dimanche 21 janvier 2007

Japon quand tu nous tiens....


"A Kinosaki" est un recueil de 14 nouvelles, 14 tranches de vie et de sensation.
Au cours de la lecture de ces récits, la lectrice occidentale que je suis a été confrontée à des décodages difficiles: la plupart des chutes sont très ouvertes et parfois insaisissables.
On peut être heurté par cela mais très vite on se dit (je me suis dit) qu'il ne faut pas être trop tatillon et de cette manière on se laisse aller à apprécier cet univers japonais des sensations, des descriptions subtiles, légèrement estompées.
"Metempsychose", récit où un mari grincheux exaspéré d'avoir une épouse idiote (à son gré), au cours d'une conversation orageuse avec elle, lui propose de choisir leur prochaine réincarnation. Après avoir comparé les mérites conjugaux du cochon, du renard et du canard, ils décident de se réincarner en canards mandarins. Le mari avance que son idiote de femme aura vite oublié cet arrangement le moment venu. Ce charmant époux disparaît en premier et devient canard. Il attend de très longues années la mort de sa femme. Bien entendu, arrive ce qui doit arriver: celle-ci se trompe et devient renarde.Lors de leurs retrouvailles, comme elle est affamée et que son canard d'époux s'évertue à la blâmer sans répit, elle le dévore. Quand on sait que le renard est un animal maléfique dans la culture japonaise (les sorcières sont des "femmes renardes"), on ne s'étonne pas que la pauvre épouse se réincarne en renarde: idiote elle a vécu, idiote elle restera! Par contre, le prisme occidental goûte au sel de cette chute: revanche d'une femme bafouée qui enfin cloue le bec (!!) de son acariâtre époux.
L'image négative de la femme dans la société traditionnelle japonaise est remise en question par Naoya à plusieurs reprises dans ce recueil de nouvelles. On peut voir dans"Kuniko" (un des plus long récit), la femme légitime se plaindre de sa condition d'épouse d'artiste trompée(c'est tout sauf une sinécure que de partager le quotidien d'un créateur). On sent un frémissement de révolte envers le système traditionnel des concubines entretenues, des maîtresses attitrées, favorable aux hommes. Sans doute, les influences chrétiennes de Naoya y sont-elles pour beaucoup, de même que l'époque (les premiers récits sont datés de 1908 à 1920, les derniers des années 1950) marquée par l'ouverture du Japon au monde occidental.
On ne peut que remarquer le talent avec lequel Naoya recueille les parcelles de vie, est attentif aux mécanismes psychologiques de ses personnages et réussit à mettre en scène les mystères des comportements humains (ainsi dans "Le crime de Han" et "Le rasoir" où le meutre est l'argument principal).
Il est remarquable, également, dans la narration de faits mystérieux, éléments de contes ou de légendes ("Le fil d'Arachne" ou "Le petit commis et son dieu") qui mêlent réalité et surnaturel.
Il est souvent stipulé que Naoya fut le "précurseur du roman autobiographique japonais"....presque tous ses récits sont à la première personne du singulier. Il a aussi une écriture de l'intime, des sensations intérieures et individuelles de l'être.
Une très belle balade japonaise, tout en subtilités, ruses, ellipses et complications...à l'image de "l'art de conférer" japonais.
Un régal pour le lecteur qui aime se perdre dans le dédale culturel de l'empire du Soleil Levant.

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