mercredi 21 mars 2007

Il était une fois l'Amérique



C'est mon premier Updike et à peine la lecture commencée, j'ai été étreinte par une peur irrationnelle: celle de fermer le livre avant la fin! Dès la page 16, je baillais, je cherchais un mot, une phrase pour me raccrocher au récit! Puis, je me suis rappelée qu'il fallait au moins patienter jusqu'à la page 50 avant de penser à « jeter l'éponge ».
En effet, la mise en situation de la saga familiale s'ouvre sur un pasteur qui perd la foi. Comme je ne suis pas états-unienne ni protestante, je me suis trouvée devant des considérations philosophico-religieuses très complexes à mes yeux, à la limite de l'abscons!
Mais, ô miracle!, à la fin de la première partie, Updike et ses personnages m'avaient conquise... ouf!
Que dire de cette saga américaine sinon qu'elle nous fait vivre le rêve américain, elle nous retrace l'histoire des Etas-Unis de 1910 à 1990....presque un siècle!
Updike nous promène dans ce siècle de tous les possibles en compagnie de quatre membres de la famille Wilmot: Clarence, le pasteur patriarche, Teddy, le fils cadet, Essie, la petite-fille et Clark, l'arrière petit-fils. Quatre volets de l'Histoire récente des Etats-Unis d'Amérique.
1910, Clarence Wilmot perd la foi et refuse le compromis de l'hypocrisie: continuer son sacerdoce. Son courage n'a d'égal que son athéisme conforté par l'émergence d'un art nouveau: le cinéma muet! L'ancien pasteur, devenu représentant d'une encyclopédie américaine (concurrent de l'Encyclopédia Britanica), faisant du porte à porte stérile tant chez les bourgeois que chez les prolétaires, entre oublier ses déboires et son désespoir dans les salles obscures. Il y a parfois des accents austériens dans la descriptions des scènes muettes qui rappellent « Le livre des illusions ». 1910 et la décennie suivante: la Grande Guerre et la Dépression qui meurtriront dans leurs chairs les soldats et les ouvriers. L'Amérique fait toujours rêver mais à quel prix! Le cinéma est là pour faire oublier mais aussi pour garder en mémoire, burlesque et tragique (merci Charlot), les heures sombres de la mondialisation (déjà!!) de l'économie. Dieu semble avoir abandonné les hommes et tourné le dos à ce triste et vain spectacle. Clarence s'éteindra, seul dans sa chambre, et son fils Teddy reprendra le flambeau de l'apostasie paternelle.
1929, Teddy, marqué par la défaite spirituelle de son père, ne jure que par la tranquilité d'une vie sans autre ambition que celle de ne pas se faire remarquer: surtout ne pas mettre en avant ses capacités intellectuelles...pour vivre heureux, vivons cachés! Et la bonne cachette: devenir facteur. Il refusera même de devenir Receveur des Postes: les luttes de pouvoir et les ambitions mesquines ne l'intéressent absolument pas. Il cultive, sans bruit, son jardin intérieur, et développe une immense tolérance envers l'être humain...tant qu'il n'empiète pas sur la liberté d'autrui! La famille Wilmot traverse, sereinement, les années de la Prohibition et de la seconde guerre mondiale, dans leur ville provinciale de Basingstoke, Delaware.
Années 40/60, Essie, la fille de Teddy, reprend le flambeau familial de l'amour du cinéma: son rêve, devenir actrice. Elle n'aura de cesse de quitter son Delaware natal pour New-York puis la Californie et Hollywood. Grandeur et décadence des Majors, des grands studios: le cinéma scintille mais meurtrit aussi les hommes. Elle sait jouer de son corps, de son charme, elle jouera avec les plus grands mais ne sera qu'une Maryline de second ordre....c'est ce qui la sauvera sans doute. Peu à peu, la télévision detrône le cinéma: plus proche des gens, moins chère. La publicité est le nouveau court métrage, les téléfilms les nouvelles productions. La jeunesse prime: dès qu'une ride apparaît, c'est l'oubli assuré. Essie luttera contre la « chasse aux sorcières » responsable du déclin du grand cinéma...déjà trop politiquement incorrect? L'imagination n'est plus au pouvoir, l'uniformisation des goût en route. On ne peut oublier ces stars glamour à souhait...Maryline, Rita, Audrey, Ingrid...la sensualité suave s'évanouit dans les nouveaux codes de l'industrie cinématographique.
Années 80/90, Clark, le fils unique d'Essie, pur produit californien, se traîne dans la vie comme dans la société impitoyable adorant celui qui réussit, brûlant celui qui végète. Les remugles du désastre du Vietnam sont encore brûlants, braises sur lesquelles les gourous peuvent souffler. La désespérance efface les repères des âmes faibles, broyées par ce système individualiste. Dieu prend d'étranges apparences, Dieu est interprêté de manière surprenante et déstabilisante. Dans une société trépidante, omnibulée par la vitesse et l'argent facile, les religions parallèles font florès. Clark, rencontre, dans une station de ski des Rocheuses, Jesse Smith, un gourou, vétéran du Vietnam, chef spirituel d'une secte. Le lecteur ne peut que se souvenir de l'épisode sanglant de Waco: la rencontre explosive d'une Amérique hautement technologique et d' une Amérique obscurantiste scandant la Bible et attendant l'Apocalypse. La folie égocentrique du gourou met le doigt sur une faille spirituelle: l'absence d'humanité dans notre société moderne.
Les Etats-Unis dansent follement sous la plume agile et ironique d'Updike qui démystifie, quelque peu, le rêve américain.

