Norvège, archipel du Svalbard au
Cercle Polaire. Longyearbyen, la capitale, vit au rythme de la nuit
polaire et de sa mine de charbon.
Tout le monde se connaît, tout le
monde se croise et se côtoie. Qu'on y vienne pour quelques mois,
quelques années ou tout une vie, ce bout de terre, au goût de
confin du monde civilisé, laisse son empreinte.
La ville porte encore les blessures du
dernier accident mortel de la mine. Un mineur, Per Leikvik en a
réchappé en abandonnant au fond une partie de lui-même. De mineur
expérimenté, il est devenu l'idiot du village, solitaire, décalé
et inquiétant.
Tout est de glace et encore de glace
dans cette nuit polaire qui n'en finit pas. Tout est étrange,
angoissant et pesant : la nuit de la mine, ses boyaux anciens où
erre le « sixième homme », ombre parmi les ombres, au
plus profond de la terre; la nuit polaire en surface. Au milieu, des
hommes et des femmes avec leurs émotions, leurs histoires, leurs
peurs, leurs soucis. Des enfants qui jouent à cache-cache, qui
jouent au métier de leur père. Des dames oeuvrant dans les
associations, tricotant, cousant, cuisinant et épiant tout et rien.
Les balades en motos-neige, brisant le silence polaire, les ours
blancs, les rennes convoités par des gens sans scrupules. Tout
semble lisse, sans histoire sauf qu'il n'en est rien.
La banquise est un personnage important
au même titre que la mine : autour de ces pôles s'articulent
la vie, les vies plus ou moins débridées des protagonistes.
Le noir
de la mine rempli de suie, de poussière, d'excavations, d'aspérités
luisantes, de veines minérales, est un océan profond au-dessus
duquel craquent les glaciers ; le bleu sombre de la nuit polaire
irisant la glace, bien qu'à l'air libre, oppresse tout autant :
le froid, l'immensité solitaire et uniforme étouffent un lecteur pris dans une
tourmente glaçante tant elle est insidieuse et discrète.
Le roman imbrique plusieurs histoires,
histoires impliquant divers personnages que la narration reliera
entre eux au fil des chapitres.
La vie sur cette île est difficile
pour celui ou celle qui n'y est pas né. Le manque de luminosité
affecte le corps, les sens, l'âme : on en sort fortifié ou on
plonge dans la dépression ou la folie.
Ella, la fille du nouvel ingénieur
disparaît sans laisser de trace. On imagine le pire d'autant qu'il y
a la présence de « l'homme aux bonbons ». Elle sera le
fil conducteur d'une narration construite comme une chorale :
des solos, des choeurs, des réponds, des reprises, des duos, le tout
avec harmonie et dissonances bienvenues.
Autour d'Ella, le lecteur croisera les
parents et leur histoire, une femme trompée par son mari, une épouse
volage, des contrebandiers, un chercheur spécialisé dans la
sauvegarde des hardes de rennes sauvages, une fête de la lumière,
des policiers, des commères.
Aucun personnage n'est privilégié car
chacun apporte sa pierre à l'édifice qui se construit sous les yeux
du lecteur, pas d'indice caché à la vue de tous.
Alors, pourquoi ce
roman est-il prenant ? Parce que le suspense est instauré avec
habilité et originalité: l'auteure laisse son lecteur maître de
ses suppositions, de ses déductions, de son enquête. A lui de
relier les événements relatés au présent ou au passé, plus ou
moins proche, à lui de se laisser guider par son expérience de
lecteur. D'emblée, il sait que le « sixième homme »
sera à l'aune du mythe minier, l'ombre parmi les ombres d'où
jaillira une partie de la lumière.
Chaque personnage apporte un élément
du décor, participe à l'atmosphère particulière de la vie au
Cercle polaire.
Monica Kristensen a réussi un
excellent roman policier sans action trépidante, sans effets de
manche alambiqués, elle a narré un quotidien perturbé par un
concours de circonstances qui engendre un enchaînement d'actes et de
situations qui tiennent en haleine. La chute est très surprenante,
d'une efficacité redoutable.
« Le sixième homme » est
un roman dans lequel on entre intrigué et dont on ressort avec des
sensations multiples produites par l'ambiance polaire décrite avec
brio par l'auteur. Le lecteur étranger à ces paysages se sent un
peu chez lui sur l'île de Svalbard.
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