lundi 26 décembre 2022

Le piège d'or

 


Les (fantastiques) dessous des classiques nous emmenaient en décembre à la découverte du Grand Nord. J'ai choisi de partir en Amérique du nord aux côtés d'un auteur classique méconnu James Oliver Curwood. Il y a du Jack London dans ses récits sans sa dureté.


« Bram Johnson est une créature hors du commun. Un géant solitaire, métis esquimau à la tignasse rousse et au rire fou. À la fois une légende vivante et… un criminel. Capable de disparaître comme par magie, il parcourt les étendues glacées du Grand Nord canadien avec sa meute de loups assoiffés de sang, loin du monde des hommes. Pour les Indiens superstitieux du Barren, il s’agit d’un homme-loup ! […]"


D'emblée le décor est planté : l'immensité glacée du Grand Nord canadien, sa solitude pouvant mener à la folie, sa faune et ses tribus sans pitié.

Bram, métis solitaire à la tignasse rousse vit avec sa meute de loups, sans cesse pourchassé par les autorités pour meurtre. Légende vivante, homme-loup aux yeux des Indiens du Barren, il mène une vie isolée du monde des hommes. Il apparaît et disparaît aussi soudainement qu'un esprit, provoquant la peur parmi les natifs et les hommes de la Police montée.

Philip Raine, patrouilleur de la Police montée canadienne, se lance à sa poursuite, bien décidé d'en finir avec cet homme hors du commun.

Un long périple, doté de nombreux dangers, est entamé par le patrouilleur. Le souffle glacé du Grand Nord étreint faune et flore, recouvre de silence les forêts interminables en apportant à Raine le fardeau de la froide solitude.

Jim Curwood relate la vie de Bram Johnson et laisse le lecteur apercevoir une personnalité loin d'être inhumaine, bien au contraire : Bram aurait pu se débarrasser de Raine plus d'une fois mais ne le fait pas. Lors de leur confrontation, intense dans la nuit polaire, Bram laisse tomber de sa poche un piège. Quand Raine le récupère il découvre qu'il est particulier : des cheveux d'un blond doré en sont une des composantes. Comment l'homme-loup a-t-il pu se procurer ces mèches de cheveux ? Qu'a-t-il commis pour les avoir ? Et surtout à qui appartenaient-elles ? L'enquête commence ainsi que l'histoire sentimentale entre le patrouilleur et la blonde captive.


« Le piège d'or » est, sans conteste, un roman d'aventure. Il happe son lecteur dès les premières pages et le confronte avec deux univers différents : celui de l'immensité blanche et glaciale des paysages du Grand Nord, mystérieux et truffés de dangers, et celui de la civilisation policée.

Avec Bram Johnson et Philip Raine, ces univers s'affrontent dans un combat digne du western des grandes plaines étasuniennes. Car, à mes yeux, « Le piège d'or » est un western doté des poncifs du genre : le gentil blanc de la Police montée, le meurtrier fou métis recherché depuis tant d'années qu'on le croyait mort et les méchants issus d'une tribu indigène. Raine est suffisant et méprisant envers les membres de la tribu indigène qui poursuit les blancs ayant accosté dans le Barren, il est dénué d'empathie envers Bram qu'il considère comme un aliéné qu'il faut supprimer. Cerise sur le gâteau, il est tellement imbu de lui-même qu'il ne peut concevoir que la jeune captive puisse avoir des sentiments envers Johnson. Ce dernier a sauvé la jeune femme des griffes d'une tribu indigène agressive et est subjugué par la blondeur dorée de sa chevelure. Au point qu'elle lui a donné plusieurs mèches dont il s'est servi pour le fameux piège d'or.

« Le piège d'or » ayant été écrit au début des années 1920, il est nécessaire de prendre du recul en lisant les passages décrivant les membres de la tribu indigène comme étant des « noireauds », des « moricauds » et décrits comme des petits êtres malfaisants suivant plus leurs instincts animaux que leur intelligence. Ces passages sont choquants pour des lecteurs contemporains d'où l'importance de connaître le contexte historique de l'époque.

