Louis C. Lynch, dit "Lucy" depuis sa première rentrée scolaire, vit à Thomaston sans jamais avoir désiré quitter cette petite ville de l'Amérique profonde à une encablure de la trépidante et cosmopolite New-York. Il y est viscéralement attaché et ne peut envisager d'aller vivre ailleurs. Il y a ses amis, ses épiceries, son fils, ses souvenirs heureux et malheureux, il y croise des figures familières, celle dont l'histoire intime est inscrite dans l'atmosphère, dans les interstices du bitume ou du gazon, et qu'il peut lire, relire sans fin, par le prisme de son optimisme indéfectible et sans faille.
Il a entrepris d'écrire l'histoire de sa vie et, alors que son épouse Sarah, s'occupe des ultimes préparatifs de leur voyage à Venise, Lou achève de regarder derrière lui une vie qu'il a lentement déroulée. Il regarde et voit les menus faits de son enfance, coincée entre un père d'un tel optimisme qu'il semble être simplet et une mère au réalisme épuré de tout regrad amène sur l'être humain: son meilleur ami Bobby Marconi en compagnie duquel il "surfait" dans la camionnette de livreur de lait de son père, ses balades à vélo dans les quartiers de la ville, les soirées au bal du samedi soir où il regardait les filles sans espoir de conquête ou sa rencontre avec Mr Mock et à leur amitié construite au fil des grilles repeintes, à une époque où les Noirs américains étaient maintenus sur les bas-côtés de la société. Lou se rappelle aussi de sa terrible expérience due aux agissements d'une bande de mauvais garçons, expérience qui restera imprimée, malgré l'apparent oubli, au plus profond de son être: les moments passés dans un tonneau, la nuit, attendant, soumis à une immense frayeur, sa fin programmée, provoquant sa première "absence" et un étrange bien-être au "réveil".
Son ami Bobby s'est exilé de Thomaston pour partir en Europe et s'installer à Venise où il mène une brillante carrière de peintre et est devenu Robert Noonan. Il regarde, lui aussi, par-dessus son épaule et voit son passé revenir à lui: son enfance difficile, entre un père autoritaire et violent et une mère oscillant entre folie douce et perte de raison, son amitié incongrue avec Lou Lynch, ce garçon timoré, timide et en quête de copain.
Tous deux, séparés par un océan et une vision de la vie, sont les voix d'une histoire où perce la nostalgie d'une époque révolue, celle des petites villes américaines des années 50, engluées dans un ronron insipide, prémice d'une récession économique (l'épicerie Chez Ikey qui perdure malgré l'arrivée des grandes surfaces dévoreuses de petits commerces tisserands de liens sociaux, la tannerie qui pollue tout, la natur et les hommes, les livraisons des bouteilles de lait, les quartiers "ghetto" des différentes couches sociales...). Pourquoi ces deux garçons si différents, si éloignés l'un de l'autre, ont-ils tissé des liens d'amitié, que trouvaient-ils l'un chez l'autre? Chacun leur tour, ils s'interrogent sur la nature de ces liens et leurs regards croisés sur le monde actuel apportent un parfum de frustrations du couple, de désirs inavoués et inassouvis, de violences secrètes, et un lourd passif du poids des origines sous les hyprocrisies empoisonnées de la vie provinciale, cette vie souvent étriquée qui n'a de cesse de pourfendre, à coups de lames perfides, ce qui ose sortir du bon ordonnancement des choses. Chacun, à leur manière, ont construit une face du pan d'une vie: entre le danger de l'aventure et le confort d'une vie sans surprise, la présence d'un parfum légèrement délétère....celui de l'amour commun d'une femme.
