Il y a des bouquins qui m'emmènent tellement loin que j'ai du mal à en parler, surtout quand il s'agit de "sagas" ou de "space opera".
Ainsi, n'ai-je chroniqué que le premier tome de la pentalogie, sublime, géniale, superbe, prenante, lyrique, fouillée, ayant un roman dans le roman, de Pierre Bordage, un de mes auteurs de SF préférés: "La fraternité du Panca".
Que dire sinon que c'est géant, que c'est beau, que nous rions, avons des sueurs froides et pleurons, aux côtés de cette quinte dont les maillons se passent le flambeau, mourant pour offrir leur savoir et leur force au maillon suivant, afin de sauver l'Humanité, vous savez cette entité qui parfois mériterait d'être rayée de la carte interstellaire!!!
Une course poursuite au-delà du Temps et de l'Espace où on rencontre le courage muet, la violence gratuite, l'honneur inattendu et des couloirs du Temps qui embarquent, tant le héros du moment que le lecteur, dans le dédale de l'Histoire de cette Humanité dont la beauté n'a d'égale que sa laideur, deux pôles contraires qui n'en font qu'un.
Finalement, cette Humanité mérite qu'on la sauve... histoire qu'elle recommence ses erreurs jusqu'à ce qu'elle parvienne à en comprendre la vacuité et cesse de les reproduire en un cycle sans fin.
Quant à la magie d'un vol de Pentales....je vous la laisse découvrir en vous invitant à vous plonger, sans bouée de sauvetage car c'est inutile... la première phrase de la pentalogie est à peine achevée que le piège se referme, sans scrupule aucun, sur vous, lecteur passionné de Bordage, dans ce long et intense roman. Tout ce que je peux vous dire, c'est que succomber à cette tentation est loin d'être oeuvre du Démon et qu'il fait bon de s'y laisser prendre.
Mon Bibliomane l'avait lu, puis il a ouvert une boite de Pandore: le streaming... "Le trône de fer" vint à moi par l'image puis, après beaucoup d'hésitations (serais-je déçue? mon imaginaire serait-il "perverti" par le visionnage des épisodes de la série???), j'ai pris, comme s'il me brûlait les doigts, le premier tome de l'intégrale en poche. Ce fut le choc! Me voilà, happée par la narration, entre épopée et fantasy, entre romanesque fou et récits mythiques aux limites d'une étrange uchronie.
L'atmosphère du roman est intense, belle, les personnages fouillés, loin d'être lisses, ils évoluent, en bien ou en mal, après les avoir détestés, on se surprend à les aimer, à compatir ou alors à les vouer aux pires châtiments possibles.
Quant à ces Autres, à ces Sauvageons, à ces sacrifice humains pour apaiser les premiers, les vagues ininterrompues des seconds, fuyant justement les... Autres. Ces figures représentant la part obscure de l'être humain ainsi que ses peurs irrationnelles, ces figures avancent au rythme lancinant d'une devise, celle de la Maison des Stark, rois du Nord, "L'hiver vient".
Les passions, les ambitions pour décrocher une parcelle de pouvoir, la tendreté d'un caractère laminé par le rouleau compresseur d'un autre dont l'appétit de dominer est démesuré au point d'en perdre toute limite et toute humanité. Une meute de loups géants parcourant les sept royaumes, alliés et armes vivantes, allégorie des hommes qui luttent pour une certaine idée de la société, qui ont une certaine idée du code de l'honneur.
Ces personnages secondaires, illuminant ou assombrissant le récit, participent aux arabesques d'une histoire qui ne lâche son lecteur que lorsqu'il en arrive au bout.
Plus de trois milles pages ont été tournées pour fermer, trois mois
plus tard, le tome IV de l'intégrale sur ces mots, terribles pour un lecteur passionné, empreint de l'histoire à peine achevée, ces mots horribles pour lesquels on devrait pendre, oui je dis bien pendre, l'auteur pour jouer ainsi avec notre patience... quoique, je dis auteur alors que je devrais dire éditeur, ce rapace qui édite en broché, un à un, les derniers tomes de la saga. Trois mille pages, des heures de lecture pendant lesquelles le monde n'existe plus, s'achevant par un irritant et laconique "Pendant ce temps sur le Mur...."
Là, je suis à deux doigts de comprendre l'apparition de l'envie de meurtre. Maintenant, "y a plus qu'à attendre" que la version intégrale en poche paraisse... dans deux ou trois ans autant dire une éternité.
Humpf... au fait, il me semble que je ne devais pas les chroniquer ces bouquins et donc ne pas m'étendre... pour un essai, c'est raté, tant pis.
« L'histoire de Chicago May »
est la biographie, avec juste ce qu'il faut d'habillage romanesque
pour ne rien dénaturer, d'une irlandaise atypique dotée d'une
trempe peu commune.
May quitte sa famille, un petit matin
de ses dix-neuf ans, pour partir en Amérique, terre de tous les
possibles.