En réfléchissant à la manière dont l'auteur met en place la psychologie de ses personnages principaux, je ne suis pas certaine que son héros soit celui que l'on croit : il fait de Philip Raine un homme épouvantablement insupportable avec sa vision conquérante et dominatrice du monde. Tout doit être soumis à la supériorité de la civilisation blanche ainsi qu'à l'autorité du mâle. La pauvre captive, suédoise, n'a pas son mot à dire : Raine est incapable de comprendre pourquoi elle ne voit pas en Bram un aliéné dangereux ne méritant que la mort. Est-ce intentionnel de la part de l'auteur que Raine ne soit qu'une caricature de cow-boy ?

Je me pose la question car Bram m'a paru plus humain et plus empathique que Raine. Bram a ses blessures intimes qui ont fait qu'il est devenu un être asocial, préférant la solitude et l'amitié avec ses loups à la compagnie des hommes. Sous son aspect de brute sauvage, Bram est un homme vivant en symbiose avec la nature du Grand Nord : il est dur car la survie dans un environnement extrême exclut la moindre faiblesse physique, et cependant à l'écoute des sensations d'autrui.

J'ai vraiment aimé ce héros à la marge cachant sous une apparence brutale un cœur chaleureux, capable de compassion et d'empathie envers ses semblables. J'ai frissonné quand il explique à Raine pourquoi il a commis le meurtre dont il est accusé, quand il dit que l'autre l'avait accusé d'être un voleur alors que ce n'était pas le cas. J'ai eu l'impression de voir Elephant man, cabossé par la vie et les hommes lâchant leurs instincts cruels envers les plus faibles, envers ce qui est différent.


« Le piège d'or » est un vrai roman d'aventure qui aborde des sujets importants et complexes tels que la confrontation avec l'autre, avec la différence de culture, avec les blessures intimes que chacun peut porter en soi. La nature est une grandiose présence, monumentale et impartiale : que l'homme peut être minuscule à côté d'elle !


Traduit de l'anglais (USA) par Paul Gruyer et Louis Postif.


Quelques avis :

Babelio 

Lu dans le cadre

 




7 commentaires:

rachel a dit…

Et bin toute une aventure dans l'espace neigeux et dans le temps aussi...un autre monde----:=

Katell a dit…

Ce fut une agréable découverte.

L'ourse bibliophile a dit…

Quand j'étais enfant, j'aimais beaucoup deux romans de Curwood (Chasseurs de loups et Chasseurs d'or) pour les aventures et la nature sauvage qu'ils contenaient. Je ne doute pas qu'ils ont également des aspects qui me dérangeraient davantage aujourd'hui, mais j'aimerais bien les relire à l'occasion. Et peut-être lire d'autres romans de cet auteur. J'aime beaucoup le fait qu'il a suscité des questions chez toi, ça m'intrigue.

Katell a dit…

Merci d'être passée chez moi. Il est évident que mon regard de lectrice adulte a provoqué les diverses questions que je me suis posées à l'issue de la lecture. Cependant il est important de ne pas oublier de contexte de l'époque et l'esprit de conquête des Américains toujours en concurrence avec les Canadiens.
Malgré cela, j'ai apprécié la lecture de ce court roman.

Fanny a dit…

ce titre m'est tout à fait inconnu! Encore une bonne pioche dans les Classiques :-)

Alice a dit…

J'ai eu idée de le lire mais manque de temps oblige... mais il reste sur ma liste à lire, et ce que tu en dis achève de me convaincre.

tadloiducine a dit…

Je ne connaissais pas du tout ces éditions Magellan. Je vois qu'elles ont repris les traduction déjà bien anciennes de Louis Positif et Paul Gruyer.
Pour ma part, je connaissais ce titre (comme une bonne dizaine d'autres) via des éditions en "Bibliothèque verte" de la grande époque (carton ou toile, avec titre et auteur en doré (ou marron pour certaines éditions durant la Seconde Guerre Mondiale!) - le plus souvent sans la jaquette d'origine en papier bien plus fragile et qui traverse rarement les décennies - sauf pour des livres davantage "collectionnés" que lus). Et je leur trouvais une bonne proximité avec les Jack London consacrés au Grand Nord.
Etanrt gamin, je les avais lus "au premier degré", sans y percevoir le contexte qui vous choque (discrimination par rapport aux "peuples premiers", comme on dit aujourd'hui...). Mais je me rappelle que j'aimais bien le message final lancé à la police montée, après le "papy end": "laissez tranquille Bram Johnson!".
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola