent, se côtoient, s'apprécient plus ou moins. Il y a aussi un célibataire à graviter autour d'eux, Ralph Cotterman dont l'art consiste à tomber amoureux de femmes mariées. Il y a la campagne anglaise, la ville d'Oxford et son université. Il y a la mer et les aquarelles de Rosie. Il y a la nuit propice à l'observation des blaireaux. Il y a des couples perdus dans leurs habitudes. Il y a la vie qui s'écoule, pas forcément dans le sens que l'on souhaiterait.

Le temps fait des ravages, l'ennui conjugal aussi.

Question primordiale issue du triste constat précédent: quel est le secret, quelle est l'alchimie, pour qu'un couple fonctionne ?


Frances Farthingoe s'ennuie dans son manoir, sombre et isolé, au point que seule l'organisation d'une fête peut la sortir de son désespoir et lui redonner de l'énergie pour combler le vide de sa vie.

Rachel Arkwright, agaçante aux yeux de son mari, Thomas, ne pense qu'à une seule chose, depuis que ses enfants volent de leurs propres ailes, rejoindre le cocon douillet de son lit afin d'y dormir tout son soûl.

Mary Lutchins se torture en imaginant la vie de Bill, son époux, si elle partait la première, elle s'inquiète tant qu'elle porte un fardeau, invisible mais si lourd qu'elle en oublie les petits riens délicieux de la vie.

Ursula Knox, épouse de Thomas, professeur, et chercheur, d'économie à Oxford, déteste une seule chose : la vie à Oxford, ville laide et triste à ses yeux, elle qui ne rêve que d'installation à la campagne, loin de tout.


Frances et son mari Toby n'ont plus rien à se dire depuis longtemps, comme Rachel et Thomas. Alors que Mary et Bill sont unis dans leur amour pour la nature ou qu'Ursula et Martin affichent un bonheur conjugal insolent tant ils paraissent être sur la même longueur d'onde.

Qu'est-ce que le bonheur conjugal ? Partager les mêmes passions ? Apprendre l'un de l'autre tout au long d'une vie ? S'habituer aux petites manies de l'autre au fil du temps ? Etre toujours dans l'exaltation de l'amour ? Ou accepter de renoncer à une complicité remplie de tendresse ?

Chaque personnage, sous la plume d'Angela Huth, est un des mondes mystérieux qui font qu'un couple est un couple, même si la courtoisie et le respect ont pris le relais d'une tendresse amoureuse.

Thomas Arkwright peut paraître, d'emblée, détestable en étant d'une froideur à la limite du mépris envers Rachel. Pourtant, au fil du roman, il est délesté de son horripilante envie de séduire les jeunesses grâce à la rencontre avec Rosie Cotterman, une artiste peintre dont il collectionne les tableaux. Il est face à lui-même, face à son néant, face à son désir contrarié de devenir peintre.

Quant à Toby, il s'est réfugié dans l'étude des blaireaux pour ne plus penser au béguin que son épouse, Frances, éprouve pour Ralph qui ne ressent plus rien pour elle. La nuit, en pleine forêt, seul, il attend la sortie des blaireaux, planches de salut pour continuer à avancer.

Et Ralph ? Il court après l'impossible : Ursula qui ne le trouve que simplement sympathique bien qu'un peu pot de colle.


Angela Hunt peint la vie de ses personnages pendant plusieurs mois, ces mois qui s'écouleront entre la réception de l'invitation à la soirée organisée par Frances et le jour J. Les menus faits sont décortiqués, déroulés, scrutés sans aucune malveillance, sans acrimonie. Ils apportent leur lot de petits bonheurs ou de pénibles déceptions. L'écriture de l'auteure est si joliment ciselée, son observation tellement fine, que l'on ne s'ennuie à aucun moment. On les accompagne, on apprend à les apprécier malgré leurs défauts et on finit par constater que ce que peint la plume de l'auteure est le cœur de la vie ordinaire de gens ordinaires. Vie qui, finalement, n'est pas aussi ennuyeuse que cela. Certainement parce que Angela Hunt sait apporter, avec subtilité, de la poésie dans le quotidien de ses personnages auxquels on peut s'identifier sans difficulté. Ils ne furent pas moi, ils furent quelques parcelles de vie.


« L'invitation à la vie conjugale » est un roman qui montre de manière subtile qu'il est important de rester soi quand on vit à deux : cultiver un jardin secret est essentiel même si on autorise son partenaire à en partager quelques bribes. Etre soi pour pouvoir vivre à deux, une réponse apportée pour mener une vie conjugale harmonieuse.

Traduit de l'anglais par Christiane Armandet et Anne Bruneau


Quelques avis :

Babelio  Charlotte  Mumu  Sens critique  Critiques libres

Merci aux éditions de la Table ronde et au Mois anglais 2020 pour cette très belle lecture offerte.

Lu dans le cadre

    



vendredi 29 juillet 2022

L'intimité

 

Quatrième de couverture :

« Alexandre et Ada forment un couple heureux et s’apprêtent à accueillir un enfant. À l’heure de partir à la maternité, Ada confie son premier-né à leur voisine Sandra, une célibataire qui a décidé de longue date qu’elle ne serait pas mère. Après cette soirée décisive, la libraire féministe garde un attachement indéfectible au jeune garçon et à sa famille. Quelques années plus tard, sur un site de rencontres, Alexandre fait la connaissance d’Alba, enseignante qui l’impressionne par sa beauté lisse et sa volonté de fer… »



Alexandre est heureux avec Ada, il le serait encore plus si Ada portait son enfant, à lui. Alors qu'Ada ne semble pas enthousiaste à l'idée de devenir de nouveau mère, elle cède à l'insistance de son compagnon. La grossesse se déroule parfaitement, le départ pour la maternité une simple formalité.

Or, Ada a comme un mauvais pressentiment qu'elle tente de taire. Tout devrait bien se passer … sauf que … Ada fera partie de l'infime nombre, encore trop élevé, des femmes décédant lors de leur accouchement, entre cinquante et cent femmes par an. Alexandre revient seul de la maternité avec un nourrisson dans les bras, sa fille, son enfant tant désiré. Sophie grandit sans mère, entourée par Sandra, la voisine devenue amie intime, et son père devenu un « papa poule ».

Les mois passent, la solitude d'Alexandre le conduit, avec les encouragements de Sandra, à s'inscrire sur un site de rencontres. Après quelques soirées sans conséquence, Alexandre rencontre Alba, une brillante professeure de lettres, célibataire, attachée à son indépendance jusqu'au jour où son père lui fait comprendre qu'être seule ne mène à rien.

Alexandre et Alba se plaisent, aiment prendre leur temps au point que le premier respecte le désir de la seconde de ne pas « consommer » leur relation trop vite.

Alba fait partie d'un courant de pensée affirmant que le sexe n'est pas indispensable pour vivre une vie de couple épanouie. Aussi, quand Alexandre souhaite un enfant avec elle, Alba cherchera toutes les échappatoires possibles pour éviter de concrétiser l'envie masculine. Un terrain d'entente est trouvé, après moult négociations : la gestation pour autrui par une mère porteuse. Mais où la trouver ? Un site internet conduit Alba chez une avocate spécialisée dans ce domaine juridique, Maître Caroline Marchand.


« L'intimité » d'Alice Ferney est le roman de la féminité ou exactement des féminités auxquelles peuvent être confrontés les hommes, mais aussi celui du rapport à la maternité que peuvent entretenir les femmes.

Le roman est construit autour de Sandra, la libraire féministe, célibataire par conviction et sans enfant par choix, d'Alexandre, veuf éploré tentant de reconstruire une cellule familiale pour sa fille Sophie, et Alba, femme intransigeante avec ses principes.

