Les fantastiques (dessous) des classiques emmenaient les participants dans la lecture ou relecture de romans de John Steinbeck. J'ai choisi "Des souris et des hommes" illustré par Rebecca Dautremer.
C'est l'histoire de deux hommes, deux
amis d'enfance, pendant la grande Dépression qui fit suite au krach
boursier américain de 1929.
George Milton et Lennie Small vont de
ranchs en ranchs, louant leurs bras pour gagner quelques dollars.
George est aussi petit que Lennie est immense, le premier est
astucieux, malin, le second naïf et légèrement déficient
intellectuel ne sachant ni contrôler sa force ni son attirance
immodérée pour les « choses douces » (la fourrure des
petits animaux qu'il tue involontairement en les caressant de manière
trop appuyée).
Les paysages de Californie du nord se
déroulent au gré de leur marche. La vie pourrait s'écouler
paisiblement, à l'image de la Salinas serpentant dans la vallée,
leur rêve d'acquérir une petite exploitation agricole se
concrétiser si la panique de Lennie quand il fait des « bêtises »
ne leur portait pas préjudice, les contraignant à vider les lieux
pour sauver leur peau. Ainsi, ont-ils du déguerpir de Weed pour
éviter le lynchage parce que Lennie, en panique, s'est cramponné au
tissu doux de la jupe d'une jeune fille au lieu de le lâcher quand
elle se mit à crier. L'accusation de viol s'ensuivit et leur errance
reprit.
Un travail les attend dans un nouveau
ranch. Avant de s'y rendre, George et Lenny passent la nuit au bord
de la Salina. Autour du feu, George explique à Lenny qu'il devra
venir se réfugier ici s'il faisait une énorme bêtise … comme si
George savait qu'un malheur arrivera malgré toutes les précautions
prises. Dans la douce nuit d'été, il déroule leur espoir de
posséder, un jour, une ferme pour y vivre heureux comme des rois,
récoltant, enfin !, leurs propres moissons, élevant leurs
lapins dont s'occupera Lennie. Ce moment de grâce sonne comme un
glas, ténu et entêtant.
Dès qu'ils se présentent au ranch, le
danger rôde entre le fils du patron, Curley, ancien boxeur amateur
hargneux, car de petite taille, envers les hommes beaucoup plus
grands, et sa femme, fort jolie et attirante, qui ne cesse d'aguicher
les journaliers.
Les précautions mises en place par
George suffiront-elles à éviter que Lenny se laisse approcher par
la jeune épouse de Curley ? On le souhaite ardemment afin que
leur rêve commun se réalise.
« Des
souris et des hommes » de Steinbeck est un peu une courte suite
des « Raisins de la colère », un autre épisode de la
débâcle financière qui jeta sur les routes des millions de
personnes ruinées.
Ce
court roman se déroule comme une pièce de théâtre en cinq actes
dont la dimension tragique apparaît dès la lecture du titre
emprunté à un poème* de Robert Burns (Ecosse) : « The
best laid schemes o'mice an'men / Gang aft a-Gley » (« Les
plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se
réalisent pas »). Muni de cette clef, le lecteur pressent que
le désespoir et la fatalité sont au bout du chemin.
Steinbeck
utilise, pour ce roman, une écriture grave, presque monocorde, la
lenteur devient rythme narratif jusqu'au moment où tout s'emballera
pour s'achever en une nouvelle lenteur et une écriture monocorde.
Grâce au choix de son écriture, Steinbeck rend compte de la misère
et de la solitude humaine, leur donne une voix et une réalité
inoubliables.
Chaque
personnage abîmé (Curley complexé par sa petite taille, Candy le
vieux journalier avec une main en moins, Crooks le palefrenier noir relégué à
l'écurie en raison de sa couleur de peau, la femme de Curley déçue
par la vie et rêvant de cinéma, George prisonnier de son amitié et
de sa tendresse pour Lennie, Lennie vivant dans son monde pouvant
éclater comme une bulle de savon) est un monde en soi, celui des
misères de la vie et de la société. Ils sont souris et hommes
qu'un caprice peut emporter vers le drame. Il y a un côté
béhavioriste chez Steinbeck qui ne plonge pas ses personnages dans
l'introspection psychologique, dans un souci de simplicité et de
compréhension des actions, comme dans un film ou une pièce de
théâtre. C'est au lecteur/spectateur de déduire, par son
observation, les relations entre les personnages et les dispositions
d'esprit dans lesquelles ils se trouvent. Dans « Des souris et
des hommes », le lecteur met en place tous les liens grâce aux
dialogues dans lesquels il trouve nombres d'indices permettant de
saisir la dimension psychologique des personnages. C'est ce qui en
fait toute la saveur.
Saveur
relevée par les illustrations, magnifiques, de Rebecca Dautremer qui
servent admirablement ce grand texte. Elle a su mettre en images la
naïveté et la gentillesse maladroitement brusque de Lennie ainsi
que sa manière de s'exprimer. Ses illustrations magnifient texte et
personnages ainsi que l'amitié, immense, liant George et Lennie.
Amitié mêlée de tendresse amenant George au geste ultime dicté
par l'amour fraternel.
Ses
dessins aussi ciselés que le texte du roman, renforcent ce diamant
de la littérature américaine du XXè siècle. Crayons et pinceaux
portent les mots et les personnages, dignes d'une tragédie grecque,
avec une beauté grave et époustouflante.
Un
vrai régal pour les yeux !
Roman
traduit de l'américain par Maurice-Edgar Coindreau, illustrations de
Rebecca Dautremer.
*« To
a Mouse, on Turning Her Up in Her Nest With the Plough, November,
1785 »
Quelques
avis :
Babelio Interview France Culture de Rebecca Dautremer
Reportage ARTE Télérama Tachan Sens Critique Hélène
Lu dans le cadre