En octobre, les « Dessous (fantastiques) des classiques » nous invitaient à choisir une œuvre de Marcel Proust ou de Victor Hugo.
J'ai choisi Hugo et une relecture de son roman « Quatrevingt-treize ».
1793, année terrible pour la France, année sanglante, année d'une rare violence au cours de laquelle s'embrasent la Vendée et la Bretagne.
1793, c'est l'an II de la Convention, celle de Marat, Danton et Robespierre, trois piliers, trois visions, trois orateurs fameux dont les destins seront aussi fulgurants que sanglants.
1793, la France est attaquée de toutes parts : à l'est, le Rhin est franchi par les Prussiens, au sud, l'Italie et l'Espagne tentent d'investir les places, sur les mers la marine anglaise patrouille, en quête du moment idéal pour lâcher des troupes, à l'ouest les Royalistes reprennent du poil de la bête, levant des milliers de paysans au nom de Dieu et du Roi.
1793, le bocage et les forêts bretonnes s'enflamment, la guerre civile, tant redoutée, prend corps au grand dam de Robespierre... l'ennemi le plus dangereux pour la Révolution est celui de l'intérieur.
1793, année de la Terreur. Girondins, Montagnards, Jacobins et autres partis révolutionnaires s'affrontent à la Convention à coups de discours homériques, d'envolée lyriques, d'accusations, d'insultes s'achevant, souvent, avec le couperet de la Guillotine.
1793, les têtes les plus en vue ne tiennent qu'à un fil. L'intransigeance révolutionnaire moissonne les épis récalcitrants sur un décret du Comité de salut public, puissance omnipotente et terrifiante d'un pouvoir qui peine à s'asseoir.
Ce ne sont plus les heures sombres de l'Histoire qui s'écoulent dans le roman de Hugo, ce sont les heures rouges du sang des exécutions et rougeoyantes des incendies dus aux affrontements fratricides.
Le roman s'ouvre par le débarquement en France du nouveau chef des armées contre-révolutionnaires, en la personne du Marquis de Lantenac. Traqué par les troupes révolutionnaires commandées par son petit-neveu, le vicomte Gauvain, lui-même surveillé par son ancien précepteur, le terrible Cimourdin, mandaté par le Comité de salut public. Chacun est surveillé par quelqu'un comme le souhaitent Robespierre et Marat.
Cimourdin, ancien prêtre engagé par Lantenac pour éduquer Gauvain, est la face sombre de la Révolution, intraitable et inflexible. Quant à Gauvain, il incarne sa face lumineuse, celle des idéaux, de l'utopie philosophique, des espoirs d'équité et d'égalité pour poser les socles d'une société nouvelle. Le jeune chef d'armée est quasiment LA figure romantique du révolutionnaire éclairé par les idées nouvelles.
Lantenac est la figure d'un passé qui tente de relever la tête. Il est les dix-huit siècles de monarchie dont le dernier chant explose au cours du siège de la vieille forteresse de Tourgue. Il a emporté, en guise d'otages, trois orphelins adoptés par un bataillon révolutionnaire, tel l'ogre dévorateur des contes. Lantenac est inflexible et insensible, passant au fil de l'épée, hommes, femmes et enfants, massacrant tout ce qui se dresse contre lui. Il est la féodalité, les impôts à n'en plus finir, la société inégalitaire. Il est la Vendée réactionnaire, il est la chouannerie.
Les trois enfants, deux garçons et une fille, sont l'incarnation de l'innocence, de la pureté parmi les horreurs de la guerre et des massacres. Ce sont des lumières égarées parmi les sombres moissonneurs, qu'ils soient « blancs » ou « bleus ». La scène, dans la bibliothèque de la Tourgue, est d'anthologie : le dernier exemplaire du « Saint Barthélémy » est saccagé par les menottes qui s'ennuient. Le fantôme de la nuit de la St-Barthélémy est en filigrane ...massacre d'innocents qui se répète. En effet, ladite bibliothèque a été piégée de manière à s'enflammer pour anéantir les forces républicaines au moment où elles investiront la place.
« Quatrevingt-treize » met aussi en avant deux parties très intéressantes : la première est la rencontre, d'autant plus spectaculaire qu'elle est imaginaire, entre les trois grandes figures de la Révolution française, Danton, Robespierre et Marat ; la seconde est la reconstitution d'une séance à la Convention. Les descriptions sont absolument fabuleuses, Hugo apporte le souffle épique de son écriture et de son style. Ce qu'il fait vivre à son lecteur est le …. oserai-je le dire ? …. joyeux et terrible bordel des séances de la Convention. Les insultes, les bons mots fusent, les discours fleuves noient ou abreuvent, les « émeutes » s'invitent aux discussions et disparaissent aussi vite qu'elles sont entrées. Sous la plume d'Hugo, sa vision de l'an II de la Convention est celle d'un fleuve tumultueux au milieu duquel quelques îlots tentent de canaliser les flots qui se déversent.
Le chaos et la raison, l'ombre et la lumière, l'inflexibilité et l'humanisme charrient une même idée, celle d'une société nouvelle offrant une place à chaque citoyen.
Pour en revenir à nos héros, leur destin sera, forcément tragique. Cependant, chacun à sa manière, sera sublime de grandeur d'âme. Tel est le paradoxe des tragédies.
On pensait voir les trois enfants brûlés vifs, Lantenac alors aux portes de la liberté, rebrousse chemin pour les sauver de la fournaise. La rédemption par le feu.
Le beau Gauvain, écartelé entre devoir et sens moral, pour lui Lantenac s'est racheté en sauvant les enfants, aussi préfèrera-t-il l'échafaud au déshonneur de ne pas respecter sa vision de la Révolution et du monde qu'elle peut créer. La jeunesse prometteuse fauchée par le couperet.
Et Cimourdin ? Il ne survivra pas à celui qu'il a éduqué et chez qui il sema les graines révolutionnaires. Il se châtiera lui-même après avoir appliqué, inflexiblement, la sentence du Comité de salut public.
L'ultime phrase est grandiose, magnifique et tragique... tout Hugo en quelques mots choisis et prosodie admirablement scandée.
La relecture de « Quatrevingt-treize » a été une redécouverte d'un très beau texte d'Hugo et de sa vision, sans doute discutable pour certains, de ces années terribles de la Révolution française.
Les notes sont foisonnantes et très intéressantes car elles permettent de mieux comprendre l'époque et les faits historiques.
Quelques avis:
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7 commentaires:
Je ne sais pas si je vais avoir un jour le courage de lire ce bouquin qui est dans ma bibliothèque depuis des années. Quand je lis ton article, cela m'apparaît bien difficile avec cette Révolution française... Mais bon. La plume du Barbu est toujours riche et enlevante. Merci!
Oh que cela me plairait de le lire...j'aime beaucoup Hugo...surtout ses envolees....je le note
Depuis que j ai visité la maison Hauteville j 'ai envie de lire Hugo. Pourquoi pas celui-ci
Ouiiii ! :-D Un de mes très bons souvenirs de lecture scolaire. Une relecture serait même envisageable.
Comme tous les romans de Victor Hugo, j'ai très envie de lire celui-ci (même si je pense me tourner vers Les travailleurs de la mer la prochaine fois). L'époque historique me fascine autant qu'elle m'inquiète car je ne suis pas très calée sur le sujet, mais je suis d'avance séduite par ces parcours humains et ces personnages qui semblent encore une fois magnifiques. Merci d'avoir confirmé (et amplifié) mon envie de le découvrir !
Le côté historique m'effraie un tantinet...
J'en connais une qui dirait "oui, mais ça manque de femmes, cette histoire!"...
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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