Richard Russo dissèque, soigneusement, les âmes de ses personnages, allant jusqu'au bout de l'ambiance guimauve et provoquer l'écoeurement de son lecteur devant l'optimisme horripilant de Lou Lynch père, qu'il a envie de secouer pour lui faire quitter ce sourire à la limite de la niaiserie. Lou Lynch, parangon de la confiance en son pays qui ne peut que désirer le bien et le bonheur de ses citoyens, ce pays qui est l'exemple de la liberté (à partir du moment où on n'est ni noir, ni latino, ni indien!) et de la démocratie, alors que tout part à vau l'eau entre les cancers dus aux pollutions industrielles et le déclin économique. Le lecteur se dit que Lucy n'a aucune chance d'évoluer et commence à angoisser devant l'inamovible sourire dont il a hérité et son entêtement à ne pas vouloir bouger de Thomaston. Par de subtils petits coups de pinceau, Russo apporte profondeur et complexité à Lucy si bien que très rapidement, le lecteur ne peut s'empêcher de s'y attacher, de sourire avec lui, de regarder nostalgique le passé et les souvenirs, d'éprouver tendresse et compassion pour le monde qui va comme il peut. Derrière les apparences, se dissimule toujours une face invisible avec ses joies et ses blessures, c'est ce, grâce à une très belle écriture et un regard tendre, que Russo dessine délicatement, au gré des tons sépia de l'univers révolu des souvenirs et de l'enfance.
"Le pont des soupirs" est un roman intimiste qui déroule une galerie de personnages plus attachants les uns que les autres, malgré leurs défauts; ainsi le personnage de Berg, le professeur de lettres, père de Sarah, dont les cours subversifs sont un véritable régal...un orfèvre de la maïeutique! Ou encore le frère de Lou senior, irritant de grossièreté mais débordant d'amour indicible pour son frère comme pour sa belle-soeur. Au fil des chapitres et de leurs touches minimes mais essentielles, l'irritation, l'agacement ressenti devant la naïveté de Lou et les "absences" de Lucy (absences qui puisent leur origine dans le refus d'accepter la noirceur inexplicable du monde? Absences qui offrent une porte de sortie, une respiration salutaire, un monde de paix et de sérénité dont il a de plus en plus de difficulté à quitter?) , laissent la place à une vision positive du monde malgré ses imperfections et apportent, sans fausse note, le dénouement du récit: Lucy qui déplace son amour du voyage immobile pour la fraîcheur enthousiaste d'une enfant qui s'éveille à la vie.
Il a entrepris d'écrire l'histoire de sa vie et, alors que son épouse Sarah, s'occupe des ultimes préparatifs de leur voyage à Venise, Lou achève de regarder derrière lui une vie qu'il a lentement déroulée. Il regarde et voit les menus faits de son enfance, coincée entre un père d'un tel optimisme qu'il semble être simplet et une mère au réalisme épuré de tout regrad amène sur l'être humain: son meilleur ami Bobby Marconi en compagnie duquel il "surfait" dans la camionnette de livreur de lait de son père, ses balades à vélo dans les quartiers de la ville, les soirées au bal du samedi soir où il regardait les filles sans espoir de conquête ou sa rencontre avec Mr Mock et à leur amitié construite au fil des grilles repeintes, à une époque où les Noirs américains étaient maintenus sur les bas-côtés de la société. Lou se rappelle aussi de sa terrible expérience due aux agissements d'une bande de mauvais garçons, expérience qui restera imprimée, malgré l'apparent oubli, au plus profond de son être: les moments passés dans un tonneau, la nuit, attendant, soumis à une immense frayeur, sa fin programmée, provoquant sa première "absence" et un étrange bien-être au "réveil".
Son ami Bobby s'est exilé de Thomaston pour partir en Europe et s'installer à Venise où il mène une brillante carrière de peintre et est devenu Robert Noonan. Il regarde, lui aussi, par-dessus son épaule et voit son passé revenir à lui: son enfance difficile, entre un père autoritaire et violent et une mère oscillant entre folie douce et perte de raison, son amitié incongrue avec Lou Lynch, ce garçon timoré, timide et en quête de copain.