L'autrice explore les différentes façons de devenir mère, d'accepter sa féminité, de la faire vivre ou d'y renoncer. Alice Ferney ne porte aucun jugement sur les actes de ses personnages et encore moins sur leurs choix : elle instaure, plutôt, un dialogue philosophique entre le lecteur et les personnages. Les réflexions émises au cours du roman concourent à montrer combien notre société actuelle repousse, sans cesse, les limites de la nature. Elles soulignent, également, les questions autour des limites de l'éthique pour satisfaire la demande d'un bonheur individuel et familial. J'ai été très touchée par les scènes avec l'avocate et les arguments en faveur, et en défaveur, de la gestation pour autrui. L'ombre tenace des intérêts économiques de certaines entreprises, méprisant bien-être, bienveillance et respect de l'autre, plane sans cesse dès la moitié du roman. Je n'ai pu m'empêcher de penser au roman d'anticipation d'Aldous Huxley « Le meilleur des mondes » soulevant le problème éthique et philosophique de la procréation artificielle. A trop repousser les limites de Dame Nature, l'Humanité n'est-elle pas en passe de paver l'Enfer avec les meilleures intentions du monde ? L'ombre de Nietzsche plane également : à vouloir choisir le mieux, le meilleur, ne s'éloigne-t-on pas de ce qui construit l'homme ? Atteindre la perfection pour égaler le divin n'est-il pas mortifère ? Que reste-t-il d'humain en soi quand les frontières entre possible et impossible sont de plus en plus ténues ? Que reste-t-il de l'intimité féminine, du pouvoir de donner la vie grâce à son corps ? J'avoue que la lecture de « L'intimité » m'a conduite à me poser toutes ces questions, parfois l'émotion se disputait à l'effarement … mais n'est-ce pas ce que l'on demande aux auteurs, savoir bousculer les idées reçues, faire bouger les lignes et provoquer interrogations et réflexions ?

« L'intimité » est un roman qui aurait pu explorer, ausculter encore plus profondément cet aspect de notre société moderne. Ce qui est certain : les problématiques abordées ont eu le mérite de l'être et ouvrent d'autres pistes à suivre car le sujet est tellement vaste qu'il ne peut être traité en un seul roman.

Le roman est servi par la plume délicate, subtile et merveilleuse d'Alice Ferney.


Quelques avis :

Babelio  Carobookine Sens critique

Lu dans le cadre

  



lundi 25 juillet 2022

Vingt mille lieues sous les mers

 


En ce beau mois de juillet, les « classiques, c'est fantastique » ont pour thème le grand large. Aussi, ai-je opté pour l'exploration des grands fonds sous marins en compagnie du mythique Capitaine Némo.


« Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne est un immense roman d'aventure, que j'ai trop négligé à l'adolescence, époque où lire cet auteur m'ennuyait profondément.

Il relate les aventures de trois naufragés, le professeur Aronnax, son fidèle serviteur Conseil et un chasseur de baleine canadien Ned Land, recueillis par le mystérieux Capitaine Némo, propriétaire et inventeur d'un sous-marin extraordinaire, le Nautilus, très en avance sur les technologies de l'époque (Jules Verne écrit ce roman entre 1869 et 1870).

Commence alors un périple merveilleux au fond des océans et mers du globe.


Tout cela n'aurait pas eu lieu si depuis 1866, l'apparition régulière d'une bête monstrueuse n'avait pas défrayé les chroniques partout en Europe et aux Etats-Unis. Ce sera à qui harponnera et mettra hors de nuire le monstre marin. Ce dernier provoque de nombreux naufrages et la colère des armateurs comme des compagnies d'assurance menaçant d'augmenter leurs taux devant la menace terrifiante en Atlantique.

Les Etats-Unis décident d'affréter une frégate, moderne et bien armée, pour poursuivre et tuer le monstre. Aronnax, revenant d'une expédition scientifique dans l'ouest américain, reçoit une lettre du ministère de la Marine afin qu'il rejoigne l'expédition et ainsi représenter la France. Le médecin et professeur au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, ne peut refuser l'offre et s'engage allègrement dans l'aventure aux côtés de son serviteur, l'imperturbable Conseil, grand classificateur des espèces marines.

Lorsque la rencontre entre le supposé nerval géant et la frégate Abraham Lincoln a lieu, Aronnax, Conseil et Ned Land se retrouvent dans les flots, sans possibilité de rejoindre la frégate. C'est Ned qui hèle les deux autres, épuisés par leur nage chaotique, depuis un étrange support en fer. Ce support s'avère être le Nautilus où nos naufragés feront un très long séjour.


Tout est étrange, mystérieux et extraordinaire à bord du Nautilus agencé comme une luxueux appartement, doté des dernières nouveautés et alimenté par la fée électricité. La langue utilisée par le Capitaine Némo et ses hommes est un idiome inconnu des trois naufragés, cependant Némo peut s'exprimer aussi bien en français, en anglais, en allemand qu'en latin.

Alors que Aronnax est subjugué par les technologies utilisées à bord et la possibilité d'observer les mondes sous marins, Ned Land ne pense qu'à s'échapper pour rejoindre la terre ferme et retrouver les siens. Il en est d'autant plus obsédé que Némo, dès leurs premiers échanges, est explicite : « Vous êtes venus surprendre un secret que nul homme au monde ne doit pénétrer, le secret de toute mon existence ! Et vous croyez que je vais vous renvoyer sur cette terre qui ne doit plus me connaître ! Jamais ! En vous retenant, ce n’est pas vous que je garde, c’est moi-même ! » (Chapitre X) Tout au long du roman, le narrateur, Aronnax, se demande si jamais il reverra un jour son bureau au Muséum. Il s'interroge, également, sur ce qui a pu pousser le Capitaine Némo à se retrancher de la vie parmi les hommes : une absence de reconnaissance de ses compétences et savoirs d'ingénieur et de savant ? Un terrible malheur personnel ? Ce n'est qu'à la fin qu'Aronnax aura un élément de réponse, la partie émergée de l'iceberg.


Au cours de leur expédition au fond des mers, Némo offre à Aronnax et ses compagnons, le spectacle époustouflant de la diversité biologique, des profondeurs apaisantes. Il leur offre des parties de chasse dans les forêts sous marines grâce à des scaphandres de haute technologie, encore inconnue. Il leur permet de découvrir des trésors engloutis, des espaces inimaginables tel que celui offert par un volcan sous marin dont le cratère émergé a vu une faune et une flore investir ses profondeurs. Il emmène Aronnax et Conseil découvrir le continent disparu, l'Atlantide : le mythe rejoint la réalité romanesque pour le plus grand plaisir du lecteur. Ce qui est jubilatoire, c'est que tout se tient, comme si Jules Verne avait eu la prescience des progrès fulgutants de la technologie.

Le Nautilus, piloté par Némo, fait une escale au pôle sud, que ce dernier découvre réellement, embarque ses passagers dans un passage, presque secret ?, entre la Mer Rouge et la Mer Méditerranée, un canal de Suez naturel, il les fait naviguer au cœur des « fleuves marins » tel que le Gulf Stream, véritables climatiseurs de la planète.

Némo fait l'apologie des richesses marines lui permettant de ne plus avoir à utiliser les produits de la terre : nourriture, vêtements, ustensiles divers proviennent des éléments sous marins.

Lors des observations réalisées par Aronnax, le lecteur est transporté dans un élan pour l'écologie : les fonds marins sont aussi les poumons de la planète qu'il est important de protéger. D'ailleurs, à plusieurs reprises, Jules Verne, par le truchement du narrateur, souligne combien les richesses marines peuvent être fragilisées par la cupidité des hommes.... Verne est-il un visionnaire ? Bien qu'il n'ait jamais quitté la France, il connaît bien la nature humaine ce qui lui permet d'émettre ses suppositions.


« Vingt mille lieues sous les mers » est, je l'ai écrit plus haut, un roman d'aventure palpitant agrémenté de passages pédagogiques sur les classifications de la flore et de la faune des mondes marins du globe. Il ne faut pas se laisser décourager par les descriptions techniques et scientifiques, elles ont leur intérêt et leur parfum d'aventure.

Le récit est servi par de très belles gravures et par quelques cartes établies par Jules Verne lui-même.


Une fois encore, Jules Verne m'a emportée dans un monde pittoresque et extraordinaire dans lequel les merveilles s'allient avec maestria aux mythes et légendes avec lesquels l'humanité s'est façonnée.

Le « deus ex machina » final est absolument génial : la fuite en chaloupe dans les eaux nordiques alors qu'un maëlstrom sévit, dantesque. Nos trois naufragés se retrouvent saufs sur une île des Lofoten. Quant au Nautilus (et son équipage) il disparaît sans laisser de trace. Le mystère demeure malgré quelques indices... ce qui donne envie de mettre le cap sur une certaine « Ile mystérieuse ».


Quelques avis :

Babelio Futura sciences Radio France Critiques libres Hélène

Lu dans le cadre


(616 pages)

mardi 19 juillet 2022

Madame la Colonelle

 


Pour la première fois j'ai ouvert un recueil de nouvelles de William Somerset Maugham, le plus francophile des écrivains anglais. J'ai choisi de lire le recueil intitulé « Madame la Colonelle » doté de vingt-quatre nouvelles toutes plus réjouissantes les unes que les autres.

C'est tout un univers pittoresque que nous propose l'auteur, écrivain voyageur s'il en est, lui qui a parcourut le monde pour assouvir sa soif de curiosité.

La nouvelle d'ouverture, éponyme du recueil, m'a entraînée à la suite de l'épouse d'un colonel, blasée de tout sauf de l'écriture. Le colonel voit cela d'un œil goguenard voire condescendant, lui qui ne prise absolument pas le monde de la culture, jusqu'au jour où un roman de son épouse est édité. La vie domestique du colonel bascule dans l'incroyable car le roman révèle une longue liaison de sa femme avec un homme plus jeune.

Il aura fallu la publication du roman en vers pour qu'il ouvre les yeux sur la personne de son épouse : elle a des idées, des envies, des émotions, elle est un être humain doté d'une richesse intérieure extraordinaire.

En quelques pages, Maugham griffe l'institution du mariage ainsi que la propension des maris à ne pas voir leurs épouses. Evie Peregrine en sort la tête haute, magnifique femme dans la plénitude de l'âge tandis que l'époux en sera réduit à célébrer les qualités créatrices d'Evie, histoire de ne pas sombrer plus profondément dans le ridicule.


Avec cette nouvelle, le ton est donné. Maugham au cours des vingt-trois nouvelles suivantes investit l'univers immuable de la campagne anglaise et l'ambiance particulière de la vie des Anglais à travers l'Empire, notamment en Inde et Malaisie.

Les personnages sont hauts en couleurs, pittoresques, les lieux sont empreints de la fin programmée des empires occidentaux, ils reflètent une époque conjuguée bientôt au passé au même titre que l'art de vivre colonial.

Chaque nouvelle a son lot de parvenus, de déprimés, de corrompus, de femmes suivant les lubies ou la tyrannie de leur époux. L'auteur lance ses piques à l'encontre du puritanisme, de la morgue anglaise qui se refuse à connaître les mœurs, coutumes et cultures des pays sous domination anglaise alors qu'il y a tant à recevoir de l'autre.

Il peint les passions des hommes avec une finesse d'observation extraordinaire, aussi ai-je lu lentement ce recueil afin de déguster chaque nouvelle dont la saveur est à chaque fois particulière.

Maugham ne fait pas dans le riant, les fins heureuses sont rarissimes mais quel art de la pique, quel art de la description du microcosme colonial où tout le monde épie son voisin, commente ses faits et gestes …. la vie étant si ennuyeuse malgré le cadre exotique. Le tout est servi par un humour dévastateur ce qui rend quelques nouvelles amusantes.


« Madame la Colonelle » est un régal à lire, je ne me suis absolument pas ennuyée bien au contraire : les voyages en Malaisie, les promenades dans la jungle bruissante et inquiétante, le suivi des exploitations de caoutchouc, les révoltes brisant les carrières les plus prometteuses, ont été autant de voyages appréciés.

Je ne peux qu'inviter à ouvrir un recueil de nouvelles de l'auteur pour entrer dans un monde délicieusement peint, avec un brin d'insolence, dans toute sa diversité.


Traduit par Jean-Claude Amalric, Joseph Dobrinsky et Jacky Martin


Quelques avis :

Babelio Sens critique

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samedi 16 juillet 2022

Bal tragique à Windsor

 


2016, Elizabeth II d'Angleterre s'apprête à fêter ses 90 ans et à accueillir le couple Obama à Windsor.

Lors d'un bal organisé au château, un pianiste russe est découvert, pendu et presque nu, dans la penderie de sa chambre. C'est le choc pour le petit monde de Windsor.

L'enquête est rapidement ouverte et les enquêteurs sont très vite amenés à soupçonner le personnel de la Reine d'être impliqué dans le meurtre. Mais la Reine est loin d'en être aussi certaine car quand on sert à Windsor the Crown of England, quand on sert la Couronne, on est fidèle et sans tache.

Elizabeth, aidée de ses deux secrétaires privés, mènera une enquête parallèle en faisant appel à de vieilles amitiés tout en ayant la grâce et l'intelligence de faire profiter l'enquêteur en chef de ses trouvailles... c'est qu'il est primordial qu'on ne se doute de rien.


Après la première enquête « cosy mystery » de Madame Merkel, jeune retraitée, écrite par l'auteur allemand David Safier, S.J Bennett met en scène la Reine d'Angleterre dans un roman plaisant, bien écrit, à l'intrigue intéressante et prenante.

En lisant « Bal tragique à Windsor », je revivais certaines anecdotes de la série, excellente, « The Crown » : le personnage de la Reine est à l'aune de ce qu'on peut appréhender en regardant les divers reportages consacrés à Elizabeth II, un sang-froid incroyable, un certain humour, le sens de la justice et du bien du Royaume, la capacité de fédérer ses serviteurs, proches ou éloignés, une intelligence plus fine qu'elle ne laisse paraître... une main de fer dans un gant de velours. Une petite et vieille dame digne que rien n'étonne.

Dans le roman, la Reine partage ses réflexions et ses pistes de recherches avec sagacité et doigté : elle ne doit pas interférer dans les affaires d'état, quelles qu'elles soient, et ne peut exposer ses idées que par des chemins détournés très subtils. La grande classe !! C'est Rozie Oshodi , sa jeune secrétaire particulière adjointe, d'origine nigériane et au passé militaire, qui se retrouve en charge de l'enquête royale.


J'ai suivi les tribulations de Rozie dans le dédale du sac de nœuds auquel elle, et la Couronne, est confrontée. Tout est feutré, tout est extrêmement bien documenté, la passion des chevaux et des corgis, la complicité avec le Prince Philip, le seul à pouvoir la bousculer et la chahuter un peu, le charme discret de cette vieille dame auprès de ses proches collaborateur et du personnel dans son ensemble.

Il n'y a pas de moquerie ou de critique, ce n'est pas le lieu ni le but poursuivi. L'autrice montre ainsi que la Reine, à presque 70 ans de règne, connaît on ne peut mieux la nature humaine et a su aiguiser son esprit au fil des années et acquérir un sens politique plus que maîtrisé.


« Bal tragique à Windsor » est un cosy mystery sans la touche fantaisiste qui caractérise le genre. Cependant on ne boude pas son plaisir et on en redemande.

Ah... ne pas oublier la tasse de thé et les petits gâteaux anglais.

Traduit de l'anglais par Mickey Gaboriaud


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Babelio  Bepolar  Livraddict  Critiques libres  Tours et culture Sens critique  Irène

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mardi 12 juillet 2022

Emma

 


Je n'avais pas lu de roman de Jane Austen depuis longtemps, une des thématique du Mois anglais 2022 concernait cette autrice, ni une ni deux j'ai ouvert « Emma » et ce pour mon plus grand bonheur.

« Emma » relate l'histoire d'une jeune héritière qui entre tentation du célibat et envie de devenir une marieuse avisée se rend compte que tout n'est pas aussi simple que cela. On retrouve les thèmes récurrents de Jane Austen abordés de manière différente puisque l'héroïne, que son père adore, n'a pas besoin d'absolument de se marier pour conserver son héritage. Emma se délecte du rôle d'entremetteuse qu'elle s'est allouée pour faire et défaire les couples dans le village d'Hightbury. Quoi de plus distrayant que d'arranger rencontres et naissance de sentiments amoureux pour une jeune fille oisive ?

Emma est, dit-on, une des héroïnes les plus complexes créées par Jane Austen ce que je veux bien croire l'issue de ma lecture.

Emma Woodhouse est adorable et agaçante quand elle fonce, tête baissée, pour faire le bonheur des autres malgré eux, sans s'attarder à connaître leurs envies ce qui la rend un peu caricaturale. Sans compter que sa position sociale et sa joliesse font d'elle une jeune personne, loin d'avoir bonté, mesure et clairvoyance comme les habituelles héroïnes d'Austen, qui n'en fait qu'à sa tête, qui n'écoute personne et qui apparaît vaine et maladroite. Elle possède une assurance frisant l'autosatisfaction ce qui peut la rendre blessante envers les dames plus pauvres qu'elle.

