Janvier 1901, Londres, le siècle nouveau a un an et le Royaume d'Angleterre se retrouve orphelin de sa reine, la reine Victoria.
La coutume impose que les gens se rendent dans les cimetières pour rendre hommage au souverain disparu. Deux familles, les Waterhouse et les Coleman, que tout éloigne, se retrouvent près de leurs tombes mitoyennes. Leurs deux fillettes, Maude et Lavinia, se lient aussitôt d'amitié malgré leurs différences : la première est attachée aux valeurs traditionnelles tandis que la seconde affiche une certaine modernité.
Le roman se construit autour des deux petite héroïnes et de leurs familles en un chant polyphonique dans lequel se lovent les changements sociétaux d'une Angleterre à un tournant de son histoire.
Maude est discrète, presque mutique tandis que Lavinia est une incorrigible bavarde ayant un avis sur tout et de longues listes de bienséance. Maude est studieuse et avide de savoirs, Lavinia ne voit qu'une partie du chemin, celui qui mène au mariage.
Rapidement, le cimetière devient leur point de ralliement, le lieu de toutes leurs rencontres. Elles font la connaissance du fils d'un des fossoyeurs, Simon avec lequel elles formeront un trio surprenant.
Au gré des rendez-vous près des tombes familiales, un récital se met en place : celui de leur vie quotidienne à l'aube du bouleversement mondial issu de la Grande Guerre. Le mouvement des suffragettes met en lumière la liberté restreinte des femmes et fait campagne pour l'octroi du droit de vote féminin.
La condition féminine n'est pas la même selon l'échelon social : être servante et fille-mère équivaut un renvoi sans référence et donc à mourir à petit fu d'indigence, travailler comme une bête de somme pour tenter de survivre. Défiler pour le droit de vote des femmes alors que les cohortes de petites bonnes et autres petites mains des familles nobles et bourgeoises, n'ont aucun horizon ? Jenny Whitby ne peut que ricaner d'autant plus que l'épouvantable matriarche Edith Coleman ne sait mener le monde qu'à la baguette de la coutume et des traditions.
Chez les Coleman, l'amour maternel ne s'exprime que très peu, Maud est dorlotée par la servante Jenny. Les parents sont des entités un peu lointaines, encourageant les envies d'études de leur fille unique. Chez les Waterhouse, la maison vit au rythme des courses d'enfants, des goûters joyeux et d'une vie familiale bourgeoise de bon aloi.
Le récital aurait pu être un long allegro, or le bourdon du malheur vient frapper les deux familles : Kitty Coleman, qui a tout pour être heureuse, se languit au point de s'abandonner au regard du directeur du cimetière. Après les regards, les bras et un jour, la vie se niche chez Kitty qui refuse cette grossesse. Le rythme de la musique se brise quand l'art d'une faiseuse d'anges, la mère de Simon, ôte la vie du ventre de Kitty dont la langueur devient dépression.
Au cours de l'inauguration de la bibliothèque du quartier, Kitty rencontre une jeune femme pétulante et battante appartenant au mouvement des suffragettes. La mère de Maude le rejoint pour donner un sens à sa vie. Choix qui n'enchante guère la belle-mère et l'époux.
Lors d'une grande manifestation, Kitty, blessée par la ruade d'un cheval, n'en sortira pas indemne tandis que la sœur cadette de Lavinia, perdue dans la foule, sera à la merci d'un sadique.
Le choix des voix multiples des protagonistes de l'histoire apporte la polyphonie au récit et une richesse de points de vue : chacun vit les événements selon son propre prisme et prend l'action en court sans savoir ce que pense l'autre. On peut être surpris au début, se demandant si on n'a pas tourné deux pages en même temps, puis on trouve le rythme du récital de ces voix parfois discordantes. Chaque voix a son champ lexical et son niveau de langage apportant à la vue d'ensemble des morceaux chamarrés.
Tracy Chevalier aborde le thème de condition de la femme au tournant d'une époque s'ouvrant à la modernité avec finesse malgré la pointe de pathos de la manifestation des suffragettes.
Je n'oublie pas un des « personnages » importants : le cimetière. Un lieu vivant parmi les ultimes demeures de ceux qui ne le sont plus. Un lieu où la connaissance du terrain est vitale, les diverses problématiques sont bien expliquées par le jeune Simon : la terre sablonneuse ne se travaille pas comme la terre argileuse, les techniques sont spécifiques et les fossoyeurs ne doivent rien omettre de chaque protocole.
Le cimetière point d'orgue du « comment dormir pour l'éternité », dans une fosse commune pour les indigents, dans un cercueil ou opter pour la crémation ! Kitty Coleman est moderne jusque dans le domaine mortuaire : elle souhaitait la crémation ce que son époux refusera et que son amant lui accordera.
Tracy Chevalier, subtilement, rappelle combien le cimetière pouvait être peuplé dans une époque pas si lointaine : lieu de promenade, de rendez-vous galants, d'échanges en tout genre, bureau à ciel ouvert.
Une pointe humoristique pas si déplacée que cela : les têtes de mort peintes au pochoir, sur un coin discret des pierres tombales, par Simon, jeune chantre des vanités.
« Le récital des anges » a été une très agréable lecture grâce à laquelle j'ai pris plaisir à renouer avec l'écriture et l'univers de Tracy Chevalier.
Traduit de l'anglais par Marie-Odile Masek
Quelques avis :
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4 commentaires:
oh tout un magnifique livre alors
J'ai beaucoup aimé même si j'ai eu un début de lecture difficile.
J'aime beaucoup cette romancière. Je trouve que ses procédés stylistiques se répètent mais je lis un de ses romans de temps en temps
Oh j'aime beaucoup ta nouvelle banniere....;)
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