mardi 20 mars 2007

La Bretagne accorde des prix littéraires, aussi!


2007 est la 5ème édition du Prix des Lecteurs du Télégramme (rival de Ouest-France). Il a été lancé le 14 Mars dernier et sera remis le 8 Juin prochain au livre plébiscité par les lecteurs engagés dans l'aventure.
On appâte un LCA: une sélection alléchante...et un chèque-lire de 15€ par mois pendant un an!! Bien entendu, pour pouvoir les dépenser, il faut faire partie des 30 heureux élus désignés par tirage au sort!!!
La bibliothèque de Saint-Agathon (j'enseigne à l'école maternelle du village) participe à cette manifestation culturelle en achetant les 10 ouvrages de la sélection.

J'en ai emprunté déjà deux: "Voyage aux pays du coton" d'Erik Orsenna et "Comme un film égyptien" de Ron Barkaï.





dimanche 18 mars 2007

Printemps des Poètes III





Pour clore cette quinzaine de la poésie, je ne résiste pas à vous faire lire quelques haïku extraits du très joli recueil "Haïku pour les amants" aux éditions Vega.










Champs verts:
deux papillon blancs
deviennent un seul.
Toshimi Horiuchi
Le lis qu'elle tient
tandis qu'elle passe
laisse ici son parfum.
Seishi Yamaguchi
T'attendant
un, deux, trois pétales
sur le siège.
Akiko Sakaguchi
Elle ne sait pas lire
il ne sait pas écrire, mais entre eux
une idylle.
Senryu
Une grue porte
toute ma passion brûlante
dans la nuit d'automne.
Ishida Hakyo
Papillon enlevé
d'un papillon
tout est palpitation.
Seisen Sui

Un début de yaourtmania?










Lorsque j'ai commencé à "bloguer" je me suis beaucoup promenée sur la blogosphère et je suis, non seulement tombée sur les blogs littéraires, mais aussi sur des blogs de fins cordons bleus, notamment Samania qui réalise des yaourts plus sublimes les uns que les autres.

J'avais d'abord tenté une recette sans yaourtière mais j'ai complètement raté l'essai! Aussi, ai-je décidé de me procurer une yaourtière....et dimanche dernier, dans une brocante, j'ai acheté une yaourtière SEB! Du plus pur look Seventies me rappelant celle que ma Maman utilisait et avec laquelle elle nous concoctait de délicieux yaourts. Souvenirs, souvenirs....

Me voilà donc partie dans une aventure gustative au bon goût d'antan....

NB: la photo des yaourts est issue du blog d'une gourmande très habile.

samedi 17 mars 2007

Spirales ou descente en enfer?



Depuis longtemps, ma curiosité envers cette auteure, que je ne connaissais pas, était piquée. Les avis et ressentis des lecteurs étaient tous très positifs et élogieux. Aussi, ai-je vite cherché à en savoir plus et à lire un de ses romans.
Le hasard a voulu mettre entre mes mains « Spirales »: la quatrième de couverture m'a tout de suite embarquée dans la lecture!
Le roman s'ouvre sur un chapitre en italique: une scène d'un après homicide, volontaire ou involontaire, on ne le sait. L'ambiance est électrique tout en tamisant les sensations: le robinet goutte, tenace, lancinant, agaçant, stridant; la table de la cuisine se perd dans le passé; le lecteur peut presqu'entrendre la respiration saccadée de la femme assise, défaite, ailleurs; le corps abandonné, menaçant, dérangeant, écoeurant, un brin vulgaire; l'attente, enfin, d'un dénouement, d'un soulagement grâce à la vérité divulguée. Le lecteur est prêt à embarquer dans un thriller haletant et échevelé.
Hélène, épouse d'un éditeur en vue, femme accomplie, mère parfaite, grand-mère comblée et idéale. Hélène, lisse, sans histoires, sans aventures, sans heurts venant perturber le doux écoulement d'un quotidien privilégié et protégé. Hélène, sans saveur, sans couleurs, sans épaisseur? On serait tenté de le croire mais c'est sans compter avec la duplicité malicieuse de Tatiana de Rosnay qui peu à peu, à mots feutrés, à phrases discrètes, courtes et simples, va donner une âme de révoltée à cette femme si « sainte Hélène », si « Avoue tout de même que tu as une vie terriblement protégée...il ne t'est jamais arrivé quelque chose de grave...tout va bien dans ta vie, n'est-ce pas? ». Une autre Hélène pointe le bout de son nez dans cette réplique douceureusement cassante: « Mais qu'est-ce que tu en sais? Qu'est-ce que tu en sais de ma vie? »...D'un seul coup, elle fait peur à son amie qui ne la reconnaît plus.
Le grain de sable dans la machine si bien huilée de la vie: Hélène, tenaillée par le remords de ses actes et de ses mensonges, harcelée par deux témoins de son adultère, prend conscience que toute son éducation, tout son tissu social ne sont rien dans son actuelle situation. Hélène, s'aperçoit qu'à force d'être parfaite, d'être à l'écoute des autres, elle est seule, totalement seule, irrémédiablement seule: elle qui reçoit moult confidences, ne peut se confier à quiconque. Hélène est aux prises du « qu'en dira-t-on », des apparences, de la morale chrétienne puis, elle se lâche pour s'enfermer dans le mensonge, dans la lâcheté et elle ne cesse de laisser passer les occasion de dire la vérité.
Hélène pourrait être une caricature de grande bourgeoise, engoncée dans une vie étriquée et rêvant de fantasmes inavouables. Mais ce serait trop facile, trop convenu. Hélène est une femme que chacune d'entre nous peut être à un moment de la vie: les doutes, les actes misérables pour sauver ce qui peut l'être, les mensonges, les révoltes muettes, les envies d'ailleurs. Jusqu'où peut-on aller pour sauver la face? Jusqu'où?...telle est la question, dérangeante, posée par le roman de Tatiana de Rosnay: le reflet dans le miroir évolue, peut imperceptiblement changer (un regard, un pli des lèvres...) et changer le prisme de notre regard sur le monde. Hélène, ou de l'autre côté du miroir? Une Alice adulte qui se révèle un jour à elle-même?
Un roman aux accents hitchcockiens, au suspense insoutenable: les apparences ne sont jamais celles que l'on voit, le maître du cinéma noir et psychologique n'aurait pas renié une telle histoire!

vendredi 16 mars 2007

J'ai vu ce matin


Jules a vu ce petit jeu amusant chez bouquin et cuné a suivi puis cathulu....


Ce matin, j'ai vu....

le givre blanc et crissant sur le parebrise de ma voiture,

les bouches fumer dans la froidure matinale,

un ciel rose flamboyant du givre saupoudrant les champs sous le soleil du petit matin,

un homme foulant la chaussée d'un pas élastique et sportif, son bonnet de marin sur la tête,

les gens se rendre à leur travail, à leur journée de fin de semaine,

la perspective souriante du week-end qui s'annonce....


A qui le tour?

jeudi 15 mars 2007

Le Printemps des poètes II




"Mon rêve familier"




Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant


D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,


Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même


Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.




Car elle me comprend, et mon coeur, transparent


Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème


Pour elle seul, et les moiteurs de mon front blême,


Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.




Est-elle brune, blonde ou rousse?-Je l'ignore.


Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore


Comme ceux des aimés que la Vie exila.




Son regard est pareil au regard des statues,


Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a


L'inflexion des voix chères qui se sont tues.




Paul VERLAINE, Poème saturniens, 1867

mercredi 14 mars 2007

Le Printemps des poètes


Les éditions de Rue du Monde réalisent toujours de multiples merveilles littéraires à mettre en les mains de nos Tout-Petits. Les textes sont excellents et les illustrations particulièrement sublimes!

Ce matin, en allant à la librairie, j'ai "craqué" pour cette collection "Petits Géants" mettant en images des poèmes écrits par Vian, Tardieu, Fort, Supervielle et les autres. Des poèmes venus de France et d'ailleurs.

J'ai acheté pour la BCD de l'école: "Comptine" de J.Tardieu, "Un poisson d'avril" de B.Vian, "Le bonheur" de P.Fort, "Un bon petit loup" de José Augustin Goytisolo et "Un boeuf de Chine" de J.Supervielle!


"Un poisson d'avril

est venu me raconter

qu'on lui avait pris

sa jolie corde à sauter

c'était un cheval

qui l'emportait

sur son coeur

le long du canal

où valsaient

les remorqueurs

et alors un serpent

s'est offert comm' remplaçant

le poisson très content

est parti à travers champs

il sauta si haut

qu'il s'est envolé en l'air

il sauta si haut

qu'il est retombé

dans l'eau."


BORIS VIAN

mardi 13 mars 2007

Mignonne, allons voir...


En ce Printemps des Poètes, un souvenir poétique qui dure, dure, dure...


Mignonne, allons voir si la rose

Qui ce matin avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

A point perdu cette vesprée

Les plis de sa robe pourprée,

Et son teint au vôtre pareil.


Las! voyez comme en peu d'espace,

Mignonne, elle a dessus la place,

Las, las, ses beautés laissé choir!

O vraiment marâtre Nature,

Puisqu'une telle fleur ne dure

Que du matin jusques au soir!


Donc, si vous me croyez, mignonne,

Tandis que votre âge fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

Cueillez, cueillez votre jeunesse:

Comme à cette fleur, la vieillesse

Fera ternir votre beauté.


RONSARD, Odes, I,17

Entraide entre blogueurs

Essel a mis en ligne un questionnaire sur nos pratiques de lecture. Il ne prend pas beaucoup de temps à remplir et c'est amusant de réfléchir à nos motivations de lecture!
N'hésitez pas à vous rendre chez elle....c'est ICI

J'ai copié/collé dans openoffice le questionnaire, puis je l'ai envoyé à Essel par courriel.

lundi 12 mars 2007

Wonderful world



Après une journée un peu éprouvante, nerveusement et émotionnellement, de belles images, au gré des notes de Louis Amstrong, me permettent de me réconcilier avec le monde.
Un peu de douceur dans un monde de brutes...


dimanche 11 mars 2007

Douceur du temps qui passe


Tsukiko, jeune femme célibataire, rencontre par hasard son ancien professeur de japonais.

Ils sont seuls tous les deux et se retrouvent régulièrement dans un bar du quartier. Ces rencontres, toujours imprévues, rythment leurs relations au fil du saké et des silences.

Peu à peu, Tsukiko éprouve plus que de l'amitié pour son professeur.

Hiromi Kawakami nous relate cette rencontre, cet amour, entre deux personnes qu'une grande différence d'âge sépare, avec sensualité et retenue...très japonaise.

Le lecteur se sent bien dans le bar de Satoru-san: il déguste les petits encas de poissons crus délicatement préparés, les légumes marinés ou grillés et le saké chaud ou froid. Ce saké qui se trouve être le nectar de l'amour naissant.

Le récit peint une relation amoureuse qui s'établit doucement, délicatement, entre deux personnes depuis trop longtemps solitaires. L'émotion apparaît lorsque l'âge du professeur ne peut faire oublier la possible brièveté de la relation amoureuse. La vieillesse peut être attirante et douce: les paroles et les actes du professeur sont un baume apaisant pour Tsukiko qui succombe suavement au charme. Mais aussi une initiation pour apprivoiser la vie et l'amour qu'elle semble vouloir toujours fuir. Il n'est pas facile d'aimer une personne plus âgée sans se soucier du regard des autres ou de leur jugement...finalement seul le coeur détient la réponse et apporte le courage d'exprimer son attirance et de la faire accepter.