Cependant, à sa décharge, elle affirme son indépendance, elle n'a cure de trouver un bon parti, avec conviction et maladresse. « Je n'ai aucune raison que les femmes ont normalement de se marier » assurant par là préférer le célibat à un mariage sans amour. Elle enfonce le clou en expliquant «Je ne crois pas que beaucoup de femmes mariées aient autant d'autorité dans la maison de leur mari que j'en ai, moi, à Hartfield. Et jamais, jamais vous m'entendez, jamais je ne pourrai espérer être aussi sincèrement aimée ni avoir autant d'importance aux yeux d'un autre homme que mon père. » Sauf que...elle sera prise à son propre piège.

Pour en revenir à son affirmation, Emma énonce un principe qui sera repris, plus tard par les féministes, celui de l'indépendance financière première condition de l'émancipation des femmes. Elle exprime également un certain pouvoir féminin, celui de ne pas se laisser dicter sa conduite par les hommes. En cela elle a un avantage : son père est en adoration devant elle et accède à tous ses caprices. D'un côté, elle supporte les humeurs hypocondriaques de son père.

Ce qui rend Emma différentes des héroïnes austeniennes c'est que malgré son incurable snobisme, son bavardage intempestif, son insensibilité envers le remue-ménage provoqué par ses lubies d'entremetteuse, cela ne relève pas d'une volonté perverse et calculatrice car Emma, sans être empathique, a bon cœur : elle sait se montrer souvent généreuse et accepte d'ouvrir les yeux sur ses erreurs et d'y remédier.

Emma agace, énerve au point que lorsqu'elle comprend de qui elle est amoureuse j'ai eu une réaction jubilatoire en constatant qu'elle devait se donner la peine d'être à l'écoute pour ne pas perdre son soupirant. Pourtant, tout au long du roman je n'ai jamais pu la détester car au final je l'ai bien aimée. Je n'ai pas insisté sur les personnages gravitant autour d'Emma, ils sont savoureux et à la hauteur de leur rôle. Chacun a sa place et permet d'éclairer le personnage d'Emma. C'est ce qui rend, à mon sens, le roman très réussi et très abouti.


« Emma » fut une lecture jubilatoire et délectable car l'histoire est servie, avec art, par la plume délicieusement ironique de Jane Austen qui accompagne le récit avec son humour et les piques glissées dans les répliques des personnages principaux et secondaires. Le tout servi par les superbes descriptions de la campagne anglaise du XIXè siècle.


NB : le film « Emma », paru en 2020, est excellent et ne gâche en rien le roman.


Traduit de l'anglais par François Laroque


Quelques avis :

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samedi 9 juillet 2022

Les recettes des dames de Fenley

 


1942, l'Angleterre subit le blocus et les bombardements allemands sur Londres. Les restrictions et la peur quotidienne sont le lot des Britanniques. Pour faire oublier les jours sombres et, ainsi, montrer au monde que l'Angleterre ne rompt pas, la BBC organise un concours de recettes à partir des tickets de rationnement. La gagnante obtiendra une place dans l'émission culinaire du célèbre animateur Ambrose Hart.

Le concours se déroulera en trois étapes, à Fenley où Ambrose Hart possède une demeure : entrée, plat de résistance et dessert.

Les concurrentes feront preuve d'ingéniosité et d'inventivité pour épater Ambrose et titiller ses papilles exigeantes.

L'autrice, Jennifer Ryan, s'appuie sur un fait réel, le concours culinaire organisé par la BBC, pour dresser non seulement un portrait vivant d'une campagne anglaise continuant à vivre malgré la guerre, mais surtout de très beaux portraits de femmes, combattantes de l'ombre devant leurs fourneaux.


Audrey Landon, veuve de guerre et mère de trois garçons. Son époux était bohème et artiste peintre, plus altruiste qu'homme d'affaires. Sa disparition, en mission avec la RAF, la laisse sans le sou et criblée de dettes, non loin de l'expulsion de sa maison. Elle emprunte alors de quoi rembourser à sa sœur qui la met en demeure de s'acquitter de l'emprunt. Audrey se lance dans la confection de tourtes aux légumes de son jardin pour alimenter la table de sa sœur et les restaurants environnants.


