Lao She relate les pérégrinations d'un vieil homme: ce dernier a appris le métier de colleur de papier avant de devenir agent de police, inspecteur puis militaire. Ce vieux Chinois, avec beaucoup d'humour retrace les différentes étapes de sa vie: il a été quitté par sa femme, s'est donc retrouvé seul pour élever ses enfants et du trouver moult expédients pour les nourrir et les loger. Il a vu la fin de l'Empire, l'occupation par les légations étrangères et les premières années de la République.
A la lecture de la vie de ce vieil homme, on constate que tout est déterminé dès le départ, que le fatalisme imprime la vie sociale chinoise: si on naît dans une famille pauvre, sans appui, on restera pauvre, sans appui, "sans piston" et tout espoir de grimper un tant soit peu dans l'échelle sociale est bien mince, voire irréel. Mieux vaut en rire sinon on passerait sa vie à larmoyer sur son sort....du moins c'est ce que pense le vieillard à la fin de sa vie. Il faut aller de l'avant pour ne pas végéter et saisir chaque maigre occasion pour améliorer son ordinaire.
"Histoire de ma vie" est aussi le roman des petits métiers manuels tels que celui de colleur de papier. Il consiste à préparer des figurines de papier à brûler pour les diverses cérémonies religieuses qui jalonnent la vie: les enterrements, les mariages, les naissances...Avant la fin de l'Empire, les familles ne lésinaient pas sur les figurines ni sur le nombre de cérémonies, tout était fait dans les règles "Dans ce temps-là, quand un homme mourait, on ne faisait pas les choses aussi chichement qu'à présent. (...) La différence, c'était que, lorsqu'il y avait un mort, la famille endeuillée n'hésitait pas alors à dépenser un argent fou et ne reculait devant aucun sacrifice pour respecter les convenances et sauver ainsi les apparences. Rien que pour la confection funéraire, on en avait pour une jolie somme d'argent." (p 11) Le colleur de papier exerçait aussi ses talents dans les maisons: changer les papiers des murs, des fenêtres... ce qui peut être nocif pour la santé car il y respire poussières et colle.
Le narrateur fait allusion au métier de marieur qui demande tact, psychologie et prestance sans oublier l'art de la conversation et des négociations! Les jeunes gens ne se marient qu'avec l'homme ou la femme que la famille a choisi. Le narrateur possède cela ainsi que des rudiments d'écriture et de lecture ce qui fait oublier son manque de beauté et lui confère une certaine aura malgré la modestie de son métier. Il en est fier et orgueilleux jusqu'au jour où son épouse s'enfuit du domicile conjugal, abandonnant enfants et époux! La vie lui semble, d'un coup, bien vide et bien précaire et le métier de colleur de papier peu rémunérateur. Il lui faut changer de métier et surtout affronter le regard des autres et ne montrer ni arrogance qui ferait de lui un indifférent ni tristesse outrancière qui ferait de lui un lâche.
De fil en aiguille il deviendra policier, métier qui à l'époque ne semblait guère prisé et encore moins respecté. Malgré ses connaissances en écritures et lecture, il ne pourra accéder qu'à un poste subalterne....le déterminisme frappe encore, aggravé par l'omniprésence, en Chine, du piston et des appuis des notables: on ne prend pas en compte les compétences mais l'importance du piston! Notre homme est bien désappointé d'autant qu'il ne peut pas vraiment profiter de sa situation pour améliorer, par des combines, son ordinaire. Il a l'impression de s'être encore fait grugé et accepte sa malchance avec fatalisme et une pointe d'humour. Pointe d'humour qui lui permettra de regarder les côtés positifs de la vie et de continuer à aller de l'avant bien qu'il ne puisse offrir une éducation convenable à ses enfants qui sauront à peine lire et écrire.
A la suite du narrateur, on parcours les rues et ruelles de Pékin, on y rencontre le petit peuble comme on croise les notables ou les mandarins, on y observe différents métiers et de nombreux petits commerces. On sent l'odeur de friture, de beignets, de soupe et de légumes. On entend les cris des pousse-pousse, des gardes, des vendeurs de journaux, des chalands.
Parfois, le narrateur agace un peu avec ses récriminations, ses lamentations, son éternelle malchance et ses fanfaronades. Mais, on ne peut s'empêcher de l'accompagner dans ses indignations muettes car l'injustice est difficilement acceptable.
Lao She utilise la langue colorée du petit peuple chinois, le peuple laborieux qui courbe l'échine sous le poids des angoisses de manquer de l'essentiel pour survivre jusqu'au lendemain.
"Histoire de ma vie" laisse le lecteur sur sa faim car ce n'est pas un texte intégral présenté par la collection Folio 2€ mais un extrait d'oeuvre romanesque (ici "Gens de Pékin"). On peut considérer ce texte comme une mise en bouche mais, au final, la frustration est présente: cela montre les limites des textes extraits d'une oeuvre; le contexte, le rythme de narration ne sont plus perceptibles et lecteur a du mal à situer les personnages. Cependant, pour ne pas terminer sur une note négative, "Histoire de ma vie" permet une approche de l'écriture de Lao She, pour celui qui ne l'a jamais lu, écriture très colorée, très vive, acérée et sans concession dans le regard porté sur la société chinoise du début du XXè siècle.