L'écriture poétique de Kawakami est douce et subtile, les sentiments ne se disent jamais de la même façon....comme chez la plupart des auteurs japonais, le haïku affleure à chaque instant: "Dans la clarté du petit matin, le cri des mouettes." . Le haïku et la contemplation de la nature embellissent le récit, jusqu'à lui donner une silhouette d'ukiyo-e aérienne. Le battement de cil du monde scande les amours des hommes....


vendredi 9 mars 2007

Mathématiques et littérature



En allant sur le blog de Pitou, j'avais été tentée par la lecture de « L'annulaire » de Yoko Ogawa...auteure japonaise que je découvrais. Cette lecture m'avait laissée un brin perplexe. Mais je ne voulais pas rester sur une impression négative: sans doute n'avais-je pas commencé la découverte d'Ogawa par le bon roman. Des visiteurs m'ont gentiment orientée vers d'autres romans....notamment celui-ci « La formule préférée du professeur ».
Aussitôt, j'ai adhéré au récit, aux personnages, à l'écriture moins absconse que celle de « L'annulaire ». Moi qui ne suis absolument pas douée pour les mathématiques, j'ai lu avec attention les explications sur les nombres premiers du professeur: un vrai régal. Je ne m'attendais absolument pas à trouver de la poésie dans les mathématiques en général ni dans les nombres premiers en particulier! La scène dans le jardin public, après la séance chez le coiffeur, est d'une poésie folle et émouvante: le tracé des chiffres, des nombres, à l'ombre des cerisiers en fleurs est une image sublime, un petit haïku, semée dans le roman.
L'histoire est celle d'une rencontre entre un génial professeur de mathématiques dont la mémoire s'est arrêtée en 1975, suite à un accident de voiture, une aide-ménagère et son fils.
Le professeur n'a plus qu'une mémoire de 80 minutes: passé ce délai, il oublie et se retrouve devant un éternel recommencement....face à une éternelle solitude. L'émotion étreint le lecteur lorsque l'auteure décrit les petits papiers épinglés sur sa veste: elle atteint des sommets lorsqu'elle nous fait lire celui qui dit « Ma mémoire est de 80 minutes ». Ogawa aborde un thème récurrent: celui de l'enfermement, de l'angoisse. Ici, ce ne sont plus des échantillonnages que l'on enferme, mais l'effacement, toutes les 80 minutes, de la mémoire, cet éternel « départ à zéro ».
L'aide-ménagère apprend à apprivoiser le professeur et sa mémoire fugitive. Elle apprend à l'écouter, elle apprend à regarder le monde à travers les nombres premiers, petites preuves de l'existence de Dieu. Elle est sensible à la poésie des nombres et à leur charme. Ils sont musique et conte: quand le professeur compte, il conte, il narre, simultanément, leur histoire infinie.
Root, le fils de l'aide-ménagère, est le fil, ténu mais solide, qui relie le professeur au présent: il est son point de repère affectif. Il devient son grand-père, attentionné et plaçant l'enfance sur un piédestal (Ah!, merveilleux Japon qui fête amoureusement ses enfants et qui veille jalousement sur eux...). Ils partagent une passion: le base-ball , sport de chiffres s'il en est!
C'est une histoire de filiation, d 'héritage dans laquelle trois générations vont se retrouver malgré l'égarement de la mémoire. Une belle histoire d'amour, de tendresse et d'humanité.
Quant à la formule préférée du professeur....chuuut, le lecteur la découvre en même temps de Root et sa mère: l'explication est belle à en aimer d'amour les mathématiques!

papillon, qui explore cette année la littérature japonaise, chimère, les rats de bibliothèques et cécilia ont aussi lu ce livre.


jeudi 8 mars 2007

Les lendemains


Texte publié dans mon atelier d'écriture, les Poudreurs d'escampette. J'ai choisi une photo parmi trois proposées.


