dimanche 13 avril 2008

Adolescence algéroise


Le narrateur, une fois adulte, relate son adolescence algéroise dans une Algérie qui bientôt ne sera plus française. Le lecteur se trouve immergé dans le quotidien d'un ado de 15 ans avec les préoccupations d'un garçon de son âge: les filles commencent à provoquer divers émois, la timidité maladive d'un garçon qui n'est plus un enfant et pas encore un jeune homme. Sans en avoir l'air, les évènements d'Algérie sont en filigrane du récit: les pieds-noirs, juifs ou non, aux relations tumultueuses, les professeurs du lycée qui quittent Alger et l'Algérie devant une situation politique qui heurte leurs convictions ou qui reviennent aux sources de l'enfance et espèrent voir la raison revenir. Ce sont ces cours de littérature et de latin qui transportent une classe entière d'adolescents pubères subjugués par le charisme d'un professeur anti-conformiste, Marco, qui aime transmettre la littérature, les auteurs, la beauté de la langue. Louis Gardel sait décrire les petites haines qui grandiront pour devenir rancoeurs et violence, tout cela entre un rock et un slow au cours d'une surprise partie mais également les moments impromptus avec une figure littéraire emblématique en la personne d'Albert Camus de passage à la librairie "Les vraies richesses".
"La baie d'Alger" c'est aussi une galerie de personnages hauts en couleurs, notamment des figures féminines: la grand-mère du narrateur, Zoé, "Tout sur le dos, rien à la banque", sa cousine Suzanne, journaliste engagée et ne mâchant pas ses mots ni ses idées progressistes, mais aussi la copine de Zoé, Bibi, vieille coquette glamour à l'oeil velouté et aux indécences amusantes. Ce trio est drôle, attendrissant et représente un monde qui lentement se meurt.
Les événements deviennent la guerre et les Arabes que Zoé et le narrateur côtoient tous les jours révèlent une double vie: Bouarab, Yeux-Bleus et Zoubida, des destins tragiques ou heureux, des amitiés qui malgré tout résistent à l'horreur et au sang. Puis, c'est le départ définitif vers la métropole qui sera bien loin de reconnaître les siens, les exilés qui doivent se reconstruire après avoir tout perdu, les colons comme les harkis. La vie reprend ses droits et Zoé déguste enfin des huîtres à Cancale, elle dont le voyage de noces en France fut annulé en raison de la Grande Guerre: sa gouaille pied-noir donne des couleurs méditerranéennes au restaurant et aux huîtres "Ecoute, ma petite, les huîtres c'est comme l'amour. la première fois, c'est dégoûtant et après on ne peut plus s'en passer" (p 242).
"La baie d'Alger" est un roman des souvenirs, d'une enfance et d'une adolescence algéroises et des ambiances aux odeurs iodées et ensoleillées avec parfois, sans s'y attendre, une odeur de poudre et de sang. Une atmopshère qui ne se retrouvera jamais ailleurs. Parfois, le goût amer des invectives des uns, de gauche, et des autres, de droite, devant sa position "entre-deux" qui n'est pas de comprise en ces temps troublés.
Louis Gardel raconte son Algérie sans en "faire des tonnes", avec tout son amour pour ce pays qui l'a vu naître et grandir: il a le mot juste et le plus objectif possible avec la plus grande des sincérités dans les émotions et les souvenirs. Une lecture agréable et pleine des saveurs de cette Méditerrannée riche en saveurs, odeurs et couleurs où l'émotion n'est guère éloignée, elle qui peut nouer la gorge sans prévenir, au détour d'une phrase, d'une scène ou d'une ambiance.
Louis Gardel a reçu pour son roman autobiographique "La baie d'Alger" le Prix Méditerrannée 2008. Il est, aussi, l'auteur de "Fort Saganne" (je n'ai pas lu le roman mais vu le film).






oeuvre de Farid Benyaa

6 commentaires:

Anonyme a dit…

noté ! merci Katell...

Katell a dit…

@rennette: de rien ;-) J'ai vraiment aimé ce roman et son ambiance et surtout ces 3 personnages féminins extraordinaires!

Anonyme a dit…

Tentée aussi... je suis de plus en plus attirée par cette partie du monde!

Anonyme a dit…

Je suis contente que tu aies aimé ce livre. Je l'avais aussi trouvé très touchant.

Anonyme a dit…

Pour ma part une belle surprise de cette rentrée littéraire !

Katell a dit…

@karine: Gardel relate avec tact et sans en faire de trop la nostalgie de son pays natal que fut l'Algérie.
@cathe: "La baie d'Alger" m'a vraiment plu, fraîcheur de l'adolescence, noirceur des évènements mais pas de pathos inutile, tout est dit en quelques mots, quelques images. Une bonne pioche de la part du Prix des lecteurs du Télégramme!
@laurent: Je ne peux que te suivre dans ton impression!