« Gentilhomme
vicentin, homme de lettres et soldat, Luigi Da Porto (1485-1529) est
le premier qui donna ses lettres de noblesse à un thème à
l'origine d'une tradition littéraire dont la tragédie de
Shakespeare est la plus haute expression. C'est à lui que l'on doit
en 1530, la forme moderne de l'intrigue, que l'on retrouvera dans une
nouvelle de Bandello en 1554, puis dans la pièce de Shakespeare vers
1595. S'inspirant d'une légende siennoise dont Masuccio de Salerne
tira l'argument d'un de ses contes en 1476, Luigi Da Porto transporte
le lieu de l'action à Vérone et change les prénoms des malheureux
amants : Gianozza et Mariotto deviennent sous sa plume Juliette et
Roméo. L'intrigue est située au temps de Bartolomeo Della Scala,
podestat de Venise de 1300 à 1304. L'antagonisme entre les familles
des deux amoureux fait ici seul obstacle à leur union. Da Porto
élabore un canevas sommaire, concentrant son attention sur la seule
passion amoureuse : les quelques autres personnages apparaissant au
fil de ces pages ne servent qu'à mettre en relief cette passion, en
particulier l'amour pudique et intrépide de la jeune fille. »
(France culture – 10 janvier 2009)
D'ordinaire
j'élabore un commentaire le plus construit possible, or pourquoi
paraphraser ce qui a été dit avec talent ?
J'ai
découvert ce récit qui tient plus de la nouvelle que du roman, en
flânant au salon du livre des Etonnants Voyageurs 2018. La curiosité
m'a conduite à sortir mes euros pour acquérir le livre et connaître
la genèse de l'histoire qui inspira une des plus belles tragédies
de Shakespeare.
La
trame est là, fraîche et prenante : le lecteur tombe, sans
résistance, dans les rets du récit fait à dos de cheval par le
narrateur. L'histoire étire le temps, comble l'ennui du voyage et
attise la curiosité de l'auditeur invisible que nous sommes.
Le
récit est intéressant dans le sens où l'auteur s'attache plus à
mettre en valeur les subterfuges pour faire triompher l'Amour entre
deux jeunes gens, les personnages gravitant autour de nos jeunes
héros n'étant qu'à peine évoqués.
Nous
ne pouvons qu'être émus lors du quiproquo final, loin de la
grandiloquence théâtrale, et regretter que les jeunes amants ne se
rejoignent que dans la mort.
Une
lecture pour compléter celle de Shakespeare.
« Il
y a quelques jours que je vous parlais du désir que j'ai d'écrire
une Nouvelle dont l'action s'est passée à Vérone. Quoique je vous
l'aie racontée, cependant je regarde comme un devoir de vous la
mettre ici sur le papier. Par ce moyen, je fixerai plus sûrement mon
récit dans votre mémoire, et d'ailleurs, étant moi-même
malheureux, il me convient assez de parler de deux infortunés amants
dont les aventures font le sujet de cette histoire. C'est à vous que
j'en fais la dédicace, afin que vous puissiez voir dans quels
dangers, à quelles infortunes inattendues et enfin à quelle mort
cruelle sont entraînés la plupart des amants. Je vous adresse cette
Nouvelle d'autant plus volontiers que ce sera sans doute le dernier
essai de ce genre qui sortira de ma plume, et que je désire vous
consacrer mon dernier travail. Vous êtes comme le port où tout ce
qui a quelque mérite et quelque talent cherche à aborder ; aussi
après avoir navigué si longtemps sur l'océan poétique, c'est à
vos rives que je viens abriter et lier ma frêle barque.
Recevez
donc ma Nouvelle, madame, et lisez-la avec bienveillance, tant à
cause du sujet intéressant qu'elle renferme, qu'en raison des liens
de parenté et d'amitié qui nous lient.
Quoique
j'aie éprouvé bien des chagrins en ma vie, cependant le ciel ne m'a
pas toujours été rigoureux, comme vous le savez, puisque, dans ma
jeunesse, ayant pris le parti des armes et m'étant trouvé dans la
compagnie d'hommes braves et recommandables, je fus employé quelque
temps dans votre belle patrie, le Frioul. Là, j'allais, tantôt d'un
côté, tantôt d'un autre, selon que mon devoir l'exigeait. J'avais
alors à mon service, lorsque je voyageais à cheval, un archer de
Véronne, âgé d'environ cinquante ans, brave de sa personne et
parlant très agréablement comme tous les gens de son pays. Il se
nommait Pellegrino. Cet homme courageux, soldat consommé, était
assez droit de corps et de plus toujours amoureux, disposition qui ne
s'accordait peut-être pas trop bien avec son âge, mais qui doublait
sa vivacité dans l'occasion. Il prenait ordinairement un grand
plaisir à raconter (ce qu'il faisait avec beaucoup d'art et de
grâce) les plus belles et les meilleures nouvelles, et choisissait
de préférence celles où il est question d'amour. »
(p 11-13)