jeudi 30 septembre 2010

La citation du jeudi #5

Toujours extrait du roman "Le club des incorrigibles optimistes" de Jean-Michel Guenassia. Beaucoup de blogolecteurs se reconnaîtront dans ces quelques lignes.

"Elle ne supportait pas de me parler et que je ne l'écoute pas. A plusieurs reprises, elle m'avait arraché le livre des mains pour m'obliger à lui répondre. Elle avait renoncé à m'appeler pour le dîner et avait trouvé une solution efficace. Depuis la cuisine, elle coupait l'électricité dans ma chambre. J'étais obligé de les rejoindre. Je lisais à table, ce qui horripilait mon père. Je lisais en me lavant les dents et aux toilettes. Ils tambourinaient à la porte pour que je cède la place. Je lisais en marchant. Il me fallait quinze minutes pour aller au lycée. C'était un quart d'heure de lecture qui s'étirait en une demi-heure ou plus. J'intégrais ce supplément et partais plus tôt. J'arrivais souvent en retard et me ramassais des colles à la pelle pour trois retards sans motif valable. J'avais renoncé à expliquer aux abrutis censés nous éduquer que ces retards étaient justifiés et inévitables. Mon ange gardien me protégeait et me dirigeait. Je ne me suis jamais cogné à un poteau, ni fait écraser par une voiture en traversant les rues, le nez plongé dans mon bouquin. J'ai évité les merdes de chien qui maculaient les trottoirs parisiens. Je n'entendais rien. Je ne voyais rien. J'avançais au radar et atteignais le bahut sain et sauf. Pendant la plupart des cours, je poursuivais ma lecture, le livre calé sur mes cuisses. Aucun professeur ne m'a attrapé. J'arrivais en retard quand quelques pages passionnantes m'immobolisaient sur le trottoir durant un temps indéterminé. Le pire, c'était les passages cloutés. J'y manquais plusieurs fois mon tour et, souvent, un klaxon me rappelait à la réalité.
J'ai fini par classer les écrivains en deux catégories: ceux qui vous laissaient arriver à temps et ceux qui vous mettaient en retard. Les auteurs russes m'ont valu une ribambelle de colles. Quand il commençait à pleuvoir, je me rangeais sous un porche pour poursuivre tranquille. La période Tolstoï a été un mois noir. La bataille de Borodino a entraîné trois heures de colle. Quand, quelques jours plus tard, j'ai expliqué à l'appariteur, un pion thésard, que mon retard était dû au suicide d'Anna Karénine, il a cru que je me foutais de lui. J'ai aggravé mon cas en avouant que je n'avais pas compris pour quel motif elle se suicidait." (p 50 et 51)

3 commentaires:

chiffonnette a dit…

Moi c'est ceux qui me font rater ma station et les autres! :-)

Noukette a dit…

Et moi j'avoue sans honte lire en marchant, c'est périlleux mais j'y arrive ! ;-)

Marie a dit…

Dire que j'ai trébuché sur ce roman et abandonné en cours de lecture... Je me sens piteuse ! ;-)