Il était encore tôt, ce matin-là. La chambre sommeillait de cette langueur musquée des ébats nocturnes. Une femme suivait le chemin de ses pensées, le sentier de sa vie. C'était au temps de l'adolescence, au temps de l'insouciance. Les senteurs diffuses d'après la pluie d'été, saupoudrant l'espace de la salle commune. La pendule égrene son tic-tac, l'odeur du café titille les papilles et réchauffe la pièce. Un oiseau trille près de la fenêtre. Une journée commence. Une longue journée s'ouvre pour sortir de l'enfance. Le rituel du matin s'achève lentement, posément. Une attente étrange et insoutenable étreint son coeur qui cogne dans ses oreilles. Un picotement chatouille délicieusement sa nuque, une perle de sueur apparaît sur sa lèvre supérieure, promesse d'un voyage intérieur. Elle a rendez-vous, elle a une rencontre avec sa vie, avec son jeune amour. Le temps n'arrête pas de s'étirer, ne cesse de s'allonger. Ah! douce et amère sensation d'une heure trop longue! Impatience et peur, curiosité et tremblement. Le chemin des pensées, le sentier de la vie se déroulent, subrepticement, pour amener au souvenir. Soudain, le temps s'accélère, libère les minutes et les heures: le rendez-vous approche, suffocant et haletant. Elle est là, ils sont là, petites statues de terre cuite, petites marionnettes malhabiles. La brise estivale les entoure de caresses subtiles et douces, amenant leurs mains à papillonner sur les corps étonnés, un peu apeurés, mais avides de découvertes. L'enfance se perd peu à peu, une pointe d'étonnement s'épanouit dans un autre monde, celui de l'autre que l'on est devenu. Un sourire ému, un souvenir fugace, un bonheur renouvelé. Derrière la porte, la douche crépite sur l'émail blanc. Ils sont devenus grands, ils sont devenus parents et sont toujours amants. Le musc, doucement, s'évapore jusqu'à la nuit prochaine, jusqu'aux retrouvailles de leurs corps adolescents devenus grands.

mercredi 7 mars 2007

Café philosophique des petits


Je désirais depuis longtemps parler de cet album (aux éditions Gautier-Languereau) aux allures de petit traité de philosophie à l'usage des Tout-Petits.

Le titre "Le bonheur, c'est un peu de miel..." est déjà une invitation au souvenir, aux sensations. On y retrouve moults situations d'amitiés, de rires partagés, de balades ensoleillées. Au fil des pages et des illustrations, on ressent la présence de ces petits bonheurs quotidiens qui rendent la vie si belle. Les textes sont constitués de phrases courtes, poétiques et drôles.

"Le bonheur, c'est dans la forêt, une partie de cache-cache au milieu des fougères, quand personne ne te trouve sauf un petit papillon." Ou encore "le bonheur, c'est une fleur qui s'ouvre et la brise qui souffle en haut de la colline..." "Le bonheur, c'est sortir le pique-nique, quand le soleil est haut, que les ventres gargouillent, et tout manger en un seul coup en se barbouillant les deux joues." Enfin "Et puis quand tu es fatigué, qu'on a bordé ton petit lit, le bonheur, c'est un mot gentil qui t'accompagne dans la nuit..."

Un jour, j'ai lu cet album dans ma classe. Il régnait un silence précieux, on aurait entendu le battement d'aile d'un papillon. Sans doute, le fait d'être profondément émue par ces phrases d'une si belle simplicité a-t-il été pour quelque chose...une fillette a dit, dans ce silence d'émotions, qu'elle avait des frissons et que ses yeux la piquaient. Je me suis alors dit que nous venions de vivre un moment magique et formidable...un instant plein de grâce.

mardi 6 mars 2007

Aborder Jane Austen



Pour la première fois, j'ouvrais un roman de Jane Austen que je ne connaissais que par le biais du cinéma « Raison et sentiments » « Orgueil et préjugés », films qui m'avaient transportée de joie. La lecture allait-elle être aussi agréable?
Le livre comporte trois petits romans dont deux inachevés (« Les watson » et « Sanditon »).
Le premier, « Lady Susan » est un roman épistolaire. Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu de roman épistolaire et j'avais oublié combien cette forme littéraire était plaisante. Lady Susan apparaît comme une personne égoïste, méchante, provocatrice et diablement calculatrice. Avec son amie, Mrs Johnson, elle forme un duo d'une méchanceté à la limite de la perversité: elles n'épargnent rien ni personne, ne respectent pas grand chose hormis leur intérêt. On admire l'éloquence et l'immense capacité de persuasion de Lady Susan: ces atouts lui permettent de retourner des situations bien compromises. Jane Austen prend un malin plaisir à décortiquer les travers de cette bonne société anglaise et à se moquer d'eux: l'ambition d'un beau mariage (d'argent), avoir une place dans le monde. On a parfois l'impression de retrouver l'ambiance du roman « La foire aux vanités » de Thackeray et c'est absolument délicieux et « so british »! Cependant, derrière la moquerie, l'écriture raffinée et tout en touches discrètes mais ironiques, on distingue une amertume à l'encontre de ce système social qui broie des vies sans aucun remord: les intrigues entraînent des comportements vils et mesquins et pervertissent les relations sociales.
Le second, inachevé, « Les Watson », peut immédiatement faire penser au film « Orgueil et préjugés »: on a l'impression de se retrouver au milieu de la famille Bennet...une famille de filles. Dans « Les Watson » il y a filles et garçons, et une des plus jeunes soeurs revient vivre chez son père après le remariage de sa riche tante. On y trouve le ballet de séductions pour trouver un « bon parti », l'attirance inavouée d'une jeune fille intelligente pour un bel aristocrate distant et un rien prétentieux (à ses yeux), des membres de la famille plus aisés que les autres et aimant le faire remarquer, la dépendance financière des femmes célibataires vis à vis des hommes de la famille, la préférence de la campagne à la ville, lieu de « l'artifice » et de la société spectacle, l'ironie envers la bourgeoisie désirant copier les moeurs de l'aristocratie...Tous les ingrédients d'une peinture douce amère de la société victorienne sont réunis dans ce fragment de roman et Jane Austen la mène avec brio et une délicatesse mordante.
Le troisième, également inachevé, « Sanditon », paraît, de prime abord, un peu fade en comparaison avec les précédents romans. Jane Austen nous peint l'esprit d'entreprise d'une petite ville balnéaire qui veut rivaliser avec ses voisines plus cotées. Mais elle esquisse aussi des arguments publicitaires qui seront les antiennes des cités de bord de mer: l'air marin, l'iode vivifiant composants d'une santé de fer. La santé est thème important de ce roman inachevé...et on apprend, en lisant les notes de la traductrice, que Jane Austen était très malade lorsqu'elle entreprit la rédaction de ce dernier. Elle fait défiler, une nouvelle fois, devant les yeux du lecteur, cette société bourgeoise un peu ridicule avec ses principes et ses préoccupations d'alliances maritales, ses héritages espérés , ses coteries...Ce qui donne le piquant du roman c'est la présence amusée de Charlotte qui observe, comme une exploratrice, ce microcosme amusant et parfois pathétique.
Ces trois petits romans sont une agréable et passionnante « mise en bouche » pour bien aborder l'univers de Jane Austen. Du coup, on n'a plus qu'une envie: explorer plus avant son écriture et sa sensibilité .

lundi 5 mars 2007

Mon voisin Totoro de Miyasaki






C'est le film de Miyasaki que je préfère...



Deux petites filles viennent de s'installer avec leur père dans une grande maison à la campagne afin de se rapprocher de l'hôpital où séjourne leur mère. Elles vont découvrir l'existence de créatures merveilleuses, mais très discrètes, les totoros. Le totoro est une créature rare et fascinante, un esprit de la forêt. Il se nourrit de glands et de noix. Il dort le jour, mais les nuits de pleine lune, il aime jouer avec des ocarinas magiques. Il peut voler et est invisible aux yeux des humains. Il existe trois totoros : O totoro (gros), chu totoro (moyen) et chili totoro (petit).



"Mon voisin Totoro" est sorti en France en 2002, quasiment 20 ans après sa sortie au Japon.



On apprend à rêver éveillé avec Miyasaki, à être à l'écoute de la Nature, à la respecter (Miyasaki reprendra ce thème de façon plus frappante avec "Princesse Mononoke"). On est pris par les aventures des deux fillettes séparées de leur maman en raison de sa maladie. Elles découvrent un monde mystérieux et enchanteur et on espère, comme elles, enfin voir Totoro, ce bel esprit de la forêt.
Joe Hisaishi, le musicien qui travaille aussi avec le cinéaste Kitano, collabore une nouvelle fois avec Miyasaki et met en musique de manière sublime cette belle fable poétique et écologique.
Pour vous en rendre mieux compte....une balade, au son du violon, agrémentée d'images du film....3'30'' de bonheur:

