vendredi 3 décembre 2010

Le mal qui ronge

Roman d'anticipation dont le fil rouge est la mérule (nom scientifique, latin: serpula lacrymans), métaphore de notre société moderne, étouffée par la course effrénée à la consommation, à l'accès, souvent illusoire, au cercle fermé des détenteurs du pouvoir économique et politique.
Le héros, Marcus,un jeune informaticien de haut vol, devient un desperado, un solitaire, luttant à sa manière contre le rouleau compresseur qu'est "Le Centre", ce point infime irradiant le reste du pays de son attraction mortifère. "Le Centre", quintessence d'un capitalisme devenu une boîte de Pandore que personne n'ose plus refermer et encore moins orienter autrement.
Marcus traîne son mal être, entre Paris et Bruxelles, dans un décor d'empire décadent qui rappelle la chute de l'Empire romain, et l'auteur laisse transpirer, subtilement, une lecture de Suétone. Le Colisée est la télé qui offre du pain et des jeux pour anihiler la conscience, la volonté des citoyens, les gavant d'un artifice démocratique qui leur fait oublier qu'une seule chose compte: plier sous le joug d'une servitude inconsciente. Entre Paris et Bruxelles, l'agonie des hommes s'opère dans la solitude, dans l'estime de soi en déliquescence et dans la renonciation aux idéaux humanistes.
La mérule ronge lentement, patiemment mais sûrement, opiniâtre entité dont l'invisibilité met en lumière la désespérance des hommes. Marcus, tel un gladiateur rdevenu anonyme, tente d'oublier qu'il fut un terne papillon amoureux d'une étoile, factice, icône d'un "Centre" qui peut offrir des compagnes de choix à ceux qui le rejoignent sans se poser de question et surtout en laissant derrière eux leurs ultimes principes. Vera, une étrange "escort girl" sur le retour, une "Poster Girl" réservée aux revues des VIP, débarque dans sa vie et lui fait découvrir les tourments d'un amour construit sur u apprentissage aussi explosif que destructeur: les relations Sado-Masochistes poussées à l'extrême par cette femme qui ne peut éprouver de plaisir autrement que dans la douleur, la torture tant physique qu'intellectuelle, déviance outrancière d'une relation à soi-même exempte d'amour propre et d'estime de soi...la mérule ronge jusqu'aux joutes amoureuses.
"Serpula" est un roman qui, dès les premières pages, intrigue puis dérange avant de se laisser lire par un lecteur ballotté entre fascination et nausée. Fascination pour la description d'une monde qui se meurt, rongé par une mérule peut-être salvatrice, éveillant quelques consciences; nausée devant un langage souvent très crû, mais pas forcément vulgaire, qui met mal à l'aise car pointant du doigt un certain degré de pourriture dans la société moderne. Je n'ai pu m'empêcher de faire sans cesse le parallèle avec la décadence de l'Empire Romain et ses empereurs plus fous furieux les uns que les autres, entraînant dans leur folie une civilisation à bout de souffle. Un vent de soufre, de luxure, de peur et de rédemption souffle sur le roman, sur les héros ordinaires qui prônent la Révolution du bonheur, un bonheur sans contrepartie auquel tout être humain est en droit d'exiger. Un vent glacial, celui d'une dictature qui n'a aucun égard pour les libertés fondamentales de l'être humain...Il fut un temps où la dystopie éreintait le communisme triomphant, maintenant, elle fustige un capitalisme qui a depuis longtemps jeté aux orties ce qu'il pouvait avoir de meilleur dans l'Homme.
"Serpula" est-il un roman d'anticipation ou doit-il être apparenté à la dystopie, au même titre que "Le meilleur des mondes" d'Huxley ou "Farhenheit 451" de Bradbury? Elle s’oppose à l’utopie et au lieu de présenter un monde parfait, propose le pire qui soit. La différence entre dystopie et utopie tient moins au contenu qu’à la forme littéraire et à l’intention de son auteur. D’autant que nombre d’utopies positives se sont révélées effrayantes. L’impact que ce type de roman a sur la science-fiction amène à qualifier de « dystopie » tout texte d’anticipation sociale décrivant un avenir sombre. Toujours est-il que le roman est sombre, très sombre, où le glauque est la toile de fond d'une intrigue qui se construit lentement, au rythme des murs rongés d'une société aveugle, muette et sourde, et qu'il ne laisse qu'un infime espoir, celui porté par des hommes de bonne volonté qui osent dire un jour "NON".
"Serpula" ne laisse pas indifférent, perturbe un peu et interpelle beaucoup: en ces temps de crise économico-financière qui ébranlent les hommes à l'échelle planétaire, l'argument littéraire développé dans le roman est loin d'être une anticipation sociale, ce qui lui ajoute une dimension tangible.

Je remercie les éditions Art Access pour ce joli moment de lecture

3 commentaires:

L'association En Bout de Table a dit…

Et bien ! Voila un roman qu'il est inutile de me prêter Katell ! Glauque, déliquescence, renonciation aux idéaux humanistes, civilisation à bout de souffle ... et c'est de l'anticipation !!! Si c'était passé encore !!!
Comment ça va Katell aujourd'hui ?!!!
Bravo tu es téméraire dans tes lectures !

Parle-leur plutôt de batailles, de rois et d'éléphants ! C'est bôôô !
bises, brigitte

Mélo a dit…

Voilà un thème qui m'interpelle beaucoup !
Merci pour la découverte ! :)

Lystig a dit…

ça me tente bcp !
je note !