Elle débarque dans ce Nouveau Monde où
elle tombera, pour certains, de Charybde en Scylla : entre
volonté de s'en sortir et gagner de l'argent facile grâce à ses
formes féminines alléchantes et son opulente chevelure rousse,
flamboyance attirant les hommes comme la lanterne attire les
phalènes, May Duigan sera une femme de mauvaise vie, catin et
arnaqueuse de haut vol.
Ses amours auront la saveur des
aventures dangereuses en compagnie de bandits, participant à des
« casses » qui la conduiront de part le monde, notamment
en France où elle goûtera à l'amertume de la prison pour femmes de
Montpellier. Elle parviendra à en sortir pour rejoindre l'Angleterre
où elle replongera dans le crime : après la prison-citadelle
de Montpellier, ce sera une prison anglaise où elle s'accrochera,
avec le désespoir de l'opiniâtreté, à la vie en lisant, lisant,
les livres de la bibliothèque : l'évasion des mots l'aidera à
évader son esprit à défaut de son corps, la sauvant de la solitude
et de la folie.
La vie de May est un road-movie ponctué
par les étapes de l'incarcération où elle démontrera qu'il en
faut beaucoup pour l'abattre ou la faire sombrer dans la folie de
l'enfermement. Elle restera elle-même jusqu'à la fin, « marchant
le dos droit », fière d'être ce qu'elle est malgré sa vie
dissolue dédiée au crime.
Nuala O'Faolain, à travers l'histoire
de May, amène le lecteur, comme elle-même, à s'interroger sur la
société américaine de la fin du dix-neuvième siècle au début du
vingtième : les codes sociaux, malgré la jeunesse de la Nation
américaine, sont les mêmes qu'en Europe malgré une apparente
liberté. Du moins, cette jeune Amérique donne-t-elle sa chance à
qui sait la saisir et la faire fructifier, May a choisi une voie
d'aventures qui la fera voyager mais pas dans le sens de la Conquête
du Rêve américain. Elle conquiert ses lettres de noble arnaqueuse,
de gentille truande qui ne demande qu'à aimer et être aimée, elle
qui ne connut pas l'affection familiale en Irlande, dans sa famille
de besogneux et de taiseux.
La chrysalide laisse échapper un beau
papillon qui se brûlera les ailes malgré une volonté de
rédemption : l'usure du corps aura raison de May qui rendra les
armes, seule, dans un hôpital, après avoir écrit son histoire,
bribes émouvants retrouvés par l'auteure dans sa quête pour
trouver la vraie May qui se cache derrière la bandit « Chicago
May ».
Nuala O'Faolain raconte-t-elle un peu
son histoire à travers celle de May ? Elles sont, toutes les
deux, comme les piliers extrêmes d'un pont entre deux rives :
May qui est partie, puis revenue pour ne plus remettre les pieds en
Irlande ; Nuala en partance pour une réponse à ses émotions,
à une possible culpabilité de n'avoir pas pu être la planche de
salut pour son frère ?
« L'histoire de Chicago May »
est un récit attachant, parfois poignant, aux rebondissements
souvent étonnants. Une prostituée qui ne s'est jamais projetée
au-delà du lendemain, peut-elle, au soir de sa longue vie
aventureuse et usante, enjoliver son passé lors de l'exercice
difficile de l'introspection ? Ses lectures en prison lui ont
donné des mots, un aperçu de la beauté cachée dans les mots d'un
poète ou d'un romancier. May est inculte, malgré toutes ses
lectures salvatrices, mais elle ne se conceptualise pas, elle est
toujours dans le ressenti immédiat, même dans le souvenir ce qui
fait qu'elle ne triche pas, paradoxe de l'arnaqueuse qui ne peut
mentir sur elle-même, sur sa vision brute du monde et des hommes.
Au fil du récit de Nuala O'Faolain,
irlandaise d'aujourd'hui, le lecteur écoute, fasciné, la voix
extirpée du passé, sortie des archives, d'une irlandaise d'un monde
en pleine mutation ; il l'admire pour sa pugnacité, son courage
indéfectible, il l'aime autant pour ses qualités qu'il la vilipende
pour ses défauts.
Au bout du compte... cette femme de
rien, cette femme venue d'une Irlande ravagée par la pauvreté et la
domination anglaise, cette femme qui n'est qu'une anecdote dans le
quotidien d'une nation en devenir ; cette femme force le respect
malgré ce qu'elle est et a été : elle s'est montrée digne,
dans le vol comme dans son envie de rédemption, du début jusqu'à
la fin de sa vie... oubliée de tous.
Dans un bout de campagne irlandaise,
battu par les vents, restent debout, les murs en pierre de la pièce
que May avait fait construire, chez ses parents, du temps de sa
splendeur. Les herbes folles ont pris possession des lieux, la
mémoire de May s'envole au gré des vents, des mots retrouvés dans
d'obscures archives.
Le lecteur passe des moments intenses
en compagnie de cette femme de prime abord commune, au destin sans
doute commun, que l'auteure sublime sans exagération, avec tout le
respect qu'elle éprouve pour cette hors-la-loi attachante et fière
d'avoir vécu la vie qu'elle s'est choisie.