samedi 16 janvier 2010

Connais-toi toi-même


Hiroshi Nakatana retourne en train pour Tokyo: il a 48 ans et sort d'un copieux et alcoolisé repas d'affaire, rien d'anormal, rien d'étrange pour cet homme qui s'apprête à retrouver sa famille, seulement un mal de crâne qu'il met sur le compte de l'alcool. Lorsqu'il arrive à la gare, curieusement il se trompe de train sans le savoir: le voilà à destination de sa ville natale! Hiroshi prend son mal en patience et accepte son inattendu crochet vers son enfance. Une fois parvenu à destination, en attendant de prendre le chemin du retour, il décide de se rendre au cimetière où est inhumée sa mère; devant la stèle, il éprouve d'étranges sensations, s'évanouit et lorsqu'il reprend connaissance une surprenante situation l'attend! C'est avec incrédulité qu'il se rend compte que le temps s'est mis à rebours: entre frayeur et étonnement, Hiroshi se retrouve l'année de ses 14 ans, juste avant la rentrée des classes. Commence alors une autre adolescence pour ce dernier: à la fin de l'été de ses 14 ans, son père disparut sans laisser de trace, laissant la charge familiale à son épouse. Pourquoi ce père a-t-il quitté le foyer où il semblait heureux? Et s'il profitait de ce retour dans le passé, pour tenter de comprendre ce qu'il s'est réellement passé, et surtout essayer d'empêcher l'inexplicable disparition paternelle?! Hiroshi revit d'un autre regard, avec sa maturité de la cinquantaine proche, cette période délicate de son existence: plus rien ne lui pèse au lycée, il a de très bonnes notes, il est à l'aise dans ce corps qui lui donne une impression de légèreté et de dynamisme, le sport n'est plus un pensum et surtout, il est remarqué par la plus jolie fille de la classe, la douce et timide Tomoko, et une douce idylle prend sa source dans le passé revisité. Et si les imperceptibles changements provoqués par le retour d'Hiroshi influaient son présent et transformaient son futur? Une peur distille ses interrogations et amène Hiroshi à se retourner sur sa vie de cinquantenaire....d'autant qu'au cours d'un rêve, il est témoin d'une conversation entre son épouse et ses filles, apprenant brusquement l'envie de son aînée de quitter le giron familial pour s'installer avec son amoureux. Et si ce retour dans le passé lui faisait perdre ce trésor? Comme il est facile de rester à côté de sa famille sans vraiment la connaître, sans vraiment s'y mêler! Hiroshi s'aperçoit qu'il reproduit, dans sa vie adulte, une partie de l'attitude de son père: il est perçu comme distant, inquiétant, un père auquel on n'ose rien dire d'intime, un étranger... presque. Comme il est troublant de se réveiller dans un corps de 14 ans avec l'âme d'un homme mûr: on sait comment les évolutions de la société se sont faites....l'ouverture du Japon à l'étranger, l'émancipation des femmes, la modernisation fulgurante du pays, l'urbanisation galopante et la fuite en avant des uns et des autres dans un quotidien qui n'existe que par le travail. Certes, le retour d'Hiroshi au coeur de son adolescence, ne semble rien déranger hormis sa perception des choses et ses proches qui lui trouvent une maturité inattendue autant que bienvenue, mais il sème quelques graines parmi ses condisciples du lycée. Cependant, même si cette maturité ne sert pas son objectif ultime, elle lui permet de comprendre le pourquoi du départ de son père: les scènes de l'attente à la gare et de la séparation sont un grand moment de tension et de délivrance, entre poésie et violence des sentiments. Le quai de la gare est comme le symbole d'une méditation sur l'essence de la vie, l'essence de ses aspirations et de ses espoirs, une quête qui provoque la souffrance des êtres chers sans pouvoir être éludée. Ce quai qui ouvre et ferme le récit, un lieu où l'on se quitte, se croise, se retrouve ou on ne se trouve pas. Les rails du temps et du destin, droits et pourtant si souvent aléatoires et inattendus, emportent les rêves et les souvenirs tout en ramenant vers le présent que l'on a oublié de regarder comme un objet précieux.

"Quartier lointain" est un petit bijou de poésie, de tendresse, de nostalgie, une promenade dans l'univers fantastique d'une machine à remonter le temps: le noir et blanc souligne avec justesse cette ambiance et revisite avec précision et délicatesse presque cinquante ans de l'histoire nippone du XXème siècle. Les thèmes récurrent chez Jiro Tanigushi sillonnent la quête de Hiroshi: l'attachement familial, la nostalgie de l'enfance mais aussi l'importance des beautés de la nature (Hiroshi, à l'aune de sa quarantaine finissante, s'approprie les jardins du lycée, les senteurs des jardins, les mille et un petits riens qui font un paysage). Le lecteur est transporté au coeur d'un Japon encore traditionnel dans lequel couve une modernisation et une libéralisation des moeurs et grapille avec délection les morceaux de vie quotidienne, où l'intemporalité et l'universalité affleurent, croqués par l'auteur.

Roman graphique adapté par Frédéric Boilet





13 commentaires:

Nanou a dit…

J'avais beaucoup aimé aussi ! De cet auteur j'ai lu récemment "Le journal de mon père", où on retrouve les mêmes thèmes et la même ambiance poétique.

Marie a dit…

Pas de doute, il faut absolument que je lise ce roman ! Merci pour cette présentation !

Manu a dit…

J'ai envie de le lire depuis un bon moment mais c'est le prix qui m'arrête.

Mimienco a dit…

J'ai adoré ce manga! L'Orme du Caucase est très bien aussi! Bon dimanche!

Paolina a dit…

Merci pour ce commentaire, je m'arrête enfin sur cette série.

BelleSahi a dit…

J'ai beaucoup aimé ce livre. Les images même en noir et blanc sont très belles et pleines de profondeur.

Nelfe a dit…

J'ai entendu beaucoup de bien de ce manga qui est dans ma LAL. J'ai très envie de le lire et ta critique en rajoute une couche ^^

Edelwe a dit…

J'ai adoré ce manga. Une vraie merveille, pleine de poésie et de réflexion.

esmeraldae a dit…

je suis une fan de taniguchi pour ses illustrations et ses histoires touchantes

chiffonnette a dit…

Une des plus belles oeuvres de Taniguchi. Dommage que les dernières faiblissent!

Loula a dit…

Tout à fait d'accord avec Chiffonnette... Je pense que c'est aussi dû aux éditeurs français qui publient tout et n'importe quoi tant que c'est du Taniguchi!!

LN a dit…

J'aime beaucoup cet auteur et pour l'instant cette histoire est ma préférée :-)

Melusine a dit…

Je viens de l'emprunter à la bibliothèque, j'ai hate!