Tous deux, séparés par un océan et une vision de la vie, sont les voix d'une histoire où perce la nostalgie d'une époque révolue, celle des petites villes américaines des années 50, engluées dans un ronron insipide, prémice d'une récession économique (l'épicerie Chez Ikey qui perdure malgré l'arrivée des grandes surfaces dévoreuses de petits commerces tisserands de liens sociaux, la tannerie qui pollue tout, la natur et les hommes, les livraisons des bouteilles de lait, les quartiers "ghetto" des différentes couches sociales...). Pourquoi ces deux garçons si différents, si éloignés l'un de l'autre, ont-ils tissé des liens d'amitié, que trouvaient-ils l'un chez l'autre? Chacun leur tour, ils s'interrogent sur la nature de ces liens et leurs regards croisés sur le monde actuel apportent un parfum de frustrations du couple, de désirs inavoués et inassouvis, de violences secrètes, et un lourd passif du poids des origines sous les hyprocrisies empoisonnées de la vie provinciale, cette vie souvent étriquée qui n'a de cesse de pourfendre, à coups de lames perfides, ce qui ose sortir du bon ordonnancement des choses. Chacun, à leur manière, ont construit une face du pan d'une vie: entre le danger de l'aventure et le confort d'une vie sans surprise, la présence d'un parfum légèrement délétère....celui de l'amour commun d'une femme.
Richard Russo dissèque, soigneusement, les âmes de ses personnages, allant jusqu'au bout de l'ambiance guimauve et provoquer l'écoeurement de son lecteur devant l'optimisme horripilant de Lou Lynch père, qu'il a envie de secouer pour lui faire quitter ce sourire à la limite de la niaiserie. Lou Lynch, parangon de la confiance en son pays qui ne peut que désirer le bien et le bonheur de ses citoyens, ce pays qui est l'exemple de la liberté (à partir du moment où on n'est ni noir, ni latino, ni indien!) et de la démocratie, alors que tout part à vau l'eau entre les cancers dus aux pollutions industrielles et le déclin économique. Le lecteur se dit que Lucy n'a aucune chance d'évoluer et commence à angoisser devant l'inamovible sourire dont il a hérité et son entêtement à ne pas vouloir bouger de Thomaston. Par de subtils petits coups de pinceau, Russo apporte profondeur et complexité à Lucy si bien que très rapidement, le lecteur ne peut s'empêcher de s'y attacher, de sourire avec lui, de regarder nostalgique le passé et les souvenirs, d'éprouver tendresse et compassion pour le monde qui va comme il peut. Derrière les apparences, se dissimule toujours une face invisible avec ses joies et ses blessures, c'est ce, grâce à une très belle écriture et un regard tendre, que Russo dessine délicatement, au gré des tons sépia de l'univers révolu des souvenirs et de l'enfance.
"Le pont des soupirs" est un roman intimiste qui déroule une galerie de personnages plus attachants les uns que les autres, malgré leurs défauts; ainsi le personnage de Berg, le professeur de lettres, père de Sarah, dont les cours subversifs sont un véritable régal...un orfèvre de la maïeutique! Ou encore le frère de Lou senior, irritant de grossièreté mais débordant d'amour indicible pour son frère comme pour sa belle-soeur. Au fil des chapitres et de leurs touches minimes mais essentielles, l'irritation, l'agacement ressenti devant la naïveté de Lou et les "absences" de Lucy (absences qui puisent leur origine dans le refus d'accepter la noirceur inexplicable du monde? Absences qui offrent une porte de sortie, une respiration salutaire, un monde de paix et de sérénité dont il a de plus en plus de difficulté à quitter?) , laissent la place à une vision positive du monde malgré ses imperfections et apportent, sans fausse note, le dénouement du récit: Lucy qui déplace son amour du voyage immobile pour la fraîcheur enthousiaste d'une enfant qui s'éveille à la vie.
Roman traduit de l'anglais (USA) par Jean-Luc Piningre
Les avis de amanda antigone Karine lecture-écriture BOB
Roman lu dans le cadre des Lectures Communes de Parfums de Livre
3 commentaires:
J'adore ce romancier ! Cela me fait penser que j'ai encore quelques non lus dans ma PAL !!!
@manu: ce fut une très belle découverte pour moi qui ne connaissais absolument pas cet auteur!!
Il m'a beaucoup plu, ce livre, de même que Le déclin de l'empire Whiting, du même auteur!!!
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