Août 1947, un drame enfle lentement mais sûrement après l'Indépendance de l'Inde : la Partition se profile pour devenir effective le 15 août.
Nisha, une fillette de douze ans, commence son journal intime un mois avant la proclamation de la Partition entre l'Inde et le Pakistan, pour y consigner tout ce qu'elle ressent et a sur le cœur.
Son interlocutrice ? Sa mère disparue depuis douze ans, en mettant au monde ses jumeaux, Amil et Nisha.
Elle vit à Mirpur Khas, dans le nord de l'Inde, avec son frère, père, médecin hindou, et sa grand-mère paternelle, Dadi. Elle observe le monde et les adultes, écoute et tente de comprendre ce qu'il y a derrière l'Indépendance et la Partition : il se murmure que les musulmans et les hindous ne pourront plus coexister... pour quelle raison ? Nisha ne peut le concevoir : l'Inde est aussi la province où elle vit et a grandi, celle de sa mère musulmane qu'elle n'a pas connue. Pourquoi, du jour au lendemain, ceux qui s'accordaient ne pourraient plus se supporter ?
D'ailleurs, Nisha écrit : « Tout le monde sait qui est hindou, musulman ou sikh par les vêtements qu'il porte ou par son nom. Mais nous avons tous vécu ensemble dans cette ville depuis si longtemps. Je n'ai jamais vraiment fait attention à la religion des gens. Est-ce que tout ça, c'est parce que l'Inde est en train de devenir indépendante des Britanniques ? Je ne vois pas très bien le rapport. » (p 29)
Au fil des jours, le lecteur en apprend un peu plus sur le quotidien de Nisha et de sa famille, ses espoirs et ses craintes.
Un jour, Amil et Nisha se font poursuivre, sur le chemin de l'école, par des garçons musulmans, dès lors les jumeaux décident d'emprunter leur chemin secret, moins direct mais plus sécurisant.
Cependant, l'inconcevable a lieu : Amil se fait agresser. Les jumeaux n'iront plus à l'école, le temps que tout se calme. Las, le calme ne revient pas, bien au contraire et envisager le départ de Mirpur Khas devient nécessaire.
L'exode doit s'effectuer discrètement, la famille renonce au dernier moment à prendre le train pour éviter les massacres. Elle quitte Kazi, le cuisinier musulman et lui confie la clef d'une maison qu'elle ne reverra plus.
On suit les tribulations de Nisha et sa famille sur la route de l'exil, chacun avec un baluchon enveloppant le strict nécessaire et les gourdes d'eau, route encombrée, dans un sens comme dans l'autre, de familles fuyant ce qui avait été leur foyer, fuyant une Inde, leur Inde, disparue.
Nisha apprend la dureté des jours et des hommes que la peur, la faim et la soif rendent fous et violents. Oubliés les jeux dans le jardin ou le verger de manguiers, oubliée la cuisine savoureuse de Kazi, oublié le confort d'une maison et d'un lit, oubliée la toilette quotidienne, il faut avancer pour gagner la nouvelle frontière et rejoindre une nouvelle Inde.
« Alors à partir d'aujourd'hui (15 août 1947), la terre sous nos pieds n'est plus l'Inde. Kazi doit vivre de son côté et nous devons nous en aller et trouver une autre maison. En ce moment même, est-ce qu'il y a quelque part une fille musulmane assise dans sa maison et qui doit la quitter pour partir vers un pays nouveau qui ne s'appelle même pas Inde ? Est-ce qu'elle aussi se sent perdue et effrayée ? » (p 111)
Nisha écrit son journal régulièrement, le lecteur peut ainsi être traversé par les émotions de l'adolescente ainsi que les épreuves subies au cours de son périple.
Faire la connaissance du frère de sa mère, Rashid est un moment presque irréel pour Nisha : dans la maison s'exposent les toiles peintes par sa mère, elle pose les pieds là où Faria, sa mère, a marché, couru dans son enfance et adolescence. Elle ressent le passé maternelle et voit d'un œil nouveau sa mère, cet inconnue qui l'accompagne chaque jour de sa vie.
L'exode a de bons côtés comme celui de vivre quelques semaines sous le toit du frère préféré de sa mère et l'entendre dire qu'elle lui ressemble. Cadeau inestimable pour la jeune Nisha.
« Le journal de Nisha » est un roman jeunesse relatant un épisode historique peu traité, voire pas du tout, pour un public adolescent. L'auteure, Veera Hiranandani, écrit en adaptant son écriture et en évitant le piège de l'exposé : les faits historiques sont présents, bien expliqués et servis par les ressentis d'une adolescente qui ne comprend pas la portée indélébile d'une décision politique. Pour elle, issue d'une union mixte hindoue-musulmane, se déchirer entre soi après avoir arraché au Royaume d'Angleterre l'indépendance de l'Inde, est un non-sens absolu.
Le regard de l'enfance pointe la brutalité du monde des adultes, les rêves s'effacent pour se tapir au plus profond de soi. Nisha fait ses adieux à son Inde millénaire pour une nouvelle vie à Jodhpur.
« Le journal de Nisha » est un roman à découvrir et une belle aventure romanesque à vivre. Merci aux « Etapes indiennes » pour cette lecture commune « jeunesse » très intéressante.
Traduit de l'anglais par Jean Pouvelle
Quelques avis :
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3 commentaires:
Et bin tout un roman fort...oui ce theme doit etre aborde....et de magnifique maniere ici
C'est vraiment une très belle et forte lecture!
J'ai beaucoup aimé ce roman qui montre en effet la violence et la brutalité de cette Partition. Heureusement, certains passages viennent alléger un peu la lecture, les moments de partage autour de la cuisine et quelques belles rencontres mais que d'épreuves !
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