Lady Gwendoline Strickland, mariée à Sir Strickland, industriel spécialisé dans les boîtes de conserve pour le ravitaillement des soldats, propriétaire de plusieurs usines, homme d'affaires sans scrupule et sans considération pour sa femme qu'il rudoie et maltraite.

Lady Gwendoline est la sœur cadette d'Audrey qu'une rivalité datant de l'enfance éloigne depuis toujours. Elle apparaît sans cœur, sans empathie, sûre d'elle-même, armée de son statut social. De prime abord, elle est antipathique et détestable car prête à toutes les tricheries pour remporter le concours afin de ne pas décevoir son mari.


Nell Brown, aide cuisinière à Fenley hall, résidence des Strickland, est une jeune fille d'une timidité maladive aux doigts de fée quand elle cuisine sous le regard bienveillant de Madame Quince, la cuisinière dont la renommée s'étend dans toutes la région.

Poussée par sa mentor, elle s'inscrit au concours au grand dam de Lady Gwendoline qui escomptait sur l'aide de ses cuisinières.

Nell s'accrochera, dépassera crainte et timidité pour atteindre une meilleure estime de soi et rencontrer l'amour en la personne d'un prisonnier de guerre italien dont la famille tient un restaurant en Italie cisalpine.


Zelda Dupont, cheffe en second dans un grand restaurant londonien, le Dartington, a quitté Londres pour participer à l'effort de guerre, Middleton dans une des fabriques de pâté de Sir Strickland où elle occupe de poste de chef cuisinière de la cantine de ladite fabrique.

Elle a eu une liaison avec un chef dont elle attend un enfant, enfant qu'elle compte faire adopter dès la naissance.

En 1942, vouloir devenir chef dans un restaurant prestigieux est tout sauf un long fleuve tranquille pour une femme même talentueuse et au savoir-faire hors pair. La cuisine étoilée est une affaire d'homme non de femme : l'art culinaire ne peut être décliné au féminin.

Zelda a une très haute opinion d'elle-même et considère ses concurrentes comme de pauvres ménagères mal dégrossies... en résumé des ploucs campagnardes ou des bourgeoises en mal de reconnaissance.


Les hasards de la vie les feront se rencontrer en-dehors de la compétition. Peu à peu elles se rapprocheront en se connaissant mieux, en apprenant plus des unes des autres. Une amitié et un respect mutuel naîtront, les faisant grandir chacune à leur façon.

Jennifer Ryan montre combien survivre en temps de crise est difficile pour les femmes. Le veuvage et les dettes, un beau mariage sans amour avec un homme brutal, une vie au service d'autrui dans l'ombre d'une cuisine ou une grossesse hors mariage sont autant d'occasions pour aborder des sujets d'importance : comment faire son deuil et sortir la tête hors de l'eau, les relations conflictuelles au sein d'une sororité, la violence conjugale, la transmission d'un savoir-faire ou la condition des serviteurs auxquels les employeurs ne prêtent, parfois, que peu d'âme. Ou encore le sordide marché noir et les escroqueries financières.

C'est aussi l'occasion de souligner qu'après la Grande Guerre, les femmes gagnent de nouveaux combats pour leur indépendance et leur place au sein d'une société patriarcale qui les enferme dans des carcans dont elles se libèrent au fil des conflits mondiaux.


« Les recettes des dames de Fenley » est un roman délicieux à lire : les personnages féminins évoluent en bien, je n'ai même pas pu détester Lady Gwendoline dont l'attitude ne pouvait qu'être due à de profondes blessures, dès le début on ne peut que la plaindre.

L'humour est toujours présent et cela m'a rappelé le fameux roman « Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates » dont la lecture ne m'avait guère emballée à l'époque.

La cerise sur le gâteau : le libellé de chaque recette du concours culinaire. Je n'ai eu ni le courage ni le temps d'en réaliser quelques unes. Cependant j'en ai recopié quelques unes pour plus tard.

J'ai passé un excellent moment de lecture grâce aux dames de Fenley que j'ai beaucoup appréciées car elles m'ont émue.

Traduit de l'anglais par Françoise du Sorbier


Quelques avis :

Babelio  A livre ouvert

Lu dans le cadre