dimanche 4 mars 2007

Un piquant bien élégant


Comme j'ai attendu de l'avoir entre les mains ce roman dont on parle tant sur les blogs! Comme j'ai piaffé d'impatience lorsque je l'ai réservé à la médiathèque! Comme j'ai été ravie lorsque, enfin, il est arrivé! Comme j'ai été heureuse de l'ouvrir et de le commencer.....et comme j'ai été comblée par sa lecture!
En effet, lorsque je l'ai eu devant moi, j'ai eu une inquiétude fugace mais poignante: et si jamais il ne me plaisait pas ce roman au sujet duquel on ne tarit pas d'éloges?
Cette inquiétude a vite disparu pour laisser place au ravissement le plus total.
Cette histoire à deux voix, est celle de l'art du camouflage pour vivre tanquillement ses passions. Une concierge érudite, une fillette surdouée et juge sans concession d'un monde adulte qui ne prend pas ses responsabilités. Que les préjugés peuvent être tenaces et ridicules, que les gens peuvent êtres mesquins et vils, que la culture est parfois donnée, telles des perles à un cochon, à des personnes qui gaspillent ces trésors de l'humanité!
Deux mondes qui ne devraient pas se rencontrer vont faire connaissance et s'apprécier : Renée et Paloma se sont démasquées car elles savent regarder le monde, elles savent utiliser leurs sens pour connaître leur monde. Elles sont démasquées par un petit grain de sable dans les rouages de la routine des apparences: un nouveau voisin japonais s'installe dans l'immeuble. Un étranger qui a le recul pour observer ce qui est enfoui, un jardinier de l'âme, Kakuro Ozu, qui comprend tout de suite que si le chat de Renée s'appelle Léon c'est en hommage à Tolstoï. Et le lecteur assiste aux échanges de citations extraites d' « Anna Karenine » et c'est absolument jubilatoire.



Que dire sur ce roman d'une richesse incroyable sans en déflorer l'essence? Que raconter à son sujet sans ternir la joie de sa découverte par un nouveau lecteur?
Rien, sinon que les références philosophiques, littéraires et artistiques sont multiples et qu'un parfum oriental venu du Japon embaume le texte, l'enrichit, l'embellit au fil des phrases empreintes d'une poésie simple et lumineuse comme un haïku.
Rien, sinon que la lutte des classes est une lutte sans fin: la classe dirigeante est sourde aux envies d'être des « petites gens ».
Aussi, pour donner encore plus envie de plonger dans cette lecture délectable, voici quelques extraits:



au sujet de l'essence même du Beau: « Et pourtant...pourtant, elle est là, sous nos yeux: chaque tableau de maître hollandais en est une incarnation, une apparition fulgurante que nous ne pouvons contempler qu'au travers du singulier mais qui nous donne accès à l'éternité, à l'atemporalité d'une forme sublime.
L'éternité, cet invisible que nous regardons. »
(p 272)
Plus loin, devant une scène dans un salon de thé chic parisien: « Il (le petit garçon adopté) aura peut-être envie de brûler une voiture, plus tard. Parce que c'est un geste de colère et de frustration, et peut-être que la plus grande colère et la plus grande frustration, ce n'est pas le chômage, ce n'est pas la misère, ce n'est pas l 'absence de futur: c'est le sentiment de ne pas avoir de culture parce qu'on est écartelé entre des cultures, des symboliques incompatibles. Comment exister si on ne sait pas où on est? Comment peut-on assumer en même temps une culture de pêcheurs thaïlandais et de grands bourgeois parisiens? De fils d'immigrés et de membres d'une vieille nation conservatrice? Alors on brûle des voitures parce que quand on n'a pas de culture, on n'est plus un animal civilisé: on est une bête sauvage. Et une bête sauvage, ça brûle, ça tue, ça pille. » (p 280)



Un roman tendre et dur à la fois. Un roman qui provoque autant le rire (le passage sur les chats et leur finalité esthétique est à mourir de rire) que les larmes. Un roman à lire et à relire.


Un roman qui est à l'image de son titre: élégant comme peut l'être un hérisson qui trottine et traverse un jardin éclairé par la lune....
Quelques avis de lecteurs (j'en ai peut-être oublié...): papillon florinette cuné so hervé agapanthe yueyin lily sylire .

samedi 3 mars 2007

Plaisir des yeux


"Peut-être les japonais savent-ils qu'on ne goûte un plaisir que parce qu'on le sait éphémère et unique et, au-delà de ce savoir, sont-ils capables d'en tisser leur vie."


Muriel Barbery in "L'élégance du hérisson" (p 173)

jeudi 1 mars 2007

Rituel du thé


"Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d'introduire dans l'absurdité de nos vie une brèche d'harmonie sereine. Oui, l'univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l'insignifiance nous encercle. Alors; buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d'automne bruissent et s'envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps."


Muriel Barbery in "L'élégance du hérisson" (p 94)